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La collégialité à la lumière de la Tradition, partie I

Ceci est une traduction de l’article du traditionnaliste Robert J. Siscoe, publié en février 2022.

Voir aussi:
Vidéo – La Collégialité de Vatican II
Dom Antônio de Castro Mayer sur la collégialité


De tous les enseignements controversés du Concile Vatican II, la collégialité, telle qu’elle est enseignée au chapitre trois de Lumen Gentium, est sans aucun doute celui qui est le moins bien compris. Ce fut également l’un des sujets les plus âprement discutés au cours du Concile, nécessitant même une intervention de dernière minute d’une « autorité supérieure » (Paul VI), sous la forme d’une Nota praevia (note d’éclaircissement), dont le but était de fournir une explication faisant autorité sur la manière dont certains aspects de l’enseignement contenu dans le chapitre doivent être compris. Cette note d’éclaircissement avait été provoquée, en partie, par les préoccupations exprimées par les Pères conservateurs sur le Coetus Internationalis Patrum, qui craignaient que certaines personnes aient l’intention d’interpréter le texte après le Concile d’une manière qui saperait l’autorité du Pape. La Nota, qui a été intégrée au document final, a répondu à leurs préoccupations et, en fin de compte, l’enseignement sur l’épiscopat a été approuvé par un vote de 2515 voix contre 5. [1]

Bien que le texte final ait été approuvé presque unanimement par plus de 2500 évêques lors d’un concile œcuménique [NdT : puis accepté par tous après sa promulgation], la FSSPX et les sédévacantistes (dont beaucoup ont été formés dans les séminaires de la FSSPX) allèguent que l’enseignement de Lumen Gentium (abrégé en LG), selon lequel le corps des évêques avec le Pape « constitue, lui aussi, en union avec le Pontife romain, son chef, et jamais en dehors de ce chef, le sujet du pouvoir suprême et plénier sur toute l’Église » (Lumen Gentium, n° 22), est « hérétique parce qu’il est contraire à l’enseignement de Vatican I sur l’unicité du pouvoir du Pape » (P. Mauro Tranquillo, SSPX) [2]. La Société soutient en outre que cet enseignement de LG représente une « nouvelle ecclésiologie » et une « nouvelle définition » de l’Église [3].

L’évêque Williamson, l’ancien recteur du séminaire de la FSSPX à Ridgefield, a dénoncé l’enseignement comme « une déviation de la tradition », [4] tandis que le P. Gleize, actuel professeur d’ecclésiologie à Ecône, a déclaré qu’il est « impossible » de le réconcilier avec les enseignements magistériels préconciliaires, parce que, selon ses mots, il « contredit » Pastor Aeternus (Vatican [I]) [5]. Leur position, bien sûr, trouve son origine dans le fondateur de la FSSPX, Mgr Lefebvre, qui a dit : « …cette doctrine de la double suprématie », comme il a caractérisé l’enseignement de LG, « est contraire aux définitions du Concile Vatican I, et à l’encyclique Satis Cognitum du Pape Léon XIII. Le pape seul a le pouvoir suprême » [6].

L’évêque sédévacantiste Donald Sanborn, ancien recteur du séminaire de la FSSPX à Ridgefield, cite cet enseignement de LG comme « preuve » que Vatican II enseigne une « nouvelle religion » :

« Vatican II a changé la constitution de l’Église catholique. … Il dit que le sujet, ou le détenteur du pouvoir suprême de l’Église, est le collège des évêques avec Pierre à sa tête. … Le Christ n’a pas confié au collège des évêques l’autorité suprême de l’Église. … Lumen Gentium a fondé une nouvelle religion. … Si nous voulons maintenir la foi en ce temps, nous devons résister à ces changements de Vatican II. »

– Donald Sanborn, évêque sédévacantiste [7]

Ont-ils raison ? La collégialité est-elle une « nouvelle ecclésiologie » qui contredit Pastor Aeternus (Vatican I) et a changé la constitution divine de l’Église ? Si non, pourquoi aucun des apologistes habituels de Vatican II n’a même tenté de la défendre ? Même l’archevêque Vigano affirme maintenant que la « collégialité » a été « inventée à Vatican II » [8].

Après avoir entendu parler pendant des années de l’hérésie de la collégialité, sans jamais vraiment la comprendre, j’ai finalement décidé de me plonger dans ce sujet controversé pour savoir exactement ce que Vatican II a enseigné et pourquoi c’est faux. À ma grande surprise, j’ai découvert que la collégialité, telle qu’elle est enseignée dans Lumen Gentium, chapitre III, et dans le nouveau Code de droit canonique, est entièrement traditionnelle du début à la fin. Il n’y a absolument rien de nouveau à ce sujet, et rien qui ne soit en conflit le moins du monde avec Pastor Aeternus, ou tout autre enseignement de Vatican I. Au contraire, comme nous le verrons plus loin, la collégialité est un élément essentiel de la vie de l’Église. Bien au contraire, comme nous allons le voir.

Le conseil de Mgr Lefebvre

Lors d’une conférence que Mgr Lefebvre a donnée à ses séminaristes en 1983, le fondateur de la FSSPX a déclaré qu’il n’aimait pas entendre les gens dire : « J’ai la même pensée que Mgr Lefebvre ». Il a dit à ses séminaristes que ce n’était pas sa pensée, mais la pensée de l’Église qu’il leur transmettait. Il leur a ensuite donné des conseils très sages, qu’il a dit avoir souvent donnés à ses séminaristes à Ecône :

« Je dis toujours aux séminaristes d’Ecône, que vous avez une grande bibliothèque, avec tous les livres remplis de la Tradition… tous ces livres sont écrits avant Vatican II. Vous pouvez consulter ces livres et voir si je ne vous donne pas la doctrine de l’Église. Ce n’est pas ma doctrine, ce ne sont pas mes idées, c’est très important parce que c’est ce qui nous donne la Vérité […] »

– Mgr Lefebvre, Conférence Séminaire Saint Thomas d’Aquin, 2 avril 1983

Dans cet article, nous ferons ce que Mgr Lefebvre a mis au défi ses séminaristes de faire, c’est-à-dire que nous consulterons les manuels qui étaient utilisés pour former les prêtres avant Vatican II, et d’autres livres préconciliaires approuvés, pour découvrir ce qui était enseigné avant Vatican II au sujet de l’autorité suprême dans l’Église, ainsi que d’autres aspects de Lumen Gentium, Chapitre III, que l’archevêque et la FSSPX dénoncent comme erronés ou hérétiques.

Les livres antérieurs à Vatican II enseignent-ils, par exemple, que le pouvoir suprême réside dans le Pape seul, comme l’a enseigné Mgr Lefebvre, ou enseignent-ils qu’il réside dans le Pape et aussi dans le corps des évêques avec le Pape, comme l’enseigne LG ? Enseignent-ils que le « collège » épiscopal est quelque chose que le Pape « fait naître » tous les cent ans environ lors d’un concile, comme le soutient la FSSPX, ou enseignent-ils que le collège des évêques est une réalité permanente qui succède au Collège Apostolique, comme l’enseigne Lumen Gentium ? Et qu’enseignent précisément les livres d’avant Vatican II sur le pouvoir collégial ? Existe-t-il ? Si oui, quelle est sa nature et quelle est sa finalité ?

Le texte de Lumen Gentium

Nous commencerons par lire le texte controversé de Lumen Gentium concernant le sujet (possesseur) de l’autorité suprême, dans son contexte :

« En effet, le Pontife romain a sur l’Église, en vertu de sa charge de Vicaire du Christ et de Pasteur de toute l’Église, un pouvoir plénier, suprême et universel qu’il peut toujours exercer librement. L’ordre des évêques, qui succède au collège apostolique dans le magistère et le gouvernement pastoral, bien mieux dans lequel le corps apostolique se perpétue sans interruption constitue, lui aussi, en union avec le Pontife romain, son chef, et jamais en dehors de ce chef, le sujet du pouvoir suprême et plénier sur toute l’Église [63], pouvoir cependant qui ne peut s’exercer qu’avec le consentement du Pontife romain. »

Lumen Gentium, chapitre III, n°22

Notez que le Pape possède le pouvoir suprême seul en vertu de sa fonction, tandis que le corps des évêques, avec le Pape, est également le sujet du pouvoir suprême. La Nota Praevia précise que les sujets sont 1) le Pape, considéré séparément, et 2) le corps des évêques avec le Pape. Les évêques, considérés sans le Pape, ne possèdent pas le pouvoir suprême. Par conséquent, lorsqu’il n’y a pas de pape (pendant un interrègne), il n’y a pas d’autorité suprême dans l’Église.

Le Cardinal Journet sur la collégialité (1941)

Le premier ouvrage antérieur à Vatican II que nous abordons est L’Église du Verbe Incarné, du cardinal Journet, qui a été publié à l’origine en 1941. Je citerai la traduction anglaise qui a été publiée en 1955. Mgr Lefebvre a travaillé avec le cardinal Journet au sein de la Commission centrale préparatoire de Vatican II, et l’a plus tard loué comme « un grand théologien et un profond penseur » [9]. La cause de béatification du cardinal Journet a été approuvée et il jouit actuellement du titre de Serviteur de Dieu.

