L’orthodoxie du Novus Ordo: démonstration magistrale

Sommaire

Introduction

1. Le caractère sacrificiel de la Sainte Messe

2. La présence réelle et substantielle du Christ dans l’Eucharistie

3. La distinction essentielle entre sacerdoce ministériel et sacerdoce commun

4. La fin expiatoire (propitiatoire et satisfactoire) du sacrifice de la Sainte Messe

5. Réponse à diverses objections


5. Réponse aux objections


5.2 L’approbation protestante du Novus Ordo

« Divers protestants ou autorités protestantes ne virent pas de problème à dire que leurs communautés pourraient célébrer avec les prières du Novus Ordo, qu’ils désignaient comme théologiquement acceptables »

Faisons d’abord une réponse générale: les catholiques ne doivent pas suivre des commentaires protestants pour comprendre un rite catholique, les enseignements du Magistère ou un quelconque autre sujet de théologie. Les catholiques qui veulent se pencher sur la Réforme Liturgique doivent suivre les Papes et les liturgistes catholiques orthodoxes, non pas les commentaires des frères séparés. Nous catholiques croyons que la théologie catholique est supérieure, donc ça n’a pas de sens de se baser, pour une affaire interne, sur les opinions de théologiens de dénominations non-catholiques, tout comme les catholiques n’essaient pas de comprendre la Bible à travers les gloses des hérétiques ou schismatiques.

Exemple 1: Le théologien protestant Hans Asmussen, en 1949, écrivait un commentaire sur l’Encyclique Mediator Dei de Pie XII. Dans cette brochure, l’auteur protestant était plutôt élogieux de Mediator Dei. En réalité, il s’efforçait de montrer que la doctrine de l’Encyclique était moins distante qu’on le pense des positions du vrai luthérianisme. A un moment, il allait même jusqu’à affirmer que l’enseignement du Pape sur la coopération des fidèles dans le sacrifice du Christ était différent de ce qui était enseigné par le catholicisme d’avant et se rapprochait de la vision protestante (Hanssens, J. M. (1950). Une présentation luthérienne de l’encyclique « Mediator Dei et hominum ». Gregorianum, 590-604). Mais quel catholique serait assez fou pour contester l’Encyclique de Pie XII en se basant sur le commentaire du théologien protestant?

Exemple 2: Certains anglicans jugeaient théologiquement possible d’utiliser le Missel de Saint Pie V dans leur liturgie (cf. Dom Guy Oury, La Messe de S. Pie V à Paul VI, Solesmes, 1975, p.124). Cela veut dire qu’ils considéraient que le Missel était théologiquement acceptable, donnant leurs propres interprétations à leurs textes et rites. Cela signifie-t-il que le Missel de Saint Pie V est ambigu et équivoque formellement parlant? Bien sûr que non. Le missel doit être suivi en accord avec l’enseignement du Magistère et par la théologie approuvée par l’Eglise, tandis que si quelque esprit voulait travailler sur une interprétation différente ou extrapolée (en supposant des figures de style ou des distinctions), il ne serait pas possible de le stopper.

Exemple 3: Une réforme protestante en Amérique en 1928 a remodelé tout son rite eucharistique en accord avec les modèles anciens, où la liturgie protestante avait une ressemblance générale avec le Rite Romain. Les servants d’autel de l’Eglise Episcopale étaient entrainés pour faire presque les mêmes choses que dans le Rite Latin. On ajoutait les prières au pied de l’autel, les prières silencieuses de l’Offertoire et y compris du dernier Evangile, on réalisait de manière répétée les signes de croix et les génuflexions. Il était possible de célébrer l’Eucharistie Episcopale de manière presque égale à celle du Rite Romain. (Worship points the way : a celebration of the life and work of Massey Hamilton Shepherd, Jr., Seabury Press, 1981, pp. 104-106)

De plus, on ne peut pas perdre de vue la notion explicitée par Calvin d’articles fondamentaux et non-fondamentaux de la foi, car le protestantisme cohabite avec des différences doctrinales qui du côté catholique paraîtraient sérieuses. Selon l’opinion protestante la divergence doctrinale n’entraîne pas nécessairement la sortie des fidèles de l’Eglise du Christ. Calvin disait:

« …il y pourra avoir quelque vice ou en la doctrine, ou en la façon d’administrer les Sacremens, qui ne nous devra point du tout aliéner de la communion d’une Eglise. Car tous les articles de la doctrine de Dieu ne sont point d’une mesme sorte. Il y en a aucuns dont la cognoissance est tellement nécessaire que nul n’en doit douter, non plus que d’arrests ou de principes de la Chrestienté. Comme pour exemple, qu’il est un seul Dieu : que Jésus Christ est Dieu et Fils de Dieu: que nostre salut est en sa seule miséricorde : et autres semblables. Il y en a d’autres lesquelles sont en dispute entre les Eglises : et neantmoins ne rompent pas l’unité d’icelles » (Institutions de la religion chrétienne, chapitre I, 12, page 475)

Ainsi, à proprement parler, il ne serait pas surprenant que les protestants disent que les prières eucharistiques peuvent être récitées par eux, parce que les divergences théologiques en suspens peuvent être considérées comme acceptables. Cette manière de voir les choses gagne encore plus de force avec l’oecuménisme protestant.


A présent, traitons de chacune de ces citations spécifiquement:

1) Max Thurian: « Des communautés non catholiques pourront célébrer la Sainte Cène avec les mêmes prières que l’Eglise catholique : théologiquement, c’est possible. » (La Croix, 30 mai 1969)

Max Thurian, au moment de dire ceci, c’est certain, avait en tête la Communauté de Taizé, qu’il avait fondée. Cette communauté, d’aspiration oecuménique, en vérité, était plus proche de la vision catholique sur la Sainte Messe, ce qui explique l’affirmation de Thurian.

