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Que veut dire Dignitatis Humanae ? Réponse à Arnold Guminski

Cet article est une traduction de l’article What does Dignitatis Humanae mean? A reply to Arnold Guminski, trouvable sur le site Christendom Media.

Père Brian W. Harrison, O. S.

Paru en Automne/Hiver 2005, Vol. XXX, Nos. 3 & 4 Télécharger le PDF ici [en anglais].

Dans un numéro précédent de cette revue, M. Arnold T. Guminski a critiqué l’ensemble de mes propres écrits, publiés entre 1988 et 1993, soutenant la continuité doctrinale entre la Déclaration de Vatican II sur la liberté religieuse, Dignitatis Humanae (DH), et la doctrine catholique traditionnelle concernant l’Église, l’État et la tolérance religieuse [voir ici et ici]. (1) Dans cette réponse, j’espère défendre substantiellement ma position, tout en la corrigeant et en la clarifiant sur certains points à la lumière des observations de mon critique.

I. Guminski contre Harrison : le status quaestionis

Il est utile de commencer par essayer de résumer aussi clairement que possible la question centrale sur laquelle M. Guminski et moi continuons à être en désaccord. Tout d’abord, parmi les points sur lesquels je crois que nous sommes d’accord, la lecture suivante du magistère traditionnel (appelons-la proposition X) est particulièrement pertinente pour notre discussion :

X : Selon la doctrine catholique préconciliaire, il peut y avoir (ou il y a eu) des circonstances dans lesquelles l’interdiction par le gouvernement de toutes les manifestations religieuses publiques (et, dans les circonstances de l’Ancien Testament et du Moyen-âge, même privées) autres que celles de la vraie religion n’implique pas/plus la violation d’un droit humain naturel.

Bien que M. Guminski soit d’accord avec cela, il semble penser que la doctrine traditionnelle allait beaucoup plus loin dans sa sévérité. En effet, il estime que, « selon la doctrine papale préconciliaire, il n’y a aucun droit naturel quel qu’il soit à s’engager librement (c’est-à-dire à l’abri de toute coercition de la part de l’autorité civile) dans la manifestation publique ou la propagation d’une religion non-catholique ». (2) Son expression, « aucun droit naturel quel qu’il soit», surtout en raison de l’italique qu’il met sur [les derniers mots], semble équivaloir, dans son esprit, à « jamais, en aucune circonstance, aucun droit naturel ». Si c’est le cas, alors je ne suis pas d’accord. Il est certain que la doctrine papale d’avant Vatican II n’a jamais enseigné positivement qu’il pouvait y avoir des circonstances dans lesquelles les non-catholiques pouvaient avoir un droit naturel à ladite immunité. Mais, pour autant que je sache, l’enseignement du magistère (distinct de celui de certains théologiens) n’a pas non plus exclu une telle possibilité (3), surtout en ce qui concerne les sociétés à majorité non catholique ou non chrétienne. (4) Mon point de vue a toujours été (5) que cette question a été laissée obscure et indécise dans le magistère traditionnel, et que le développement essentiel (c’est-à-dire le changement non contradictoire) de la doctrine catholique apporté par DH a été de la clarifier et d’y répondre. La nouvelle réponse de la Déclaration, qui fait autorité, est qu’il peut effectivement y avoir des circonstances dans lesquelles l’interdiction par le gouvernement d’une activité religieuse publique non catholique – du moins dans ses formes normales et plus inoffensives – violerait le droit naturel à la liberté religieuse des non-catholiques en question.

Je pense que M. Guminski serait également d’accord avec moi sur la proposition suivante :

Y : Selon DH, l’interdiction par le gouvernement de toute manifestation religieuse publique (et, a fortiori, privée) autre que celle de la vraie religion devrait, dans les circonstances actuelles, être jugée comme impliquant une violation du droit humain naturel à la liberté religieuse, dans n’importe quel pays du monde.

Cependant, l’assentiment de M. Guminski à Y ne serait certainement qu’un placet iuxta modum, pour ainsi dire, car il pense certainement que ce n’est pas seulement « dans les circonstances modernes » que de telles interdictions ont violé le droit en question. C’est là que réside notre principal désaccord. Je comprends qu’il tient la proposition suivante pour vraie, alors que je la tiens pour fausse :

Z : Selon DH, l’interdiction par le gouvernement de toute manifestation religieuse publique (et, a fortiori, privée) autre que celle de la vraie religion implique, et a toujours et partout impliqué, une violation du droit humain naturel à la liberté religieuse. (6)

Maintenant, on peut facilement voir que la position attribuée à DH dans Y n’implique pas la fausseté de la doctrine catholique traditionnelle décrite dans X. Cependant, il est tout aussi clair que si Z est vrai, DH a contredit cette doctrine, même si mon critique semble réticent à le dire trop crûment. Malheureusement, son penchant pour l’euphémisme plutôt que pour le « mot [tabou] » l’amène à déformer ma propre position. Il me reproche plus d’une fois (7) de soutenir que DH n’a pas « changé » la doctrine préconciliaire. Il aurait dû utiliser le verbe « contredire » ici, car je n’ai jamais soutenu la thèse invraisemblable du « non changement doctrinal ». Un développement doctrinal authentique est toujours un changement, mais d’un type non contradictoire.

En fait, le fait même que l’interprétation que M. Guminski fait de DH contredit la doctrine catholique traditionnelle est un élément fondamental de mon désaccord avec lui. Il prétend que mon interprétation, si elle était perçue par les non-catholiques comme étant largement répandue au sein de l’Église, « compromettrait sérieusement » sa « crédibilité », (8) car, dit-il, elle rend le document « essentiellement vide » (9) et rappelle les « simulacres de dispositions juridiques constitutionnelles dans les États totalitaires ». (10) Cependant, je soutiendrai en temps voulu que sa propre lecture de DH, qui voit dans le chapitre I (articles 2-8) un renversement pur et simple de la doctrine préconciliaire, fait de la déclaration dans son ensemble quelque chose d’encore moins crédible : un document auto-contradictoire et même mensonger ! (11)

De plus, de peur que l’utilisation par M. Guminski du conditionnel dans sa conclusion (12) ne suggère à certains lecteurs que ma propre position est en fait idiosyncrasique ou isolée, il semble approprié de souligner que je suis loin d’être le seul à penser que la proposition Z ci-dessus est une lecture incorrecte de DH. On pourrait donner de nombreux exemples, mais un seul suffira ici. Le regretté Père John Courtney Murray, S.J., ne se situe guère à la droite de l’éventail catholique dans ces domaines. En effet, j’ai soutenu dans deux autres essais (13) qu’il penche trop à gauche, en particulier dans sa lecture de l’enseignement de DH sur l’établissement de la religion. Il est donc significatif que la position de M. Guminski le situe encore plus à gauche (14) que le Père Murray, qui a explicitement nié qu’une compréhension de type Vatican II du droit à la liberté religieuse condamne rétrospectivement, au moins implicitement, le type de répression parrainée par l’Église mentionné dans nos propositions X, Y et Z. Son point de vue (qu’il considérait comme étant en substance celui du Concile) était que tout verdict rétroactif d’injustice serait un « anachronisme » fondé à tort sur une « logique déductive abstraite » et dépourvu de « conscience historique ». (15) Pour Murray, le droit à la pleine liberté religieuse « est une exigence rationnelle de la conscience personnelle et politique contemporaine ». (16) J’ai exprimé ailleurs (17) certaines objections à ce type d’herméneutique psycho-historique. Mais pour les besoins actuels, c’est la conclusion de Murray elle-même (que j’atteindrais par une voie assez différente) qui importe. Ce que je veux dire, c’est que, en considérant que DH est mal interprétée par la proposition Z, j’ai le soutien du théologien catholique généralement reconnu comme celui dont la pensée, plus que celle de tout autre savant, est à l’origine de l’enseignement de cette Déclaration conciliaire.

II. Critiques préliminaires de Religious Liberty and Contraception [RLC]

Après avoir cherché à clarifier le point central du litige entre M. Guminski et moi-même, je vais examiner ses critiques, en suivant généralement l’ordre dans lequel il les présente. Il commence par mettre en cause mon relatif désintérêt pour l’infaillibilité ou non des doctrines en discussion. (18) En effet, cette question est, pour moi, tout à fait secondaire. Car l’esprit de l’Église, tel que je le comprends, est que la Déclaration ne doit pas être comprise d’une manière qui la ferait contredire une doctrine existante, qu’elle soit infaillible ou « simplement authentique ». Et mon souci a toujours été de maintenir cette large cohérence diachronique de la doctrine catholique. (Pourquoi les troupes apologistes de l’Église devraient-elles se retirer pour ne défendre que la citadelle intérieure lorsqu’elles entendent qu’elle les appelle à ne pas abandonner ou céder les murs de la ville ?).

M. Guminski semble également surpris que mon livre « limite » la discussion de la doctrine préconciliaire aux « déclarations papales », négligeant ainsi (pense-t-il) ce que le « magistère universel ordinaire » peut avoir eu à dire sur la liberté religieuse. (19) Mais les déclarations non ex-cathedra (20) d’une longue série d’interventions papales fournissent sûrement un assez bon indicateur de ce qu’est en fait la doctrine du magistère universel ordinaire.