Au chapitre VIII de L’Église du Verbe Incarné, Journet établit une distinction entre 1) la juridiction universelle dont jouit le pape en vertu de sa charge, 2) la juridiction particulière dont jouissent les autres évêques à la tête d’un diocèse (ou d’une Église particulière), et 3) le pouvoir collégial. Ces distinctions sont fondamentales pour une bonne compréhension de l’épiscopat, et plus particulièrement de la doctrine traditionnelle connue aujourd’hui sous le nom de collégialité.

La différence d’espèce entre la compétence universelle et la compétence particulière

Journet commence par expliquer que la différence entre la juridiction universelle propre au Pape (en tant que chef de l’Église universelle), et la juridiction particulière propre aux autres évêques (en tant que chef d’un diocèse), n’est pas simplement quantitative, elle est qualitative. En d’autres termes, le Pape n’a pas simplement plus de juridiction que les autres évêques, ou une plus grande partie de la même forme de juridiction ; plutôt, la juridiction universelle propre au Pape est d’une espèce (forme) différente de la juridiction particulière propre aux autres évêques. Journet écrit :

« Le pouvoir juridictionnel est  »propre » tant dans le Souverain Pontife que dans les évêques. … Cependant, il apparaît dans les évêques et dans le Pontife sous des formes nettement distinctes. »
« La juridiction propre du Pape est universelle. La juridiction propre des évêques est particulière. Ces deux formes ne diffèrent pas seulement d’une manière quantitative, selon le plus ou le moins. Elles diffèrent aussi d’une manière qualitative, en espèces. La juridiction universelle n’est pas simplement une somme totale d’Églises particulières, et l’ordre juridictionnel de l’Église universelle n’est pas simplement une somme totale d’ordres particuliers. »
« Si donc chaque évêque, en vertu de son épiscopat, ne possède proprement qu’une juridiction particulière, il s’ensuit que la somme des évêques ne possède, en vertu de leur seul épiscopat, qu’une somme-totale de juridictions particulières ; laquelle somme n’équivaut nullement à une juridiction universelle. »

– Journet, The Church of the Word Incarnate, Sheed and Ward, 1955, p. 409

Il explique ensuite que c’est la raison pour laquelle un concile sans pape ne peut jamais posséder une autorité égale à celle du pape seul. Un tel « concile imparfait » ne posséderait que la somme totale des pouvoirs particuliers des évêques présents, ce qui n’équivaudrait pas à la juridiction universelle dont le pape est investi en vertu de sa charge. Bellarmin, Cajetan et bien d’autres utilisent le même argument pour réfuter l’hérésie du conciliarisme (c’est-à-dire qu’un concile a une autorité supérieure à celle du pape).

Journet explique également que si tous les évêques du monde, à l’exclusion du pape, étaient réunis en concile, l’autorité cumulée de tous les évêques ne suffirait pas pour qu’ils rendent les jugements qui sont propres à la juridiction du pape, tels que l’émission de décrets qui régissent l’Église universelle. La juridiction universelle est nécessaire pour rendre des jugements qui lient l’Église universelle.

Un dernier point à noter est que le pape reçoit sa juridiction directement du Christ lorsqu’il est élu et accepte la papauté. Les cardinaux électeurs ne font que désigner la personne choisie pour être pape, puis le Christ lui confère l’autorité suprême. Les autres évêques reçoivent leur juridiction particulière directement du pape lorsqu’ils sont nommés à leur poste (c’est-à-dire dans une église particulière légitimement établie) ; mais une fois qu’ils l’ont reçue, les évêques possèdent leur juridiction de droit divin et la conserveront même après la mort du pape qui la leur a conférée.

Mais ce qu’il est important de noter à ce stade, c’est que la juridiction particulière de tous les évêques, prise collectivement, n’égalera jamais la juridiction universelle suprême propre au Pape, car la juridiction particulière, même lorsque tous les pouvoirs particuliers sont réunis, est d’une espèce différente de la juridiction universelle.

Le pouvoir collégial

Journet décrit ensuite le pouvoir collégial, qui est qualitativement distinct de la juridiction particulière. Le pouvoir collégial est la forme de juridiction à laquelle participe habituellement le collège des évêques avec le pape.

« J’ai mentionné la juridiction propre des évêques. Elle est distincte de la juridiction universelle du Pasteur suprême. La première est ordonnée au bien d’une Église particulière, la seconde au bien de l’Église universelle. Or, nous savons que le bien d’un tout et le bien d’une partie diffèrent qualitativement quant à l’espèce, et non pas seulement quantitativement, selon le plus ou le moins. » …
« Mais, outre cette juridiction particulière qu’ils possèdent comme leur appartenant en propre, les évêques, pris en tant que collège, en vertu de leur union étroite avec le Souverain Pontife, participent à la juridiction universelle propre au Pontife. » …
« Il faut donc distinguer dans les évêques le pouvoir de juridiction particulière qui trouve en chacun d’eux son sujet propre, du pouvoir de juridiction universelle qui trouve en chacun d’eux un sujet supplémentaire. J’ai dit que la juridiction particulière des évêques est distincte [en espèces] de la juridiction universelle du pape ; elle s’y ajoute, non pas pour constituer un pouvoir plus grand (majus in potestate), mais des pouvoirs multiples,  »plures potestates ». D’autre part, la juridiction collégiale des évêques ne s’ajoute pas numériquement à la juridiction universelle, mais ne fait qu’un avec elle.« 

Ibid., p. 411

Le pouvoir collégial « ne fait qu’un » (même espèce que) la juridiction universelle suprême qui est propre au Pape. Le corps des évêques, considéré collectivement, est un « sujet supplémentaire » de la même juridiction universelle dont le Pape jouit individuellement, en vertu de sa charge. Puisque le pouvoir collégial est l’espèce de juridiction qui est ordonnée au bien de l’universel, le corps des évêques est doté de la capacité d’agir en tant que « vrais juges et définisseurs » au cours d’un concile œcuménique, dans les affaires qui concernent l’Église universelle. La juridiction particulière que les évêques possèdent en tant que chef d’un seul diocèse (qui n’est ordonnée au bien que d’une partie de l’Église) ne suffirait pas pour cela.

Ce dernier point a été affirmé lors d’une réunion de la Commission directive des cardinaux qui a eu lieu pendant les préparatifs du Concile Vatican I, dans laquelle il a été dit : « C’est sur la juridiction universelle commune à tous les évêques « que » repose le droit de vote dans les conciles ; en effet, les évêques résidentiels ne votent pas dans les conciles en vertu de la juridiction [particulière] qu’ils ont sur leurs églises particulières, mais en tant que maîtres ou gouverneurs de toute l’église en général, lorsqu’ils sont unis en un seul corps au chef visible de l’église » [10].

Le cardinal Journet poursuit son explication du pouvoir collégial :

« En d’autres termes, le pouvoir de gouverner l’Église universelle réside d’abord dans le Souverain Pontife, puis dans le collège épiscopal uni au Pontife ; et il peut être exercé soit individuellement par le Souverain Pontife, soit conjointement par le Pontife et le collège épiscopal : le pouvoir du Souverain Pontife seul et celui du Souverain Pontife uni au collège épiscopal constituant non pas deux pouvoirs [suprêmes] adéquatement distincts, mais un seul pouvoir suprêmeconsidéré d’une part dans la tête de l’Église enseignante [le Pape], en qui il réside dans son intégralité et comme dans sa source, et d’autre part comme à la fois dans la tête et dans le corps de l’Église enseignante, à laquelle il est communiqué et dans laquelle il trouve son sujet plénier et intégral. »

Ibid., p. 412

Le pouvoir suprême de gouverner l’Église universelle réside dans 1) « le Souverain Pontife » , et dans 2) « le collège épiscopal uni au Pontife » . C’est l’enseignement de Lumen Gentium, et on le trouve dans tous les livres antérieurs à Vatican II, et c’est là que Mgr Lefebvre a dit à ses séminaristes qu’ils devaient regarder pour déterminer si ce qu’on leur enseignait dans ses séminaires était « la doctrine de l’Église ».

Il convient de noter que le corps des évêques ne participe pas à la primauté, « qui est distincte de l’épiscopat » , comme l’observe le cardinal Manning [11], mais qu’il participe collectivement à la même autorité suprême dont celui qui détient la primauté (le pape) jouit individuellement en vertu de sa charge.

Le cardinal Journet poursuit en fournissant le fondement scriptural du pouvoir collégial :

« …le pouvoir régulier, permanent et collégial de diriger l’Église universelle n’est pas uniquement, mais certainement compris dans la promesse de Jésus à tous les Apôtres : Tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel » (Mt 18, 18). Ces paroles avaient été adressées auparavant à Pierre (Mt 16, 19). Elles sont maintenant adressées à l’ensemble du collège apostolique. Qu’est-ce que cela signifie sinon que le collège apostolique devait participer au pouvoir de Pierre, qu’il devait participer avec Pierre à la juridiction suprême sur l’Église universelle, et que cette juridiction suprême devait être donnée d’abord à Pierre et à ses successeurs, pour être ensuite dévolue aux Apôtres et à leurs successeurs ? » [12]

Il poursuit en expliquant que le collège est une réalité permanente, qui peut agir même en dehors du contexte d’un concile. Une façon dont il dit que le collège peut accomplir un acte collégial en dehors d’un concile est en déclarant une doctrine de façon infaillible (Denz. 1683). La possibilité d’accomplir un acte collégial en dehors d’un concile est un autre enseignement traditionnel de Lumen Gentium que la FSSPX rejette.

