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DIABOLIQUE : les délires autour de la Salle Paul VI

Cet article répond aux allégations, plus fréquentes qu’elles ne le paraîssent, selon lesquelles la Salle d’Audience de Paul VI au Vatican représenterait un serpent. La statue qui s’y trouve représenterait quant à elle, subtilement, un bouc. Les deux seraient donc des symboles sataniques! Ces constructions trahiraient en fait un projet diabolique, satanique, voire franc-maçon, révélateur de la terrible Eglise Catholique.

Source: Un’udienza generale in Aula Paolo Vi – Claudio Pieri/Ansa, repéré sur avvenire.it

Permettez-nous de rappeler avant tout qu’il nous faut nous garder du jugement téméraire selon la doctrine chrétienne. C’est-à-dire que sans vraie preuve qu’il y ait une « volonté satanique » derrière cette architecture, on doit moralement présumer qu’il y eut une bonne volonté dans sa conception. En l’occurrence, il n’y a que des interprétations de photographies: ce n’est pas une preuve de malveillance, donc quand des sites affirment que leur impression visuelle démontre une volonté diabolique ou maçonnique (et posent de fait un jugement), il y a péché grave. L’effet de paréidolie, qui consiste à voir des formes familières dans les choses naturelles ainsi que les objets humains, est évident ici: une vague ressemblance visuelle avec un animal (serpent ou poisson) peut donner l’impression d’en voir un ici. Mais une telle impression ne prouve tout simplement pas une quelconque intention, et nous verrons ici qu’il n’y a aucune preuve d’une telle machination. Notons aussi que si des gens veulent absolument y voir un serpent, par a priori idéologique, cet article ne les persuadera pas.

L’architecture contemporaine, et ses bâtiments aux styles futuristes et surréalistes, s’est développée depuis le début du XXème siècle, et a aussi affecté les édifices religieux. La salle Paul VI n’en est qu’un produit semblable par son style atypique, à ceci près qu’elle n’est pas une église. Ne pas être fan de cette forme architecturale, c’est une chose, mais attribuer à cette salle une cause doctrinale satanique est une folie, car sa symbolique latente est chrétienne. A l’origine, il était question au Vatican d' »oser », d’établir quelque chose de neuf dans la cité, une oeuvre qui ne soit ni « mesquine ni banale », ni un orgueilleux monument, tout en étant un grand signe de l’expression chrétienne et de l’immensité du plan divin; on voulait également qu’elle ne soit pas excessivement coûteuse, de peur d’empiéter sur les dépenses caritatives. Telle est la meilleure explication de cet édifice, donnée par Saint Paul VI lui-même, le jour de l’inauguration le 30 juin 1971:

« Nous inaugurons ainsi ce beau et grand local que nous avons voulu faire construire pour deux raisons : pour libérer la basilique Saint-Pierre de l’affluence devenue habituelle d’une foule hétérogène et remuante qui assiste à nos audiences générales et pour offrir à nos visiteurs une salle plus accueillante et plus adaptée.

Cette inauguration, comme vous le voyez, n’a pas un caractère officiel ni solennel, mais ordinaire et familier. Nous ouvrons simplement la salle qui sera destinée spécialement, à l’avenir, aux audiences nombreuses, à la visite des pèlerins, des fidèles et des touristes qui veulent nous rencontrer. Et nous sommes heureux de vous y présenter, à vous tous, notre premier et cordial salut. […]

Nous devons en effet exprimer notre satisfaction à l’architecte Pier-Luigi Nervi, auteur de cette construction. Nous-même, en prévoyant les dimensions proportionnées au but, nous l’avons encouragé, au début, à « oser », sachant bien qu’il avait le talent et la capacité pour une telle entreprise. Le voisinage de la basilique Saint-Pierre exigeait, non pas une velléité d’émulation, mais qu’il s’engagerait à tenter une oeuvre qui ne soit ni mesquine ni banale, qui tiendrait compte de son emplacement privilégié et de sa destination idéale. Ce n’est pas l’amour de la puissance et du faste qui ont inspiré le plan du nouvel édifice ; vous voyez qu’ici rien ne dénonce un orgueil du monument ou la vanité de son ornementation ; mais l’exigence des choses et encore plus des idées qui se réalisent ici demande des pensées hautes et inspirées de qui se tient à cette place et des conceptions non moins grandes et hardies en celui qui devait en exprimer les dimensions.

