La pierre en tant que St Pierre

Ceci est une traduction et édition d’un article de The Liguori Militant (22 septembre 2023) que nous remercions pour sa collaboration mutuelle. L’article offre une exégèse biblique de Matthieu 16:18 sous un angle biblique; linguistique et historique.

Image: Vitrail de l’artiste William Dowling (1907-1980), repéré sur irishtimes.com

Que désigne la pierre?

Quand Jésus a rencontré saint Pierre, il lui a promis de changer son nom en Céphas, qui signifie « pierre » en araméen (Jean 1:42). Cela fut accompli plus tard en Matthieu 16:18 :

« Et moi, je te dis que tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle ».

Si nous le lisons en grec (puisque le Nouveau Testament a été écrit en grec à l’origine), il est dit « kago de soi lego oti su ei Petros kai epi taute te petra oikodomeso mou ten ekklesian » . En grec, « Petra » signifie pierre/rocher. On pourrait se demander: si St Pierre était la pierre, alors pourquoi lui donner un nom féminin, Petra ? C’est parce que mot qui désigne la pierre en grec est, de par sa nature, féminin. Evidemment, St Pierre [Petros] ne pouvait pas prendre une terminaison féminine à son nom. Sinon, cela serait comme l’appeler Rochette au lieu de Rocher. C’est seulement en raison des exigences linguistiques que le genre des noms diffère. Les spécialistes ont qualifié ce verset de jeu de mots linguistique évident. Craig Keener [Spécialiste du Nouveau Testament] écrit :

« [Jésus] joue sur le surnom de Simon, ‘Pierre’, qui correspond à peu près à l’anglais ‘Rocky’ : Pierre est ‘rocheux’, et c’est sur cette pierre que Jésus bâtirait son Église » .1

Mais qu’est-ce que la pierre a de si spécial ?

Genèse 28:18: S’étant levé de bon matin, Jacob prit la pierre dont il avait fait son chevet, la dressa pour monument et versa de l’huile sur son sommet.

Deutéronome 27:5-6: « Et tu bâtiras là un autel à Yahweh, un autel de pierres sur lesquelles tu ne porteras pas le fer. »

Nombres 20:11: « Moïse leva la main et frappa deux fois le rocher de son bâton; et il sortit de l’eau en abondance. L’assemblée but, ainsi que le bétail. »

Isaïe 28:16: « C’est pourquoi ainsi parle le Seigneur Yahweh: Voici que j’ai mis pour fondement en Sion une pierre, une pierre éprouvée, angulaire, de prix, solidement posée: qui s’appuiera sur elle avec foi ne fuira pas. »

Daniel 2:34-35: « Tu regardais, jusqu’à ce qu’une pierre fut détachée, non par une main, et frappa la statue à ses pieds de fer et d’argile, et les brisa. Alors furent brisés eu même temps le fer, l’argile, l’ai-rain, l’argent et l’or, et ils devinrent comme la balle qui s’élève de l’aire en été, et le vent les emporta sans qu’on en trouve plus aucune trace; et la pierre qui avait frappé la statue devint une grande montagne et remplit toute la terre. »

Psaume 118:22: « La pierre rejetée par ceux qui bâtissaient est devenue la pierre angulaire. »

La pierre est spéciale parce qu’elle est porteuse de significations théologiques et symboliques. Les symboles bibliques peuvent renvoyer à plusieurs choses. Dans le cas de Matthieu 16:18, la pierre peut non seulement désigner St Pierre, mais aussi sa confession de foi. Ces deux éléments ne sont pas exclusifs.

Pourquoi la distinction Petros/petra ne fonctionne pas

Cependant, de nombreux protestants tentent de dissocier Pierre de la pierre en concluant que la pierre est autre chose que Pierre. L’apologiste protestant James McCarthy arrive à la conclusion que le nom « pierre/roc » n’est appliqué que symboliquement à Dieu dans les Écritures et que, par conséquent, la pierre en Matthieu 16:18 ne peut pas faire référence à Pierre2, ce qui est incorrect parce que Jésus se réfère à Simon Bar-Jonah en tant que Céphas/Pierre. Par conséquent, le mot « pierre » doit être utilisé pour désigner autre chose que Dieu dans les Écritures. Si nous regardons 1 Corinthiens 10:4, St Paul n’a pas voulu dire que chaque rocher dans les Écritures est Jésus, parce que le prophète Isaïe dit qu’Abraham était un rocher à partir duquel les Israélites ont été taillés (voir Isaïe 51:1). L’apologiste protestant Todd Friel affirme que Pierre n’a pas été le premier pape pour de nombreuses raisons :