Mon critique trouve également « remarquable » le fait que RLC ne s’appuie pas « sur une quelconque infaillibilité pratique, réelle ou prétendue, en ce qui concerne la législation ou la politique de l’Église, par opposition à la doctrine, en matière de liberté religieuse ». (21) Pour le moment, il suffit de répondre que, lorsque j’ai écrit RLC, je n’étais pas certain qu’une doctrine catholique doive être déduite de la pratique traditionnelle de l’Église (politique ou droit public) consistant à demander fréquemment aux gouvernements de réprimer toute propagande publique non-catholique. Néanmoins, mon livre répond à cette préoccupation : premièrement, en soulignant que DH n’affirme ni n’implique en aucun cas que cette pratique, dans des contextes historiques antérieurs, était toujours et partout injuste ; (22) et deuxièmement, en formulant la doctrine préconciliaire pertinente en des termes suffisamment ouverts pour permettre l’une ou l’autre réponse à ladite question. Notez les mots entre parenthèses dans la citation suivante : « L’autorité civile a donc le devoir de protéger la vraie religion et l’Église catholique en restreignant (dans la mesure où le bien commun l’exige) la libre propagation de l’erreur doctrinale ». (23)

Je passerai rapidement sur la section « B » (24) de M. Guminski qui, pour l’essentiel, explique ma position plutôt que de la critiquer. Cependant, il se méprend à nouveau sur ma position en déclarant ce qui suit :

« Le Père Harrison traite les deux termes, « droits d’autrui » tels qu’ils sont utilisés dans le n°7, §2, et « droits de tous les citoyens » tels qu’ils sont utilisés dans le n°7, §3., comme essentiellement synonymes – une question, comme nous le verrons, de grande importance, puisque les premiers sont des droits moraux (ou quasi-moraux), et les seconds des droits légaux (ou juridiques). » (25)

La vérité est qu’en utilisant l’expression « droits d’autrui », je ne cite jamais – et n’ai même jamais eu à l’esprit – les droits purement moraux dont il est question au n°7, §2. L’utilisation répétée de cette expression comme quasi-synonyme des « droits de tous les citoyens » (utilisés dans le n°7, §3) est purement stylistique – adoptée pour une expression plus précise dans certains contextes. L’expression « tous les citoyens » inclut évidemment le citoyen qui commet une infraction (justement sanctionnée) ; mais en commettant une telle infraction, il ne viole aucun droit dans la mesure où il est le sien, seulement dans la mesure où il s’agit d’un « droit d’autrui ». En effet, le rapporteur officiel lui-même a utilisé le terme « droit d’autrui » exactement de la même manière que moi. (26)

III. RLC sur « l’Ordre Public » , « le Droit Public » et « l’Ordre Moral Objectif »

La section ‘C’ de M. Guminski contient ses principales critiques de mon livre, dirigées fondamentalement contre mon interprétation des limites susmentionnées reconnues par DH. Elles révèlent également son souci de soutenir la proposition Z : c’est-à-dire de soutenir que l’Église catholique, dans DH, répudie implicitement mais clairement sa propre doctrine répressive traditionnelle comme ayant été fausse, et son application comme ayant été toujours et partout injuste.

III.1. Le passé et le présent par rapport à DH, chapitre 1. Dans cette section, mon critique assène à plusieurs reprises un autre homme de paille au lieu de ma véritable position. « Selon le P. Harrison, écrit-il, l’expression « droits de tous les citoyens » telle qu’elle est utilisée dans le n°7, par. 3 comprend les droits moraux (ou quasi-moraux) des citoyens à ne pas voir la vie éternelle mise en péril par les tentations contre la foi occasionnées par l’exposition aux hérétiques, par exemple. » (27) Il affirme ensuite que je « commets une erreur flagrante » en soutenant que ledit terme « inclut » ce droit. (28) Ces déclarations – et une autre encore où M. Guminski utilise de façon similaire un verbe au présent (29) – créent naturellement l’impression que, selon moi, Vatican II enseigne que les catholiques d’aujourd’hui ont le droit d’être protégés par la loi contre de telles tentations contre leur foi. Au contraire, le passage pertinent de RLC (30) parle clairement de périodes historiques antérieures. En effet, à ce stade, j’ai déjà reconnu cinq pages plus haut dans mon livre que, selon Vatican II, « la propagande non catholique en tant que telle ne doit plus être considérée comme une menace pour le bien commun qui peut être justement réprimée par la loi civile ». (31)

M. Guminski pourrait éventuellement répondre que, de toute façon, le texte de DH est tel qu’il condamne absolument, c’est-à-dire à toute période de l’histoire et en tout lieu, les mesures coercitives contre toutes les expressions publiques de la religion, à l’exception de la vraie religion. Il semble soutenir, par exemple (32), que la doctrine catholique préconciliaire plus répressive ne pourrait en aucune circonstance historique concevable être conciliée avec l’enseignement de DH n°6 selon lequel le gouvernement ne peut jamais, « par force, intimidation ou autres moyens, [imposer] aux citoyens (civibus imponere) la profession ou le rejet de quelque religion que ce soit, ou d’empêcher quelqu’un de s’agréger à une communauté religieuse ou de la quitter« . Mais ce que le Concile entend répudier ici, c’est clairement le type d’« imposition » gouvernementale qui, en réalité, dit aux citoyens : « Croyez X, et ne croyez pas Y, ou sinon ! ». En d’autres termes, DH enseigne que le gouvernement ne peut pas appliquer des menaces de force ou d’intimidation, etc., aux personnes qui souhaitent (ou pourraient souhaiter) accepter ou rejeter une religion donnée. Mais les lois antérieures interdisant la diffusion publique de fausse propagande religieuse au sein d’une population déjà catholique n’appliquaient aucune menace de ce type à quiconque. Aucun catholique dans l’Espagne préconciliaire, par exemple, n’était légalement soumis à la force, à la peur ou à d’autres « impositions » simplement pour avoir versé dans l’hérésie, le schisme ou l’apostasie. Et les menaces légales à l’encontre de ceux qui propageaient publiquement des religions non catholiques dans ces pays n’étaient pas ressenties, et ne pouvaient pas être interprétées, comme des tentatives de faire pression sur ces personnes pour qu’elles deviennent catholiques. Pas plus que les chrétiens d’Israël ne se sentent aujourd’hui « obligés » de devenir juifs du simple fait qu’il leur est légalement interdit d’évangéliser ces derniers (ou même de publier le Nouveau Testament en langue hébraïque). De telles lois n’empêchent pas non plus la libre recherche sur la religion, comme le prétend mon critique ; elles ne font que la restreindre dans une certaine mesure, tout en laissant une place à cette recherche dans les discussions privées, les lectures en bibliothèque, etc.

De plus, il devrait aller de soi (puisque les limitations mentionnées dans DH n°7 s’appliquent de manière « générale » à toutes les libertés plus spécifiques énoncées dans les articles précédents) que DH n°6 ne peut pas être interprété comme niant le fait que le gouvernement puisse empêcher les gens d’« entrer […] dans un organisme religieux [donné] » qui constitue lui-même une menace pour un ordre public juste. De nos jours, Al-Qaïda, par exemple, peut être considéré comme un « organisme religieux » – il se considère très certainement comme tel. Pourtant, seuls des djihadistes islamiques animés du même esprit considéreraient comme injuste que les gouvernements traitent la preuve de l’appartenance à cet organisme comme un motif suffisant d’arrestation et de détention. Après tout, même ses activités « privées » sont en réalité des conspirations visant à renverser l’ordre public occidental actuel et à le remplacer par la charia, le code juridique religieux du Coran. De même, au moins dans certaines circonstances historiques, même la simple appartenance aux francs-maçons et à d’autres sectes hérétiques aurait pu être considérée à juste titre comme une menace présumée pour l’ordre public de la chrétienté. (33)

Plus généralement, si M. Guminski pense que ses citations de DH aux pages 47-49 prouvent que le Concile nous donne une doctrine « intemporelle » , valable pour tous les temps, contre le type de répression décrit dans nos propositions X, Y et Z, alors il devra fournir d’autres arguments à cet effet. À mon avis, nous pouvons savoir, grâce à des circonstances indépendantes du texte (34) et aussi grâce à ce que le texte omet ostensiblement de dire, que les Pères du Concile n’avaient pas l’intention que leur Déclaration continue à permettre une telle répression à l’époque moderne. Néanmoins, je maintiens également que ce que le texte lui-même dit au chapitre 1 (articles 2-7, la section centrale de la Déclaration à laquelle mon critique fait appel) est intrinsèquement assez flexible et non spécifique pour être tout à fait capable de s’accommoder de ladite répression dans des circonstances historiques antérieures.