Il est intéressant de noter que le Père Tranquillo, l’un des experts de la Société sur la prétendue hérésie de la collégialité, a critiqué Lumen Gentium pour avoir fait référence à Matthieu 18:18, ainsi que Matthieu 16, comme base scripturale pour les deux sujets du pouvoir suprême. Il a écrit : « Comme les pires épiscopaliens gallicanistes, le Concile n’a pas peur de citer Mt. XVIII, 18 (en le mettant en parallèle avec Mt. XVI, 16) à l’appui de sa thèse » . (P. Tranquillo, FSSPX, Episcopat et Collégialité).

Cette critique est surprenante puisque pratiquement tous les théologiens catholiques avant Vatican II (et après Vatican I), font référence à ces passages lorsqu’ils parlent des deux sujets du pouvoir suprême, tout comme le Cardinal Journet l’a fait ci-dessus. Ce que cette objection du Père Tranquillo indique, c’est qu’il n’a pas lu ce que les théologiens d’avant Vatican II enseignaient sur le collège épiscopal. Ce qui indique aussi cette omission de sa part, c’est tous les autres arguments qu’il utilise contre l’enseignement de Lumen Gentium, puisqu’ils sont tous répondu dans les livres d’avant Vatican II.

Avant de poursuivre, résumons les principaux points que nous avons vus jusqu’à présent :

Résumé des principaux points

  • Le Pape est investi de la juridiction universelle suprême en vertu de sa fonction (dans le cadre de sa juridiction ordinaire).
  • D’autres évêques sont investis d’une juridiction particulière (juridiction ordinaire), à la tête d’un diocèse.
  • Le pape reçoit sa juridiction directement du Christ lorsqu’il est élu et qu’il l’accepte.
  • D’autres évêques reçoivent leur juridiction particulière directement du pape lors de leur nomination, après quoi ils la possèdent de droit divin et la conservent même après la mort du pape qui la leur a conférée.
  • La juridiction universelle n’est pas une somme totale des pouvoirs juridictionnels particuliers, mais se distingue qualitativement, selon l’espèce, de la juridiction particulière.
  • Le pouvoir collégial est identique à (de même espèce que) la juridiction suprême propre au Pape.
  • Le pape jouit de la juridiction universelle suprême, seul, en vertu de sa charge ; les autres évêques y participent collectivement, en tant que membres du collège épiscopal. L’autorité suprême existe dans le collège (deuxième sujet), et le collège est composé de la tête (le pape) et du corps (les évêques). Ainsi, s’il n’y a pas de pape (pendant un interrègne), il n’y a pas de collège, proprement dit, et donc pas de pouvoir suprême. Si les évêques se réunissaient en concile sans le consentement au moins tacite du pape (ou en l’absence de pape vivant), ils ne pourraient pas exercer le pouvoir suprême. C’est d’ailleurs ce qui rend un « concile imparfait » imparfait. La perfection qui lui fait défaut est la juridiction universelle suprême.

Plus d’enseignement préconciliaire sur les deux sujets du pouvoir suprême

« Le chapitre 3 de la constitution Lumen Gentium présente une nouvelle définition de la constitution hiérarchique de l’Église, plus connue sous le nom de « collégialité ». … Selon cette nouvelle ecclésiologie, il existe cependant dans l’Église une distinction numérique entre deux sujets de la même autorité suprême, et cette distinction se trouve entre 1) le pape seul, considéré en dehors du collège et sans lui et ; 2) le collège, comprenant encore son chef… »

– Fraternité Sacerdotale Saint-Pie-X [13]

Van Noort aborde les deux sujets du pouvoir suprême dans son manuel dogmatique, Christ’s Church, qui a été publié à l’origine en 1902. Dans la citation suivante, il répond à l’objection de ceux qui soutiennent que parce que tous les Apôtres ont reçu « la pleine et suprême juridiction » pour lier et délier sur la terre (Mt. 18:18), rien de spécial n’a été donné à St Pierre quand il a été promis la même chose (Mt. 16:19). Voici la réponse de Van Noort :

« On peut facilement admettre que le pouvoir de lier et de délier quoi que ce soit implique la plénitude du pouvoir, mais les mots « tout ce que vous lierez », etc. ne s’adressent pas à chacun des apôtres individuellement, mais à tous ensemble en tant que groupe. On ne peut donc pas légitimement conclure que la plénitude de juridiction a été promise à chacun des apôtres [individuellement]. La conclusion est plutôt que ce pouvoir a été promis à l’ensemble du collège apostolique, y compris Pierre. La comparaison de Matthieu 16 avec Matthieu 18 montre qu’il y aura dans l’Église du Christ un double sujet, pas trop nettement distinct, de pleine et suprême juridiction : Pierre seul, et le collège pétro-apostolique. Et c’est là l’enseignement catholique, comme en témoigne, entre autres, Innocent III :

« Mais si vous découvrez qu’il a été adressé à tous les apôtres réunis, vous reconnaîtrez néanmoins que le pouvoir de lier et de délier n’a pas été conféré aux autres sans lui [Pierre], mais qu’il lui a été donné en dehors des autres, de sorte que ce que les autres ne pouvaient pas faire sans lui, il pouvait le faire sans les autres ; et cela en raison des privilèges que le Seigneur lui a conférés et de la plénitude du pouvoir qui lui a été accordé » – Pape Innocent III

– Van Noort, Christ’s Church, p. 67-68

La « juridiction pleine et suprême » réside dans le pape, et aussi dans le corps des évêques avec le pape, tout comme Lumen Gentium l’a enseigné soixante ans plus tard. Et Van Noort fait référence à Mt. 18:18 et Mt. 16:18 comme base scripturale de cette doctrine.

Seul saint Pierre a reçu les « clés » (Mt. 16:19), mais les Apôtres, avec saint Pierre, ont reçu le même pouvoir suprême que saint Pierre a reçu en même temps que les clés.

Il existe un parallèle identique entre les deux sujets de la juridiction universelle suprême et les deux sujets de l’infaillibilité. Dans les deux bases, le Pape jouit de la prérogative de manière individuelle, en vertu de la Primauté qui est attachée à sa fonction, et le corps des évêques y participe de manière collective, en tant que membres du collège épiscopal.

Au cours du Concile Vatican I, tous ont reconnu que l’épiscopat tout entier – le pape et les évêques – jouissait de la prérogative d’infaillibilité. La question qui faisait débat était de savoir si le pape en jouissait seul, ou « séparément ». Les Gallicanistes pensaient que ce n’était pas le cas. Ils soutenaient que le sujet unique de l’infaillibilité était l’épiscopat tout entier. Par conséquent, ils soutenaient que si le Pape définissait une doctrine ex cathedra, elle ne serait irréformable (infaillible) que si elle était acceptée par l’épiscopat tout entier – le sujet unique de l’infaillibilité. Cette erreur a été condamnée dans la dernière phrase du dogme de l’infaillibilité papale, qui déclare : « Par conséquent, ces définitions du Pontife romain sont irréformables par elles-mêmes et non en vertu du consentement de l’Église » (Pastor Aeternus, chap IV, n. 9).

Par conséquent, tout comme Van Noort enseigne qu’il y a deux sujets de juridiction suprême, il enseigne également qu’il y a deux sujets d’infaillibilité :

« La discussion spéciale du sujet de l’infaillibilité s’insère plus facilement dans la deuxième partie de ce traité. Il suffit de mentionner ici, en prévision d’une discussion plus approfondie, que le sujet est à la fois le corps des princes de l’Église ensemble avec leur tête, en d’autres termes, le collège des évêques catholiques, et le dirigeant suprême de toute l’Église, le Pontife romain. »

– Van Noort. Op. cit. p. 104

Le pape jouit de l’autorité suprême et de l’infaillibilité à titre individuel, en vertu de la primauté, et le corps des évêques, avec le pape, possède ces deux privilèges à titre collectif, en tant que membres du collège épiscopal.

Dans Ius Canonicum (1905), l’estimé canoniste, le Père Franz Xavier Wernz, enseigne que « les évêques constituent, avec le Pontife Romain, un autre sujet (alterum subiectum) d’autorité suprême dans l’Église, seulement inadéquatement distinct du Pontife Romain » [14]. Plus tôt dans le même livre, il écrit ce qui suit en réponse au canoniste protestant Paul Hinschius :

« Mais Hinschius confond le vrai et le faux, et surtout ne considère pas qu’un concile œcuménique et le Pontife Romain, même après la définition du Concile du Vatican, sont deux sujets (duplex subiectum) du pouvoir ecclésiastique suprême, non pas adéquatement mais seulement inadéquatement distincts. Puisque cette distinction n’est en effet qu’inadéquate, il est impossible de dire qu’il n’y a qu’un seul sujet du pouvoir suprême, que ce soit dans un concile œcuménique ou en dehors de celui-ci. » [15]

Dans De Religione et Ecclesia (1905), l’éminent cardinal Mazzella, qui occupait la chaire de théologie à la Grégorienne pendant le pontificat de Léon XIII, affirme que toute la Tradition confirme l’existence d’un double sujet du pouvoir suprême :

« Si nous comparons tous les témoignages de l’Écriture et de la tradition, nous trouvons, pour ainsi dire, un double sujet du pouvoir suprême (supremæ potestatis), inadéquatement distinct, c’est-à-dire Pierre seul – « tout ce que tu lieras » , etc. [Mt 16,19] et le corps des Apôtres avec Pierre – « tout ce que vous lierez  » , etc. – [Mt 18,18]. »

– Mazzella, De Religione et Ecclesia, 1905

La raison pour laquelle les deux sujets ne sont qu’inadéquatement distincts est que le Pape – le chef du collège – est inclus dans les deux.

