Un catholique doit-il croire aujourd’hui qu’il est bon de brûler des hérétiques? C’est ce qu’une interprétation de la Bulle « Exsurge Domine » du Pape Léon X en 1520 peut faire comprendre. Cette bulle listait des propositions de Martin Luther condamnées, dont une, la 33, qui était « Que les hérétiques soient brûlés, c’est contre la volonté de l’Esprit » . Un catholique est-il donc forcé d’approuver un retour du bûcher pour les hérétiques à l’heure actuelle et de croire que la chose est bonne? Nous partageons ici des commentaires qui montrent qu’il n’est pas obligé de l’interpréter d’une telle façon, et qu’affirmer que la proposition est hérétique est une opinion théologique contestable.

Le Père Brian Harrison, dans « Torture and corporeal punishment as a problem in catholic theology », Living Tradition, 119, septembre 2005
La condamnation du Pape Léon X contre la proposition […] est clairement une censure doctrinale. Néanmoins, quel type de status doctrinal le Pape a voulu attribuer à cette condamnation n’est pas clair. Il n’y a pas de note théologique précise attachée à la proposition. Comme n’importe quelle autre des 41 censurées dans la Bulle, elle pourrait être assignée à un « niveau d’iniquité » aussi grave qu' »hérétique », aussi légère qu' »offensante aux oreilles pieuses » ou « séduisantes aux simples d’esprit », ou entre les deux (« scandaleuse » ou « fausse »). Car à la fin du document, le Pape fait simplement une déclaration générale selon laquelle toutes les propositions citées méritent une ou plusieurs de ces censures. Cependant, il ajoute que dans tous les cas elles sont toutes, d’une manières ou d’une autre « opposée à la vérité Catholique » (veritati catholicae obviantes) et donc « condamne », « réprouve » et les « rejette absolument ». [« . . . damnamus, reprobamus, atque omnino reicimus ». Cf. DS 1492.]
Maintenant, la condamnation papale d’une proposition qui pourrait – pour ce qu’il nous a dit – n’être pas pire que « scandaleuse », « offensante aux oreilles pieuses » ou « séduisantes aux simples d’esprit », ne peut certainement pas être comptée comme une définition ex cathedra. Car toutes ces trois censures plus légères impliquent clairement un type de jugement qui pourrait être réformable; tandis que les définitions infaillibles, évidemment, sont pas leur nature même irréformables. (En admettant qu’elle n’est pas certainement fausse, une proposition donnée qui est toutefois apte à « scandaliser », « offenser », ou « séduire » les fidèles dans certaines circonstances culturelles/historiques pourrait ne pas être si néfaste en d’autres circonstances). Ainsi, tout spécialement à la lumière du fait que brûler des hérétiques (ou, en effet, leur exécution par une quelconque méthode) ne faisait absolument pas partie de la pratique ou tradition Catholique durant le premier millénaire de l’histoire de l’église, et était en fait, explicitement répudiée par des conciles et des papes aussi récemment qu’au 11ème siècle (cf. B2 et B3 cité [dans l’article]), je ne crois pas qu’il incombe aux apologètes catholiques du troisième millénnaire de lutter pour essayer de défendre cette décision non-infaillible de Léon X.
[note 51:] Je ne prétends pas que des défenses possibles de la déclaration du Pape Léon X ne devraient jamais être tentées par ces apologètes qui chercheraient à poursuivre le sujet. Si la proposition de Luther était d’impliquer – ce qui n’était probablement pas le cas -, qu’en termes de justice stricte, aucun crime possible ne mériterait un destin aussi mauvais que d’être brûlé à mort, c’est-à-dire, qu’infliger une telle peine était intrinsèquement mauvaise, Léon aurait raisonablement répondu que c’était l’Esprit Saint qui avait inspiré le livre du Lévitique, qui demande précisément cette punition pour certains crimes. Si le sens était plutôt que l’hérésie ne devrait pas être traitée comme un crime capital, alors on devrait au moins se rappeller qu’à une époque l’hérésie était une menace réelle à l’ordre publique juste, en vertu de la menace sérieuse qu’elle posait à la liberté propre de l’Eglise (pas uniquement sa domination socio-politique). Car les hérétiques n’étaient pas plus tolérants que les catholiques en cette période, et ont fait clairement comprendre verbalement et en acte leur détermination à persécuter cette dernière une fois au pouvoir. De plus, la proposition condamnée pourrait avoir en effet été véritablement « séduisante aux simples d’esprit » dans le sens où, comme ils se présentent, les mots « contraire à la volonté de l’Esprit » pourraient facilement être associé à ce que l’Evangile décrit comme le pire des péchés: le péché impardonnable « contre l’Esprit Saint » (cf. Marc 3:28-29). Et brûler des hérétiques, aussi opposé à l’esprit que cela puisse être, sinon à la lettre, de la Loi du Christ, n’en est certainement pas un.
