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« La Fraternité Saint-Pie X et l’étude de la réforme liturgique, une analyse peu convaincante » par le Père Emmanuel, osb

Cet article a été mis en ligne par jesusmarie.com et Henri Buci, avril 2003. La revue « La Nef » a réagi sous la plume du père Emmanuel, moine du Barroux, à la publication par la Fraternité Saint Pie X d’un ouvrage sur la nouvelle liturgie de la Messe

Papa Paolo VI, Messa di Natale del 1965, vaticannews.va

Depuis l’été dernier, des contacts ont été renoués entre Rome et la Fraternité Saint-Pie X. Celle-ci a fait paraître en mars un ouvrage qui synthétise sa position à l’égard de la réforme liturgique de 1969. Sans prétendre se substituer au Magistère seul habilité à fournir une réponse officielle à cet ouvrage, il nous a semblé utile de l’analyser: pour montrer que l’on prenait ce travail au sérieux – la Fraternité Saint-Pie X se plaint souvent que l’on ne répond pas à ses objections – et dans le but d’ouvrir un débat nécessaire dont nous ne faisons qu’esquisser quelques axes. Afin de replacer dans son contexte cette opposition à la réforme liturgique, nous présentons aussi une brève analyse de la contestation plus générale du Magistère par la Fraternité Saint-Pie X. Enfin, cette contestation étant d’ordre théologique, nous abordons ce qu’est la vocation du théologien, en nous arrêtant à l’exemple concret de la liberté religieuse.

La Fraternité sacerdotale Saint-Pie X vient de publier aux Editions Clovis (1) une étude faisant le point sur sa position à l’égard de la nouvelle liturgie de la messe. Une adresse au Saint-Père ouvre cet ouvrage. La réponse légitime, faisant autorité, viendra donc du Saint-Siège. En aucun cas les réflexions qui suivent ne prétendent en tenir lieu ou l’anticiper, mais seulement attirer l’attention du lecteur sur quelque observations à la portée de tout catholique. Les trois parties de l’ouvrage étudient successivement La réforme de 1969 une rupture liturgique, puis, Au principe de la réforme liturgique : le mystère pascal, enfin une rupture dogmatique ? Commençons par le moins agréable, nous réservant pour la fin d’insister sur ce que la présente démarche de la FSPX comporte de positif.

Des erreurs de méthode

Il nous semble que c’est rendre service aux membres de la FSPX ou à ceux qui seraient impressionnés par son discours de signaler les erreurs de méthode de ce travail. Nous ne prétendons d’ailleurs pas être exhaustifs, ni ne commettre nous-même aucune erreur, et nous remercions d’avance ceux qui auraient la bonté de nous les signaler.

Première erreur: on doit déplorer, dans les différentes parties, l’absence d’une enquête historique de théologie positive, c’est-à-dire une étude de ce que l’Église appelle la Tradition (la FSPX entend sous ce terme autre chose : parfois elle dénomme ainsi les prêtres et fidèles se réclamant de Mgr Lefebvre, parfois elle entend par « Tradition », pour autant qu’on puisse le savoir avec précision, ce qui était en vigueur avant le concile Vatican II). L’absence de cette enquête historique prive du recul nécessaire pour se faire une idée précise de l’état de la question. C’est manifeste dans la partie sur le « mystère pascal », et dans l’étude des prières de l’offertoire (nous y reviendrons).

Cette absence d’enquête historique engendre un nombre important de méprises. Par exemple : n° 24, on critique l’utilisation de la même expression « table du Seigneur » pour l’Ecriture et l’Eucharistie. Or cette expression, parfaitement traditionnelle, se trouve dans l’Imitation de Jésus-Christ (IV, xi, 4) Que le Corps de Jésus-Christ et L’Eeriture Sainte sont très nécessaires à l’âme fidèle.