Voyons ce que dit le Père Guy Oury sur le sujet:

« Dans sa perspective théologique, le fr. Max Thurian admet en effet que la célébration du Repas du Seigneur (qu’il nomme avec les luthériens « la sainte Cène » ) nous rétablit chaque jour dans l’alliance avec Dieu « en nous obtenant actuellement la rémission des péchés » , ce qui n’est point dans la ligne de Luther et ce que ne peuvent admettre théologiquement un bien plus grand nombre de théologiens de la confession luthérienne pour qui la rémission des péchés est obtenue par le seul acte de Foi du croyant (voir en particulier, Th. Süss, L’aspect sacrificiel de la sainte Cène à la lumière de la tradition luthérienne, dans Eucharistie d’Orient et d’Occident, t. I, Le Cerf, 1970, p.150-170; et son Etude critique: Sainte Cène et sacrifice, dans Positions luthériennes, t. XI-2, avril 1963, p.113(125)). » (Dom Guy Oury, La Messe de S. Pie V à Paul VI, Solesmes, 1975, p.124)

Le Père Yves Congar commentait également:

« La Messe de Paul VI serait protestante. Mgr Lefebvre a intitulé une de ses publications La messe de Luther (cf. Un évêque parle, p.275 s.) Les opposants n’ont cessé de citer un propos du fr. Max Thurian, de Taizé, disant que des protestants pourraient célébrer selon le nouveau rite catholique. Ils interprètent spontanément en ce sens qu’on aurait protestantisé la croyance de l’Eglise, sans se demander si certains protestants au moins n’auraient pas ressourcé la leur au-delà du XVIème siècle et ne l’auraient pas, pour autant et en ce sens, catholicisée. C’est pourtant la meilleure hypothèse: elle devient même certitude pour qui a lu le livre publié par le même fr. Max Thurian avant le Concile, L’Eucharistie; mémorial du Seigneur, sacrifice d’action de grâce et d’intercession (Delachaux et Niestlé; 1959). » (La crise dans l’Église et Mgr. Lefèbvre, Le Cerf, 1977, pp.32-33).

Le père M.P. Boyer reconnaissait déjà la proximité de l’oeuvre « L’Eucharistie » de Max Thurian avec la doctrine catholique en 1959:

« Il est très significatif […] qu’une recherche indépendante, presque exclusivement biblique, ait abouti à des conclusions si voisines de l’enseignement catholique… L’accord est remarquable avec le dogme sur des points essentiels et il n’y a pas à démontrer à M. Thurian que le Christ est réellement présent  » (dans l’Eucharistie, au cours de la messe). (L’Osservatore Romano, Edit. française du 17 Juillet 1959, cité dans Le Monde, « L’Osservatore Romano fait l’éloge d’un ouvrage d’un pasteur protestant sur l’Eucharistie », 22 juillet 1959).

De plus, Max Thurian a écrit un article où il discutait de la transsubstantiation, et il y concluait que la doctrine « ne s’agissait pas d’une explication rationnelle du mystère, mais d’une affirmation catégorique de la réalité de la présence du Christ. » Selon son opinion, cette intention n’était pas clairement comprise par les catholiques et les protestants au XVIème siècle. Thurian, qui acceptait la même présence substantielle, disait que la transsubstantiation était avant tout un nom utilisé pour désigner la réalité de la présence du Christ, « vraie, réelle et substantielle » présente dans l’Eucharistie (« La présence réelle », dans Catholiques et protestants : confrontations théologiques sur l’Ecriture et la Tradition, l’interprétation de la Bible, l’Eglise, les sacrements, la justification, Paris, 1963, pp. 193-210).

Nous pouvons trouver une confirmation de cet argument chez Max Thurian lui-même. On sait que le Père Gérard Lafond avait envoyé au pasteur Max Thurian sa Note doctrinale, où il défendait la continuité doctrinale entre les Missels et incluait son commentaire de l’affirmation controversée de Thurian. Il avait demandé à Thurian, à l’occasion, de lui écrire si selon lui, quelque chose avait changé dans la substance du Sacrifice eucharistique. Sa réponse, le 6 février 1970, était ainsi:

«Je n’ai aucune difficulté à affirmer que dans le Novus Ordo Missae, rien n’est changé concernant la doctrine catholique traditionnelle du Sacrifice eucharistique ».

Il disait que c’est la réforme de l’Offertoire qui fut la cause de son approbation. En effet, comme l’explique Dom Lafond: « la suppression, à l’offertoire, de toute formule qui pouvait prêter à confusion en suggérant l’idée d’un sacrifice naturel, quasi autonome par rapport au sacrifice de la Croix, ne fait que satisfaire un protestant comme elle satisfait les catholiques ».

Notons aussi qu’il y avait un certain rapprochement du secteur oecuménique protestant vis-à-vis des doctrines catholiques. Ceci est un point qui mérite d’être souligné. Les citations que les traditionalistes utilisent sont nécessairement de ce groupe spécifique, et non du protestantisme classique, qui est loin de s’accorder avec les avancées oecuméniques de la théologie protestante. C’est en sens que le Dr Gérard Siegwalt, célèbre théologien protestant, affirmait:

« … il y a cependant un appauvrissement du culte protestant. Le refus du caractère sacrificiel de la messe dans le sens dit (de sacrifice propitiatoire) comme agi par le prêtre ministériel (et non pas comme actualisation du sacrifice « une fois pour toutes » du Christ) conduit en même temps à la méconnaissance de son caractère sacrificiel compris dans le sens de sacrifice de louange (sacrificium eucharisticum), d’eucharistie donc. Ce sens est expressément reconnu dans les écrits symboliques luthériens (en particulier dans l’Apologie de la Confession d’Augsbourg), mais a été ensuite vite négligé. Ce qui est en cause alors, c’est le sacrement comme prière, c’est le mouvement ascendant qui va de l’Église qui célèbre à Dieu, et qui est la réponse au mouvement « descendant » de Dieu à l’Église et aux humains. Certes, on ne manque pas d’insister dans le protestantisme, Calvin surtout, sur le « soli Deo gloria », mais cette dimension de louange, d’action de grâces (eucharistie signifie « action de grâces ») est peu présente dans la célébration protestante du sacrement de la sainte Cène. » (Gérard Siegwalt, Le défi ecclésial Editions du Cerf, 2016).