« Pierre est le mot grec Petros, une petite pierre, un petit rocher. De très petits rocs […] et « sur cette pierre je bâtirai mon Église » est le mot pierre, Petra, un sommet de montagne, du genre féminin, le rocher est la confession, pas Pierre… Jésus disait : « Tu n’es qu’une toute petite pierre, mais sur cette confession massive qui t’a été révélée par mon père, je vais bâtir mon Église. » Jésus ne disait pas : « Prends le contrôle de mon église, Pierre. » Il utilisait la confession de Pierre pour dire : « Je bâtis mon église sur moi-même. » 3

Cette affirmation est très probablement tirée du livre de William Cathcart « The papal system » , qui repose sur une mauvaise compréhension du grec. Les protestants spécialistes du grec admettent qu’il n’y a pas de distinction entre les deux mots Petros et Petra. D.A. Carson écrit :

« S’il est vrai que petros et petra peuvent signifier respectivement « [petite] pierre » et « gros rocher » en grec ancien, la distinction est largement restreinte à la poésie. » 4

Jean Calvin admet même qu’il « n’y a pas de différence de sens, je le reconnais, entre les deux mots grecs petros et petra. » 5 Nous devons également noter que Jésus s’adressait à Pierre en araméen et non en grec. Cela est évident lorsqu’il promet de changer son nom en Céphas dans Jean 1:42. D.A. Carson révèle également que dans l’Église d’Orient, la traduction syriaque de la Bible (qui est linguistiquement similaire à l’araméen) n’utilisait pas de mots différents pour traduire petros et petra.6

‘aph ‘ena’ ‘amar-na’ lak   da'(n)t-(h)uw ke’pha’,we`’al  hade’ ke’pha’  ‘ebneyh   le`i(d)tiy 

Plusieurs chercheurs protestants sont aussi arrivés à la même conclusion que D.A. Carson. L’érudit baptiste Craig Blomberg écrit :

L’expression « cette pierre » se réfère presque certainement à Pierre, immédiatement après son nom, tout comme les mots qui suivent « le Christ » au verset 16 s’appliquaient à Jésus. Le jeu de mots en grec entre le nom de Pierre (Petros) et le mot « pierre » (petra) n’a de sens que si Pierre est la pierre et si Jésus s’apprête à expliquer la signification de cette identification » .7

Le spécialiste anglican R.T. France dit également:

« Le jeu de mots et toute la structure du passage exigent que ce verset soit tout autant la déclaration de Jésus au sujet de Pierre que le verset 16 était la déclaration de Pierre au sujet de Jésus. Bien sûr, c’est sur la base de la confession de Pierre que Jésus déclare son rôle en tant que fondement de l’Église, mais c’est à Pierre, et non à sa confession, que s’applique la métaphore du rocher » .8

L’auteur baptiste John A. Broadus note:

« Beaucoup insistent sur la distinction entre les deux mots grecs, tu es Petros et sur cette petra, soutenant que si la pierre avait signifié Pierre, petros ou petra aurait été utilisé les deux fois, et que petros signifie une pierre séparée ou un fragment détaché, tandis que petra est le rocher massif. Mais cette distinction est presque entièrement restreinte à la poésie, le mot courant en prose au lieu de petros étant lithos ; la distinction n’est pas non plus uniformément observée » .9

McCarthy, dans une tentative de dissocier Pierre de la pierre, demande : « Pourquoi le Saint-Esprit n’a-t-il pas simplement répété le mot petros, comme les défenseurs catholiques supposent qu’il l’a fait en araméen? » 10 La réponse est qu’il pourrait l’avoir fait, mais il y a d’autres raisons convaincantes pour que le Saint-Esprit fasse les choses ainsi. Une explication possible selon Carson est que « le grec fait la distinction entre petros et petra simplement parce qu’il essaie de préserver le jeu de mots, et en grec le féminin petra ne pourrait pas bien servir de nom masculin » 11 De nombreux érudits protestants se sont accordés à dire que Pierre est la pierre sur lequel le Christ a construit, même s’ils rejettent la doctrine de la papauté. L’érudit presbytérien J.Knox Chamblin déclare:

« par les mots « cette pierre », Jésus ne désigne ni lui-même, ni son enseignement, ni Dieu le Père, ni la confession de Pierre, mais Pierre lui-même. L’expression est immédiatement précédée d’une référence directe et emphatique à Pierre. Comme Jésus s’identifie lui-même comme le bâtisseur, le rocher sur lequel il construit est plus naturellement compris comme quelqu’un (ou quelque chose) d’autre que Jésus lui-même » 12

L’érudit John Peter Lange affirme:

« le Sauveur, sans aucun doute, a utilisé dans les deux clauses le mot araméen kepha (d’où le grec Kephas appliqué à Simon, Jean i.42 ; comp. 1 Cor. i.12 ; iii.22 ; ix.5 ; Gal. ii.9), qui signifie pierre, et qui est utilisé à la fois comme nom propre et comme nom commun… La traduction correcte serait donc la suivante : « Tu es Pierre, et sur cette pierre », etc. » 13

L’érudit luthérien Oscar Cullmann a également déclaré:

« l’exégèse Catholique Romaine dit vrai et toute tentative protestante d’échapper à cette interprétation doit être rejetée » 14

Chez les premiers chrétiens

Il est également évident que les premiers chrétiens croyaient que Pierre était la pierre, comme St Ambroise, Cyprien, Jérôme, Hilaire, Augustin et Optat.15 Même Tertullien et Origène étaient d’accord pour dire que Pierre était la pierre.16 En réponse à ces preuves, l’apologiste réformé James White a souligné que St Augustin a changé d’avis sur le fait que Pierre était la pierre dans l’un de ses écrits appelés Rétractations.16 Mais le spécialiste de la patristique William Jurgens explique:

« Augustin avait très peu de choses à rétracter, et le sens de Retractationes est Reconsidérations, Révisions, Seconde Réflexion, ou, comme je l’ai appelé, Corrections » . Avec les Corrections, Augustin invente encore un nouveau genre littéraire: un bilan et une critique de ses propres écrits » 17

Saint Augustin n’a pas nié que Pierre était la pierre. De fait, il tenait le même point de vue que son maître, St Ambroise. Saint Augustin a proposé une lecture alternative des phrases dans les rétractations :

« Il ne lui a pas été dit en effet: «Tu es la pierre (petra)» , mais : «Tu es Pierre (Petrus).» Car la pierre était le Christ; et Simon, l’ayant confessé comme toute l’Eglise le confesse, a été nommé Pierre. Que le lecteur choisisse de ces deux interprétations celle qui lui semblera la plus probable. » 18

Il serait donc incorrect et inexact de dire que St Augustin ait rétracté ses propres déclarations sur le fait que Pierre était la pierre sur lequel le Christ a édifié son Église. Il a toujours maintenu l’idée que Pierre est la pierre.

Le calviniste Robert Godfrey a déclaré que « la notion que Pierre lui-même était la pierre est un développement relativement tardif dans l’Église occidentale – jamais dans l’Église orientale – et dans une partie tardive de la période antique. Et de nombreux interprètes antérieurs auraient vu cela différemment. » 19 Ceci est inexact, car les chrétiens d’Orient croyaient effectivement que Pierre était la pierre. Dans son commentaire sur l’Évangile de Jean, saint Cyrille d’Alexandrie écrit :

« Car n’ayant pas eu besoin d’une seul parole, ni même cherché à apprendre qui était l’homme ou d’où il lui est venu; Il lui dit de quel père il est né, quel était son propre nom, et lui permet de ne plus être appelé Simon, exercant déjà son règne et pouvoir sur lui, comme étant Sien: Il change son nom en Pierre, le nommant d’après petra [pierre], parce qu’il allait fonder Son Eglise sur lui. » 20