« …deux tables placées dans les trésors de l’Église. L’une est la table de l’autel sacré, sur lequel repose un pain sanctifié, c’est-à-dire le Corps précieux de Jésus-Christ. L’autre est la table de la loi divine… »

Deuxième erreur : la confusion constante entre les textes du Magistère et ceux des auteurs privés. On nous prévient d’ailleurs avec une candeur déconcertante que cette confusion est tout à fait voulue (n° 50) : « En chacune de ces études, nous synthétiserons les thèses de la nouvelle théologie, puisant tantôt chez les théologiens qui sont au principe de la réforme liturgique, tantôt dans les textes officiels postconciliaires. » Un tel préambule suffit à réduire à néant cette étude. En premier lieu parce que ce ne sont pas « des théologiens » qui sont au principe de la réforme liturgique, mais le Magistère de l’Église catholique. D’autre part, chacun sait que le sens d’un texte du Magistère se trouve dans le texte lui-même, et que, si ledit texte recèle une quelconque ambiguïté (réelle ou apparente), celle-ci ne peut être levée, avec la certitude et l’autorité voulues, qu’à la lumière du Magistère lui-même (postérieur, contemporain ou antérieur), mais jamais d’après les théologiens privés, qui n’ont aucune autorité pour cela, quand bien même ils auraient travaillé à la rédaction du texte… ou seraient membres de la FSPX. On notera dans le livre nombre d’expressions qui peuvent impressionner ou abuser le lecteur non averti: « commentateurs officiels » (n° 9); Dumas, Roguet, etc…, « membres du Consilium » (n° 34, note 2; n° 51, note 2), (il s’agit d’une erreur : ils était seulement consulteurs, et non pas membres), « promoteurs ou représentants officiels » (n° 120) etc., alors que ces « titres » (?) ne leur conféraient aucune autorité pour parler au nom de l’Eglise.

De plus, les références au Catéchisme de l’Eglise catholique (CEC) sont données d’après l’édition provisoire de 1992, et non pas d’après l’édition définitive, qui seule fait référence, de 1997. Cette dernière définit clairement la messe comme sacrifice propitiatoire (CEC 1364), avec référence au concile de Trente. Même méprise au sujet de l’Institutio generalis du nouveau Missel romain (IGMR). Le texte utilisé par les auteurs, et donné en référence, est celui de 1969… qui n’est plus en vigueur depuis 30 ans. Il a été en effet remplacé tout d’abord par celui de 1970 (plusieurs fois modifié par la suite), puis par celui de 2000. On ne voit vraiment pas comment un texte qui n’est plus en vigueur depuis trente ans pourrait être un obstacle aujourd’hui… Ces méprises sont lourdes de conséquence, car l’IGMR de 1970 (et celui de 2000) parlent très explicitement, comme le CEC de 1997, et dans les termes mêmes du concile de Trente, de la messe comme « tout à la fois sacrifice de louange, d’action de grâces, propitiatoire et satisfactoire ». Impossible dès lors d’affirmer avec la FSPX (n° 46) que « la dimension propitiatoire n’y est jamais mentionnée ». Les éditions du CEC et de l’IGMR en vigueur actuellement apportent donc les « clarifications doctrinales » appelées de tous ses voeux par Mgr Fellay (p. 7). Une prochaine édition du livre Le problème de la réforme liturgique ne manquera pas d’en tenir compte.

Le mystère pascal

Nos auteurs présentent cette doctrine du « mystère pascal » comme nouvelle, et comme étant en soi une corruption de la doctrine de la Rédemption. Notons tout d’abord l’absence d’étude, dans le livre, sur cette notion dans la Tradition. Comment, dès lors, accorder un minimum de sérieux à une étude théologique qui escamote ainsi la pensée des Pères (n° 51)? « L’expression « mystère pascal » apparaît quelques rares fois chez les Pères » ? Comment prétendre, sans enquête historique, que « Jusqu’au XXe siècle, elle n’avait revêtu aucune signification particulière chez les théologiens » ? Une étude de la Tradition nous apprendrait par exemple que, selon saint Léon, « Le mystère pascal (mysterium paschale) occupe le premier rang parmi les solennités chrétiennes » (2); que selon saint Augustin, la célébration de la Pâque chrétienne est un sacramentum (3) (en grec musterion, d’où le français « mystère »), parce que la Pâque de Jésus (sa mort et sa résurrection : les deux sont indissociables) est la cause efficiente de notre salut. D’où l’analogie avec les sept sacrements, qui nous appliquent cette grâce de rédemption. La « consécration officielle » de l’usage du mot « sacrement » dans un sens analogique (pour désigner d’autres réalités que les sept sacrements) est présentée par la FSPX comme datant « du concile Vatican II » (n° 71). Il suffit de faire un peu attention aux oraisons du missel traditionnel pour se rendre compte qu’il n’en est rien. C’est en effet le missel traditionnel qui appelle le carême « vénérable sacrement » (4), et les cérémonies de la semaine sainte « sacrements de la Passion du Seigneur » (5). Cela peut paraître surprenant que ces considérations aient échappé à des prêtres qui célèbrent quotidiennement selon l’ancien missel. On peut, semble-t-il, l’expliquer ainsi : le combat polémique que mène la FSPX finit par nuire à l’objectivité de jugement, et à la sérénité nécessaire pour faire des textes liturgiques un objet de contemplation.