2) Roger Schutz: « Nous pouvons adopter le nouveau rite car la notion de sacrifice n’y est pas du tout affirmée clairement » (?) ou « Les nouvelles prières eucharistiques présentent une structure qui correspond à la messe luthérienne. » (Itinéraires, n°305, p.162)

En ce qui concerne la première phrase, j’ai fait une recherche sur google en diverses langues. Elle est communément citée sans une quelconque source. J’ai trouvé cependant une source directe: le livre « Paul VI béatifié? » du père traditionaliste Luigi Villa, dont la première édition, de 1998 est en italien. L’auteur mentionne la phrase en notant en pied de page la revue « World Trends », édition de juin 1973, N° 34, p. 3, comme source. Le père Villa affirme que Roger Schutz aurait dit une telle phrase en répondant à la question du catholique français Louis Salleron, qui l’interrogeait: « Pourquoi dites-vous qu’aujourd’hui vous pourriez adopter le nouveau rite et non l’ancien? ». La question de Salleron laisse penser que Roger Schutz aurait déjà dit quelque chose de semblable au sujet du nouveau rite.

Mais la question était, peut-être, en référence à la déclaration du frère Max Thurian de la même Communauté. Qu’ai-je alors fait? J’ai cherché, d’abord, dans le livre de Louis Salleron sur le Novus Ordo: « La Nouvelle Messe », dont la première édition est de 1970. Il n’y avait aucune référence à cette phrase de Schutz. Mais il y avait pour le moins la même question de Salleron, bien qu’en termes différents. Salleron tenait compte, en fait, de la déclaration de Max Thurian (précédemment traitée), qu’il citait explicitement dans la lettre envoyée, raison pour laquelle il interrogeait Roger Schutz: « Pourquoi les frères de Taizé qui n’acceptent pas la messe traditionnelle – celle de saint Pie V – acceptent-ils la nouvelle messe? Quelle est, à leurs yeux, la différence substantielle entre les deux messes qui leur permet d’accepter la nouvelle alors qu’ils refusent l’ancienne? » Voici la réponse de Roger Schutz:

« Encore une fois, je vous le redis, j’ai la conviction que la substance de la messe n’a pas changé ». (Louis Salleron, La Nouvelle Messe, 2e Edition, Nouvelles Editions Latines, 1976, p.125)

Cette réponse est la même que Roger Schutz avait déjà donnée dans « La Croix » du 21 Janvier 1970:

« Pour ma part, j’ai la certitude que, dans le Novus Ordo Missae, la substance de la Messe est la même que celle qui a toujours été vécue et priée auparavant » (cité par Dom Lafond)

La réponse, cependant, va dans le sens opposé de la phrase attribuée. Elle mène à l’interprétation que, selon sa perspective, il n’y aurait pas de contradiction entre la théologie traditionnelle du Missel de Saint Pie V et celle de Saint Paul VI, avec l’information que depuis 1964 la Messe catholique était célébrée dans la Communauté de Taizé (et donc, la Messe Tridentine aussi). Il n’y a pas de trace de la phrase attribuée à Roger Schutz. Si cette phrase était réelle, elle serait un grand atout pour le camp traditionaliste et il ne serait pas raisonnable d’imaginer que Salleron l’aurait omise. Je suis donc allé jusqu’à chercher l’édition du World Trends, mentionnée dans le livre du père Villa. Et que trouvrais-je? Un article d’Yves Dupont. L’auteur mentionnait la phrase en question, mais sans aucune source. Cette phrase n’a donc aucune source directe. Yves Dupont ne citait pas non plus Salleron, ni ne mentionnait la phrase comme une réponse à la question de Salleron. Tout indique qu’elle est fausse.

Qu’en est-il de la seconde phrase attribuée au frère Roger Schutz, qui dit « Les nouvelles prières eucharistiques présentent une structure qui correspond à la messe luthérienne »? Comme d’habitude la source est nébuleuse. Quelques sites indiquent l’édition 218 de la revue traditionaliste Itinéraires de 1977 et d’autres l’édition 305 de 1986. J’avais l’intention d’acheter les éditions susmentionnées, toutefois, j’ai lu un article d’Ottfried Jordahn, intitulé The Ecumenical Significance of the New Eucharistic Prayers of the Roman Liturgy, publié dans Studia Liturgica 11 de 1976. L’auteur mentionne la phrase, et cependant, l’attribue à « F. Schulz ». Il s’agissait des notes de l’auteur préparées pour la Conférence Liturgique Luthérienne du 15 mai 1972. L’article insérait la source directement (Lutherische Liturgische Konferenz Deutschlands (LLK) C 33-1972), et donc, paraissait très crédible. La première chose à noter est que l’auteur mentionné s’appelle F. Schulz et non Schutz. Une recherche rapide me menait à l’auteur Frieder Schulz, qui est celui qui a réellement fait cette affirmation. Par conséquent, Roger Schutz n’a jamais affirmé une telle chose. L’erreur est pardonnable, parce que les noms sont en effet similaires.

J’ai ensuite cherché l’accès aux notes originelles de Frieder Schulz. Que pouvons-nous en dire? D’abord, tout l’article est un comparatif des structures liturgiques. Quand nous traitons des Prières Eucharistiques, nous devons la penser depuis le dialogue de la Préface jusqu’à la Doxologie. L’étude, cependant, traite du plan ou du schéma des rites de Messes (avec en annexe un tableau comparatif). Il ne s’agissait pas directement de similarités ou de distinctions théologiques. L’auteur, en vérité, ne faisait qu’une seule considération théologique en disant que « la partie avec l’oblation et la supplication pour l’Eglise dans la prière Eucharistique présente des problèmes théologiques ». Allons plus loin. Dans les Prières Eucharistiques II à IV (la phrase de F. Schulz parlait des trois anaphores et n’utilisait pas la conjonction « et »), qu’y-avait-t-il de différent avec la structure de la Prière Eucharistique I, qui s’assimilerait avec la structure de la Messe Luthérienne?