Maintenant, dans un courriel privé, le Père Gleize (SSPX), le premier expert de la Société sur la prétendue hérésie de la collégialité, a tenté d’expliquer les citations ci-dessus en soutenant que le Père Wernz et le Cardinal Mazzella ont enseigné que les deux sujets du pouvoir suprême n’étaient qu’inadéquatement distincts, alors que Lumen Gentium, a-t-il insisté, enseigne que les deux sujets sont adéquatement distincts. Il a dit que les deux sujets inadéquatement distincts de l’autorité suprême « est l’enseignement traditionnel » !

Quand je lui ai demandé d’expliquer pourquoi il croit que Lumen Gentium enseigne que les deux sujets sont adéquatement distincts, il n’a pas répondu. Je vais permettre au Cardinal Journet de répondre à l’objection du Père Gleize …

Après Vatican II, le cardinal Journet a rédigé deux appendices (1965 et 1966) destinés à être inclus dans l’impression suivante de son livre, La théologie de l’Église (1958). L’un de ces appendices était consacré au chapitre III de Lumen Gentium. Voici ce que le Serviteur de Dieu, a écrit sur l’enseignement de Lumen Gentium sur les deux sujets de l’autorité suprême :

« L’autorité juridictionnelle suprême sur l’Église universelle (le pouvoir d’enseigner et de gouverner réside, par la volonté du Christ et donc de droit divin, dans un double sujet : (1) dans le pape seul et (2) dans le pape avec le collège épiscopal. Ainsi, pour un seul et même pouvoir, il y a deux sujets, deux exercices, qui ne peuvent être distingués qu’inadéquatement, puisque la présence du pontife suprême est requise dans les deux cas.« 

– Journet, La théologie de l’Église

Lumen Gentium enseigne effectivement deux sujets inadéquatement distincts de l’autorité suprême, ce que le Père Gleize lui-même admet « est l’enseignement traditionnel » .

Malheureusement, non seulement Mgr Lefebvre a rejeté l’enseignement traditionnel en insistant sur le fait que « le pape seul a le pouvoir suprême » [16], mais il a rejeté le nouveau Code de droit canonique parce qu’il intégrait l’enseignement traditionnel dans le langage canonique de l’Église :

« Le nouveau Code est destiné à faire entrer l’ecclésiologie conciliaire dans le langage juridique et canonique. … vous avez maintenant deux sujets de pouvoir suprême. Allez-y et trouvez quelque chose… Comment peut-il y avoir deux sujets du pouvoir suprême ? … »
– Mgr Lefebvre, Conférence à Ecône, 18 janvier 1983

Encore une fois, de Mgr Lefebvre :

« Il nous est impossible d’accepter le droit canonique tel qu’il est, parce qu’il est précisément dans la ligne de Vatican II et dans la ligne des réformes de Vatican II. Le pape lui-même le dit. Il est dans cette nouvelle ecclésiologie, qui ne correspond pas à l’ecclésiologie traditionnelle et qui, par conséquent, affecte indirectement notre foi, et risque de nous conduire, au moins sur un certain nombre de points essentiels du droit, à des hérésies, en favorisant l’hérésie. »

– Mgr Lefebvre, Ecône, 14 mars 1983

Les prêtres formés dans les séminaires de Mgr Lefebvre (FSSPX, sédévacantistes, indépendants, résistants, etc.) ont étonnamment réussi à convaincre les catholiques que l’enseignement traditionnel sur l’épiscopat est hérétique. Une de leurs victimes est le Père Michael Oswalt, un ancien prêtre du diocèse de Rockford, Illinois, qui est tombé dans l’hérésie sédévacantiste et a quitté l’Église en 2009. Dans la lettre publique que le père Oswalt a écrite à son ancien diocèse pour défendre ses actions, il a pointé du doigt l’ « hérésie » de la collégialité comme preuve que l’Église catholique romaine est devenue une « Église imposteur » . L’extrait suivant de la lettre du Père Oswalt est tiré, mot pour mot, d’un article que l’on trouve sur de nombreux articles sédévacantistes :

« La quatrième hérésie est celle de la collégialité qui altère la constitution monarchique de l’Église catholique, dont elle a été dotée par le Divin Sauveur. La doctrine de Vatican II, confirmée par le Code de droit canonique de 1983, qui affirme que le sujet (le possesseur) de l’autorité suprême de l’Église est le collège des évêques avec le pape, est contraire à la doctrine définie du Concile de Florence et de Vatican I. »

– P. Michael Oswalt, « Rejecting the Imposter Church » [17]

Après avoir quitté l’ « Église imposteur » , le Père Oswalt a rejoint le CMRI, qui est une secte sédévacantiste non catholique fondée par [NdT : affirmations incertaines concernant le fondateur de la CMRI, Francis Shuckardt].

L’Église est une monarchie de son propre genre (Sui Generis)

La FSSPX et les sédévacantistes soutiennent que si le collège des évêques participe à l’autorité suprême, l’Église ne serait pas une monarchie, mais plutôt une démocratie ou une aristocratie. Au contraire, comme l’explique le cardinal Billot, l’autorité suprême résidant dans l’ensemble du collège n’empêche pas l’Église d’être une véritable monarchie, mais elle fait de l’Église une monarchie d’un type unique – une monarchie sui generis. Le Christ a établi l’Église de cette manière, dit Billot, comme un moyen de manifester et de réaliser cette unité parfaite pour laquelle il a prié pour les Apôtres lors du dernier repas. Ce qui suit est extrait de De Ecclesia Christi de Billot, que le Père Fenton appelait en 1963 « le meilleur traitement théologique de l’Église produit au cours des cent dernières années » .

« Pour souligner l’unité pour laquelle il a prié pour les apôtres lors de la dernière Cène, lorsqu’il a dit : « Afin qu’ils soient un, comme nous sommes un, moi en eux, et vous en moi » , le Christ a fait du collège apostolique une institution stable et perpétuelle, unie au prince Pierre, pour partager le pouvoir suprême. La monarchie de l’Église est donc une monarchie de son propre genre (sui generis), qui, tout en conservant sans restriction le caractère complet d’une monarchie à tous égards, a cependant un régime d’évêques individuels qui lui est conjoint (coniunctum), de sorte que l’autorité suprême une et indivisible peut être exercée par le corps des évêques unis à son chef.

La vérité de cette affirmation ressort clairement de Mt 28-20, de Jn 20-21, et plus clairement encore de Mt 18-18, où le Christ, s’adressant à toute la communauté des apôtres, dit : « Amen, je vous le dis : tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel » . Ces paroles, précédemment adressées à Pierre seul, impliquent l’exercice de la plénitude du pouvoir, comme cela a été expliqué plus haut, Thèse XXV § 1. Par conséquent, de même qu’en Pierre [un sujet] il y avait la plénitude de l’autorité ecclésiastique, de même il y en a une dans tout le collège [deuxième sujet], considéré collégialement. » (Billot, De Ecclesia Christi, vol. 1, 1909).

– Billot, De Ecclesia Christi, Vol. 1, Thèse XXVII, 1909

La même autorité suprême qui réside en Pierre réside également dans l’ensemble du collège. Pour le prouver, Billot se réfère à Mt. 16:19 et Mt 18:18, et note que le pouvoir de lier et de délier qui a été donné à Pierre « a le même terme et la même forme » que celui qui a été donné au « collège ». Dans les deux cas, dit-il, « le pouvoir est signifié dans le genre du pouvoir ecclésiastique illimité (potestatis eccleiasticae illimitata) » . (Ibid.) Il explique ensuite, comme le Cardinal Journet l’a fait précédemment, que le pouvoir collégial n’est pas la somme totale des pouvoirs particuliers de tous les évêques. Au contraire, parce que « le pouvoir du collège est le pouvoir suprême » , le « pouvoir du collège se distingue adéquatement de la somme des pouvoirs particuliers des membres individuels du collège » .