On pourrait uniquement spéculer sur ce que le magistère aurait dit, s’il aurait dit quoique ce soit, si Luther avait choisi de formuler son opposition au fait de brûler des hérétiques en termes plus circonspects: par exemple, en disant qu’un traitement aussi extrême, même des pires pécheurs est très difficile à réconcilier avec l’esprit de patience et de miséricorde demandée dans la Nouvelle Loi du Christ, qui réprimandait explicitement le zèle des disciples désirant vouloir que les infidèles brûlent à mort [Cf. Luc 9: 52-56, et B3 de la Partie I de l’article]; et qu’une telle punition devrait alors être dans tous les cas abolies par les gouvernements Chrétiens. Il est au moins rassurant pour le catholique moderne d’être capable de noter que le magistère n’a jamais condamné d’une quelconque manière cette dernière position plus nuancée, qui, de fait, a été effectivement adoptée (bien que tardivement!) par le Siège de Pierre, quand le Pape Pie VII a finalement interdit la torture dans n’importe quel pays Catholique. [Cf. B7 de l’article] (A cette époque, évidemment, personne n’avait été légalement brûlé au bûcher dans un pays catholique depuis au moins un siècle)
Le Cardinal Charles Journet, dans L’Eglise du verbe incarné: La hiérarchie apostolique, Editions Saint-Augustin, pp.577-579
Dans la 80e conclusion de ses Resolutiones disputationum de indulgentiarum virtute, adressées en 1518 à Léon X, Luther proteste contre l’interprétation qui met dans les mains du souverain pontife deux glaives, l’un spirituel et l’autre matériel. Les deux glaives signifient pour lui le glaive de l’Esprit et l’Evangile. De nos jours, ajoute-t-il, ce que nous désirons, « ce n’est pas de détruire les hérésies ou les erreurs, c’est de brûler les hérétiques et les égarés, nous laissant conduire moins par le conseil de Scipion que par celui de Caton qui voulait détruire Carthage. Nous agissons même contre la volonté de l’Esprit, qui écrit que les Jébuséens et les Cananéens étaient laissés dans la terre de la promesse, afin que les enfants d’Israël pussent apprendre à faire la guerre et à garder l’habitude de la guerre: par où sont préfigurées, si saint Jérôme ne m’induit en erreur, les guerres des hérétiques. En tous cas, l’apôtre est digne de foi lorsqu’il dit: Il faut qu’il y ait des hérésies. Mais nous, nous disons, au contraire, qu’il faut brûler les hérétiques. Comme s’il fallait arracher la racine en même temps que les fruits, l’ivraie en même temps que le blé [Op. lat., édit d’Iéna, 1563, t. I, p.114]. » Ces réflexions ont été condensées dans la proposition condamnée: « C’est contre la volonté de l’Esprit que sont brûlés les hérétiques. »
On pourrait faire remarquer d’abord que Luther ne voulait nier ni que l’Esprit punit dans le feu de l’enfer les réprouvés, ni que les véritables hérétiques sont dignes de l’enfer; en sorte qu’en un sens (qui sans doute n’est pas en cause ici) la proposition de Luther appraîtrait fausse même à ses propres yeux. On pourrait faire remarquer encore qu’après avoir débuté en disant qu’il fallait vaincre les hérétiques par les Ecritures, non par le feu, Luther changea bientôt d’avis pour prétendre (et avec lui la théologie protestante du XVIe siècle) que s’ils résistaient aux Ecritures, les hérétiques – c’étaient les anabaptistes – devraient être mis à mort, même quand ils ne seraient pas séditieux; et le droit saxon prévoyait contre eux la peine du feu, précédée de la torture pour leur arracher la dénonciation de leurs complices. [Hartmann GRISAR, S.J., Luther, Freiburg i. B., 1925, t.III, pp.729-748] Mais allons tout de suite au coeur de notre sujet. Contre Luther, qui prétendait qu’on ne pouvait, à cette époque, appliquer la peine de mort aux hérétiques sans contredire à l’Esprit saint, Léon X affirmait qu’on avait, à cette époque, le droit d’appliquer la peine de mort aux hérétiques. « On », qui était-ce? Ce n’était pas l’Eglise. C’était l’Etat chrétien. L’Eglise jugeait de l’hérésie et rappelait à l’Etat ses devoirs temporels [La réponse de Luther à la condamnation de Léon X n’établit vraiment qu’une chose, c’est que l’Eglise comme telle n’a pas à recourir à la peine de mort. Assertio omnium articulorum per bullam Leonis X novissimam damnatorum, déc. 1520, Opera, Iéna, 1566, t. II, p. 309 b.]