Pour répondre, il est peut-être d’abord plus facile de voir ce qui distingue la Prière Eucharistique I des autres Prières Eucharistiques. La première différence, c’est que le Canon Romain réalise l’oblation du Christ par anticipation, avant la consécration, dans les prières Te Igitur, In Primis, le premier Memento et Hanc Igitur, chose qui n’arrive pas dans les autres Prières Eucharistiques, qui réservent l’oblation pour le moment postérieur à la consécration. La seconde différence est que « dans les nouvelles anaphores, la commémoration des saints et les intercessions sont toutes regroupées dans la seconde partie, entre la prière pour l’acceptation de l’offrande et la doxologie; tandis que dans le Canon Romain elles sont en partie avant le récit de l’institution (la seconde partie du Te Igitur, les Communicantes, et Hanc Igitur), et en partie après (Nobis quoque). Le regroupement des intercessions dans la seconde partie de l’anaphore [se trouve] par exemple, dans la liturgie Antiochienne). » (Annibale Bugnini, The Reform of the Liturgy (1948-1975), Liturgical Press, 1990 (originellement en 1977), p.451).

Concernant le premier point, c’est une particularité du canon romain, car toutes les liturgies, à l’exception de l’égyptienne, présentent l’oblation du sacrifice après la consécration. Voyons ce que dit Jungmann sur le sujet:

« Et voici que nous rencontrons aussitôt une autre particularité du canon romain, qu’il n’a en commun qu’avec la prière eucharistique des liturgies égyptiennes […] D’autres liturgies, à commencer par Hippolyte, au moins dans leur structure primitive, ne connaissent l’offerimus et les expressions apparentées, à l’intérieur de la prière eucharistique, qu’après la consécration. » (« Le Canon Romain et les autres formes de la grande Prière Eucharistique », La Maison-Dieu, 87, 1966, p.66).

Et concernant les intercessions, Jungmann dit aussi:

« Toutes les liturgies orientales ont accueilli des intercessions dans le cours de la prière eucharistique, mais toujours à un seul endroit à l’intérieur de la prière, et non pas à deux » (Ibid., p.70).

L’absence de ces trois éléments (oblation, intercessions et commémoration des saints) avant le récit de l’Institution peut être considéré comme la raison pour laquelle le théologien considère que les Nouvelles Prières présentent une structure qui corresponde à la Messe Luthérienne. Cependant, nous devons le préciser, conformément à la même étude du théologien protestant, la Messe Luthérienne, ne possède pas d’Oblation, d’Intercessions et de commémorations des saints, ni avant ni après le récit de l’Institution, raison pour laquelle elle diffère de toutes les prières eucharistiques. D’ailleurs, comme nous l’avons vu, avoir de telles options de structures est conforme à la tradition liturgique de l’Eglise. Enfin, dans le jugement du théologien, il y des distinctions théologiques claires (problèmes théologiques) entre les nouvelles prières et la compréhension protestante naturelle du sacrifice (oblation) et sur la fin du sacrifice en question (intercessions).


3) Prof. Siegwalt: « Rien dans la messe maintenant renouvelée ne peut gêner vraiment le chrétien évangélique. » (Le Monde, 22 Novembre 1969)

Passons à la phrase du Dr Gérard Siegwalt, selon qui « Rien dans la messe maintenant renouvelée ne peut gêner vraiment le chrétien évangélique. » La recherche de cette phrase m’a mené à une lettre ouverte de 1969 que le théologien protestant adressait à l’évêque de Strasbourg, Mgr Léon-Arthur Elchinger. Dans celle-ci le théologien parlait de la question de l’intercommunion, sollicitant la possibilité de communier dans l’Eglise Catholique. La première chose à noter est que la phrase est écourtée. La phrase complète dit: « Il n’y a rien, dans la messe maintenant renouvelée, réformée, qui pourrait gêner vraiment le chrétien évangélique ou qui pourrait le gêner plus que ne peuvent le gêner tels éléments, réels ou absents, du culte protestant ». Ainsi, elle n’exclut absolument pas que le Novus Ordo puisse gêner le chrétien protestant, mais elle exclut qu’une telle gênance soit différente de celle qu’un chrétien évangélique aurait pour les éléments présents dans le culte protestant. Cela mène à conclure qu’il peut y avoir des différences, mais qu’elles ne sont pas assez sérieuses au point d’empêcher la participation du protestant à la Messe Catholique. Ceci nous rappelle la distinction entre les vérités fondamentales et les vérités non fondamentales de Calvin et de l’irénisme de l’oecuménisme protestant, deux points que nous avons déjà traités plus haut.

Le théologien développe davantage son argument. Il dit qu’il est nécessaire de faire un exercice d’interprétation. Il donne un exemple en disant:

« Ici, il faut interpréter lorsque vient par exemple l’évocation des saints. Un chrétien évangélique peut aimer cette prière dans sa forme nouvelle comme Luther l’eût aimée s’il était encore là ; j’entends : il peut l’aimer en l’interprétant, c’est-à-dire en la priant selon la signification qu’elle a lorsqu’on la comprend d’une manière biblique, évangélique. »

Comme on peut le voir, le théologien ne nie pas que le Novus Ordo invoque les saints, chose qui n’est pas admise dans la théologie luthérienne, cependant, il dit qu’un chrétien évangélique doit « interpréter » une telle invocation, allant contre la matérialité de la lettre, et la priant dans un sens « biblique ». Cela peut se penser par une abstraction dans laquelle le chrétien évangélique reconnaît que les saints peuvent intercéder pour les hommes sur terre (même s’ils ne sont pas invoqués) ou que les saints au ciel sont en communion avec les hommes sur terre. Un autre exemple est donné par le théologien:

« Il faut interpréter encore lorsque, dans l’eucharistie, le prêtre change le pain et le vin en corps et en sang du Christ. Le chrétien évangélique pourra à nouveau comprendre dans le sens biblique, dans le sens de l’affirmation de la présence réelle du Christ crucifié et ressuscité »

Ce qu’il paraît indiquer, en vérité, c’est qu’aucune liturgie, aussi claire soit-elle, est capable d’obstruer ou d’empêcher cette méthode qui consiste à ignorer la matérialité des phrases et à comprendre les prières dans un sens différent de celui attribué par leurs auteurs (formel et matériel).