Permettez-moi d’illustrer mon propos. M. Guminski pense qu’il est « absurde » de tenter (35) de concilier une telle répression avec l’affirmation de DH n°4 selon laquelle « les communautés religieuses ont aussi le droit de ne pas être empêchées d’enseigner et de manifester leur foi publiquement, de vive voix et par écrit« , d’autant plus que le même article ne mentionne que les méthodes coercitives, malhonnêtes ou indignes de ce témoignage comme des violations des droits d’autrui. (36) Mais de telles tentatives ne semblent pas du tout « absurdes », une fois que l’on se rappelle que les trois critères limitatifs de DH n°7 s’appliquent autant au n°4 qu’à tout autre article précédent. Et ce serait clairement éluder la question vitale que de supposer simplement que, selon Paul VI et les Pères du Concile, l’Église a toujours eu tort dans le passé chaque fois qu’elle jugeait que les manifestations religieuses non catholiques en tant que telles mettaient en danger une ou plusieurs de ces trois valeurs sociales essentielles. En effet, je soutiens que le codicille imaginaire suivant, soutenant cette position antérieure, serait, s’il était inséré dans la Déclaration immédiatement après DH n°7, logiquement tout à fait cohérent avec l’ensemble du texte conciliaire réel qui le précède :

« Tout ce qui a été dit jusqu’ici dans le chapitre I expose le droit à la liberté religieuse du seul point de vue de la raison et du droit naturel. C’est-à-dire qu’il s’écarte de la révélation divine pour considérer abstraitement les exigences de la dignité humaine naturelle. Par conséquent, en ce qui concerne l’observation du droit à la liberté religieuse dans les circonstances contemporaines, ce qui a été dit jusqu’à présent est suffisant pour expliquer ce qui doit et ne doit pas être fait dans les sociétés pluralistes où la majorité de la population n’est pas catholique.
Cependant, d’autres précisions doivent être apportées afin de déterminer les justes limites de l’activité religieuse lorsque la grande majorité de la population professe déjà la vraie religion. En effet, il est évident que toutes les libertés civiles susmentionnées ne seront pas encore appropriées chez ceux qui sont passés, par la vertu de la foi infuse au baptême, de l’état naturel de chercheurs de la vérité religieuse à l’état surnaturel de la posséder. La nécessité d’un environnement social offrant une grande liberté de discussion et de recherche publique en matière religieuse (affirmée au point 2 ci-dessus), n’existe plus dans les sociétés catholiques. En effet, pour les croyants catholiques baptisés, la recherche de la vraie religion, loin d’être une obligation morale, serait un péché mortel. Car cette « recherche », dans la mesure où elle serait sérieusement et existentiellement entreprise, constituerait le péché grave d’hérésie (ou même d’apostasie) : c’est-à-dire le fait de douter avec persistance de la vérité de l’Évangile, telle qu’elle a été proclamée par l’Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique. Comme le saint Concile l’a lui-même affirmé au numéro 1 de cette Déclaration, l’obligation morale de l’homme est de s’attacher à la vérité une fois qu’il l’a trouvée et embrassée. Pour cette raison, les « limites appropriées » à l’activité religieuse mentionnées ci-dessus au n°2, §1, et spécifiées au n°7, §3, peuvent être considérées comme violées dans les sociétés à prédominance catholique par toute manifestation religieuse non catholique en public. De telles manifestations tenteront inévitablement de nombreuses âmes catholiques vers la perdition, et peuvent donc être considérées comme une grave menace pour la moralité publique, et en fait, comme une violation du droit des fidèles à être protégés contre de telles menaces pour leur bien-être éternel – un droit comparable à leur droit à être protégés contre la disponibilité tentante de stupéfiants périlleux qui menacent leur bien-être temporel. »

Encore une fois, je ne dis pas que Paul VI et les Pères du Concile avaient l’intention de déterminer de cette façon les exigences concrètes de l’ « ordre public » dans les pays catholiques aujourd’hui. Je dis simplement que le texte lui-même n’est pas intrinsèquement contredit par cette interprétation « traditionaliste » de l’ « ordre public », et qu’il n’exclut donc pas qu’une telle interprétation ait pu être valable à une époque antérieure. Ce fait est à son tour important, comme nous le verrons, pour établir que le préambule (n°1) ne ment ni ne se trompe en enseignant que la Déclaration « ne porte aucun préjudice » (integram) la « doctrine catholique traditionnelle » sur ces questions.

III.2. « Bien Commun » vs. « Ordre Public ». A ce stade, il semble approprié d’ouvrir une parenthèse dans la ligne principale de notre argumentation, afin d’élucider la question de la différence précise entre le « bien commun » et « l’ordre public » comme critères alternatifs de limitation de l’activité religieuse dans la société. Il s’agit d’une question assez épineuse, qui souffre également d’une confusion sémantique, car « l’ordre public » semble être un terme relativement récent dans l’usage catholique, et les auteurs précédents semblent souvent avoir fait appel au « bien commun » comme critère de limitation de la propagande religieuse, alors qu’ils avaient en réalité à l’esprit « l’ordre public » au sens de Vatican II. En rédigeant RLC, je me suis concentré sur la dernière Relatio de l’évêque Emil de Smedt sur le schéma de la liberté religieuse et n’ai pas remarqué une Relatio antérieure où il avait expliqué plus clairement la différence aux Pères du Concile. (37) J’ai supposé à tort que DH voulait dire que « les valeurs sociales positives qui appartiennent au « bien commun » sont coextensifs et identiques à ceux liés à l’ « ordre public », de sorte que ce dernier terme, en étant décrit par DH n°7 comme la « partie fondamentale du bien commun« , signifiait « la défense coercitive de ces valeurs, plutôt que les valeurs elles-mêmes ». (38) M. Guminski fait remarquer à juste titre que ce que de Smedt et le Concile veulent vraiment dire, c’est que le bien commun (dans sa totalité) comprend davantage de « valeurs sociales positives » – ou mieux, des Conditions Sociales Valorisées (ci-après CSV) – que l’ordre public. Ce dernier ne comprend que les CSV les plus essentielles que la société considère comme nécessaires à son existence ou à sa survie sous une forme ordonnée, et qu’elle doit donc protéger par des mesures coercitives. Le bien commun (dans sa totalité) comprend cependant d’autres CSV qui, sans être essentiels, sont néanmoins précieux pour la prospérité et l’épanouissement de la société, c’est-à-dire pour son perfectionnement et non pour sa survie. Et le Concile veut certainement dire que la coercition ne peut être utilisée que contre le type d’activité religieuse (ou pseudo-religieuse) qui menace le premier ensemble de CSV, « essentiels à la survie », et non contre celui qui pourrait menacer uniquement le second ensemble de CSV « agréables mais pas si nécessaires ».

Néanmoins, l’erreur ci-dessus n’affaiblit pas vraiment mon argument selon lequel la proposition Z est une lecture injustifiée de DH. Pour commencer, dans les temps anciens, la nécessité d’empêcher la libre propagation de l’hérésie au sein d’une population catholique était très certainement considérée, par l’Église et l’État, comme le type de CSV qui était « essentiel à la survie ». Car l’hérésie sapait radicalement les fondements de la chrétienté en tant qu’ordre social intégré. Deuxièmement, le contenu précis de l’ « ordre public » est toujours laissé assez ouvert dans DH. Dans le texte finalement approuvé du n°7, §3, il est plus clair que cette norme générale est définie en fonction des trois normes plus spécifiques mentionnées dans ce paragraphe. Par conséquent, la première question à laquelle il faut répondre n’est pas « Quelles sont les CSV spécifiques qui doivent être considérées comme essentielles, plutôt que simplement souhaitables ? », mais plutôt « Quelles sont les classes d’activité spécifiques qui doivent être considérées comme violant la paix publique, la moralité publique ou les droits des autres/de tous les citoyens ? » Ensuite, après avoir identifié ces classes d’activité, il faudra les considérer comme étant ipso facto une menace pour l’ordre public et donc sujettes à une répression légale. Or, il est assez facile d’identifier les activités menaçant la paix publique, car l’absence de paix – la violence et le désordre – est quelque chose d’assez évident pour tous les intéressés. Mais la Déclaration laisse encore ouverte la question de savoir, même dans les circonstances actuelles, quelles sortes d’activités spécifiques doivent être considérées comme des menaces si graves pour la « moralité publique » ou les « droits des autres/de tous les citoyens » qu’elles justifient une répression légale. Troisièmement, puisque DH doit être compris, comme nous le verrons bientôt, comme permettant des changements historiques significatifs dans l’évolution du bien commun, elle doit être lue comme étant encore plus ouverte quant aux types de limites à l’activité religieuse qui étaient objectivement justifiables dans le passé. Car lorsque les exigences du bien commun évoluent, celles de l’ordre public évoluent nécessairement avec elles. (39)

III.3. La Relatio finale de l’évêque de Smedt. Revenons maintenant à notre thème principal. Quels autres arguments M. Guminski apporte-t-il pour soutenir sa thèse selon laquelle DH condamne rétrospectivement la doctrine et la pratique répressives mentionnées dans nos propositions X, Y et Z ? Cette thèse l’oblige à traiter, entre autres, de la dernière Relatio officielle sur le schéma de la liberté religieuse délivrée par Mgr de Smedt. Le prélat néerlandais a fait remarquer au cours du Concile que la révision finale du schéma a rassuré les Pères qui ne voulaient pas que le document implique un verdict trop sévère sur la doctrine et la pratique de l’Église antérieure. Suivant la critique de John Courtney Murray sur cette approche « anachronique » qui dénonce certaines dispositions juridiques passées en faisant abstraction de leur contexte historique, (40) de Smedt était d’accord avec ledit groupe de Pères conciliaires :

« Il faut tenir compte du fait que la société humaine elle-même a présenté des modes de pensée et de vie différents à différentes époques. Ceci est tout à fait vrai, mais il est exprimé de manière équivalente lorsque nous affirmons que la norme pour le soin de la religion est le bien commun. Le bien commun, comme chacun sait, est quelque chose de relatif : il est lié à l’évolution culturelle des peuples et doit être jugé en fonction de cette évolution. » (41)

M. Guminski reconnaît que cette relation a au moins l’apparence d’une arme redoutable dans mon propre arsenal, et s’efforce donc de la dénoncer comme un simple leurre. Ses efforts, cependant, ne sont pas convaincants.