Nous sommes de petites créatures et d’humbles chrétiens et nous ne devons jamais abandonner la conscience de cela, mais nous sommes au service d’un plan immense et même infini, d’une pensée divine dont nous sommes les ministres pour son expression dans le temps et dans les choses : les destins transcendants de l’humanité, l’unité de la foi dans le monde, l’extension universelle de la charité, l’humilité victorieuse de l’Evangile et de la Croix, la gloire de Dieu et la paix du Christ… nous obligent à sentir, comme dit saint Paul « quels trésors de gloire renferme l’héritage de Jésus-Christ parmi les saints et quelle extraordinaire grandeur sa puissance revêt pour nous les croyants » (cf. Ep 1,18-19) ; vérités qui doivent fermenter dans nos esprits et leur donner l’audace propre à l’art chrétien de s’exprimer dans des signes grands et majestueux. Nous espérons donc que quelque stimulant à de telles pensées élevées et mystérieuses sera donné aux visiteurs de cette salle, bien qu’elle ne prétende pas être exactement consacrée au culte de Dieu et à la prière des fidèles.

Cette justification des proportions et de la dignité de la nouvelle salle ne nous fait pas oublier la charge de la dépense qui, au cours de quelques années, a pesé sur les conditions déjà difficiles du Saint-Siège. Nous avons cherché à ne pas en faire souffrir ni ceux qui servent notre Institution ni les personnes et les oeuvres consacrées à la préservation, à la propagation de la foi et au développement que nous cherchons à aider dans chaque région de la terre et spécialement dans le Tiers-Monde.

[…]

Ne faut-il pas exprimer, cordialement et spirituellement, notre remerciement à tous ceux qui ont contribué à l’achèvement de cette oeuvre introduite désormais dans la mission du Pontife romain, à l’architecte, à ses fils et à ses collaborateurs, aux constructeurs, à la maîtrise et à vous, chers ouvriers ; aux Chevaliers de Colomb qui ont donné une grande partie du terrain sur lequel s’élève la salle ; à nos bureaux administratifs et techniques, aux services du Gouverneur de la Cité du Vatican, à ceux qui les dirigent avec autorité et compétence et à ceux qui leur apportent un fidèle service ? Oui, nous disons merci à tous, au nom du Christ.

Et au nom du Christ nous vous saluons, vous, chers pèlerins et visiteurs, et à tous, en souhaitant que cette rencontre, symbolisée par la salle que nous ouvrons pour vous, soit un encouragement spirituel à mieux connaître et à mieux apprécier l’Eglise et son mystère transcendant.

Pier Luigi Nervi, le célèbre architecte appelé pour cette tâche, n’était pas un artiste qui représentait des choses du monde, son style dépassait les conventions architecturales en créant des formes nouvelles avec de nouveaux matériaux. A l’image de l’art moderne, il créait des structures nouvelles (A. L. Huxtable, Pier Luigi Nervi, 1960, NY: G. Braziller, p.30). Ces formes sont vraiment nouvelles: elles ne représentent pas des formes connues. Architecte prolifique, Pier Luigi Nervi n’ a absolument jamais rien produit qui soit une représentation d’un animal, mais a systématiquement produit des formes uniques, propre à son style:


Il Palazzetto dello Sport di Roma, Wikimedia commons 10.04.2011
par Blackcat CC-BY-SA-3.0
St Mary’s Cathedral – San Francisco, Domaine Public
Scala Elicoidale Stadio Berta Firenze, Domaine Public

Il a d’ailleurs aussi réalisé d’autres batiments, sans rapport avec la religion, avec une toiture similaire à la Salle Paul VI. Il n’était donc pas en train de représenter les « écailles » d’un animal, c’était son style esthétique, reproduit dans la Salle Paul VI, tout simplement. Billy Griffits et John David Scott notent aussi que le but de cette grille était de faciliter l’entrée de la lumière naturelle dans la pièce (« 1971 Paul VI Audience Hall, Rome Italy” sur http://designtheory.fiu.edu).