Les thèses de la bulle Exsurge étaient condamnées par le pape « respectivement comme hérétiques, ou scandaleuses, ou fausses, ou propres à choquer les oreilles pieuses et à séduire l’esprit des simples » [Bullarium romanum, Turin, 1860, t. V, p.752]. Quelle note théologique méritait la thèse prétendant que des hérétiques ne pouvaient alors être punis de mort? Certainement une note inférieure à l’hérésie. Comme la thèse qui la suit immédiatement: « Combattre contre les Turcs, c’est lutter contre Dieu punissant par eux nos iniquités » [Denz., n°774], thèse qui devait être, elle aussi, bientôt reniée bruyamment par son auteur. Le recours au bras séculier pour défendre la chrétienté contre ses ennemis du dedans et du dehors, contre les hérétiques et les Turcs, apparaissait alors comme une mesure de prudence qu’on ne pouvait contester sans témérité.
Scott Eric Alt, « A reader asks about Exsurge Domine and burning heretics », To Give a Defense, 31 Août 2019
La réponse courte est que Léon X aurait eu tort s’il avait écrit Exsurge Domine en 2020. Mais il l’a écrite en 1520, et plusieurs choses importantes étaient différentes en 1520. Mais nous devons faire quelques pas en arrière d’abord. […] Le Pape liste quarente-et-une « erreurs », mais prends la peine de préciser que ces erreurs tombent dans des catégories différentes.
« Certaines d’entre elles », dit-il, « ont déjà été condamnées par des Conciles et des Constitutions de nos prédécesseurs, et contiennent même expressément l’hérésie des Grecs et des Bohémiens. D’autres erreurs sont soit hérétiques, fausses, scandaleuses soit offensantes à des oreilles pieuses, comme séduisantes aux simples d’esprit, émanant de faux représentants de la foi qui, dans leur fière curiosité, aspirent à la gloire du monde et, contrairement à l’enseignement de l’Apôtre, veulent être plus sages qu’ils ne devraient l’être. »
En d’autres termes, tout ce qui est dit dans cette liste de quarente-et-unes est nécessairement faux. Certaines sont simplement « scandaleuses » ou « offensantes » ou « séduisantes ». Léon X ne dit jamais laquelle de ces quarente-et-une tombe dans quelles catégories. Et certaines reflètent une « fière curiosité » et la volonté d’être « plus sages qu’ils ne devraient l’être. ». […]
Un école de pensée dit que Léon n’a pas voulu dire du tout que brûler des hérétiques était « la volonté de l’Esprit »; mais seulement qu’affirmer que la volonté de l’Esprit sur ce point ne pourrait pas être connue. Il condamnait l’idée que Luther connaissait la volonté de l’Esprit d’une manière ou d’une autre. Luther, en d’autres termes, avait une « fière curiosité » et une volonté d’être « plus sage qu’il ne devrait l’être » sur ce point.
C’est tout à fait possible. Léon X avait peut être à l’esprit ces passages des Ecritures dans lesquels Dieu demande la peine de mort contre ceux qui propagent les fausses religions [Exode 22:18; Deutéronome 13:6; Deutéronome 18:20]. Au vu de ces exemples de circonstances où Dieu apparaît vouloir la mort d’hérétiques, comment Luther pouvait savoir que l’Esprit ne l’a pas voulue en 1520? Léon X a peut-être pensé quelque chose de semblable.