La doctrine traditionnelle du « mystère pascal » s’appuie sur de nombreuses oraisons de l’ancien missel (6), qui y font très clairement allusion. Par exemple, la collecte du vendredi de Pâques : « Dieu éternel et tout-puissant, qui avez, par le mystère pascal (paschale sacramentum), scellé un pacte vous réconciliant le genre humain… » Peut-on établir plus clairement que « mystère pascal » et rédemption sont une seule et même chose ? Une autre oraison montre clairement le lien entre « mystère pascal » et Eucharistie, c’est la Postcommunion du mardi de Pâques : « Accordez-nous, Dieu tout-puissant, nous vous en prions, que la communion au sacrement pascal (pachalis sacramenti) se prolonge de façon durable en nos âmes. » La Liturgie n’hésite pas à employer exactement la même expression pour désigner la rédemption et le sacrement de l’Eucharistie. A cela rien de surprenant, puisque la Secrète du IX, dimanche après la Pentecôte, justement célèbre, – elle est citée dans la Somme de saint Thomas, dans le Catéchisme du concile de Trente; par plusieurs documents de Vatican II; dans CEC 1068 & 1364; et dans le canon 904, – dit : « A chaque fois que nous célébrons le mémorial de cette victime [= la messe], c’est l’oeuvre de notre rédemption qui s’accomplit. »

Le Magistère récent confirme que « mystère pascal » et Rédemption sont équivalents : « C’est pourquoi la Rédemption s’est accomplie dans le mystère pascal qui conduit, à travers la croix et la mort, à la résurrection » (Redemptor Hominis, 10). La place nous manque pour citer longuement d’autres textes (l’Enchiridion Vaticanum en dénombre 221, auxquels il faut ajouter les 610 documents de Jean-Paul II [de 1978 à 1995] où il est question du mystère pascal), mais ils aboutissent à cette même conclusion.

Relevons d’autres erreurs importantes. Au n° 55, la FSPX prétend que dans CEC 1459, (nous soulignons), « la satisfaction est décrite comme une peine purement médicinale, étant écartée toute dimension vindicative ». Mais pourquoi, dans la citation, omet-on le début de CEC 1459 (nous soulignons) : « La simple justice exige cela. Mais en plus… » La FSPX accuse donc CEC 1459 de présenter comme unique aspect ce que, précisément, CEC 1459 ne présente pas comme unique aspect, mais comme aspect complémentaire ! On ne voit pas ce qui permet à la FSPX (n° 54), de prêter au Magistère contemporain cette doctrine : « sa justice [de Dieu] n’exige aucune compensation » ! Même erreur au n° 105
« En refusant de considérer que la Rédemption est l’acte par lequel le Christ paya à Dieu toute la dette de la peine entraînée par nos péchés (doctrine de la satisfaction vicaire), la théologie du mystère pascal se place en opposition à une vérité de la foi catholique. » Bien au contraire, CEC 615 enseigne très clairement cette vérité de la foi catholique : « Par son obéissance jusqu’à la mort, Jésus a accompli la substitution du Serviteur souffrant qui « offre sa vie en sacrifice expiatoire ». […] Jésus a réparé pour nos fautes et satisfait au Père pour nos péchés (cf. Cc. Trente : DS 1529). »

En confondant les textes du Magistère et ceux des auteurs privés, la FSPX assimile la notion traditionnelle de « mystère pascal » avec la « théologie des mystères » de dom Casel. Cette dernière a fait couler des flots d’encre, dont le cours ne semble pas près de se tarir! Il y a inévitablement ceux qui sont pour et ceux qui sont contre…mais aussi ceux qui ont la sagesse de reconnaître ce qu’elle comporte de vrai et d’être réservés sur ce qui peut être discutable. Mais jamais l’Eglise dans son Magistère, ne l’a faite sienne… ni condamnée. Cela fait partie des sujets sur lesquels les théologiens peuvent réfléchir et débattre.