Petit Palais des Sports. Dans Nervi P.L. (Harvard University Press, 1965), Aesthetics and Technology in Building, p.138, Fig. 112
Hall d’exhibition « Salone Angelli ». Dans Nervi P.L. (Harvard University Press, 1965), Aesthetics and Technology in Building, p.118, Fig. 90

Quant aux fenêtres ovales, « Pier Luigi Nervi e l’arte di costruire » par Fausto Giovannardi nous apprend qu’elles ont été conçues par l’artiste Giovanni Hajnal, auteur d’art chrétien qui avait déjà produit des vitraux pour les églises catholiques. Là encore, aucune raison de penser que ce soit un « oeil de serpent » (dont la ressemblance est extrêmement douteuse).

Source: ArchiDIAP.com, Pier Luigi Nervi, VIA DI PORTA CAVALLEGGERI, 59, 00165 ROMA, ITALIA, 1966-1971, CC BY-SA 3.0


Pier Luigi était-il un ennemi du catholicisme? Quand son style est rapporté à une approche « moderniste« , le terme est à comprendre dans le domaine de l’architecture et l’usage de matières nouvelles et inconventionnelles: non pas à confondre avec le modernisme doctrinal. Pier Luigi Nervi faisait d’ailleurs l’éloge des cathédrales gothiques dans son livre « Aesthetics and Technology in Building ». Fausto Giovannardi nous rapporte aussi qu’il avait été commissionné par l’intermédiaire de son cousin, évêque catholique, Mgr Costa. Bien qu’il n’ait jamais partagé ses propres opinions religieuses à notre connaissance, il n’y a aucune preuve qu’il fut « franc-maçon » et tout porte à croire qu’il n’était pas opposé au catholicisme.


La statue du Christ Ressuscité

Source: ArchiDIAP.com, Pier Luigi Nervi, VIA DI PORTA CAVALLEGGERI, 59, 00165 ROMA, ITALIA, 1966-1971, CC BY-SA 3.0


« La Résurrection » est une statue faite par Pericle Fazzini et inaugurée en 1977. Le but de cette statue était de représenter la Résurrection du Christ, ainsi que la douleur qu’il a enduré pour les hommes. Elle aussi été accompagnée d’une explication par Saint Paul VI:

« Mais nous ne parlerons que de la monumentale et seule figure, celle de Jésus ressuscité, vivant et bénissant, qui domine cette salle et que nous inaugurons aujourd’hui, une oeuvre du sculpteur Pericle Fazzini : elle dit quel témoignage a été confié au ministère apostolique : que ce Jésus qui a été crucifié, est constitué Seigneur et Christ (Ac 2,36), témoignage que le successeur de Pierre veut proclamer ici, avec certitude et avec humilité de foi.

Oui, nous voulons confier à cette image notre voix, simple et limpide dans l’énoncé des paroles et de l’image qui veulent l’exprimer, mais presque étouffée par leur exubérante signification réelle (cf. St Thomas II-II 1,2 ad 2). Jésus est la voie, la vérité et la vie (Jn 14,6). Jésus est la lumière du monde (Jn 8,12 Jn 9,5). Jésus est le pain de la vie (Jn 6,48). Jésus est le Bon Pasteur (Jn 10,11-14). Jésus est le Fils de l’homme (Mt 16,13 Mt 25,31 Mt 26,24), il est le Fils de Marie (Mt 13,55), il est le Fils de Dieu (Mt 14,33 Mt 26,64 Jn 9,35 etc.) ; Jésus est l’alpha et l’oméga (Ap 22,13).