Il est important de nous rappeler dans ces discussions que l’hérésie était, il fût un temps, une matière bien plus sérieuse pour la communauté et l’état qu’elle ne l’est aujourd’hui. Le professeur d’histoire Thomas Madden l’exprime bien en écrivant:
« Le monde médiéval n’était pas le monde moderne. Pour les peuples médiévaux, la religion n’était pas quelquechose que quelqu’un faisait à l’église. C’était leur science, leur philosophie, leur politique, leur identité, et leur espoir de salut. Ce n’est pas une préférence personnelle mais une vérité éternelle et universelle. L’hérésie, donc, frappait au coeur de cette vérité. Elle damnait l’hérétique, mettait en danger son entourage, et déchirait le tissu communautaire. … La pratique moderne de la tolérance religieuse universelle est en soit nouvelle et uniquement Occidentale. »
C’est-à-dire qu’on ne peut pas lire Exsurge Domine de façon anachronique, avec nous propres présuppositions au sujet de la liberté intellectuelle et la liberté de conscience. A une époque bien antérieure à la séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’hérésie n’était pas juste une fausse doctrine; c’était une trahison. Et de par leur capacité à gagner des convertis, les « hérétiques divisaient les peuples, causant tumulte et rébellion ». C’était une question de sécurité de l’Etat. A cause de la réforme Protestante, des nations entières ont abandonné le Catholicisme, démontrant le pouvoir qu’avait l’hérésie. Même en des temps modernes, pensons au désordre politique entre l’Irlande du nord et l’Irlande du sud autour de la division entre protestants et catholiques.
En mettant les hérétiques à mort, l’Etat agissait pour préserver ou atténuer le désordre civil.
De plus, l’hérésie pouvait vous damner. Et si un hérétique gagnait des convertis en grand nombres, ces âmes pourraient être damnées aussi. C’était la logique à cette époque. Dela même manière que l’Etat utilise la peine de mort pour protéger la vie innocente, l’Etat a utilisé la peine de mort pour protéger la vie éternelle de ceux qui pourraient succomber aux puissances persuasives de l’hérétiques. Sur quelle base Martin Luther pensait que ce n’était pas la volonté de l’Esprit qu’un tel poison soit déraciné de la société? […]
Les temps changent. Donum Veritatis – dont j’ai parlé plusieurs fois depuis 2017 – parle de ce type de « déficiences » qui peuvent s’immiscer dans des documents magistériels qui dans le « domaine des interventions d’ordre prudentiel » […] :
« le Magistère, dans le but de servir le mieux possible le Peuple de Dieu, et en particulier pour le mettre en garde contre des opinions dangereuses pouvant conduire à l’erreur, peut intervenir sur des questions débattues dans lesquelles sont impliqués, à côté de principes fermes, des éléments conjecturaux et contingents. Et ce n’est souvent qu’avec le recul du temps qu’il devient possible de faire le partage entre le nécessaire et le contingent. » […]
Premièrement, la CDF parle d’opinions dangereuses qui pouvaient mener à l’erreur. Léon X n’avait peut-être pas tant pensé que la pensée de Luther sur le fait de brûler des hérétiques était en soit une erreur, mais qu’elle avait le potentiel de mener à l’erreur. Par exemple, si ce n’était pas la volonté de l’Esprit que les hérétiques soient brûlés, alors peut-être que la Vérité n’est pas aussi sérieuse que les gens le pensent, et les opinions religieuses contraires peuvent être laissées libres à travers le monde (une pensée bien plus alarmante en 1520 qu’en 2020).
Deuxièmement, l’idée que brûler les hérétiques pourrait être la volonté de l’Esprit est « contingente » aux faits que du temps de Martin Luther, quand l’hérésie était universellement vue comme une menace à l’ordre civile et l’idée de tolérance religieuse comme très étrange. Au niveau où de telles conceptions étaient admise à l’époque, elles étaient nouvelles.
Enfin, il était conjecturé que, si Dieu voulait que les hérétiques soient brûlés dans l’Ancien Testament, Luther pourrait difficilement prétendre savoir que c’était contre la volonté de l’Esprit en 1520. C’est seulement avec le temps, et le développement de la doctrine, le progrès dans la compréhension de la conscience individuelle et de la tolérance religieuse, que l’Eglise a aboutie à l’idée que Dieu a pu « endurer » la peine de mort à cause de la dureté de notre coeur; mais que ça n’était pas le cas depuis le commencement. Dieu a épargné Cain et promis la vengeance « sept fois » sur quiconque le mettant à mort. (Voir mon article précédent ici). La peine de mort n’est pas la volonté de l’Esprit, mais personne ne pouvait prétendre le savoir en 1520.