Malheureusement, il commence par mal m’interpréter une fois de plus, en prétendant que je vois cette Relatio « comme confirmant [ma] position selon laquelle l’ « ordre public juste » de DH n’a de portée équivalente qu’aux composantes coercitives du bien commun au sens de la doctrine préconciliaire » . (42) Mais je ne le vois pas ainsi. Ma citation et mon appel à la Relatio viennent à la conclusion d’une section de RLC (pp. 85-89) argumentant pour la conclusion plus générale et fondamentale que la proposition Z (notre proposition actuelle) est une fausse lecture de DH. Cet appel précède entièrement mon argument concernant la relation entre « bien commun » et « ordre public » (43) et ne dépend pas, pour sa validité, de celle de ce dernier argument, tout à fait secondaire ;

Mon adversaire tente d’abord de tirer le meilleur parti du fait que les observations de de Smedt, citées ci-dessus, ont été ajoutées oralement au texte imprimé de sa Relatio que les Pères avaient sous les yeux. Gratuitement, M. Guminski dit que cette addition « semble avoir été fortuite, sûrement extemporanée […] très probablement sans impact considérable ». « Sûrement extemporané » ? En 1965, tous les documents destinés à être distribués devaient être soumis un jour ou deux auparavant à la presse du Vatican. Donc, pour ce que nous en savons, de Smedt peut avoir passé une heure ou deux, la nuit précédant sa Relatio, à préparer méticuleusement le texte latin de ce paragraphe supplémentaire. En ce qui concerne l’ « impact » probable de ces mots, il est notoire que les Pères étaient constamment submergés par un tel volume d’imprimés que beaucoup ou la plupart d’entre eux n’arrivaient jamais à tout lire. C’est donc précisément le commentaire oral qui est le plus susceptible d’avoir eu le plus grand impact. Quoi qu’il en soit, toute cette relation particulière – ses parties imprimées et orales – fait partie de l’Acta officiel et public du Concile ; et le texte final de DH doit donc être compris à la lumière de son contenu.

M. Guminski objecte ensuite – a priori de manière assez peu plausible – que les remarques ajoutées oralement par le rapporteur « sont incompatibles » avec ce qu’il dit lui-même dans son rapport écrit. (44) Il pense manifestement que, puisque de Smedt, dans ces remarques, se référait aux limitations gouvernementales de l’activité religieuse, la cohérence exigeait qu’il parle d’«ordre public » plutôt que de « bien commun ». Mais le rapporteur n’avait pas besoin de faire cette distinction dans ces remarques supplémentaires. Car ici, il s’agissait simplement de souligner que la dernière révision du texte, en réduisant la proéminence et l’importance du terme relativement non traditionnel (45) « ordre public », et en le définissant en termes de « bien commun » (46), rendait le schéma plus clairement compatible avec un jugement relativement bienveillant à l’égard de la position plus répressive de l’Église à une époque antérieure. De Smedt tenait pour acquis que les Pères auxquels il s’adressait, ayant compris que la relation entre le bien commun et l’ordre public est celle d’un tout à certaines de ses parties, comprendraient que, puisque le bien commun est (« comme chacun sait ») quelque chose de « relatif » et « évolutif », il en va de même pour l’ordre public. Ses mots ajoutés oralement, en utilisant « bien commun » plutôt que « ordre public », n’étaient, dans ce contexte, pas plus incompatibles avec ses mots imprimés que la déclaration « J’ai arrêté de fumer pour le bien de ma santé » n’est incompatible avec la déclaration « J’ai arrêté de fumer pour le bien de ma gorge et de mes poumons ». Cette réfutation de la deuxième objection de M. Guminski couvre également sa troisième, dont la validité dépend de cette prétendue incompatibilité. (47)

Sa quatrième et dernière objection est que « la valeur probante de la déclaration in oratione de l’évêque est noyée dans d’autres éléments » qui montreraient que le pape et les pères conciliaires voulaient vraiment que DH s’oppose à cette déclaration. (48) Maintenant, ce que mon critique doit établir, bien sûr, c’est que cette abondance d’ « autres questions » prouve que le jugement du Concile quant à ce qui constituerait aujourd’hui une violation du droit à la liberté religieuse est nécessairement rétroactif pour toute l’histoire passée. Je pense que notre discussion précédente est suffisante, aux fins actuelles, pour montrer qu’il n’a pas réussi à établir cela.

III.4. Tertio Millennio Adveniente. M. Guminski cherche ensuite à montrer que Jean-Paul II lui-même enseigne, au moins implicitement, que DH a entraîné une contradiction doctrinale. Il cite (49) la Lettre Apostolique Tertio Millenio Adveniente (TMA) de 1994, n° 35, où le Pontife appelle à un « esprit de repentir » pour l’acquiescement historique des « fils de l’Église » à des méthodes « d’intolérance et même de violence dans le service de la vérité. » Exprimé en ces termes, un tel jugement est trop rhétorique pour être d’une grande aide dans la résolution de nos questions actuelles. (50) Cependant, le Pape est plus précis dans le paragraphe suivant, cité par M. Guminski, où il exprime « regretter profondément » les opinions et les pratiques de nombreux croyants antérieurs qui pensaient « en toute bonne foi que, pour porter authentiquement témoignage à la vérité, il fallait réduire au silence l’opinion d’autrui ou au moins la marginaliser. (sinceram veritatis testificationem simul iubere alienas opiniones extingui vel saltem secludi) ». (51) Plusieurs commentaires sur cette affirmation semblent pertinents.

Premièrement, contrairement à DH et au Catéchisme du Pape lui-même (52), le jugement ci-dessus omet complètement toute mention de l’ordre public et des limites légitimes à la diffusion de la propagande nuisible. Pris littéralement et isolément, un tel blâme sans réserve pourrait sembler indiquer une approbation papale d’une liberté absolue et illimitée de la propagande dans les questions touchant à la foi et aux mœurs. Mais comme nous savons que telle n’est pas la véritable position de Jean-Paul II, nous pouvons en déduire que sa large généralisation, située dans une exhortation pastorale, n’est pas conçue comme une formulation précise de la doctrine authentique exigeant une soumission de l’esprit et de la volonté de la part des fidèles.

Deuxièmement, cette lecture « non doctrinale » de TMA au n°35 est soutenue par l’identification prudente par le Pape de la cible de sa critique, à savoir, de nombreux fils et filles de l’Église, dans des époques passées. Le Saint-Père indique ainsi clairement qu’il n’a pas l’intention de censurer et de renverser une quelconque doctrine catholique antérieure. En effet, la doctrine – même authentique mais non infaillible – doit toujours, par définition et en toute honnêteté, être attribuée à l’Église elle-même, et non à des individus ou à des groupes parmi ses enfants.

Troisièmement, une autre corroboration de cette interprétation se trouve dans l’utilisation par le pape du verbe iubere, qui devrait être traduit ici par « requis » ou « exigé ». En niant que l’éradication ou la « marginalisation » des idées anticatholiques était nécessaire dans l’intérêt de la vraie foi, Jean-Paul II n’exprime qu’un jugement historique selon lequel une telle répression était inutile, et non un jugement formellement éthique selon lequel elle était injuste. Certes, si ce jugement est correct, il résulterait de l’enseignement de DH que la répression en question était non seulement inutile mais aussi injuste. (53) Mais le point pertinent ici est que tous les jugements sur l’efficacité ou la nécessité de certaines pratiques comme moyens d’atteindre une fin donnée sont par nature des jugements prudentiels sur des questions de faits contingents, et non des jugements doctrinaux sur des normes morales immuables.

Quatrièmement, en annonçant, près de trois décennies après DH, ce jugement historique prudentiel selon lequel ni l’éradication ni même la « marginalisation » de l’opinion anticatholique dans la chrétienté n’étaient nécessaires (du moins, pour la plupart) dans l’intérêt de la vérité religieuse, Sa Sainteté ne peut être considérée comme donnant une interprétation authentique du document conciliaire. Car il n’en a pas l’intention. La seule référence du Pape à la déclaration de Vatican II dans le passage de TMA invoqué par M. Guminski est une brève citation de l’affirmation du préambule selon laquelle « la vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même, qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance ». (DH n°1). Et cet enseignement ne pose aucun problème pour ma propre thèse, puisque la doctrine catholique traditionnelle n’a jamais enseigné que la répression religieuse avait pour but d’ « imposer » la vérité aux incroyants ou aux dissidents eux-mêmes, mais plutôt de les empêcher de faire du tort spirituel, moral ou matériel aux autres. (54)

En bref, si le jugement prudentiel postconciliaire indépendant de Jean-Paul II sur la répression religieuse au sein de l’ancienne chrétienté semble plus sévère, du moins implicitement, que la position que j’attribue au Concile lui-même, cela ne constitue en aucun cas une preuve que ma lecture de la doctrine conciliaire est erronée.