Nous voulons attester, devant vous, Frères et Fils, et devant tous ceux qui, dans le monde sont revêtus de la gloire et de l’espérance du nom de chrétien, qu’encore aujourd’hui le Christ est dans l’histoire du monde qu’il y est aujourd’hui plus que jamais ; dans la pénombre du doute et de l’incertitude, non pas dans l’interprétation futile d’un rationalisme myope et orgueilleux qui le restreint à la mesure des phénomènes compréhensibles, et, tout au plus, singuliers, échappant aux proportions ordinaires de l’intelligibilité naturelle. Mais vivant et réel dans la débordante dimension de son Etre divin, que seule la foi admet exultante, planant dans le mystère qu’il a Lui-même proclamé et documenté (cf. Jn 10,38).

Le Christ est présent. Le temps ne le contient pas, ne le consume pas. L’histoire évolue et peut modifier fortement la face du monde. Mais sa présence l’illumine, en révélant, comme dues à Lui-même, les sages beautés et imprégnant les abîmes d’une miséricorde réparatrice que Lui seul peut répandre. Il est la joie de la terre (cf. Jn 3,29) ; Il est le médecin de toute infirmité humaine (Jn 8,7). Il se personnifie dans tout homme qui souffre ; aussi longtemps qu’il y aura la douleur sur la terre, il en fera sa propre image pour susciter l’énergie de la compassion et de l’amour généreux (Mt 25,40). Aussi Jésus est-il présent, toujours et partout.

Et chacun peut le percevoir par soi-même. Car, tout comme il est vrai que par le dessein salvifique qui s’accomplit en Lui (Ep 1-2) Jésus Christ est le centre de l’humanité, le « Fils de l’homme » par excellence, il est vrai, tout autant, qu’il est le Maître le Frère, le Pasteur, l’Ami de chacun des siens le Sauveur de chacune des personnes humaines qui ont le bonheur d’être associées à Lui comme cellules du Corps mystique dont il est le Chef. Il est permis à chacun de l’appeler par son nom, non comme un personnage étranger et lointain, inaccessible, mais comme le « Tu » du suprême et seul amour, comme l’Epoux de son propre bonheur (cf. Mt 9,15 Ap 22,17), qui est mystérieusement proche bien plus que ne peuvent se l’imaginer ceux qui le cherchent, ainsi qu’il a été dit : « console-toi ; tu ne me chercherais pas, si tu ne m’avais déjà trouvé » (Pascal, Le mystère de Jésus ; St Augustin, Confessions X ; c. 18). Et que cette présence transcendante et immanente du Christ soit représentée ici, est une chose très belle ; à notre avis elle est significative, elle est instructive, car cette salle, pareille à une salle d’attente dans une gare de départ, à une école des vérités, pour élémentaires ou sublimes qu’elles soient, « vérités vraies » en tous cas, nécessaires à la vie, cette salle donc est toute proche, comme une annexe, de la tombe de Saint Pierre, le « pêcheur d’hommes » (Mt 4,19), le premier Pasteur mandaté par le Bon Pasteur Jésus Christ (Jn 21,15 Jn 10,11) ; l’Apôtre à qui ont été confiées « les clés du Royaume des Cieux » (Mt 16,19).

L’artiste à l’origine de cette statue souligne aussi cette volonté de représenter le Christ qui émerge de la souffrance éprouvée pour combattre la mort:

« De la masse indistincte du chaos et de la fugacité de la matière, la grande sculpture voit émerger un Christ « éthéré et éprouvé » du combat contre la mort, tendu en bénédiction vers l’assemblée des fidèles et, en même temps, vers le ciel.