Mais quelqu’un pourrait insister, toutefois, que le fait que le théologien se réfère à la « Messe maintenant renouvelée » implique que le chrétien évangélique peut avoir des motifs sérieux pour se sentir gêné par la Messe Tridentine ou que sa méthode d’interprétation ne peut pas s’appliquer à la Messe Tridentine dans la vision du théologien. Le 12 Février 2022, je suis entré en contact avec le théologien par e-mail et lui ai posé les deux questions suivantes sur sa Lettre Ouverte: « Existe-t-il quelque raison pour laquelle la Messe Tridentine dérange les frères protestants? Existe-t-il des différences dans cette Messe qui les « séparent »? ». J’ai obtenu la réponse suivante le jour d’après:

« Je ne pensais pas expressément, dans ma Lettre Ouverte (1969), à la différence entre l’ancienne et la nouvelle messe; ce n’était pas ma question. Même la question du « sacrifice » me paraissait sujette à interprétation biblique (cf. dans Le défi ecclésial, Sacerdoce ministériel et ministère pastoral, p.273-289) »

Il n’y a donc pas de raison de tirer cette conclusion.

En quête de plus d’éclaircissements sur la pensée du Dr. Gérard Siegwalt, j’ai envoyé un email le 10 février 2022 avec la question suivante à propos de la Lettre Ouverte: « Pourquoi un chrétien évangélique ne pourrait être gêné [sérieusement] avec la Messe de Paul VI? ». Sa réponse, le 11 février 2022, était: « Elle peut toujours avoir des différences, mais celles-ci ne sont pas plus « séparatrices » », me dirigeant vers le texte « Le Repas du Seigneur » (1978) de la Commission Catholique/Luthérienne, établie par le Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens et par la Fédération Luthérienne Mondiale, qui présente une étude qui réexamine les controverses théologiques entre les deux camps, pointant les convergences et les différences encore présentes sur le sujet. La réponse pointait qu’il y avait des divergences, mais qu’elles n’étaient pas considérées comme un obstacle pour l’unité dans la vision ecclésiologique du théologien. Ce qui correspond à mon explication dans les paragraphes précédents.

Dans ce même email, le Dr Gérard envoyait en pièce jointe des pages de son livre « Théologien pendant plus de 60 ans » (Paris: Cerf) [avant sa publication, aujourd’hui nommé Rétrospective d’un théologien?], qui contextualisait sa Lettre Ouverte. La « pré-histoire » qui précède la Lettre Ouverte révèle que le théologien tenait compte des avancées théologiques de la discussion catholique et protestante pour écrire cette Lettre. Il expliquait:

« Dans le dialogue théologique entre l’Église catholique-romaine et la Fédération Luthérienne Mondiale en particulier, la question de l’eucharistie et singulièrement de la compréhension de la présence du Christ dans ce sacrement qui pour les Réformateurs Luther et Calvin n’était nullement secondaire comme les débats qui allaient encore longtemps se poursuivre le montraient clairement, était en voie d’éclaircissement et donc la question très concrète de l’hospitalité eucharistique et de l’intercommunion était posée »

La lecture de l’étude Le Repas du Seigneur de la Commission Catholique/Luthérienne, à laquelle se réfère le Dr. Gérard, doit être considérée comme autre base pour comprendre sa pensée. Que peut-on y trouver? L’étude me paraît indiquer une vision tout à fait correcte et sobre de la doctrine traditionnelle de l’Eglise sur l’Eucharistie. Elle ne semble pas exagérer les points convergents, ni dissimuler les divergences. Dressons quelques points:

  1. La présence réelle et véritable du Christ dans l’Eucharistie est indiquée comme un point de convergence, mais en même temps le texte rend bien clair que « Des différences existent quant aux formulations théologiques exprimant le mode de cette présence réelle et quant à sa durée. » La conversion qui se produit est appelée transsubstantiation par le catholicisme, selon le texte, tandis que « Du côté luthérien on a très généralement vu dans cette terminologie une tentative d’expliquer d’une manière rationaliste le mystère de la présence du Christ dans le sacrement ». Au sujet de la position de consubstantiation du luthérianisme, le texte ajoute que les catholiques « trouvent que de cette façon, il n’est pas fait entièrement droit ni à cette unité sacramentelle, ni à l’efficacité de la parole du Seigneur: ‘Ceci est mon Corps' ». Et il faut souligner que le texte dit que « la discussion oecuménique a montré que ces deux positions ne doivent plus être considérées nécessairement comme des oppositions entraînant la séparation ». Expression similaire à celle utilisée par le Dr. Gérard à propos de sa pensée.
  2. Quant au sacrifice de la Messe, le texte dit que « selon la doctrine catholique, dans chaque Eucharistie « un sacrifice véritable et authentique » (verum et proprium sacrificum, Concile de Trente, DS 1751) est offert par le Christ. « Ce sacrifice est vraiment propitiatoire; par lui, si « nous nous approchons » de Dieu avec un coeur sincère, avec une foi droite, avec crainte et respect, contrits et pénitents, « nous obtenons miséricorde et nous trouvons la grâce pour une aide opportune » (Heb 4,16)… C’est une seule et même victime, c’est le même qui offre maintenant par le ministère des prêtres et qui s’est offert lui-même alors sur la Croix; seule la manière d’offrir diffère … C’est pourquoi elle (= cette oblation) est légitimement offerte, selon la tradition des Apôtres, non seulement pour les péchés, les peines, les satisfactions et les autres nécessités des fidèles vivants mais aussi pour ceux qui sont morts dans le Christ et ne sont pas encore pleinement purifiés. » (Concile de Trente, DS 1743).
    Après avoir exposé la vision protestante sur le sujet, le texte explique que la discussion oecuménique menait à une meilleure compréhension des interprétations mutuelles les uns des autres. Il illustre que selon la doctrine catholique, la Messe n’est pas une répétition du sacrifice du Christ « et n’ajoute rien à sa valeur salvifique »; « Selon […] la doctrine des sacrements, l’ex opere operato a pour rôle d’attester la priorité de l’agir de Dieu » ; une telle conception n’exclut pas la participation active du croyant; et la conviction que les fruits Eucharistiques s’étendent au-delà de ceux qui sont présents dans une célébration ne diminue pas l’importance de la participation active dans la Messe.
    Cette meilleure compréhension mutuelle menait à la mise en évidence de convergences, qui sont: que « dans l’Eucharistie, le Corps et le Sang du Seigneur sont reçus réellement, soit pour le salut ou pour la perdition »; reçue avec foi, l’Eucharistie donne d’être uni « personnellement avec Jésus Christ »; l’efficacité de la réception du Seigneur ne peut être déterminée « par aucune mesure humaine », mais est une action divine incontrôlable par l’homme; « l’Eucharistie est essentiellement un repas communautaire »; l’Eglise Catholique la plaçant au premier rang avec Vatican II, « la priorité de la célébration communautaire constitue un rapprochement entre nos pratiques eucharistiques » ; la doctrine luthérienne ne nie pas « que le Christ soit présent totalement sous chacune des deux espèces, et […] connaît des cas de nécessité pastorale où la Sainte Cène peut être reçue également sous une seule espèce » . C’est dans sens que l’on comprend que « Si des divergences subsistent encore dans la doctrine et la pratique, elles ne sont plus, dès lors, de nature à séparer nos Eglises »
  3. Le dernier point porte sur le Ministère Eucharistique, où on affirme, à travers des citations du Concile de Trente, que pour le catholicisme le ministre doit être ordonné par un sacrement valide, étant un prérequis indispensable pour présider la Messe, et que selon l’Eglise les communautés séparées n’ont pas préservé le ministère eucharistique. Il est dit que pour les luthériens, l’office ecclésial est une institution divine, bien que l’ordination ne soit pas caractérisée comme un sacrement. Les convergences « concernent la manière de concevoir l’origine et la fonction du ministère ainsi que la façon de le transmettre par imposition des mains et invocation du Saint-Esprit » .