III.5. Changements postconciliaires dans le droit espagnol. Ma position dans RLC est que le nouveau développement doctrinal dans DH (55) s’est accompagné de manière appropriée (bien qu’il ne l’exige pas en soi) d’un renversement de la norme antérieure du droit public ecclésiastique qui se reflétait dans les concordats et autres documents juridiques interdisant, dans certains États, la manifestation publique de toutes les religions à l’exception du catholicisme. Je soutiens que de tels changements reflètent un nouveau jugement pratique, pastoral et politique de l’Église, selon lequel de telles manifestations, en tant que telles, ne peuvent plus être considérées comme une menace pour l’ordre public (c’est-à-dire comme une menace suffisamment grave pour le bien commun pour nécessiter une répression légale). (56) Ce type de changement n’implique aucune contradiction avec la doctrine, c’est-à-dire avec ce que l’Église a présenté auparavant comme la loi divine. M. Guminski, cependant, pense qu’une telle contradiction doctrinale est supposée avoir eu lieu à Vatican II par les auteurs des révisions juridiques postconciliaires dans certains pays catholiques. Il en veut pour preuve (57) la loi espagnole du 28 juin 1967 qui a éliminé la norme antérieure (1945) interdisant les manifestations publiques de toutes les religions non catholiques. Eh bien, même si M. Guminski avait raison de penser que les législateurs espagnols en question étaient d’accord avec lui sur ce point, une réponse courte suffisante serait : « Et alors ? ». Lesdits législateurs ne constituaient guère une sorte de branche ibérique du Saint-Office, dotée de la faculté d’interpréter avec autorité l’enseignement des conciles œcuméniques.

Quoi qu’il en soit, je n’admets nullement que les messieurs en question aient effectivement accepté la lecture de DH faite par mon critique. Leur loi stipule simplement que, « après cette déclaration du Concile » – c’est-à-dire après la promulgation de la Déclaration Dignitatis Humanae – il est devenu nécessaire, compte tenu du principe d’ « établissement » de 1958 de l’Espagne, que celle-ci modifie la loi antérieure (restrictive) de 1945. Et, bien sûr, la position que j’expose dans RLC reconnaît pleinement cette nécessité. Mais que les législateurs espagnols aient compris que le Concile voulait dire que cet amendement était exigé par la loi divine immuable elle-même (comme le pense M. Guminski), ou seulement par une nouvelle spécification ecclésiastique, adaptée à notre époque, d’une loi divine beaucoup plus générale et flexible (comme je le pense) – cela, je le soumets, ne peut pas être déterminé uniquement sur la base de ce bref texte juridique lui-même. En effet, comme ceux qui rédigent et promulguent la législation civile sont généralement des hommes pratiques, et non des théologiens ou des philosophes du droit naturel, il est fort probable que cette distinction théorique contestée par M. Guminski et moi-même soit passée complètement inaperçue sous leur écran radar. (58)

III.6. DH n°1 et le « développement » doctrinal. M. Guminski a un argument de plus pour « rejeter comme sans fondement » mon point de vue selon lequel DH annule le droit public préconciliaire sans contredire la doctrine préconciliaire. Mais cet argument est le plus faible de tous, car il dépend d’un texte conciliaire qui, correctement compris, est en contradiction avec sa propre position et soutient la mienne. Il nous rappelle que, dans son préambule, « DH a expressément déclaré que, « en traitant de cette liberté religieuse, le saint Concile entend développer la doctrine des Souverains Pontifes les plus récents sur les droits inviolables de la personne humaine« . (59) En effet. Mais simplement en utilisant le mot « développer », les Pères du Concile nient la chose même que mon critique voudrait nous faire croire qu’ils impliquent, à savoir que la doctrine qu’ils ont maintenant l’intention de proposer est incompatible avec la doctrine préconciliaire. Se peut-il que M. Guminski ignore que, depuis que l’essai historique de [saint] John Henry Newman a propulsé le concept de « développement » doctrinal dans la théologie catholique dominante, il a été tenu pour acquis, comme condition sine qua non de la reconnaissance ecclésiale de ce concept, que tout « développement » authentique doit être en harmonie, et non en conflit, avec la doctrine existante ? Ce point était fondamental pour l’ensemble de l’argumentation de Newman. Ou bien M. Guminski en est-il au moins confusément conscient, tout en supposant néanmoins que la spécification par le Concile des papes « plus récents » comme étant ceux dont il propose de « développer » la doctrine est une manière douce et diplomatique d’indiquer que la doctrine des papes antérieurs pourrait – hélas ! – devoir être corrigée (c’est-à-dire contredite), plutôt que développée, au cours de la réalisation de cette proposition ?

Si c’est le cas, il a encore tort sur trois points. Premièrement, la théologie orthodoxe a toujours reconnu, et insisté, sur le fait que tout développement de la doctrine, pour être authentique et acceptable, doit être compatible avec toute la doctrine catholique antérieure, et pas seulement avec certaines parties de celle-ci.

Deuxièmement, en identifiant les papes « plus récents » auxquels le Concile pensait, nous constatons que leur propre doctrine, et pas seulement celle de leurs prédécesseurs, est telle qu’elle aurait été contredite, et non authentiquement développée, par la doctrine que M. Guminski attribue au Concile (cf. notre proposition Z). Nommés dans la note 2 du paragraphe suivant (n°2, §1), ces papes sont ceux dont les écrits sont cités comme les principales sources magistérielles de l’affirmation doctrinale centrale du Concile de la liberté religieuse comme droit naturel : Jean XXIII, Pie XII, Pie XI et Léon XIII, dans cet ordre. Mais chacun de ces papes a accepté la justice, dans certaines circonstances, d’interdire légalement toutes les manifestations publiques des religions non catholiques : de telles interdictions, bien sûr, ont été approuvées par le pape en Espagne, en Colombie et ailleurs jusqu’au Concile. Par conséquent, soutenir que les déclarations les plus novatrices de ces papes qui sont invoquées ici dans le n° 2 impliquent d’une manière ou d’une autre la doctrine que la proposition Z attribue à DH, et qu’elles peuvent donc être « développées », impliquerait l’affirmation invraisemblable que la position de tous ces Pontifes sur la liberté religieuse était fondamentalement incohérente – c’est-à-dire que chacun d’entre eux a embrassé des doctrines mutuellement contradictoires dans différentes déclarations ou politiques de son propre pontificat.

Troisièmement, le mot recentiorum (« les plus récents ») a été ajouté au projet final sur l’ordre exprès de Paul VI – et certainement pas dans l’intention d’aplanir la voie à une contradiction des papes précédents. Au contraire, cet amendement et plusieurs autres amendements vitaux de dernière minute au DH n°1 ont été introduits avec l’intention avouée de « rassurer » les Pères qui craignaient une telle contradiction. Le fait est que ces amendements – ainsi que deux paragraphes complets de la Relatio finale les expliquant – ont été dictés mot pour mot par Paul VI, fait qui n’a été rendu public que plus d’un quart de siècle après la promulgation de la Déclaration. Leur importance n’a donc pu être pleinement appréciée dans les commentaires sur la DH rédigés avant le début des années 1990. (60)

Comment « recentiorum » sert-il cet objectif ouvertement conservateur ? Tout d’abord, il doit être considéré en conjonction avec les autres ajouts papaux simultanés au même paragraphe (n°1, §3) du projet final (à savoir, les mots « traditionnelle » [après] « doctrine catholique » et « et des sociétés » après « l’homme »). Ensuite, l’ensemble de ces ajouts doit être compris à la lumière de la partie pertinente de la Relatio finale de Mgr de Smedt, (61) qui lui a également été dictée dans une communication du Pape. (62) L’idée selon laquelle le Concile se proposait de développer la doctrine des Papes « les plus récents » pour souligner que des Papes précédents avaient enseigné (la « doctrine catholique traditionnelle ») a été « non développée », c’est-à-dire laissée sans « aucun préjudice » (integram, signifiant « dans son intégrité », c’est-à-dire « entière et complète », « inchangée »). Comme le dit la Relatio, ces papes « récents » ont « conservé » la doctrine des « documents pontificaux jusqu’à Léon XIII […] sur le devoir moral des autorités publiques envers la vraie religion » (une doctrine qui incluait certainement le devoir de ces autorités, dans certaines circonstances, de freiner la propagation des fausses religions), mais ils l’ont aussi « complétée en mettant en évidence un autre devoir des mêmes autorités, à savoir celui d’observer les exigences de la dignité de la personne humaine en matière religieuse comme un élément nécessaire du bien commun« . Et (nous dit-on) le Concile se propose maintenant de développer, dans le sens de « clarifier », cet enseignement papal « plus récent » qui complète l’enseignement plus ancien, « non développé » (mais encore « intact »). (63)