Autre constatation, nombreux sont les ouvrages que l’on nous cite dans cette partie qui datent (et largement) d’avant Vatican II : 1961, 1956, 1949, 1947, 1936… Comment supposer un instant que des livres parus sous Pie XI et Pie XII aient pu propager une doctrine formellement hétérodoxe sans faire l’objet d’aucune condamnation ? Comment alors ne pas être amené à constater que, en se faisant juge à la place du Magistère (et bien souvent juge du Magistère), la FSPX en arrive finalement à se considérer comme exerçant un magistère toujours et partout infaillible, n’ayant de lumière à recevoir de personne : est bon ce qu’elle approuve, condamné ce qu’elle condamne… Ce comportement (inconcevable chez un catholique) s’explique aisément: la seule « position » que la FSPX puisse adopter pour justifier l’illégalité dans laquelle elle se trouve (et l’acte gravissime d’un sacre d’évêques contre la volonté expressément manifestée du successeur de Pierre) est de prétendre avoir raison contre tous.

Troisième erreur : le piège de la dialectique. Le moderniste (nous entendons ce mot dans le sens précis que lui donne l’Eglise [dans Dominici gregis et Lamentabili, par exemple], et non pas dans le sens erroné qui a cours dans les milieux proches de la FSPX, où l’on qualifie de « moderniste » tout ce qui est postérieur à Vatican II), on le sait, utilise comme outil habituel une dialectique de type marxiste. Alors que l’Eglise distingue pour unir, le moderniste distingue pour opposer. Exemple : quand le moderniste parle de sacerdoce des fidèles, c’est pour l’opposer au sacerdoce ministériel du prêtre,  de manière à relativiser, puis faire disparaître ce dernier. De même quand le moderniste parle de l’Eucharistie comme « repas », c’est pour l’opposer au sacrifice, et en arriver à faire disparaître ce dernier aspect. Alors que, quand l’Eglise distingue l’Eucharistie comme repas ou comme sacrifice, c’est pour unir ces deux aspects complémentaires. L’erreur moderniste a ceci de pervers qu’elle amène insensiblement son contradicteur sur le terrain moderniste, celui d’une dialectique d’opposition. Ainsi, celui qui défend l’aspect sacrificiel de l’Eucharistie va se trouver amené lui aussi, s’il n’y prend pas garde, à l’opposer à l’aspect « repas », et à considérer comme suspecte toute allusion à l’aspect « repas » de l’Eucharistie. Même remarque au sujet de l’aspect « mémorial » de l’Eucharistie, qui est tout à fait réel (juste après la consécration, le Canon romain fait « mémoire… de la bienheureuse passion, de la résurrection des enfers, et de l’ascension glorieuse » de Jésus-Christ), et qu’il ne faut surtout pas opposer à l’aspect sacrificiel (erreur protestante). En effet, pour saint Thomas (7) « Ce sacrement […] commémore la passion du Seigneur, qui fut un véritable sacrifice, nous l’avons vu; et à ce point de vue il est appelé sacrifice ».

Comment affirmer alors (n° 102) : « La théologie du mystère pascal, en faisant découler l’aspect sacrificiel de la dimension mémoriale de la messe [ce qui est la doctrine de saint Thomas !], remet en cause l’enseignement du concile de Trente » ?

Quant à l’aspect « mémorial des merveilles du Seigneur » (opposé par la FSPX à l’aspect sacrificiel, cf. n° 10), il est illustré par une antienne des vêpres de la Fête Dieu : « Le Seigneur miséricordieux a donné à ceux qui le craignent une nourriture en mémoire de ses merveilles. » On retrouve cela dans le Concile de Trente (8)

« Donc, notre Sauveur, allant quitter ce monde pour le Père, a institué ce sacrement dans lequel il a en quelque sorte répandu les richesses de son amour divin pour les hommes, « laissant un mémorial de ses merveilles » (Ps 110,4)… »

Autre domaine où l’on aurait dû éviter le piège de la dialectique : l’opposition entre la justice de Dieu et sa miséricorde (pp. 54-59). Sainte Thérèse de Lisieux, ce géant de la théologie, disait avec raison que l’homme, déchu de sa splendeur première par le péché originel, est inévitablement pécheur, et que par conséquent, il était infiniment juste que Dieu soit pour lui infiniment miséricordieux. Voilà la vraie théologie, celle qui unit les perfections divines au lieu de les opposer.