Il explique ensuite pourquoi, bien que le collège entier possède une autorité suprême identique à celle du Pape, les autres évêques ne doivent pas être considérés comme égaux au Pape. Sa réponse montre la relation entre la primauté et l’épiscopat :

« Il reste donc une chose à dire : Par l’institution du Christ, l’identique pouvoir suprême qui était tout entier en Pierre seul, devait aussi être en lui avec les membres subordonnés du Sénat apostolique, ce qui constituait un seul corps, un seul tribunal, un seul sujet d’autorité plénière et pleinement compétent ; cependant, dans ce corps, considéré comme dépositaire de l’autorité suprême, Pierre et le reste du Collège apostolique ne doivent pas être considérés comme égaux, car la position de Pierre comme chef reste toujours intacte, selon Matt. XVI, Jean XXI et Luc XXII. Premièrement, sans Pierre et en dehors de Pierre, il n’y aurait dans le Collège apostolique aucune autorité suprême ; car ce n’est pas à un corps sans tête que le Christ a dit : « tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel » , etc. (Mt 18,18). Deuxièmement, à l’intérieur du Collège apostolique, Pierre n’est pas, comme le président d’un parlement, simplement le premier parmi ses pairs ; il est toujours le rocher de l’Église, le confesseur de ses frères, le pasteur des brebis et des agneaux ; il est aussi l’unique source et la raison de l’autorité suprême de tout le Collège apostolique qui est en cohérence avec lui. Troisièmement, Pierre n’est nullement soumis au Collège apostolique, alors que les autres Apôtres sont soumis au Sénat dont ils font partie. Enfin, le Collège apostolique investi du pouvoir suprême n’est rien d’autre que l’ensemble des prélats subalternes assumés par leur chef, Pierre, pour l’unité d’un seul organisme de gouvernement, et ce pour la manifestation de cette unité du « corps entier… compacté et bien uni par lequel chaque joint supplée » que le Christ a voulu être la pierre de touche et le miracle éternel de sa véritable Église. »

– Billot, De Ecclesia 1, Thèse XXVII, pp. 569-572

Même si « la plénitude de l’autorité ecclésiastique « réside dans » l’ensemble du collège, considéré collégialement » , l’Église est une véritable monarchie à tous égards, en raison des privilèges divinement établis dont jouit le pape en vertu de la primauté, qu’il est le seul à détenir.

Le Cardinal Billot poursuit en expliquant que le collège apostolique se perpétuera dans le collège épiscopal jusqu’à la fin. Il déclare ensuite que « l’autorité suprême de tout l’épiscopat » – qui est la doctrine que la FSSPX et les sédévacantistes déclarent hérétique – est un dogme explicite de la foi catholique :

« Or, il n’est guère nécessaire de démontrer que l’institution qui a commencé avec le collège apostolique doit se perpétuer dans l’épiscopat jusqu’à la fin. Et, bien sûr, toutes les citations que nous avons vues dans les Évangiles attestent qu’il s’agit sans aucun doute de l’état pérenne et perpétuel de l’Église. En outre, il n’y a rien de plus explicite dans la foi catholique depuis le début que le dogme de l’autorité suprême (suprema auctoritate) de tout l’épiscopat, qu’il soit réuni en un concile œcuménique ou dispersé dans le monde. C’est à propos de cette autorité collégiale de tous les évêques, avec Pierre comme chef, qu’il faut comprendre l’enseignement de saint Cyprien (De Unit. Eccl. n. 5) : « La charge des évêques est une. Chaque évêque en reçoit une part, pourtant, tous l’ont tout entière » . »

– Billot, Tractus De Ecclesia 1, Thèse XXVII

« L’autorité suprême résidant dans l’ensemble de l’épiscopat », même lorsque les évêques « sont dispersés dans le monde » est « l’état pérenne et perpétuel de l’Église » . C’est la doctrine de LG, or la FSSPX et les prêtres sédévacantistes accusent l’Église catholique romaine d’hérésie pour l’avoir enseignée à Vatican II.

Il est intéressant de noter que dans un rapport que le P. Gleize a écrit à ses confrères prêtres en réponse au livre Le synode des Évêques et la Collégialité (qui est une défense de la collégialité), il a admis que le cardinal Billot enseignait que les évêques participent, de droit divin, au même pouvoir suprême que le pape. « Billot le dit clairement » , écrit le Père Gleize. Ce que le Père Gleize a omis de mentionner, cependant, c’est que le Cardinal Billot, que Mgr Lefebvre appelait « un de ses maîtres » et qu’il a loué comme « un vrai disciple de St. Pie X » , a dit que la doctrine (que la FSSPX rejette) est un dogme explicite !

Vatican I sur les deux sujets du pouvoir suprême

Si nous nous tournons vers les Actes de Vatican I, nous trouvons le même « dogme explicite » enseigné en de nombreux endroits. Par exemple, après que le concile ait approuvé Pastor Aeternus, qui définissait les prérogatives du pape et de la primauté, les pères conciliaires ont commencé à travailler sur une deuxième constitution sur l’Église, qui devait définir les prérogatives de l’épiscopat. Malheureusement, le concile fut suspendu en raison du déclenchement de la guerre franco-prussienne avant que la Constitution ne puisse être achevée, mais pas avant que deux schémas n’aient été rédigés.

Le premier schéma (Supremi Pastoris), qui avait été rédigé par la Commission préparatoire avant le début du Concile, ne fut pas bien accueilli par l’ensemble des Pères. Le célèbre théologien Joseph Kleutgen, qui avait été le principal rédacteur du schéma révisé De Fide Catholica, devenu ensuite la Constitution Dei Filius, fut chargé de préparer un texte révisé, qui tiendrait compte des objections soulevées par le premier schéma. Dans la relatio qui accompagnait le schéma révisé, Kleutgen déclarait :

« la plénitude totale du pouvoir suprême (…) réside dans un double sujet, dans le corps des évêques avec le pape, et dans le pape seul. »

Relatio, Tametsi Deus, Mansi 53, 321

Kleutgen poursuit en expliquant que « l’autorité suprême n’est pas attribuée au corps des évêques simpliciter, mais au corps des évêques ensemble avec le pape » , ce qui est la même clarification que la Nota donne concernant le deuxième sujet du pouvoir suprême.

L’enseignement de Lumen Gentium, que la FSSPX insiste pour dire qu’il « contredit » Pastor Aeternus, ainsi que la même clarification de l’enseignement que nous trouvons dans la Nota, a été enseigné pendant Vatican I après que Pastor Aeternus ait été approuvé et promulgué.

L’enseignement des deux sujets du pouvoir suprême a également été donné par Mgr Zinelli, lors de la relatio qu’il a prononcée sur le chapitre III de Pastor Aeternus. En réponse à un Père conciliaire qui croyait que l’épiscopat tout entier, avec le Pape, possédait une plus grande autorité que le Pape seul, l’évêque Zinelli, en sa qualité officielle de porte-parole de la Députation de la Foi, a dit :

« Nous convenons volontiers que la souveraineté ecclésiastique suprême et totale sur tous les fidèles réside aussi en nous-mêmes [évêques] réunis en concile œcuménique, en nous-mêmes, les évêques, unis à leur chef (deuxième sujet). Oui, cela correspond parfaitement à l’Église unie à sa tête. Les évêques réunis avec leur chef dans un concile œcuménique (deuxième sujet) – auquel cas ils représentent toute l’Église – ou dispersés, mais en union avec leur chef (deuxième sujet) – auquel cas ils sont l’Église elle-même – ont vraiment l’autorité suprême. Mais toutes les paroles du Christ devraient rendre tout clair. Si, par le fait qu’il a promis d’être avec les Apôtres, avec Pierre et ses successeurs, et qu’il a accordé d’autres choses semblables, nous pouvons déduire que ce pouvoir vraiment plein et suprême est dans l’Église [les évêques] unie à son chef (second sujet), par la même raison, du fait que des promesses semblables ont été faites à Pierre seul et à ses successeurs, nous pouvons conclure que le pouvoir vraiment plein et suprême a été donné à Pierre et à ses successeurs (premier sujet), même indépendamment de leur action en commun avec les autres évêques. (…) Nous admettons qu’un pouvoir vraiment plein et suprême existe dans le Souverain Pontife comme dans la tête (un sujet) et que le même pouvoir vraiment plein et suprême est aussi dans la tête jointe à ses membres, c’est-à-dire dans le Pape avec les évêques (second sujet) […] »

– Mansi, 52.1109

La même « souveraineté ecclésiastique suprême et totale sur tous les fidèles » qui réside dans le Pape, réside également dans le corps des évêques unis au Pape, même lorsqu’ils sont dispersés.

On pourrait citer d’innombrables autres citations, mais à la lumière de ce que nous avons vu, il suffit de dire que l’enseignement selon lequel le collège des évêques, avec le Pape, est un sujet d’autorité suprême, n’est pas un « écart par rapport à la tradition » (Mgr Williamson), ni une « nouvelle ecclésiologie » de Vatican II qui a modifié la constitution monarchique de l’Église et « fondé une nouvelle religion » (évêque Sanborn) ; ce n’est pas non plus une « hérésie » qui « contredit » Pastor Aeternus (P. Tranquillo, P. Gleize). Au contraire, c’est l’enseignement traditionnel de l’Église – une vérité révélée – que le grand cardinal Billot n’a pas hésité à appeler un dogme explicite !

En fait, même le schéma original de Vatican II – celui préparé par la Commission centrale préparatoire à laquelle Mgr Lefebvre a participé – enseigne que « le collège des évêques » , avec le Pape, est le « sujet du pouvoir plein et suprême sur toute l’Église » . (Vatican II, Projet de Constitution dogmatique sur l’Église, n° 16)

Tout ce que la FSSPX conteste concernant l’enseignement de Lumen Gentium sur l’épiscopat se trouve également dans le schéma original sur l’Église, que Mgr Lefebvre a loué comme étant « absolument orthodoxe » (Lettre ouverte aux catholiques perplexes, chapitre 14).