Léon X avait-il donc « tort » dans Exsurge Domine? Cela dépend beaucoup de ce qu’on pense qu’il condamnait. Il pourrait très bien avoir condamné seulement l’idée que quiconque pusise connaître la volonté de l’Esprit. Le texte d’Exsurge Domine ne nous dit jamais sur quelle base telle erreur particulière est condamnée. Mais même si on pouvait prouver que Léon pensait que c’était la volonté de l’Esprit que les hérétiques soient brûlés, comment savons-nous que l’Esprit ne le voulait pas en 1520? Comme savons-nous que Dieu n’a pas enduré cela à cause de notre dureté? Quelqu’un a-t-il une telle révélation de Dieu? Nous ne devrions pas chercher à être plus sage que nous pouvons l’être.
Cette partie d’Exsurge Domine est obsolète maintenant. Si je disais, « Christ est Seigneur de tous », j’aurai raison peu importe quand je le dis. Si je devais dire, « Donald Trump est présent des Etats-Unis, » j’aurai raison aujourd’hui [article de 2019]. Mais cette proposition ne sera pas correcte en 2050. De la même manière, la proposition condamnée au sujet des hérétiques était vraie en 1520 – indépendamment du sens que Léon X lui donnait au moment de la condamné – mais pas en 2020. Ce n’est pas vraiment alarmant, à moins de penser que le temps est statique.
Jimmy Akin, « Identifying Infallible Statements », The Rock, 12(7), 1er Septembre 2001
Il y a plusieurs manières de résoudre ce supposé dilemme. On pourrait affirmer que parfois, c’est la volonté de l’Esprit que des hérétiques soient mis à morts. Après tout, Dieu n’a-t-il pas en quelques occasions demandés l’usage de la peine de mort pour certaines offenses connectées aux fausses religions (Ex. 22:18, 20; Deut. 13:5, 8–10, 15, 18:20)? Une autre pourrait être de souligner que quand l’Eglise censure une proposition, cela veut dire que l’Eglise trouve quelque chose de problématique à celle-ci. Mais étant donné que la proposition est formulée dans les mots du coupable, elle est souvent mal formulée, et donc on ne peut pas prendre la position de l’Eglise comme étant l’inverse de la proposition offensante. Par exemple, si l’Eglise choisissait de condamner la proposition « le ciel est blanc », on ne pourrait pas déduire que l’Eglise adhère à la proposition que « le ciel est noir ».
Appliquons ceraisonnement à notre cas. Si l’Eglise condamnait la proposition qu’il est contraire à la volonté de l’Esprit de mettre des hérétiques à mort, ça ne veut pas dire que l’Eglise enseigne que c’est sa volonté de le faire. Il y a la possibilité que l’application de la peine de mort dans telles circonstances est telle que l’Esprit l’a voulue en un temps mais ne la veut pas aujourd’hui. Il y a aussi la possibilité qu’il la veuille dans le cas de quelques offenses contre la foi mais pas pour d’autres, ou qu’il la veuille dans le cas de certains individus et non pour d’autres, ou qu’il ne la veuille ni ne s’y oppose.
La manière la plus fondamentale de résoudre ce présumé dilemme est d’examiner la question de savoir si oui ou non Exsurge Domine engage l’exercice de l’infaillibilité du pape. La réponse est non.
[Pastor Aeternus] explique que le pape parle ex cathedra « lorsque, remplissant sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, il définit, en vertu de sa suprême autorité apostolique, qu’une doctrine sur la foi ou les moeurs doit être tenue par toute l’Église ».
Le mot important est « définit ». Définir quelque chose n’est pas la même chose que dire, enseigner, déclarer, ou condamner. Le sens du terme est expliqué dans une relatio sur Pastor Aeternus 4. (Une relatio est une interprétation officielle du texte qui est présentée aux évêques du concile par un homme appelé relator afin que les évêques sachent le sens officiel du texte pour lequel ils votent. Ainsi, ce qui est dit dans la relatio est important pour résoudre les questions au sujet du sens du texte conciliaire).