Les lecteurs se souviendront qu’à mon avis, cette clarification doctrinale complémentaire consiste essentiellement dans l’enseignement implicite du Concile selon lequel « une certaine propagande pacifique non catholique (au moins à certains moments et/ou en certains lieux) a droit à l’immunité contre l’interdiction civile » . (64) Or, cette nouvelle proposition de droit divin et naturel a un caractère très général (non spécifique). Pourtant, en même temps, nous savons – principalement par le silence de la déclaration concernant toute différence possible dans l’application de DH dans les sociétés catholiques, par opposition aux sociétés non catholiques – que la volonté et la détermination spécifiques du Concile étaient de désapprouver toute restriction continue de la propagande non catholique en tant que telle, même dans les nations officiellement catholiques comme l’Espagne. Il s’ensuit que cette désapprobation doit être comprise comme un jugement prudentiel – c’est-à-dire une nouvelle norme de droit public ecclésiastique – qui donne une spécification concrète à la loi divine plus générale en décidant que, dans les circonstances modernes, ladite propagande ne peut plus, en tant que telle, être considérée comme une menace pour le juste ordre public d’aucun pays sur terre (cf. notre proposition Y). En effet, si, comme mon adversaire tient à le prouver, ladite désapprobation était présentée par DH comme étant elle-même un point de droit divin (c’est-à-dire comme une doctrine, valable pour tous les lieux et tous les temps, passés, présents et futurs), il est clair qu’elle ne « compléterait » pas la doctrine catholique traditionnelle, ni ne la laisserait « intacte », mais qu’elle la contredirait radicalement. Et c’est le principal signataire de la DH, Paul VI, qui nous assure, via le rapporteur, que la déclaration ne peut être interprétée dans un sens aussi radical.

III.7. Qu’est-ce que « l’Ordre Moral Objectif » ? Le dernier argument de M. Guminski dans la troisième section de son article porte sur la question de savoir si l’ « ordre moral objectif » (spécifié dans le n°7, §3 en relation avec les normes de restriction gouvernementale légitime des activités menées au nom de la religion), doit être compris – comme les catholiques comprendraient normalement cette expression – comme incluant à la fois la loi morale naturelle et la loi révélée (positive divine). Dans RLC, je maintiens qu’elle doit être comprise comme incluant les deux ; (65) mais mon critique prétend que sa signification doit être limitée dans ce contexte à la première. La réponse courte à M. Guminski, je suppose, est de lui demander pourquoi donc, si les Pères du Concile avaient voulu enseigner que la loi naturelle fournit le seul critère légitime pour fixer des limites légales à l’activité religieuse, ils ne l’ont pas simplement dit. Cependant, ses tentatives laborieuses pour justifier sa lecture étroite de l’expression conciliaire méritent une réponse.

Mon critique proteste d’abord que le fait d’admettre le droit positif divin comme critère impliquerait « d’autoriser la répression des […] violations de la religion catholique, en tant que telles », et que DH ne permet pas une telle répression. Mais je nie la validité de cette déduction en ce qui concerne les mots « en tant que telles ». Autoriser le gouvernement à réprimer les « violations de la religion catholique en tant que telles » reviendrait à lui donner carte blanche pour la répression de toute manifestation religieuse en conflit avec l’orthodoxie catholique. Et, bien sûr, j’ai toujours reconnu que, selon DH, ce degré de répression violerait, au moins dans les circonstances actuelles, le droit à la liberté religieuse. Mais il ne s’ensuit nullement que le droit positif divin, du moins à notre époque, doive être totalement exclu des critères selon lesquels le gouvernement d’un pays majoritairement chrétien ou catholique détermine les exigences d’un ordre public juste (et, par conséquent, les limites légales de l’activité religieuse). Une position intermédiaire est en effet possible, selon laquelle certains points du droit positif divin pourraient encore être inclus parmi ces critères, non seulement parce qu’ils sont révélés par Dieu, mais aussi parce qu’ils sont jugés avoir une importance sociale particulière et directe pour le maintien d’un ordre public chrétien ou catholique. (66)

Nous lisons ensuite un appel à l’autorité de Gaudium et Spes et Veritatis Splendor : des passages sont cités qui mettent effectivement l’accent sur la loi naturelle en relation avec les « normes objectives de la moralité ». Mais le lecteur peut aisément constater qu’aucune de ces citations n’exclut en aucune façon le droit positif divin du rôle que ma lecture de DH n° 7 lui attribue. (67)

M. Guminski soutient en outre que, puisque la liberté religieuse est « un droit naturel qui doit être universellement respecté par l’autorité civile » dans toutes les communautés politiques, quelle que soit leur religion officielle (s’il y en a une), il s’ensuit que « la loi morale naturelle (et non la loi positive divine) doit servir de fondement pour déterminer les exigences d’un ordre public juste » . (68) Mais il s’agit d’un non sequitur, car la conclusion dépend d’une autre prémisse que DH n’énonce ni n’implique, à savoir que les « limites dues » qui sont inhérentes audit droit naturel doivent être déterminées uniformément, au moins en ce qui concerne leur « fondement », dans toutes les communautés politiques – celles qui reconnaissent la vérité du catholicisme et celles qui ne le font pas. Or, DH ne nie nulle part que Dieu, s’il le veut, puisse autoriser les autorités civiles à placer la barre de la conduite communautaire plus haut dans une communauté catholique que ce qui serait juste dans une communauté non catholique, c’est-à-dire à interdire dans la première certaines choses qu’il ne serait pas juste d’interdire dans la seconde.

Enfin, il faut souligner que la tentative de M. Guminski de séparer le droit positif divin du droit naturel se heurte à un autre obstacle : selon la doctrine catholique, toute violation du premier viole indirectement le second. En effet, c’est précisément la loi morale naturelle, connue par la lumière de la raison, qui oblige les individus et les sociétés (même si seuls les premiers peuvent posséder la vertu surnaturelle de la foi) à reconnaître la vérité du catholicisme romain, ainsi que ce qu’il proclame comme loi positive divine. (69)

Je suppose que mes observations jusqu’ici constituent une réponse suffisante à l’affirmation de M. Guminski selon laquelle la position que j’expose dans RLC concernant la signification de DH et sa réconciliation avec la doctrine traditionnelle est « injustifiée » et « fondamentalement défectueuse » . (70)

IV – Articles publiés après RLC

IV.1. La signification et le statut de DH n°7. La dernière section (D) de la critique de M. Guminski couvre plusieurs de mes articles sur la question de la liberté religieuse publiés après RLC : des articles dans lesquels, comme il le dit pittoresquement, ma propre « doctrine » a été « développée ». Il se réfère d’abord à un article paru dans Social Justice Review (71) dans lequel, notant que « l’affirmation doctrinale centrale de toute la Déclaration se trouve à l’article 2 », je suggère également qu’« il semble probable que les précisions données à l’article 7 de DH en ce qui concerne les critères limitatifs de la liberté religieuse doivent être considérées comme de nouvelles normes de droit public ecclésiastique plutôt que comme une doctrine immuable « . (72)

Tout d’abord, je dois faire remarquer que si j’écrivais à nouveau cette phrase aujourd’hui, j’utiliserais le mot « possible » au lieu de « probable ». Car, comme l’argumentation qui précède dans cet essai l’aura fait comprendre au lecteur, mon opinion réfléchie est que les critères limitatifs de l’article 7 sont suffisamment larges et indéterminés dans leur signification pour constituer un parapluie assez grand pour abriter un certain nombre d’applications concrètes de divers degrés de tolérance ou d’intolérance, conformément à l’évolution du jugement prudentiel de l’Église dans différentes situations historiques. Si cela est vrai, il s’ensuivrait que l’article 7 affirme quelque chose que le Concile comprend et enseigne comme étant vrai en tout temps et en tout lieu. En effet, l’ampleur ou l’imprécision même de sa signification contribuera à garantir l’universalité de sa vérité. Et les enseignements que l’Église demande aux catholiques d’accepter comme vrais en tout temps et en tout lieu sont, par définition, des doctrines.

Cependant, je reconnais que le sens de l’article 7, en particulier ses termes « moralité publique », « droits de tous les citoyens » et « ordre moral objectif », est loin d’être clair comme de l’eau de roche, de sorte que ma propre lecture du texte soit au moins ouverte au débat. Et en fait, M. Guminski et moi sommes occupés à en débattre. Supposons maintenant, pour les besoins de l’argumentation, que j’aie tort et qu’il ait raison, c’est-à-dire que les Pères du Concile n’aient pas voulu que les critères soient aussi larges et indéterminés dans leur signification que je ne le pense. Supposons, concrètement, que mon adversaire puisse prouver son affirmation selon laquelle les Pères entendaient que « l’ordre moral objectif » dans DH n°7 ne signifierait uniquement la loi morale naturelle. Sur cette base, les considérations révélées ou surnaturelles (73) qui sous-tendaient la position plus intolérante de l’Église avant le Concile devraient être considérées comme des « preuves inadmissibles » par les autorités de l’État – même dans les pays solidement catholiques – pour déterminer les limites légales de l’activité religieuse. En d’autres termes, il s’ensuivrait que le sens même des termes « droits de tous les citoyens » et « moralité publique » dans le DH n°7 serait limité aux droits et aux normes morales qui peuvent être établis de manière directe et convaincante sur la base de l’éthique « séculaire » ou philosophique, c’est-à-dire la raison humaine non aidée.