Le même piège dialectique fait que l’on parle souvent de la question de la messe, comme s’il y avait obligatoirement opposition entre les deux rites (ils sont profondément différents, mais différence n’est pas obligatoirement opposition). Une chose est la question de la liturgie traditionnelle (ses richesses, son statut actuel dans l’Eglise, et les raisons que nous avons d’y être attachés), autre chose la question du nouveau rite (son orthodoxie, sa légitimité, ses faiblesses, les ambiguïtés de certaines traductions…). II est intéressant de noter que le Magistère évite toujours cette dialectique : aux XVe-XVIe siècles, l’Eglise a concédé en Bohème et en Allemagne la communion au calice aux fidèles qui ne l’opposaient pas à la communion sous une seule espèce; mais l’a refusée à ceux qui prétendaient illégitime cette dernière. De même, le Motu proprio Ecclesia Dei adflicta, qui autorise la célébration de l’ancienne messe, signale le fait qu’il ne faut (1) pas l’opposer de soi au nouveau rite. Les communautés qui bénéficient du Motu proprio s’engagent bien évidemment à le faire dans cet esprit, sans quoi elles pourraient difficilement échapper à l’accusation de malhonnêteté. De même, les prêtres qui célèbrent selon le nouveau rite ne doivent pas pour autant s’opposer à ce que d’autres usent de l’ancien.

Quatrième erreur: un manque de rigueur dans l’exposé des faits et leur conclusion. Exemple : au n° 9, on compare « l’offertoire romain » avec la « présentation des dons » de l’ordo de 69. Mais on ne mentionne de celle-ci que les deux premières prières (Tu es béni, Dieu de l’univers…). On les oppose à l’ensemble des prières de l’offertoire de 1962, dont on mentionne en particulier, comme caractéristique du « climat sacrificiel », la prière In spiritu : « Nous implorons humblement (In spiritu humilitatis) de Dieu qu’il agrée (ibid.), par sa miséricorde, ce sacrifice… » Mais pourquoi ne nous dit-on pas que l’In spiritu se trouve aussi dans le nouveau rite ? Si nous suivons le raisonnement de nos auteurs, la « présentation des dons » du nouveau rite, avec l’In spiritu, exprime de manière caractéristique le « climat sacrificiel »… De même, on nous dit du rite traditionnel (psaume Lavabo) :« le sacrifice est offert pour nos péchés, puisque nous voulons par la contrition, nous séparer des pécheurs. » Mais, le nouveau rite a lui aussi une prière, au lavement des mains, qui exprime la contrition du prêtre et sa demande d’être purifié : « Lave-moi de mes fautes, Seigneur, et purifie-moi de mon péché. » Ces idées ne sont donc pas exclusivement caractéristiques de l’offertoire du missel romain de 1962 : on les retrouve dans celui de 1970. Manque de rigueur dans l’exposé des faits, qui conduit à une conclusion erronée.

Notons aussi qu’il aurait été plus exact de parler non pas de « l’offertoire romain », mais des « prières qui sont apparues dans l’offertoire de la messe romaine à partir du VIII siècle », puisque la messe romaine traditionnelle de saint Grégoire ou de saint Léon ne comportait pas d’autre prière d’offertoire que la secrète, laquelle exprime fort bien la dimension sacrificielle de l’offertoire. Une enquête historique sur l’offertoire romain avant le X` siècle aurait été la bienvenue ! Toutes les prières de l’offertoire du missel de 1962, si riches de doctrine, étaient alors totalement inconnues. En conclura-t-on que l’offertoire de la messe romaine d’avant le X` siècle était ambigu, n’ayant pas de « climat sacrificiel » ? (Ce qui ne veut pas dire que les prières d’offertoire du missel de 1962 sont sans intérêt : encore une fois, ne dialectisons pas !)

