
J’en conclus que c’est une impiété sacrilège de vouloir rebaptiser l’unité catholique, et que nous sommes parfaitement dans la vérité lorsque nous refusons d’invalider les sacrements, alors même qu’il ont été conférés dans le schisme. En effet, les schismatiques sont avec nous dans les points sur lesquels ils pensent comme nous; comme aussi ils se séparent de nous dans les points sur lesquels ils ont une doctrine différente de la nôtre. Rappelons-nous qu’il s’agit ici de matières essentiellement spirituelles, et qu’il serait absurde de vouloir leur appliquer les lois qui régissent les mouvements corporels dans leur rapprochement ou leur éloignement. L’union des corps s’opère par la conjonction des mêmes lignes; de même le contact des esprits s’opère par la conjonction des volontés. Si donc, celui qui s’est séparé de l’unité, prétend faire autre chose et user de pouvoirs qu’il n’a pas reçus dans l’unité, par cela même il s’éloigne et se sépare; au contraire, tant qu’il ne fait que ce qui se fait dans l’unité, et observe les conditions essentielles qui lui ont été enseignées, en cela du moins il reste et persévère dans l’unité.
Traité du Baptême, Livre I, chapitre 1
Vous allez plus loin encore, et pour me faire accepter une conclusion contre laquelle je proteste, vous m’alléguez ces paroles de l’Ecriture : « Un Dieu, une foi, un baptême, une Eglise catholique incorruptible et véritable (Eph. IV, 5) ». Je concède ces paroles, quoiqu’elles aient été écrites dans un autre sens. Mais de toutes mes concessions, quelle conséquence pouvez-vous tirer? Que tous ceux qui ne sont pas dans une seule Eglise ne peuvent avoir un seul baptême ? C’est là une absurdité. Mais c’est uniquement par vous-même que je veux vous convaincre. En citant ces paroles : « Un Dieu, une foi, un baptême, une église catholique incorruptible et véritable», vous vous flattez assurément de me convertir à vos idées, et de me prouver ce que je n’admets pas, à savoir qu’il ne peut y avoir unité de baptême que là où se trouve l’unité d’Eglise. De mon côté, je soutiens au contraire que, lors même qu’il n’y a pas unité d’Eglise, il peut y avoir unité de baptême, pourvu qu’on ne change rien à ce qui constitue son essence. Je le prouve par les termes mêmes de votre citation, où nous lisons également l’unité de Dieu et l’unité de foi. Est-ce qu’en dehors de l’Eglise nous ne trouvons pas le même Dieu adoré; et fût-il adoré par des hommes qui ne le connaissent pas, cesse-t-il pour cela d’être le même Dieu ? Quant à la foi en vertu de laquelle nous croyons que Jésus-Christ est le Fils du Dieu vivant, ne la trouvons-nous pas dans des hommes qui ne sont pas membres de l’Eglise ? Leur séparation de l’Eglise empêche-t-elle l’unité de la foi ? De même quand, en dehors de l’Eglise, nous trouvons le baptême administré dans toutes ses conditions essentielles, de quel droit affirmerions-nous que ce n’est pas le baptême véritable?
Vous soutiendrez peut-être qu’en dehors de l’Eglise le Dieu unique et véritable ne peut être adoré, et qu’on ne peut trouver la foi unique par laquelle nous confessons que Jésus-Christ est le Fils du Dieu vivant, et qui a mérité un si bel éloge à l’apôtre saint Pierre (Matt. XVI, 16, 17). Eh bien ! je veux vous prouver que vous êtes dans l’erreur. Vous avez encore présentes à la mémoire ces paroles de l’apôtre saint Paul aux Athéniens, quand il leur rappelle l’autel portant pour inscription : « Au Dieu inconnu », et qu’il ajoute: « Ce Dieu que vous adorez sans le connaître, c’est celui-là même que je vous annonce (Act. XVII, 23) ». Leur dit-il : Parce que vous l’adorez en dehors de l’Eglise, ce n’est pas le Dieu véritable que vous adorez? Non, et son langage est formel : « Celui que vous adorez sans le connaître, c’est celui que je vous annonce » ; son but évident n’est-il pas de les amener à adorer sagement et utilement dans l’Eglise celui qu’ils adoraient inutilement et sans le connaître, en dehors de l’Eglise? C’est dans le même sens que nous vous disons à vous-mêmes : Le baptême que vous observez sans le connaître, nous vous en prêchons la paix; non pas que nous voulions, quand vous reviendrez à nous, vous en conférer un autre, mais nous ne désirons que vous rendre utile et efficace la possession de celui que vous avez. Certains fidèles osaient soutenir que la foi suffit au salut sans les oeuvres. Saint Jacques entreprend de dissiper cette erreur et leur dit : « Vous croyez qu’il n’y a qu’un seul Dieu; c’est bien ; mais les démons le croient également et ils frémissent (Jacq. II, 19) ». Les démons ne sont pas membres de l’unité de l’Eglise, et cependant nous ne pouvons pas soutenir que leur foi soit erronée, quand nous les entendons dire au Sauveur : « Qu’y a-t-il entre nous et vous, Fils de Dieu (Marc, I, 24)? » De là cette phrase si connue de l’Apôtre : « Quand j’aurais une foi capable de transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien (I Cor. XIII, 2)». Or, je ne crois pas que l’on puisse pousser la folie jusqu’à croire qu’on appartienne à l’unité de l’Eglise quand on n’a pas la charité. De même donc que le Dieu unique est adoré, sans être connu, hors de l’Eglise, et qu’il ne cesse pas pour cela d’être le même Dieu ; de même que l’unité de la foi peut exister, sans la charité, hors de l’Eglise, sans cesser pour cela d’être la même foi; de même le baptême unique peut exister, par ignorance et sans la charité, hors de l’Eglise, sans cesser pour cela d’être le baptême véritable. Un Dieu, une foi, un baptême, une Eglise catholique incorruptible; ce n’est pas seulement dans le sein de cette Eglise que le Dieu unique est adoré, mais c’est uniquement dans son sein qu’il est pieusement adoré ; ce n’est pas seulement dans son sein que l’on trouve la foi une, mais c’est uniquement dans son sein que l’on trouve la foi unie à la charité; ce n’est pas seulement dans son sein que l’on trouve le baptême un, mais c’est uniquement dans son sein qu’il produit des fruits de salut et de paix.
Extrait de sa lettre au Donatiste Cresconius, XXXIII-XXXIV