Un élément à ajouter en plus à ce sujet est la réponse de l’évêque Léon-Arthur Elchinger et sa « réplique » au Dr. Gérard. Face à la Lettre Ouverte, l’évêque a réagi en présentant trois raisons qui l’empêchent de répondre favorablement à l’interpellation: « la nécessité de consulter premièrement l’épiscopat et le Saint Siège, la nécessité de consulter les fidèles du diocèse, et la nécessité d’élucider davantage le problème des ministères » (cf. Siegwalt, Le défi ecclésial, 2016). Postérieurement, dans un discours à la radio pour la clôture de la Semaine de prière pour l’unité, l’évêque a donné trois aspects de l’Eucharistie « qui touchent au contenu de la foi et sur lesquels aucun accord véritable n’existe encore: le mode et la permanence de la présence sacramentelle, l’aspect sacrificiel de l’eucharistie et sa relation au sacrifice de la croix, et, avant tout, la question du rôle et de l’efficacité du ministère du prêtre, en rapport avec le pouvoir d’ordre lié à la succession apostolique ».

Le Dr. Gérard répondit à l’évêque dans « La question de l’intercommunion », diffusé dans l’émission « Préparons le jour du Seigneur » de Radio Strasbourg II, le 14 Février 1970. Il argumentait en partant du principe qu’il y avait un accord implicite entre les deux camps. En ce qui concerne le premier point, la permanence de la présence sacramentelle, le théologien protestant défend qu’elle est « en tout état de cause seconde par rapport à celle, essentielle, de la présence réelle de la Cène et que, dans la ligne de la concentration, opérée par le concile Vatican II, de l’eucharistie sur la célébration communautaire, cette affirmation demande à être repensée. » C’est-à-dire qu’elle n’atteint pas le contenu de la foi dans sa vision. L’enseignement du Concile est que « Chaque fois que les rites, selon la nature propre de chacun, comportent une célébration communautaire avec fréquentation et participation active des fidèles, on soulignera que celle-ci, dans la mesure du possible, doit l’emporter sur leur célébration individuelle et quasi privée. » (Sacrosanctum Concilium).

Quant à l’aspect sacrificiel de la Messe, le théologien affirme que « Luther et le concile de Trente, protestants et catholiques se rencontrent à ce propos dans l’affirmation que l’eucharistie est l’actualisation par le Saint-Esprit du sacrifice propitiatoire unique du Christ pour nous. […] Avec lui et en lui elle offre au Père sa prière de louange, d’actions de grâces et d’intercession et s’offre elle-même, comme sacrifice vivant; c’est là son sacrifice de louange. » Quant à l’offrande communautaire « du sacrifice unique du Christ au Père, si controversée au XVIe siècle » le théologien fait allusion au « texte d’accord entre catholiques et luthériens d’Amérique du Nord, sur l’eucharistie comme sacrifice ».

Et que dit cet accord? La déclaration (III, 1967) élucide des points de convergence: l’Eucharistie est un sacrifice, puisqu’en elle « le Christ est présent comme le Crucifié qui est mort pour nos péchés et est ressuscité pour notre justification, comme le sacrifice unique et ultime pour les péchés du monde qui se donne aux fidèles » ; aussi « la célébration de l’Eucharistie est le sacrifice de louange de l’Eglise, et de don de soi ou oblation ». Mais elle présente aussi des points qui nécessitent une clarification: de quelle façon la congrégation « offre le Christ »; de quelle façon le sacrifice eucharistique est « propitiatoire », comment les intentions de Messe, les Messe privées et la multiplication des Messes comme pratiques se concilient avec la suffisance totale du sacrifice du Christ. La déclaration conclut en disant ceci:

« Malgré toutes les différences qui persistent dans nos manières de parler et de penser à propos du sacrifice Eucharistique et la présence de Notre Seigneur dans sa Cène, nous ne sommes plus capables de nous considérer comme divisés dans l’unique foi, sainte, catholique et apostolique sur ces deux points. Nous prions donc que nos frères Luthériens et Catholiques examinent leurs consciences et déracinent de nombreuses manières de penser, de parler et d’agir, chacun individuellement dans nos églises, qui ont obscurci leur unité dans le Christ sur ces sujets comme sur tant d’autres. »

En relation avec le Ministère Eucharistique, le théologien protestant voit quelques points de convergences, mais reconnaît qu’elle continue en général à faire l’objet d’un dialogue théologique. Le théologien avance aussi que « les anathèmes lancés par le Concile de Trente ne touchent pas en fait la doctrine eucharistique luthérienne (qui est aujourd’hui aussi largement, comme en France, celle de l’Eglise réformée), mais seulement la manière dont les Pères de Trente l’avaient (mal) comprise ».