Erreur fondamentale : Confusion de l’autorité suprême et la primauté

Cette erreur fondamentale de la FSSPX consiste à assimiler l’autorité suprême (ou la juridiction universelle) à la Primauté, puis à interpréter Lumen Gentium comme enseignant qu’il y a « deux sujets de la Primauté » . Sur cette base, ils concluent que Lumen Gentium contredit Pastor Aeternus, qui enseigne que le Pape seul détient la Primauté. Et ils ne se contentent pas de confondre les deux dans leur esprit pour ensuite tirer cette fausse conclusion : ils déclarent explicitement que c’est ce qu’enseigne Lumen Gentium. Voici deux exemples parmi tant d’autres :

« Lumen Gentium [n° 22] … dit qu’il y a un double sujet de la primauté, d’une part le pape et d’autre part le collège avec son chef. … En outre, le Collège, le second sujet de la primauté, est présenté – pour employer des termes précis – comme étant « avec » le pape et non comme étant « sous » le pape ou « dépendant » de son chef, le pape. »

– FSSPX, Maison générale [18]

« Après avoir ébranlé l’unité de Foi de l’Église, les textes du Concile ont également perturbé l’unité de gouvernement et la structure hiérarchique de l’Église. L’expression « subjectum quoque » (LG, 22) [c’est-à-dire « est aussi le sujet » ] signifie que le collège des évêques unis au pape comme à leur chef est aussi, outre le pape seul, le sujet habituel et permanent du pouvoir suprême et universel de juridiction dans l’Église. (…) Cette idée d’un double sujet permanent détenant la primauté est, en fait, contraire à l’enseignement et à la pratique de l’Église, en particulier à la constitution Pastor Aeternus de Vatican I (DS 3055) et à l’encyclique Satis Cognitum de Léon XIII. »

– Mgr Fellay, Lettre du Supérieur Général n°82, Avril 2014

Ils font de même lorsqu’ils se réfèrent à Pastor Aeternus. Au lieu de dire que Pastor Aeternus enseigne que le pape est l’unique sujet de la primauté, ils disent qu’il enseigne qu’il est l’unique sujet du pouvoir suprême. Par exemple :

« La doctrine sur la collégialité, telle qu’elle est exprimée au n ° 22 de la constitution Lumen Gentium, y compris le n ° 3 de la Nota praevia, contredit les enseignements du Concile Vatican I sur l’unicité du sujet du pouvoir suprême dans l’Église, contenu dans la constitution Pastor Aeternus. »

– P. Gleize [19]

La Primauté et l’autorité suprême sont distinctes, tout comme la Primauté et l’Épiscopat sont distincts ; et parce qu’ils sont distincts, les évêques peuvent participer à l’un (autorité suprême), sans participer à l’autre (la Primauté). Ceci est évident du fait que tous les Apôtres avaient une juridiction universelle (et qu’aucun Apôtre n’avait une juridiction particulière sur un diocèse jusqu’à plus tard dans leur ministère), mais ils restaient néanmoins soumis à Saint Pierre parce que lui seul détenait la Primauté.

En fait, de nombreux théologiens soutiennent que les autres Apôtres avaient une juridiction universelle, individuellement (et pas seulement collectivement), comme un privilège extraordinaire, mais même dans ce cas, comme l’explique Salaverri, ils auraient été soumis à Saint Pierre parce que lui seul détenait la Primauté :

« C’est pourquoi, en supposant également la juridiction universelle extraordinaire des Apôtres, leur pouvoir peut être aisément concilié avec leur subordination due à saint Pierre en raison de la Primauté, selon ce principe : bien qu’en raison de l’Apostolat, ils étaient égaux à saint Pierre, ils étaient néanmoins soumis à saint Pierre en raison de la Primauté, et cela non seulement indirectement, mais aussi directement. »

– Salaverri, Sacrae Theologiae Summa I B, n. 278

Lumen Gentium lui-même fait clairement la distinction entre la primauté et l’autorité suprême, et il enseigne explicitement que le pape a la primauté « qui s’étend à tous« , ce qui inclut les évêques :

« Mais le collège ou corps épiscopal n’a d’autorité que si on l’entend comme uni au Pontife romain, successeur de Pierre, comme à son chef et sans préjudice pour le pouvoir du primat qui s’étend à tous, pasteurs (càd évêques) et fidèles. … les évêques, fidèles à observer le primat et l’autorité de leur chef, jouissent pour le bien de leurs fidèles et même de toute l’Église, d’un pouvoir propre… »

Lumen Gentium, n° 22

Dans la citation ci-dessus de la FSSPX, l’auteur dit que Lumen Gentium présente les évêques « comme étant « avec » le pape et non comme étant « sous » le pape » . En réalité, comme nous venons de le voir, Lumen Gentium enseigne explicitement que le pouvoir de primauté du pape « s’étend à tous, pasteurs (évêques) et fidèles » .

Ainsi, la FSSPX accuse LG d’enseigner ce qu’il n’enseigne pas (deux sujets de la Primauté), et de ne pas enseigner ce qu’elle enseigne (que la primauté du Pape s’étend à tous).

En avril 2012, Mgr Fellay, alors supérieur général de la FSSPX, a signé un accord doctrinal avec Rome, qui professe ce qui suit :

« Nous déclarons accepter la doctrine concernant le Pontife romain et concernant le collège des évêques, avec le pape à sa tête, qui est enseignée par la constitution dogmatique Pastor Aeternus de Vatican I et par la constitution dogmatique Lumen Gentium de Vatican II, chapitre 3 (de constitutione hierarchica Ecclesiae et in specie de episcopatu), expliquée et interprétée par la Nota explicativa praevia de ce même chapitre. »

Cette déclaration de 2012, combinée à la crainte que la FSSPX ne rejoigne l’Église catholique romaine, est ce qui a finalement conduit à la scission au sein de la FSSPX qui a donné naissance aux différents groupes de « Résistance » .

Au cours de la réunion du Chapitre Général de la FSSPX, qui s’est tenue plus tard cette année-là, le Père de Jorna, Recteur du Séminaire FSSPX d’Ecône, qui est considéré comme l’un des meilleurs théologiens de la Fraternité, s’est levé pour expliquer pourquoi la FSSPX ne peut pas accepter l’accord doctrinal signé par Fellay :

« Nous ne pouvons pas accepter la doctrine de ‘Lumen Gentium‘ chapitre III. Même comprise à la lumière de la Nota previa du n° 22 de ‘Lumen Gentium‘, il conserve toute son ambiguïté car il implique encore qu’il y a dans l’Église un double sujet de la Primauté (le Pape seul, ET le Pape avec tous les évêques) et ouvre la porte à la négation de l’enseignement de Vatican I (DS 3054). »

« Mgr Lefebvre a insisté sur cette erreur à l’occasion de la publication du nouveau Code de [droit canonique] de 1983. … Mgr Lefebvre n’aurait jamais signé ces déclarations et (de plus) il n’y a aucune référence au ch. III de ‘Lumen Gentium‘ dans le Protocole d’accord de 1988. »

Le meilleur théologien de la Fraternité rejette l’enseignement traditionnel sur l’épiscopat, parce qu’il ne comprend pas la différence entre l’autorité suprême et la primauté, et qu’il commet une erreur en confondant les deux.

Après avoir rejeté la Déclaration Doctrinale signée par Fellay, le Chapitre Général a rapidement voté son départ et l’a remplacé par un nouveau Supérieur Général. Voici ce que le futur Supérieur Général, le P. Pagliarani, a dit immédiatement après la critique du P. de Jorna sur le texte signé par Fellay :

« Chers collègues ! Nous n’allons certainement pas donner une gifle à notre supérieur en exigeant de lui une rétractation ! Cela sera fait implicitement dans la Déclaration finale du Chapitre.« 

Et c’est effectivement le cas. Voici la rétractation implicite telle qu’on la trouve dans la Déclaration finale du Chapitre :

« (Nous réaffirmons) notre foi dans l’Eglise catholique et romaine, seule Eglise fondée par Notre Seigneur Jésus-Christ, en dehors de laquelle il n’y a pas de salut ni de possibilité de trouver les moyens qui y mènent ; dans sa constitution monarchique, voulue par Notre Seigneur, qui fait que le pouvoir suprême de gouvernement sur toute l’Eglise revient au pape seul, vicaire du Christ sur terre »

Que pensez-vous que le cardinal Billot dirait de cette déclaration doctrinale de la FSSPX, qui contredit ce qu’il appelle un dogme explicite ?

Erreur conséquente : Nier que les évêques possèdent le pouvoir collégial

Maintenant, puisque la FSSPX est parfaitement consciente que Pastor Aeternus (Vatican I) enseigne que le Pape seul détient la Primauté, leur erreur fondamentale de confondre l’autorité suprême et la Primauté les oblige nécessairement à nier que les évêques possèdent l’autorité suprême (juridiction universelle). Dans leur esprit, admettre que les évêques possèdent l’autorité suprême revient à nier que le Pape seul détient la Primauté.