Au n° 34, on nous dit: « La première prière de l’offertoire du missel traditionnel, si précise, volontairement au singulier, manifeste » « l’oblation proprement sacramentelle revenant au seul prêtre ministériel » (c’est nous qui soulignons)… « Au contraire, dans le nouveau missel, les prières d’offrande sont systématiquement au pluriel. » Deux remarques : 1) Donc, dans le missel traditionnel, le Canon romain, dont les prières sont systématiquement au pluriel, dilue le sacerdoce ministériel du prêtre dans le sacerdoce commun des fidèles ?… 2) Un minimum d’enquête historique nous apprendrait que le sujet singulier ou pluriel dans les prières de la messe est bien souvent (et en particulier dans les prières de l’offertoire) une question d’époque : la piété médiévale (prières au bas de l’autel, offertoire, avant la communion) est volontiers personnelle, d’où le je; la piété antique (le Canon romain) plus volontiers ecclésiale, d’où le nous. De plus, comment affirmer que la première prière d’offertoire du missel de 1962 est volontairement au singulier, et pour la raison que l’on nous dit ? Affirmation gratuite, puisque l’auteur de cette prière (et par conséquent ses intentions) nous est inconnu.

Même manque de rigueur au n° 26 : on s’indigne que dans le nouveau rite la fonction de lecteur puisse être attribuée à un laïc, et non obligatoirement à un ministre.  Les erreurs de méthode: 1) l’absence d’enquête historique; 2) la confusion entre Magistère et auteurs privés; 3) le piège de la dialectique; 4) le manque de rigueur ordonné. Mais faire remplir les fonctions des ordres mineurs par des laïcs est bien antérieur à Vatican II ! Si je ne me trompe, dans toutes les chapelles de la FSPX, ce sont des laïcs qui remplissent les fonctions d’acolyte, alors que l’acolytat est le plus élevé des ordres mineurs. Personne n’aurait la malveillance d’en conclure que la FSPX minimise la spécificité des ministères ordonnés ! On ne peut se défendre de l’impression que donne la FSPX de considérer de manière systématiquement malveillante ce qui se fait dans la liturgie depuis Vatican II. Cela réduit, et c’est bien dommage, la portée des conclusions d’une étude qui se veut objective. De plus, comment peut-on espérer après cela que les catholiques attachés à l’ancien rite soient pris au sérieux, si certains d’entre eux ont une argumentation si peu rigoureuse ?

De bonnes choses

En particulier, et il est important de le souligner, on remarque la volonté des auteurs d’utiliser des expressions mesurées dans la formulation de leur critique : c’est particulièrement frappant au n° 46 : « la dimension propitiatoire a comme disparu », « tend à se fondre »; au n° 49, « l’amoindrissement, voire la suppression de la satisfaction »; aux n°s 102 et 107, « ne semble pas », « semble donc »; etc. Comment ne pas féliciter nos auteurs pour ce soin apporté à tenir des propos mesurés ? Mais cela a une conséquence qui a échappé à nos amis : avec de telles expressions, la critique demeure floue. En effet, « la dimension propitiatoire a comme disparu » ne veut rien dire. A-t-elle disparu, ou bien n’a-telle pas disparu ? Et ce qui a trait à la peine due au péché a été minimisé, ou bien supprimé ? La satisfaction a-t-elle été supprimée, ou amoindrie ? C’est tout de même bien différent ! Que l’on compare ce langage vague et imprécis avec le langage clair et net des textes du Magistère. Prenons par exemple un texte très récent, Dominus lesus, n. 6 (c’est nous qui soulignons) : « Est donc contraire à la foi de l’Eglise la thèse qui soutient le caractère limité, incomplet et imparfait de la révélation de Jésus-Christ, qui compléterait la révélation présente dans les autres religions. […] Cette position contredit radicalement les précédentes affirmations de foi selon lesquelles la révélation complète et définitive du mystère salvifique de Dieu se réalise en Jésus-Christ. » L’explication de cette différence de langage est simple : le Magistère a reçu du Christ le pouvoir de désigner l’erreur et de la condamner, tandis que la FSPX n’a reçu aucun pouvoir spécifique en ce domaine.