Le père Sapienza repropose l’explication que Fazzini a donnée de sa sculpture: «Je fais ressusciter le Christ non pas du sépulcre où il a été déposé, mais du jardin des oliviers, où il a agonisé pour la grande angoisse qui lui a causé toute l’humanité». »

Gabriele Nicolò, «Osi!» disse Montini a Nervi, 22 juin 2021, Osservatore Romano

Il déclarait aussi que la statue symbolisait Jésus s’élevant et prêchant la paix au milieu du cratère créé par une bombe nucléaire, représenté dans le jardin des oliviers où le Christ fit sa dernière prière (Schenectady Gazette, 4 décembre 1987, Fazzini Dies; Sculptor, 74, p.58), une référence aux peurs de la guerre froide de l’époque.

Paricle Fazzini avait lui-aussi son propre style, reproduit par exemple ici pour représenter Saint Padre Pio:

Source: Monumento a Padre Pio, San Giovanni Rotondo, depuis www.italiavirtualtour.it


L’artiste était vraisemblablement chrétien et de bonne foi, disant que pour lui chaque statue était une prière, et qu’il désirait en tant qu’artiste représenter la parole des jeunes, qu’il amenait vers Dieu:

Dans sa présentation pour le 21ème Biennale à Venise, Fazzini confessait avoir eu une profonde crise spirituelle quand il était adolescent. Le désir religieux qui l’a bientôt animé était accompagné d’un désir impatient de définir son propre style avec les références culturelles présentées dans la tradition et la modernité. Il est clair de ces brèves affirmations que les termes « art et religion » communiquent et convergent, si dans leur canaux respectifs, dans un seul sentiment de foi:

« pour nous, jeunes gens, chaque statue est une prière »

Fazzini conte la mission suprême de l’artiste dans cette première phrase: la libération du matériel comme conquête d’une plus haute harmonie, l’image du corps « formé par l’air », levé par l’ascension vers la sphère non-mondaine, disant, « Je suis capable de créer et de montrer à mes frères ce qu’ils ressentent également. Je suis la voix de leurs paroles, je suis leurs paroles et je les amène à Dieu. Je suis la voix des voix. » (For us every statue is a prayer, 19.09.2012, L’Osservatore Romano).

On anticipe les mauvaises langues qui l’accuseraient de parler en termes absolus plutôt que poétiques: ce serait un autre jugement téméraire. Se dire « voix des voix » était évidemment une façon de parler (pour dire qu’il était un porte-parole des jeunes). Quoiqu’il en soit, il n’y a aucune volonté de représenter quelque chose de maléfique dans cette statue, et encore moins un bouc, que certains croient aperçevoir dans les cheveux du Christ, là encore par pur effet de « paéridolie ». Rien de diabolique n’était à l’oeuvre.


Bonus: La « croix tordue »

Celle-ci n’est pas strictement liée à la Salle Paul VI mais ressort aussi dans le thème des « oeuvres artistiques interprétées gratuitement comme diaboliques ». Elle porte sur la férule papale parfois utilisée par les papes, comme on peut le voir dans ces photographies:

(CNS photo/Vatican Media, repérée sur thetablet.co.uk)

Très probablement, ce qu’il faut voir dans cette férule papale, c’est un choix artistique contemporain discutable. Cette férule, avec d’autres objets ornementaux, avait été réalisée à l’origine par le sculpteur et professeur d’académie des arts, Lello Scorzelli, par commission du Pape St Paul VI. Comme le rapporte Alberto Melloni pour le Corriere, cette courbure représente la croix tordant sous le poids des souffrances du Christ, ainsi que la soumission de Rome au mystère de la Croix (à la manière de la crosse épiscopale courbée pour représenter la soumission au Pape). Mais « puisqu’elle nous semble glauque, alors c’est qu’elle doit être un signe maléfique », raisonnent certains détracteurs de l’Eglise.

Rappelons que l’usage de la ferule avec une croix dorée est aujourd’hui plus souvent en vigueur. Cette férule-là n’a pas remplacé les autres et est utilisée ponctuellement. Notons aussi que l’usage d’une ferule tout court par le pape est quelque chose d’historiquement tardif et non nécessaire, comme l’explique cet article du Vatican (en anglais):
https://www.vatican.va/news_services/liturgy/details/ns_lit_doc_20091117_ferula_en.html
Il n’y a donc aucun « devoir », aucune loi canonique en vigueur, aucune loi divine, sur la forme que devrait avoir cette férule pour être tolérable.