Par conséquent, la FSSPX ne reconnaît que 1) la juridiction particulière dont jouissent les évêques à la tête d’un diocèse, et 2) la juridiction universelle dont jouit le Pape en vertu de sa charge. Ceci peut être vu dans la citation suivante d’un article d’un prêtre de la FSSPX (dont le nom n’est pas donné) :

« Le concile Vatican I résume cet état de choses (c’est-à-dire, la constitution divine de l’Église) par une formule très expressive : chaque évêque fait paître et gouverne individuellement le troupeau particulier qui lui a été attribué. Ainsi, le pape est l’unique sujet de l’autorité suprême de juridiction dans l’Église. »

Notez que le prêtre de la Fraternité ne reconnaît aux évêques que la juridiction particulière dont ils jouissent sur leur troupeau particulier et conclut ensuite (signifié par le mot « ainsi » ) que « le Pape est le seul sujet de l’autorité suprême de juridiction dans l’Église » . Ils sont incapables de reconnaître le pouvoir collégial (juridiction universelle), qui est ce qui donne aux évêques le droit d’agir en tant que véritables juges et définisseurs pendant un concile. Cela conduit logiquement à leur erreur suivante.

Puisque la FSSPX croit que le Pape seul possède l’autorité suprême, elle conclut que le « pouvoir collégial » est en réalité « une manière collégiale » dont le Pape peut exercer son autorité suprême : il peut exercer son autorité seul, ou il peut exercer son autorité « collégialement » en présence des évêques. La Fraternité se réfère aux deux manières dont le Pape peut exercer son autorité (c’est-à-dire seul ou avec les évêques) comme deux « sujets de l’exercice de son autorité » . Mais, quelle que soit la manière dont il l’exerce, seul (un sujet) ou en présence des évêques (second sujet), le pape est le seul à posséder l’autorité suprême – le seul sujet de l’autorité suprême. On le voit dans ce qu’écrit ensuite l’auteur de l’article cité ci-dessus :

« Il y a tout au plus une dualité au niveau de la manière dont cette autorité est exercée : seule ou collégialement. Le mode collégial correspond à la tenue des conciles, et il est extraordinaire ; (…) le pape est celui qui fait exister le Collège, pour en faire le sujet temporaire de l’exercice de sa propre autorité, en le faisant participer à ses propres actes de Souverain Pontife. … il faut distinguer entre les deux modes par lesquels le même sujet [le pape] exerce la même autorité suprême. »

Puisque la Société croit que le pouvoir collégial est en réalité une manière collégiale dont le Pape peut exercer son autorité, elle croit que le « collège » est quelque chose que le Pape « fait naître », tous les cent ans environ, afin qu’il puisse exercer son autorité de manière collégiale. Ils nient que le collège soit une réalité permanente, tout comme ils nient que les évêques possèdent le pouvoir collégial (juridiction universelle).

Nous conclurons par un exemple historique d’un évêque qui non seulement possédait le pouvoir collégial, mais le possédait et l’exerçait alors qu’il était dispersé (en dehors d’un concile).

Saint Eusèbe exerce le pouvoir collégial pendant la crise arienne

L’exemple historique d’un évêque qui a exercé le pouvoir universel de l’épiscopat est Saint Eusèbe, qui l’a fait pendant la crise arienne, en consacrant des évêques et en « installant des pasteurs » dans des diocèses autres que le sien. Eusèbe, en fait, est le précédent historique auquel la Fraternité fait appel pour justifier les consécrations épiscopales illicites effectuées par Mgr Lefebvre, mais, bien sûr, ils prétendent qu’Eusèbe a agi en vertu du pouvoir nébuleux et global de la « juridiction suppléée » . Non, Eusèbe a agi en vertu du pouvoir collégial, que la Fraternité croit de manière incorrecte. Voyons d’abord comment la Société présente le cas d’Eusèbe.

Le livre auquel la Fraternité fait référence pour le cas d’Eusèbe est De l’Eglise et de sa Divine Consitution, de Dom Gréa (1905), qui est un livre fantastique sur l’épiscopat, ou ce que nous appellerions aujourd’hui la « collégialité » . La page spécifique à laquelle la Société fait référence est la p. 218, mais il est intéressant de noter qu’elle ne cite jamais plus que des phrases partielles du livre de Gréa. Avant de voir ce que Gréa dit réellement sur cette page, voyons comment la Société le présente.

Ce qui suit est tiré de l’étude théologique de la Fraternité sur les consécrations de 1988, sous le titre « La doctrine sur la « juridiction suppléée » est appliquée à un évêque qui, dans une nécessité extraordinaire, consacre un autre évêque » :

« Dom Gréa, dont l’attachement au pape est au-dessus de tout soupçon témoigne (De l’Église et de sa Divine Consitution, vol. I) que non seulement au début du christianisme, la « nécessité de l’Église et de l’Évangile  » exigeait que le pouvoir de l’ordre épiscopal soit exercé dans toute sa plénitude sans limitation de juridiction, mais qu’aux âges successifs, des circonstances extraordinaires ont exigé » des manifestations encore plus exceptionnelles et plus extraordinaires « du pouvoir épiscopal (ibid, p.218) afin « d’appliquer un remède à la nécessité actuelle du peuple chrétien » (ibid. et suiv.), pour lequel il n’y avait aucun espoir d’aide de la part des pasteurs légitimes ni du pape. Dans de telles circonstances, où le bien commun de l’Église est également en jeu, les limitations juridictionnelles s’évanouissent et « ce qui est universel » dans le pouvoir épiscopal « vient directement au secours des âmes » (ibid., p.218) : « Ainsi, au IVe siècle, on voit saint Eusèbe de Samosate traverser l’Église orientale dévastée par les Ariens et ordonner pour eux des évêques catholiques sans avoir sur eux aucune juridiction particulière. »

Voici comment ils présentent les événements dans le livre « Is Tradition Excommunicated? » :

« Dans l’histoire de l’Église, il existe de nombreux cas d’évêques qui, dans des circonstances extraordinaires, alors qu’ils se trouvaient dans certaines des mêmes difficultés que celles des premiers siècles et que, par conséquent, il était nécessaire d’utiliser leurs pouvoirs épiscopaux dans toute leur plénitude, ont consacré des évêques sans adhérer aux normes disciplinaires de l’époque. Ils le faisaient en vertu de cette « loi de suppléance [Ecclesia supplet] » qui existe dans l’Église, comme dans toutes les organisations, lorsque le fonctionnement des organes nécessaires et indispensables est mis en danger. Ainsi, au IVe siècle, saint Eusèbe de Samosate parcourut les Églises orientales dévastées par les Ariens et consacra et installa des évêques catholiques (84). »

La note de bas de page (84) fait référence au livre de Gréa.

Maintenant, puisqu’ils ont inclus la phrase « loi de suppléance » avec « Ecclesia Supplet » (l’Église supplée = juridiction suppléée) entre crochets après elle, vous avez probablement supposé qu’il s’agit d’une phrase archaïque qu’Eusèbe utilise à la place de la juridiction fournie, n’est-ce pas ? C’est ce que la plupart des gens pensent en lisant ce texte. Pourquoi la Fraternité aurait-elle mis la phrase entre guillemets et référencé le livre de Gréa, si Gréa n’a pas utilisé cette phrase ? Eh bien, si c’est ce que vous pensiez, vous vous trompiez. Nulle part dans son livre, Gréa ne parle de juridiction suppléée ou de « loi de suppléance ».

Ce que Gréa explique dans le chapitre auquel la Fraternité fait référence, c’est que les évêques possèdent la mission générale que les Apôtres ont reçue, qui inclut la juridiction universelle sans restriction territoriale, en plus de la juridiction particulière qu’ils ont sur une Église particulière. Sur la page à laquelle la Fraternité fait référence (p. 218), Gréa explique les cas extraordinaires dans lesquels les évêques ont exercé ce pouvoir au cours des premiers siècles. Il dit qu’il n’y a que deux cas où les évêques peuvent exercer ce pouvoir individuellement : 1) Lorsqu’ils se trouvent dans une région dans laquelle aucune Église particulière n’a été établie ; dans les premières années, les évêques étaient autorisés à exercer ce pouvoir en fondant des Églises particulières. 2) Lorsqu’ils se trouvent dans une région où une Église particulière, qui avait été établie, a été détruite par la persécution, l’hérésie ou un autre événement grave qui a détruit la hiérarchie locale ou l’a empêchée d’agir. Voici la citation du livre de Gréa, dans son contexte :

« … lorsque les Eglises particulières sont comme renversées par la persécution, l’hérésie ou quelque grave obstacle qui anéantit entièrement et supprime l’action de leurs pasteurs ; et c’est le cas plus rare de l’intervention extraordinaire l’épiscopat venant à leur secours. »

« Premièrement, pour ce qui regarde l’établissement même des Eglises, les apôtres au commencement, et, après eux, leurs premiers disciples, ont agi dans la vertu de cette mission générale : « Allez, enseignez toutes les nations » (Matth. XXVIII, 19.) ; cela est manifeste, puisque l’Evangile ne leur en donne point d’autre. Or, cette mission regarde constamment l’épiscopat. C’est, en effet, proprement au Collège épiscopal qu’elle a été donnée, puisque l’efficacité en devait durer jusqu’à la fin du monde, conformément à ce qui suit dans le texte sacré : « Et voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles. » (Ibid., 20.) …
Mais cette mission fut donnée avant toute délimitation de territoire et avant qu’aucun évêque eût un pouvoir particulier sur un peuple déterminé. Elle a précédé la fondation des Eglises qui devaient être attribuées dans la suite à chacun des membres du Collège ; et ainsi les évêques ont reçu dans la personne des apôtres une mission véritablement et primitivement générale d’annoncer l’Evangile aux nations infidèles. … »