Ici tout indique alors, que selon la vision du Dr. Gérard, les chrétiens évangéliques n’ont pas de raison d’être gênés ou du moins gênés sérieusement par la Messe réformée, malgré les différences de doctrines exposées, et non à cause d’une diminution de l’expression de la doctrine catholique dans le Novus Ordo. Une meilleure compréhension de la doctrine catholique et la reconnaissance d’une série de convergences est la raison du changement de paradigme face à la liturgie catholique.


4) Pasteur Viot: dit qu’il était intolérable, « les protestants sont d’accord […] que la messe puisse être une répétition du sacrifice de Jésus-Christ, que le prêtre puisse offrir le Corps et le Sang une nouvelle fois […] le grand mérite de l’Ordo de Paul VI, c’est qu’il ouvrait justement une voie dans ce sens » (Una Voce, de juillet 1985)

Au sujet de la phrase du pasteur Viot, nous pouvons dire ceci: elle montre qu’il attribue à l’Ordo de Saint Pie V la thèse ou la suggestion selon laquelle la Messe serait une répétition d’un sacrifice. Nous savons, en réalité, que le sacrifice de la Messe actualise le sacrifice unique du Christ. Il n’y a rien dans l’affirmation de Viot qui remette en doute la théologie traditionnelle du sacrifice dans le Novus Ordo. Au contraire, selon lui, la liturgie rénovée rendait plus claire la doctrine catholique sur la question:

« Car la réintroduction de la messe de Saint Pie V (même par la petite porte et dans la révision du missel romain de 1962) est beaucoup plus qu’une affaire de langue : c’est une question doctrinale de la plus haute importance, au cœur des débats entre catholiques et protestants, débats que, pour ma part, je croyais heureusement clos (voir les derniers accords officiels luthéro-catholiques sur l’Eucharistie). Que nous répondaient en effet les théologiens catholiques ? En résumé, ils présentaient la messe comme la réactualisation du sacrifice du Christ et non pas comme sa répétition. Du coup, les principales objections des réformateurs contre la messe tombaient. Car, si Luther puis Calvin, comme aujourd’hui ceux qui se veulent leurs héritiers fidèles croyaient à la présence réelle du corps et du sang du Christ dans la sainte Eucharistie, ils refusaient avec vigueur la notion de sacrifice répété, celle-ci portant gravement atteinte au caractère unique et parfait du sacrifice de Jésus-Christ et permettant au prêtre d’être un thaumaturge, donc un élément d’une institution ecclésiale autoritaire et absolue puisque intermédiaire obligée entre Dieu et les fidèles. » (Pasteur Michel Viot, « Messe latine », Le Monde, 14 Janvier 1985).


5) Pasteur Ottfried Jordahn: « dans ma paroisse d’Hambourg […] nous utilisons régulièrement la prière eucharistique II, avec la forme luthérienne des mots de l’institution, et en omettant la prière pour le Pape. » (Conférence du 15 Juin 1975 à l’abbaye de Maria Laach, Itinéraires, n°218, p.116)

Si le pasteur Ottfried Jordahn affirme que sa communauté utilise la Prière Eucharistique II, avec quelques modifications, nous pouvons affirmer aussi que l’anaphore d’Hippolyte était utilisée pendant des siècles dans le rite éthiopien et sous une forme élargie dans les rites syriens, occidental et copte. De plus, la réforme liturgique de l’Eglise Luthérienne a modifié l’anaphore d’Hippolyte qui parle explicitement d’ « offrande du pain et de la coupe » (dans la prière Eucharistique II de l’Eglise Catholique, c’est « le pain de la vie et la coupe du salut »), car ceci ne serait pas en accord avec sa théologie. En ce sens:

« la « Trial Prayer II » était une traduction d’Hippolyte. Parce que les luthériens ne sont pas encore capable « offrir ce pain et cette coupe », le traducteur, Gordon Lathrop, a changé le texte pour qu’il dise « lever ce pain et cette coupe devant vous », en espérant que la phrase postérieure « votre peuple sacerdotal » apporterait l’image dont les Luthériens manquent par leur refus du mot « offrir » (Gail Ramshaw-Schmidt, dans New Eucharistic prayers : an ecumenical study of their development and structure, Paulist Press, 1987, p. 76)


6) Roger Mehl: « Si l’on tient compte de l’évolution décisive de la liturgie catholique, […] de l’effacement de l’idée selon laquelle la messe constituerait un sacrifice […] il n’y a plus de raisons pour les Eglises de la Réforme d’interdire à leurs fidèles de prendre part à l’Eucharistie dans l’Eglise Romaine. » (Le Monde, 10 septembre 1970)

La phrase de Roger Mehl peut paraître déconcertante a première vue, cependant, il faut noter que le journal Le Monde présente de petits articles dans lesquels, parfois, un développement théologique n’est pas possible. Toutefois, heureusement, l’auteur a écrit dans une revue théologique sur le sujet en question et a mieux décrit sa pensée sur le Novus Ordo. Nous lisons: « Quant au sacrifice, les modifications introduites dans la liturgie romaine de la messe tendent précisément à éliminer l’idée que la messe pourrait être la répétition du sacrifice accompli une fois pour toutes sur la Croix par le Christ. » (Mehl, Roger. « Vers une solution du problème eucharistique. » Revue d’Histoire et de Philosophie religieuses 49.2 (1969): 165-175.) Ainsi, il est probable que le véritable sens de ce qu’il a écrit dans Le Monde était que la réforme liturgique a éliminé l’idée que la Messe soit un sacrifice répété du Christ ou a éliminé l’idée qu’elle serait un sacrifice absolu [càd, un sacrifice à part entière, par opposition à une actualisation du sacrifice de la Croix].