A supposer que tout cela soit vrai, cela signifierait-il alors que M. Guminski a raison sur le point principal qui nous oppose, à savoir son affirmation selon laquelle la proposition Z exprime le sens véritable de la déclaration conciliaire ? Pas du tout. Le point auquel j’ai fait allusion (sans l’expliquer) dans mon article de 1989 est que, dans ce cas, DH n°7, en décidant que la révélation divine en tant que telle (ainsi que toutes les conséquences qui en découlent) doit être exclue par les autorités civiles, même catholiques, comme base de limitations légales de l’activité religieuse, établirait une norme qui ne pourrait en aucun cas être considérée comme implicite ou comme un développement harmonieux de toute doctrine catholique existante. En effet, une telle norme ne serait pas seulement une nouveauté complète – et pour cette seule raison serait exclue du statut doctrinal par la tradition catholique (74) – mais elle irait même à l’encontre de la doctrine traditionnelle si elle était elle-même proposée comme doctrine. Pour ces raisons, et à la lumière des assurances répétées de DH n°1 que la déclaration reste en harmonie avec la doctrine traditionnelle, les critères de DH n°7, s’ils signifient ce que M. Guminski pense qu’ils signifient, devraient être compris comme constituant une « nouvelle norme de droit public ecclésiastique » ou de politique, comme je l’ai suggéré dans SJR89. Le statut de cette norme serait alors assez semblable à celui du récent jugement prudentiel du Pontife actuel selon lequel la peine de mort peut rarement, voire jamais, être justifiée dans les circonstances actuelles. Précisément en raison de son statut non doctrinal, la nouvelle norme putative de DH n°7 n’impliquerait aucune condamnation rétroactive de toutes les répressions religieuses antérieures approuvées par l’Église (motivées principalement par des considérations de vérité révélée). En bref, que j’aie raison ou tort sur la signification de DH n°7, la proposition Z reste fausse dans tous les cas.

Revenons à la critique de ma position par M. Guminski. Après avoir cité mes observations sur SJR89, il rétorque de façon sardonique : « En bref, la prétendue doctrine de DH concernant la liberté religieuse est essentiellement vide de sens. Elle rappelle ces simulacres de dispositions constitutionnelles légales dans les États totalitaires qui affirment (en substance) le droit du peuple à être libre, quant à une question particulière, mais seulement dans les limites de la loi.  » (75)

Je pense que la discussion qui précède justifie suffisamment mon commentaire pour les besoins actuels. Mais j’ajouterai plusieurs autres commentaires sur la réplique de M. Guminski. Tout d’abord, selon toute lecture possible de DH, et pas seulement la mienne, mais aussi celle de l’homme, le droit positif, à des époques et dans des lieux différents, devra déterminer les « limites » de l’activité religieuse acceptable de manière variable. En effet, l’interprétation authentique de DH fournie par le Catéchisme le reconnaît : « Les «justes limites» qui lui sont inhérentes doivent être déterminées pour chaque situation sociale par la prudence politique, selon les exigences du bien commun, et ratifiées par l’autorité civile selon des «règles juridiques conformes à l’ordre moral objectif» « . (76) Deuxièmement, la comparaison malveillante entre DH et « les dispositions factices […] des États totalitaires  » est injuste dans la mesure où ces régimes ne suivent certainement pas cet « ordre moral objectif » pour imposer leurs limites légales. Troisièmement, nous ne devrions pas être surpris que certains droits naturels, précisément pour être valables en tout temps et en tout lieu, doivent être si généraux qu’ils sont tout à fait « vacants » à moins et jusqu’à ce qu’ils soient spécifiés concrètement par une multiplicité de lois positives humaines qui varieront grandement selon les circonstances. Il est évident qu’une telle « vacuité » doit aussi être admise, par exemple, en ce qui concerne le droit naturel des travailleurs à recevoir un juste salaire (77) et le « droit inaliénable à l’éducation » de « tous les hommes […] en vertu de leur dignité de personnes humaines ». (78) Ah, mais quel salaire constitue un juste salaire ? Et quel type d’éducation convient vraiment à la dignité humaine ? Seuls le droit positif humain et les jugements politiques prudentiels, qui varient considérablement en fonction de l’évolution des circonstances historiques, culturelles et économiques, seront en mesure de répondre de manière satisfaisante à ces questions essentielles.

IV.2. La signification de DH n°1. Toujours à propos de mon article SJR89, M. Guminski qualifie de « totalement injustifiée » (79) mon affirmation selon laquelle le préambule de DH confirme la doctrine préconciliaire reconnaissant le droit de l’autorité civile à utiliser la coercition pour protéger la vraie religion. Maintenant, si la Commission Théologique avait voulu présenter un schéma contredisant toute partie de la doctrine existante de l’Église, alors bien sûr l’honnêteté aurait exigé que cela soit reconnu ouvertement au cours du Concile. Le rapporteur aurait dû présenter des preuves et des arguments afin de convaincre les Pères que la thèse doctrinale (putativement) erronée qu’on leur demandait de répudier n’avait jamais été proposée avec une force infaillible par le magistère ordinaire ou extraordinaire. Il n’y a bien sûr aucune trace de tout cela dans les Actes du Concile. Au contraire, les Pères ont été assurés, dans les relations pertinentes, qu’aucune contradiction doctrinale n’était impliquée. De plus, j’insiste sur le fait que le préambule lui-même, implicitement et explicitement, répète cette même assurance – trois fois, en fait. (D’où ma remarque précédente selon laquelle l’interprétation de M. Guminski de DH, chapitre I, loin de rendre la déclaration plus « crédible », la transforme en une pièce scandaleuse d’hypocrisie mensongère).

  1. Nous en avons déjà vu un exemple en discutant les implications du verbe « développer » vers la fin de DH n°1. (80)
  2. Ensuite, nous avons un autre des amendements de dernière minute de Paul VI : l’affirmation globale du premier paragraphe selon laquelle le Concile, en évaluant la demande toujours croissante de liberté de l’homme moderne, « scrute la sainte tradition et la doctrine de l’Église d’où il tire du neuf en constant accord avec le vieux ». (81) Il n’est pas dit que la « doctrine » en question soit limitée à la catégorie « infaillible » (par opposition à simplement « authentique ») ; il n’est pas dit non plus qu’elle soit limitée à un domaine particulier de la doctrine. En bref, tout ce qui est « nouveau » proposé par la Déclaration est affirmé à l’avance comme étant en harmonie avec tous les aspects de la « vieille » doctrine.
  3. Mon critique n’a apparemment considéré aucun des points présentés dans les trois paragraphes précédents. (Je ne les ai moi-même jamais soulevés dans des publications antérieures.) Il ne discute donc que le troisième texte pertinent de DH n°1, à savoir le passage plus connu affirmant que la liberté religieuse (telle que le Concile l’entend) « ne porte aucun préjudice à la doctrine catholique traditionnelle au sujet du devoir moral de l’homme et des sociétés à l’égard de la vraie religion et de l’unique Église du Christ« . Plus précisément, alors que M. Guminski ne conteste pas mon point de vue selon lequel DH inclut ici « l’obligation morale » des autorités civiles de reconnaître le catholicisme comme étant la seule vérité (82), il rejette mon affirmation selon laquelle elle inclut également leur droit d’utiliser la coercition contre la fausse propagande religieuse « dans la mesure où le bien commun l’exige » (83) (c’est-à-dire dans l’intérêt d’un ordre public juste).

N’appréciant pas l’importance de la dernière clause entre guillemets, dont je soutiens qu’elle est essentielle pour exprimer correctement la doctrine traditionnelle (préconciliaire), mon critique affirme que l’«obligation morale » réaffirmée par DH n°1 « n’a rien à voir avec la question du pouvoir coercitif en matière religieuse », et que « le préambule lui-même le nie » en se référant à la « demande populaire de liberté religieuse […] [qui] concerne la liberté de contrainte dans la société civile« . (84) Nous savons, bien sûr, que des déclarations répétées dans le reste de la déclaration indiquent clairement que la liberté religieuse affirmée brièvement à l’article 1 ne doit pas être comprise comme une liberté illimitée. Mais ce fait implique à son tour qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre ladite affirmation du préambule et ma propre lecture du paragraphe dans lequel elle figure. En effet, il est évident que le fait de « ne [porter] aucun préjudice » à une « doctrine traditionnelle » qui permet à l’État de limiter la diffusion du mensonge religieux et moral dans l’intérêt d’un ordre public juste est parfaitement compatible avec l’affirmation d’une « liberté religieuse » qui peut être limitée dans l’intérêt d’un ordre public juste.