Le 16 Juillet 1870, Vincent Gasser, le relator pour Pastor Aeternus 4, a donné une relatio qui expliquait que « le mot « définiri » signifie que le pape a directement et conclusivement prononcé une sentence au sujet d’une doctrine qui concerne la foi et les moeurs et l’a fait d’une telle manière que chacun des fidèles peut être certain de l’esprit du Siège Apostolique, de l’esprit du Pontife Romain; d’une telle manière, ainsi, que celui ou celle sache avec certitude que telle ou telle doctrine est tenue pour hérétique, proche de l’hérésie, certaine ou erronée etc. par le Pontife Romain » (Gasser & O’Connor, The Gift of Infallibility [Boston: St. Paul Editions, 1986, 74 n.].
[…] Si le fidèle ne peut pas savoir, à partir de ce que le pape dit, qu’une proposition particulière doit être considérée dans un sens particulier, alors le pape n’a pas défini la question pour l’Eglise Universelle et donc n’a pas parlé infailliblement.
Au cours de l’histoire de l’Eglise, il y eut beaucoup d’occasions où [elle a] censuré une liste de propositions trouvées dans les écrits d’une personne. Parfois cela se fait en condamnant les propositions une par une, « les qualifications propres attachées à chacune individuellement (in individuo). [Cependant,] dans le cas de … Luther … à une série entière de proposition une série de censure est attachée de façon générale (in globo) …. à chacune des propositions s’applique donc une, ou plusieurs, ou toutes les censures employées – la tâche d’attribuer chaque censure à chaque proposition étant laissée aux théologiens » (Encyclopédie Catholique, 1907 ed., s.v. « Theological Censures »).
Si on examine la condamnation des propositions de Luther dans Exsurge Domine, il est clair qu’elles sont condamnées in globo plutôt qu’in individuo. Le Pape Léon X a écrit, « nous condamnons, réprouvons et rejetons complètement chacune de ces thèses ou erreurs comme [1] hérétiques ou [2] scandaleuses, ou [3] fausses, ou [4] offensantes aux oreilles pieuses ou [5] séduisantes aux simples d’esprit et [6] contraires à la vérité Catholique. » Le Pontife liste six différentes censures, mais ne nous dit pas laquelle s’applique à laquelle des quarente-et-une propositions.
Quand on regarde le texte Latin de la sentence, l’ambiguité est encore plus évidente. Les diverses censures que nomme le pape – d' »hérétique » à « offensante aux oreilles pieuses »- are toutes jointes de la conjonction aut. En latin ecclésiastique le mot aut a tendance à prendre le sens d’un « ou » exclusif – c’est-à-dire, c’est ceci ou cela, pas les deux. Cela établit le fait qu’on ne peut pas déterminer le type de censure appliqué à chaque proposition individuelle.
On ne peut même pas déduire que l’esprit du pontife était que toutes les propositions étaient fausses. Les censures « hérétiques » et « fausse » impliquent toutes les deux l’erreur, mais « scandaleuse », « offensante aux oreilles pieuses » ou « séduisantes aux simples d’esprit » ne le fait pas.
Scandaleux signifie « propice à causer du scandale », mais ça ne veut pas automatiquement dire faux. Parfois les choses vraies mènent au scandale. Offensante aux oreilles pieuses veut dire « formulé d’une manière offensante », ou « formulée dans une manière répugnante aux sensibilités Catholiques ». Mais là encore ça ne veut pas automatiquement dire fausse. (En fait, cette censure tend à s’appliquer aux propositions qui sont vraie mais mal exprimées.) Séduisantes aux simples d’esprit veut dire « propice à être compris d’une manière qui mènerait le sans-éducation ou l’inattentionné à croire une erreur. » Cela ne veut pas non plus automatiquement dire fausse.
[…] Il me semble que cette proposition à cette époque aurait été scandaleuse. Beaucoup de gens auraient pointé du doigt les exemples dans l’Ecriture cités au-dessus et auraient été scandalisés par la proposition qu’il n’est jamais la volonté de Dieu d’user de la peine de mort pour des affaires de doctrine.
Cependant, on ne peut pas déduire de la déclaration du pape que la proposition est quelque chose de plus de scandaleux. Elle pourrait mériter une ou plus des autres censures, mais nous ne pouvons pas conclure de ce qu’à dit le pape si cela était vrai. En effet, on ne peut savoir avec certitude, à partir de ce que le pape a dit, que scandaleuse était ce qu’il avait à l’esprit pour cette proposotion.
Parce qu’on ne peut pas le savoir, alors Exsurge Domine ne définit pas infailliblement le statut théologique de cette proposition ou les autres qu’elle traite […]