Nous n’avons vu aucune preuve concrète que la croix tordue était un signe en usage sataniste au moyen-âge comme on peut le lire sur internet. Cela n’en ferait de toutes façons pas un signe exclusivement sataniste, tout comme la croix inversée ne l’est pas non plus. Il y eut certes des représentations de crucifix rejetées pastoralement par le Saint Office au XVIIème siècle, notamment dans le contexte du jansénisme où les bras tendus et suspendus vers le haut s’opposaient à la symbolique des bras ouverts pour le salut de tous (Frederick George Lee, A Glossary of Liturgical and Ecclesiastical Terms, “Crucifix, Jansenist”, London: Bernard Quaritch, 1877, p. 103). Ce contexte théologique n’est évidemment plus à jour. Il y a aussi une ressemblance avec une station du « Chemin de croix » d’Albert Servaes, oeuvre bien plus lugubre dont l’exhibition dans les églises et oratoires fut interdite en 1921: mais il ne fut pas dit que c’était à cause de la crucifixion en particulier. Et ça, c’est en en admettant que la férule soit aussi macabre en comparaison: rien que par les couleurs de ces dessins, les côtes très détaillées, le ventre excessivement creux et des cheveux qui ne sont pas dans la férule utilisée par les papes, on peut largement le contester (Note: l’image de traditioninaction, reprise par « benoit-et-moi » et d’autres, n’est pas la férule en question et elle n’apparaît jamais dans les mains des papes, c’est un modèle dont on ne connaît pas la source). Quoiqu’il en soit, aucune de ces décisions passées n’étaient irréformables ou non critiquables. Elles portaient aussi sur un usage ordinaire et commun dans les églises, contexte dans lequel il paraît normal de favoriser le beau à la symbolique artistique. Un Pape peut tout à fait juger de son opportunité quant à la férule papale, ou y faire exception, car la férule n’a jamais été concernée par les interdictions citées.

A titre ponctuel, le Christ représenté souffrant de cette façon n’est pas une nouveauté et n’est pas essentiellement mauvais. On retrouvait une apparence semblable dans l’oeuvre de Martin Grünewald pour le couvent des Antonins au XVIème siècle, le « Retable d’Issenheim« ; ainsi que dans son « Retable de Tauberbischofsheim« :

Personne, et encore moins l’Eglise, n’a à notre connaissance déclaré ces oeuvres diaboliques auparavant. Cette façon de représenter la souffrance du Christ nous rappelle aussi le dessin de la vision de St Jean de la Croix:

Source: Jesus Colina, 22.09.2017, Discover the crucifix drawn by St. John of the Cross after a mystical vision, Aleteia.org


Ce sont peut-être de telles représentations qui ont inspiré Lello Scorzelli. Elles démontrent en tous cas qu’elles peuvent très bien coexister avec une authentique piété catholique, puisqu’elles engagent une méditation plus manifeste de la souffrance du Christ sur la Croix. Qu’un Pape les juge acceptables pour son temps et spécifiquement pour la férule papale, ce n’est absolument pas le gage d’une « intention malveillante », puisque ceci peut être expliqué de façon purement catholique. Une intention diabolique? On en est encore très loin.


Conclusion

Vous pouvez trouver ces choses laides, inopportunes, médiocres artistiquement, et on peut être d’accord sur l’opinion que l’art contemporain a mis au monde des choses discutables, mais dire que ces créations sont sataniques ou maçonniques, c’est véritablement tomber dans l’hystérie et la présomption. Un chrétien de bonne foi s’en passera. Il n’y a véritablement aucune preuve pour fonder ces jugements, et rien n’a été donné de plus qu’une vague impression. Cette impression est en plus bien souvent appuyée par un a priori idéologique contre l’Eglise Catholique ou ses derniers papes, comme la majorité des sites qui ressortent ces allégations le prouvent.

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