Saint Basile le Grand commente: « L’âme du bienheureux Pierre a été appelée une haute pierre … » .21 St Epiphane de Salamine a aussi écrit que « Saint Pierre, qui l’avait renié trois fois, et est devenu notre véritable pierre solide qui soutient la foi du Seigneur, et sur laquelle l’Eglise est fondée en toutes manières » .22 Il convient de noter qu’au cours des actes du Concile de Chalcédoine (en 451 ap. J-C), qui fut accepté par l’Eglise d’Orient comme oecuménique, il était déclaré sans controverse:

« C’est pourquoi le très saint et bienheureux Léon, archevêque de la grande et ancienne Rome, par notre intermédiaire, et par l’intermédiaire de ce présent très saint synode, ainsi que le trois fois béni et très glorieux Pierre l’Apôtre, qui est le roc et le fondement de l’Église catholique, et le fondement de la foi orthodoxe, l’a dépouillé [Dioscorus] de l’épiscopat. » 23

[NdT. Voir aussi notre article qui compile des citations à ce sujet:
https://archidiacre.wordpress.com/2023/11/19/la-pierre-mt-1618-etait-pierre-citations-patristiques/ ]

Conclusion

Nous conclurons avec les mots de D.A. Carson :

Beaucoup ont essayé d’éviter d’identifier Pierre comme la pierre sur laquelle Jésus bâtit son Église, mais s’il n’y avait pas eu les réactions protestantes contre les extrêmes des interprétations catholiques romaines, il est douteux que beaucoup auraient pris le mot « rocher » pour quelque chose ou quelqu’un d’autre que Pierre » .24


Références:

1 Craig Keener, The Gospel of Matthew: A Socio Rhetorical Commentary (Grand Rapids, MI: Wm. B. Eerdmans 2009), 426.

2 James McCarthy, The Gospel according to Rome (Eugene, OR: Harvest House, 1995), 241.

3 https://www.youtube.com/watch?v=jJbHOyBoziw

4 D.A. Carson, The Expositors Bible Commentary: Volume 8 (Matthew, Mark, Luke)(Grand Rapids, MI: Zondervan, 1984), page 368 

5 Jean Calvin, Commentary on Matthew, Mark, and Luke, vol. 2, trans. William Pringle (Edinburgh: Calvin Translation Society, 1845), 295.

6 Carson, “Matthew”, p.368.

7 Craig L. Blomberg, The New American Commentary: Matthew, vol. 22
(Nashville: Broadman, 1992), pages 251-252.  

8 France, R. T. (1985). In The gospel according to Matthew: An introduction and commentary (p. 254).

9 John A. Broadus, Commentary on the Gospel of Matthew (Valley Forge, PA: Judson Press, 1886), pages 355-356.

10 McCarthy, Gospel according to Rome, 242.

11 Carson, “Matthew”, p.368.

12 J. Knox Chamblin, Matthew Evangelical Commentary on the Bible (Grand Rapids, MI: Baker, 1989), page 742. 

13 Lange’s Commentary on the Holy Scriptures: The Gospel According to Matthew, vol. 8 (Grand Rapids, MI: Zondervan, 1976), page 293 

14 Cullmann, Theological Dictionary of the New Testament, 108.

15 https://www.churchfathers.org/origins-of-peter-as-pope
Voir aussi notre article: https://archidiacre.wordpress.com/2023/11/19/la-pierre-mt-1618-etait-pierre-citations-patristiques/

16 White, Roman Catholic Controversy, 121-22.

17 William Jurgens, The Faith of the Early Fathers, vol. 3 (Collegeville, MN: Liturgical Press, 1979), 163.

18 Traduction des Rétractations, Traduction par M. Henry de Riancey, bibilotheque-monastique.ch

19 How did the early church fathers interpret the “rock” of Matthew 16? Ligonier Ministries. (n.d.). https://www.ligonier.org/learn/qas/how-did-the-early-church-fathers-interpret-the-rock-of-matthew-16 

20 https://www.tertullian.org/fathers/cyril_on_john_02_book2.htm

21 Basile, Commentaire d’Isaïe, II, 66

22 The panarion of epiphanius of salamis. Translated by Frank Williams Atlanta: SBL Press, p. 110. 

23 Concile of Chalcédoine, Session III

24 Carson, “Matthew”, 368.

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