De bonnes choses. On retrouve en effet dans cet ouvrage l’énumération de plusieurs faiblesses du nouveau Missale Romanum, signalées par nombre de personnalités et d’écrits du monde catholique depuis 30 ans, de Mgr Lefebvre et la revue Itinéraires à dom Paul Tirot (moine de Solesmes) (9), en passant par Mgr Gamber, le cardinal Ratzinger et les communautés « Ecclesia Dei ». Faiblesses qui demeurent la raison de l’attachement résolu de tant de communautés à la messe traditionnelle : diminution des signes de respect (avant de toucher les saintes espèces, le célébrant ne fait la génuflexion qu’au moment de communier, alors que dans l’ancien rite, il la fait à chaque fois…), édulcoration de plusieurs textes (mais édulcoration ne veut pas dire hétérodoxie), « liturgie fabriquée » , emploi du vernaculaire, le « face au peuple » trop souvent obligatoire, etc. L’existence de ces faiblesses est largement reconnue, et de plus en plus, dans l’Eglise. Leur « dénonciation » n’est pas propre à la Fraternité Saint-Pie X. Nous pensons en particulier à la magistrale étude de dom Cassien Folsom, professeur à l’Institut Pontifical de Liturgie de SaintAnselme à Rome, sur les rites de la consécration dans l’ancien et le nouveau rite, et l’influence de l’esprit des Lumières sur ce dernier : les faits y sont rapportés d’une manière extrêmement rigoureuse, sans aucun a priori, et les conclusions nettes et précises s’imposent d’elles-mêmes (10). La nécessité d’une « réforme de la réforme » est une opinion courante de nos jours, et ne pourra pas faire l’économie de travaux extrêmement rigoureux et objectifs.

Autre point positif, et non des moindres : la démarche elle-même, c’est-à-dire la reprise de contacts avec le Saint-Siège et le désir de recevoir une place reconnue dans l’Eglise. Il faut encourager cette démarche, et la porter dans notre prière. Nous avons tous besoin les uns des autres. L’Eglise a besoin des prêtres et des fidèles se réclamant de Mgr Lefebvre : aujourd’hui plus que jamais la moisson est abondante et les ouvriers peu nombreux. D’autre part, la FSPX a besoin du reste de l’Eglise, pour perfectionner son discours théologique, qui comporte, entre autres, les faiblesses que nous avons signalées. On sait, hélas ! que certains sont peu favorables à ce rapprochement avec le Saint-Siège, persuadés qu’ils sont que la sollicitude paternelle du successeur de Pierre cache un piège. A l’opposé, d’autres arguent du caractère excessif des propos de la FSPX, ce qui revient, semble-t-il, à négliger deux choses: 1) Le désir du Saint-Père que les aspirations des prêtres et des fidèles proches de Mgr Lefebvre soient considérées avec bienveillance; 2) Que les vexations (quand ce n’est pas le mépris) endurées par tant de prêtres et de fidèles attachés à l’ancienne liturgie expliquent largement que leurs réactions dépassent parfois la mesure. On prend volontiers en considération aujourd’hui dans l’Eglise les situations psychologiques vécues par les personnes, et c’est une bonne chose. Pourquoi ceux qui se réclament de Mgr Lefebvre n’auraient-ils pas droit à cette considération ?

Frère Emmanuel, osb
Moine du Barroux


(1) Le problème de la réforme liturgique. La messe de Vatican II et de Paul VI. Etude théologique et liturgique, Clovis, 2001, 125 pages.

(2) Neuvième homélie sur le Carême, lue au premier dimanche de la Passion dans le Bréviaire traditionnel.

(3) Cinquième Lettre à janvier, PL 33, 205.

(4) Secrète du Mercredi des Cendres.

(5) Collecte du Mardi Saint.

(6) Voir : Dom Bruylants, Les oraisons du missel romain, Louvain, 1952.

(7) Somme théologique, 111, 73, 4.

(8) Session XIII sur le sacrement de l’Eucharistie, chap. 2.

(9) Histoire des prières d’offertoire dans la liturgie romaine, du VIIe au XVIe s. (Rome, CLV,1985, p. 77).

(10) Les gestes accompagnant les paroles de la consécration, dans Vénération

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