7) Consistoire supérieur de la confession d’Augsbourg et de Lorraine: « Etant donné les formes actuelles de la célébration eucharistique dans l’Eglise catholique […] Il devrait être possible, aujourd’hui, à un protestant de reconnaître dans la célébration eucharistique catholique la Cène instituée par le Seigneur […] Nous tenons à l’utilisation des nouvelles prières eucharistiques, dans lesquelles nous nous retrouvons, et qui ont l’avantage de nuancer la théologie du sacrifice que nous avions l’habitude d’attribuer au catholicisme » (Déclaration du 8 décembre 1973, L’Eglise en Alsace, janvier 1974)

Il nous suffit concernant cette affirmation de souligner la partie qui dit « QUE NOUS AVIONS L’HABITUDE D’ATTRIBUER AU CATHOLICISME ». Cette expression peut être en harmonie avec la pensée de Roger Mehl et du Pasteur Viot qui défendaient que la Messe Tridentine exprimait l’idée d’un sacrifice répété et non l’actualisation de l’unique sacrifice du Christ.


Des protestants qui confirment la catholicité du Novus Ordo

Rappelons et ajoutons à présent, pour terminer, quelques témoignages clairs de protestants qui défendaient que le Nouvel Ordre ne contient pas une théologie protestante.

Nous citions antérieurement K. H. Bieritz, qui écrivait que pour « une théologie dérivée des Réformateurs » et leur Christologie, le contraste offert par la liturgie catholique existe toujours dans le Nouvel Ordre de la Messe et « est devenu encore plus clair et plus net. »

Le luthérien Jean Pleyber dit:

« Je crois qu’un point essentiel de la doctrine Catholique est que le Pape est le bénéficiaire d’une assistance particulière du Saint Esprit qui lui a conféré l’infaillibilité en matière de foi et de moeurs. Il ne peut pas y avoir d’archevêques et d’évêques Catholiques en dehors de leur communion totale avec le Pape. A ce sujet, alors, la position de l’Archevêque Lefebvre me paraît indéfendable. Sans doute, dit-il, la question est uniquement « pastorale », c’est-à-dire, disciplinaire, et non « doctrinale », c’est-à-dire, dogmatique. Mais il ajoute directement que le nouveau canon de la Messe exclut le caractère « sacrificiel » de la célébration Eucharistique, la réduisant à une simple « commémoration » de la Passion du Sauveur et à un simple repas communautaire. Ce sujet n’implique clairement plus le pastoral, mais le dogme. La position de l’Archevêque Lefebvre me semble illogique. Car si c’est une question de dogme, le Pape est infaillible et il doit être obéi sans hésitation ou murmure.

Et sur le point en question, j’ai souvent assisté à des Messes célébrées selon le nouveau canon, et chaque Dimanche j’ai regardé la messe à la télévision. Je n’ai jamais vu de preuve que de telles Messes niaient le caractère sacrificiel de l’Eucharistie. Et quand j’ai entendu dire et quand j’ai lu qu’ils « ont fabriqué une Messe Protestante », je ne sais que trop bien que ça n’est pas vrai et que de telles personnes sont à côté de la plaque. J’ai même demandé au prêtre de mon village de me transmettre les nouveaux textes liturgiques, et je suis convaincu après les avoir lus que rien n’a changé dans la doctrine Catholique Eucharistique. Je crois qu’il est utile de dire que les catholiques qui parlent de « Messe Protestantisée » sont plutôt ignorants à l’égard Protestantisme et peut-être grandement à l’égard du Catholicisme. » (Ecrits de Paris, Octobre 1976, cité par Likoudis et Whitehead, The Pope, the Council and the Mass, Emmaus Road Publishing, Revised Edition, 2006 pp.135-6)

Frieder Schulz:

« la partie avec l’oblation et la supplication pour l’Eglise dans la prière Eucharistique présente des problèmes théologiques » (Lutherische Liturgische Konjerenz Deutschlands (LLK) C 33-1972)

Le pasteur luthérien Frank C. Senn au sujet de la Prière Eucharistique IV:

« L’Eglise Catholique Romaine a considéré ce langage approprié et dans la nouvelle Prière Eucharistique IV dans le Missel Romain de 1974 dit très clairement, « nous t´offrons son corps et son sang, le sacrifice qui est digne de toi et qui sauve le monde ». Les élaborateurs de cette prière n’eurent aucun scrupule à changer le « pain et le vin » de l’Anaphore Alexandrienne de Basile, sur laquelle la Prière Eucharistique IV est basée, en « corps et sang ». […] Même dans l’ancien canon Romain, ce qui est offert est le pain et la coupe. Certes, c’est le « pain de la vie » et « la coupe du salut », deux élaborations qui utilisent des références bibliques; et les théologiens du seizième siècle et postérieurs pouvaient l’interpréter comme le corps et le sang du Christ, spécialement parce que le changement (transsubstantiation) des éléments arrivait aux mots de l’Institution avant l’anamnèse-oblation. Mais c’est seulement quand nous arrivons au Missel Romain de 1974 que nous trouvons dans la Prière Eucharistique IV l’affirmation, « nous t’offrons son corps et son sang ». C’est un nouveau développement dans la tradition eucharistique, et il pourrait être contesté au nom de la tradition, comme Martin Chemnitz l’a fait dans son Examen du Concile de Trente. (Christian Liturgy, Catholic and Evangelical, Fortress Press, 1997, pp.476-478)

Le théologien luthérien Gunther Wenz dit:

« Ce serait certainement une erreur de croire qu’au Concile Vatican II, quant à la relation entre l’évènement de la Croix et le sacrifice de la Messe, on aurait présenté une révision radicale de la conception catholique traditionnelle […] les nouvelles prières Eucharistiques expriment une doctrine de l’offrande sacrificielle beaucoup plus explicite que celle du Canon Romain (Die Lehre vom Opfer Christi im Herrenmahl als Problem ökumenischer Theologie in Kerygma und Dogma 28/1/1982 pp. 14.41)

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