« Mais ce n’est pas seulement dans l’établissement de l’Eglise que le pouvoir proprement apostolique et universel des évêques, pouvoir toujours subordonné dans son fond et son exercice au Vicaire de Jésus-Christ, s’est déclaré. Il est un second ordre de ces manifestations plus rare et plus extraordinaire encore. … »

« Car, ainsi que nous l’avons dit déjà, on conçoit qu’en l’absence des pasteurs particuliers ce qu’il y a d’universel dans les pouvoirs de la hiérarchie demeure seul, et que l’Eglise universelle, par les puissances générales de sa hiérarchie et de l’épiscopat, tienne, pour ainsi dire, la place des Eglises particulières, et vienne immédiatement au secours des âmes. On vit ainsi au IVème siècle saint Eusèbe de Samosate parcourir les Eglises d’Orient dévastées par les ariens et leur ordonner des pasteurs orthodoxes, sans avoir sur elles de juridiction spéciale. »

« Ce sont là des actions vraiment extraordinaires, comme les circonstances qui en ont été l’occasion.
Aussi ces manifestations du pouvoir universel de l’épiscopat, s’exerçant dans des lieux où les hiérarchies locales ont été établies et n’ont pas entièrement péri, ont toujours été très rares. »

« Ainsi, en premier lieu, ce pouvoir universel de l’épiscopat, bien qu’habituel dans son fond, est extraordinaire dans son exercice sur les Eglises particulières, et n’a pas lieu lorsque l’ordre deces Eglises n’est pas détruit. En second lieu, il faut encore, pour que l’exercice en soit légitime, que le recours au Souverain Pontife soit impossible. … »

– Gréa, De l’Église et de sa Divine Constitution, [pp. 210, 211, 218 et 219], Vol. I, 1905.

Eusèbe défend la doctrine même que la FSSPX accuse Vatican II d’hérésie pour l’avoir enseignée, à savoir que les membres du collège épiscopal, avec le Pape, possèdent « le pouvoir universel de l’épiscopat » (pouvoir collégial), ainsi que la juridiction particulière sur un diocèse. L’enseignement de Gréa réfute toutes les objections que la Fraternité soulève contre les deux sujets de la juridiction universelle, puisque saint Eusèbe, qui faisait partie du « second sujet » , non seulement possédait le « pouvoir universel de l’épiscopat » (la FSSPX déclare explicitement que les évêques ne « possèdent » pas ce pouvoir), mais il le possédait et l’exerçait en dehors d’un concile (alors qu’il était dispersé), prouvant ainsi que le collège est une réalité permanente. C’est ce que le cardinal Billot a appelé un dogme évident.

« En outre, il n’y a rien de plus explicite dans la foi catholique depuis le début que le dogme de l’autorité suprême (suprema auctoritate) de tout l’épiscopat, qu’il soit réuni en un concile œcuménique ou dispersé dans le monde. »

Op. cit.

Le dogme explicite est ce que la FSSPX et les prêtres sédévacantistes ont réussi à convaincre pratiquement tous les catholiques traditionnels que c’est une hérésie.

Méfiez-vous des erreurs de la droite. Elles sont plus dangereuses que celles de la gauche, pour au moins trois raisons :

  1. Elles sont plus difficiles à détecter ;
  2. Elles se dissimulent sous un très mince vernis d’orthodoxie, puisque les prêtres qui les diffusent portent des soutanes, ne célèbrent que la messe traditionnelle, et qu’ils prétendent tous « défendre la foi » en s’élevant contre les prétendues « hérésies de Vatican II » (comme l’ « hérésie » de l’autorité suprême de tout l’épiscopat, que Billot appelle un dogme) ;
  3. Les erreurs de la droite n’amènent pas seulement quelqu’un à croire ce qui est faux ; elles l’amènent à quitter l’Église, car l’une des principales erreurs de la droite est une fausse notion de l’Église – une notion de l’Église identique à la notion protestante de l’Église.

Je terminerai par des questions destinées aux experts de la Fraternité sur la collégialité.

Questions pour la FSSPX

  1. La Fraternité reconnaît-elle que l’autorité suprême pour gouverner l’Eglise universelle est distincte de la Primauté ?
  2. La Fraternité reconnaît-elle que Lumen Gentium n’enseigne jamais qu’il y a deux sujets de la Primauté ?
  3. Si la FSSPX croit que l’autorité suprême est une seule et même chose que la Primauté, quelles prérogatives la FSSPX croit-elle que l’épiscopat possède ?
  4. Selon la Fraternité, quel rôle les évêques jouent-ils lors d’un concile ?
  5. Si la FSSPX croit que les évêques agissent en tant que véritables juges et définisseurs, comment cela est-il possible sans que chaque évêque possède au moins temporairement une juridiction universelle ?
  6. Si chaque évêque possède temporairement la juridiction universelle, et si la juridiction universelle est une seule et même chose que la primauté, pourquoi le Pape ne serait-il pas « le premier parmi les égaux » pendant un concile ?
  7. Considérant que le Père Gleize reconnaît que les deux sujets inadéquatement distincts de l’autorité suprême « est l’enseignement traditionnel » , pourquoi la FSSPX croit-elle que l’enseignement de Lumen Gentium sur les deux sujets est hérétique, alors qu’il enseigne lui aussi que les sujets ne sont qu’inadéquatement distincts (Cardinal Journet).
  8. La FSSPX reconnaît-elle que le collège épiscopal est une réalité permanente, et non quelque chose que le pape « fait naître » lorsqu’il convoque un concile, et que les membres du collège participent habituellement au pouvoir collégial, même lorsqu’ils sont dispersés ?
  9. La FSSPX croit-elle que les évêques et le pape peuvent accomplir un acte collégial en dehors d’un concile, comme l’enseigne LG ? Si non, pourquoi ?
  10. La FSSPX reconnaît-elle que le collège des évêques succède au collège apostolique, comme l’enseigne LG ? Si non, pourquoi ?
  11. Le Père Tranquillo reconnaît-il que les théologiens catholiques font régulièrement appel à Mt. 16:19 et Mt. 18:18 comme base scripturale pour les deux sujets du pouvoir suprême ? Si oui, pourquoi accuse-t-il LG – et donc ceux qui ont approuvé le document – d’être « les pires épiscopaliens gallicanistes » pour avoir fait de même ?

Dans la deuxième partie, nous aborderons une autre prétendue hérésie que la FSSPX accuse Lumen Gentium – et par extension l’Église catholique romaine – d’enseigner, à savoir que les évêques ont reçu leur juridiction du Christ par la consécration épiscopale.

En répondant à cette accusation, nous aborderons à notre tour l’une des hérésies de Mgr Marcel Lefebvre et de Mgr Tissier de Mallerais qui semble être l’enseignement officiel de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie-X jusqu’à ce jour. Tenez-vous au courant.

Notes

[1] Rhine flow into the Tiber, p. 240.
[2] « La doctrine de LG sur les deux pouvoirs suprêmes, malgré la Nota praevia, est hérétique parce qu’elle est contraire à l’enseignement de Vatican I sur l’unicité du pouvoir du pape. » (P. Tranquillo, Une Tentative De Justification De La Collégialité : Le Livre Du Pere F. Dupre La Tour.
[3] https://fsspx.org/en/coll%C3%A9gialit%C3%A9
[4] Lettres de Williamson, du Recteur, Volume 2 : Les Lettres de Winona, 1992 p. 231.
[5] https://fsspx.news/en/news-events/news/debate-about-vatican-ii-fr-gleize-responds-msgr-ocariz-22405
[6] Lettre ouverte aux catholiques perplexes, p. 101.
[7] http://traditionalcatholicsermons.org/BishopSanbornSermonArchive/BpSan_ErrorOfCollegiality_01-28-96_1329.mp3
[8] https://onepeterfive.com/vigano-vatican-ii-marked-the-beginning-of-a-false-parallel-church/
[9] https://www.sspxasia.com/Documents/Archbishop-Lefebvre/The-Infiltration-of-Modernism-in-the-Church.htm
[10] Mansi, Sacrorum Conciliorum nove et amplissima collection, 49, 1923, col. 525 suiv.
[11] Manning, The Pastoral Office, p. 15
[12] L’Eglise du Verbe Incarné, p. 413
[13] https://fsspx.org/en/coll%C3%A9gialit%C3%A9
[14] Wernz, Ius Canonicum p. 259-60
[15] Ius Canonicum Vol I. p 160-161
[16] Lettre ouverte aux catholiques perplexes, p. 101.
[17] https://cmri.org/articles-on-the-traditional-catholic-faith/rejecting-the-imposter-church-letter-to-the-clergy-of-the-diocese-of-rockford/
[18] https://fsspx.news/en/news-events/news/debate-about-vatican-ii-fr-gleize-responds-msgr-ocariz-22405
[19] https://fsspx.org/en/coll%C3%A9gialit%C3%A9
[20] https://fsspx.org/en/coll%C3%A9gialit%C3%A9
[21] https://fsspx.org/en/coll%C3%A9gialit%C3%A9
[22] https://fsspx.org/en/coll%C3%A9gialit%C3%A9
[23] https://fsspx.org/en/coll%C3%A9gialit%C3%A9


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