En outre, puisque M. Guminski estime qu’il est « manifestement clair » que l’aspect justifiant la coercition de la doctrine préconciliaire n’est pas inclus dans la « doctrine catholique traditionnelle » que DH n°1 prétend laisser intacte, il doit, logiquement, soutenir la thèse que la coercition en question n’était pas traditionnellement comprise par le magistère de l’Eglise comme trouvant sa justification dans l’ « obligation morale » du « pouvoir public » (85) (c’est-à-dire le gouvernement) « à l’égard de la vraie religion et de l’unique Église du Christ » ; car le préambule veut clairement dire que tout ce qui est traditionnellement compris dans cette « obligation morale » est laissé intact par DH. Je soutiens, cependant, que cette thèse est historiquement indéfendable, et en fait, absurde. En effet, si les autorités civiles de la chrétienté qui ont effectivement appliqué les restrictions traditionnelles à la propagande hérétique et juive ont souvent été motivées par des considérations politiques ou autres considérations non religieuses, il est manifeste et indéniable, d’après tous les documents magistériels et les traités théologiques préconciliaires pertinents, qu’en ce qui concerne la « doctrine catholique traditionnelle », de telles restrictions faisaient partie intégrante du devoir de l’État de protéger la vraie religion et les âmes de ceux qui constituent « l’unique Église du Christ ».

La lecture de la citation de quinze lignes de la dernière partie du préambule par M. Guminski (86) peut laisser une première impression que son interprétation fade (et, pour ainsi dire, inefficace) de cette obligation sociale envers la vraie religion reflète la véritable pensée du Concile. Mais il faut se rappeler, tout d’abord, que cette version finale de DH n°1 est le produit d’un « traitement » ou d’une « retouche » de dernière minute de l’avant-dernier projet. Cette version précédente n’impliquait en effet rien de favorable à la coercition, puisqu’elle ne parlait que de la défense du devoir moral des individus envers la vraie religion. Et des traces de cette perspective antérieure, plus libérale et individualiste, restent ancrées dans la structure générale et la phraséologie du texte final.

Deuxièmement, et c’est peut-être plus important, la traduction utilisée par M. Guminski – comme toutes les autres traductions publiées que j’ai rencontrées – ne rend pas adéquatement l’une de ces « retouches » finales mandatées par le pape : le remplacement de Itaque par Porro pour commencer la deuxième phrase du dernier paragraphe du préambule. (87) Les dictionnaires montrent que porro est un mot de liaison assez souple, signifiant « encore, à son tour, ensuite, en outre, de plus, d’autre part ». En latin ecclésiastique, ce dernier sens, indiquant un certain contraste avec ce qui vient d’être dit, est courant. Car si porro peut encore être ici plus « neutre », et même (comme autem ou vero) une simple variante stylistique pour « et », il a souvent la force adversative de « d’autre part » ou  » mais « . (88) En bref, il est utilisé pour introduire une nouvelle pensée qui représente une rupture ou un contraste avec l’énoncé précédent. Or, itaque indique exactement le contraire : la continuité, le renforcement ou la conséquence logique de ce qui vient d’être dit. Il signifie « et ainsi, et donc, en conséquence, donc, par conséquent ». Par conséquent, le remplacement de Itaque par Porro comme premier mot de la phrase réaffirmant la « doctrine catholique traditionnelle » est hautement significatif. Il signifie que cette phrase n’exprime plus quelque chose qui est une implication ou une conséquence de la phrase précédente, avec son insistance  » non coercitive  » sur le fait que la vérité « s’impose par la seule force de sa propre vérité, [etc.] ». Étant donné ce changement textuel, et étant donné aussi le fait que tous ces amendements finaux ont été, selon les mots manuscrits de Paul VI, introduits précisément pour « répondre à l’objection [conservatrice] alléguant une discontinuité dans le magistère » (89), le mot suivant Porro, à savoir quum, devrait aussi être retraduit d’une manière plus  » conservatrice  » : c’est-à-dire comme  » pendant que  » ou  » bien que « , au lieu de  » depuis que « . Je soumets donc que le rendu suivant des deux premières phrases de DH n°1, dernier paragraphe, exprime leur véritable sens de manière plus précise que les traductions couramment utilisées. (Les « retouches » du pape sont en italique afin que le lecteur puisse voir où le texte final diffère de la version précédente).

« De même encore, le saint Concile déclare que ces devoirs concernent la conscience de l’homme et l’obligent, et que la vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance. Or, puisque la liberté religieuse, que revendique l’homme dans l’accomplissement de son devoir de rendre un culte à Dieu, concerne l’exemption de contrainte dans la société civile, elle ne porte aucun préjudice à la doctrine catholique traditionnelle au sujet du devoir moral de l’homme et des sociétés à l’égard de la vraie religion et de l’unique Église du Christ.« 

L’harmonie entre le texte, ainsi traduit, et l’interprétation que je lui donne est maintenant beaucoup plus évidente. Le raisonnement est le suivant : Étant donné que la liberté religieuse « concerne l’exemption de contrainte dans la société civile », il pourrait sembler que si le Concile reconnaît maintenant un droit naturel à cette liberté, cela impliquera inévitablement une répudiation de la doctrine catholique traditionnelle sur le devoir moral des sociétés envers la vraie religion. Car cette doctrine, après tout, incluait certainement le droit et le devoir de la société de protéger la vraie religion par des mesures coercitives. Cependant (nous sommes rassurés), il n’y aura pas une telle répudiation. Car si la liberté religieuse (telle que le Concile la conçoit) concerne effectivement l’immunité contre la coercition, il laisse néanmoins intacte (ou « entière et complète » (90)) cette doctrine traditionnelle. (La tension apparente entre les « anciennes » et les « nouvelles » positions doctrinales serait alors résolue en attirant l’attention, comme je l’ai fait plus haut, sur le caractère limité tant de la coercition précédemment autorisée que de la liberté nouvellement reconnue).

IV.3. Le Catéchisme de l’Eglise Catholique sur DH n°1. M. Guminski fait ensuite appel au commentaire authentique du Catéchisme sur le préambule, qui, prétend-il, « montre de façon concluante que le point de vue du Père Harrison est erroné ». (91) Mon adversaire affirme cette affirmation sans argument, pensant apparemment qu’elle est justifiée de façon évidente par les mots mêmes du Catéchisme. Il se contente de citer le n°2105, selon lequel la « doctrine catholique traditionnelle » mentionnée dans le DH n°1 est « constituée par » (Latin : constituit) le principe suivant : « Le devoir de rendre à Dieu un culte authentique (cultum authenticum) concerne l’homme individuellement et socialement ».

Or, cette affirmation laconique du Catéchisme doit être  » décortiquée  » à la lumière de son contexte historique et littéraire. Tout d’abord, étant donné la Relatio mandatée par le pape que nous avons examinée plus haut, il ne peut y avoir le moindre doute que parmi ceux qui sont tenus d’exercer un culte « authentique » (c’est-à-dire catholique romain) « socialement », le Catéchisme entend inclure les autorités civiles en tant que telles. Le Père (plus tard Cardinal) Jérome Hamer, qui avait été conciliaire peritus pour le Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens, commente avec autorité comme suit les mots « et les sociétés » dans DH n°1 : « La référence ici est à tous les groupes sociaux, des plus modestes et spontanés aux nations et aux États, et couvrant tout ce qui se trouve entre les deux : syndicats, associations culturelles, universités« . (92) L’article 2105 lui-même implique clairement que ce devoir « social » lie les nations et les Etats en se référant dans ses sources aux encycliques Immortale Dei (1885) et Quas Primas (1925), toutes deux principalement concernées par le maintien et l’accentuation de ce devoir. (93)

Jusqu’ici, M. Guminski ne sera probablement pas en désaccord ; mais il pense manifestement que le Catéchisme exclut l’idée que les mesures coercitives gouvernementales contre les manifestations non catholiques en tant que telles puissent jamais (dans le passé, le présent ou l’avenir) trouver une justification dans le devoir social susmentionné. Eh bien, si tel était le cas, le Catéchisme lui-même serait ouvert aux objections que j’ai déjà formulées à l’encontre de la position de M. Guminski dans la section IV.2 ci-dessus, en particulier celle de son caractère non historique. C’est un fait clairement documenté que la « doctrine catholique traditionnelle » incluait des mesures coercitives dans le cadre du « devoir moral de l’État envers la vraie religion ». Et si même Dieu ne peut pas changer le passé, un catéchisme d’église peut encore moins le faire.

Cependant, je ne concède pas que le Catéchisme exclut effectivement toute mesure coercitive dans l’accomplissement dudit devoir. En gardant à l’esprit que ce devoir social d’ « offrir un culte authentique » à Dieu implique non seulement de reconnaître la vérité catholique de cette manière, mais aussi de la garder, de la conserver ou de la préserver (94) de sorte que la génération suivante (et la suivante, et la suivante) offre toujours ce même culte, la nécessité d’un certain degré de coercition pour restreindre la propagande anticatholique en découle comme un corollaire pratique. (95) Selon l’Ancien et le Nouveau Testament, le « culte », aussi révérencieux et orthodoxe soit-il en apparence, ne sera pas « authentique » s’il n’est pas pratiqué dans le contexte d’un style de vie (individuel ou national, selon le cas) marqué par la justice et l’observation des commandements de Dieu. (96) C’est pourquoi le même article (n. 2105) du Catéchisme rappelle aux catholiques que leur devoir d’évangélisation consiste à travailler à « pénétrer d’esprit chrétien les mentalités et les mœurs, les lois et les structures de la communauté où ils vivent ». Mais l’expérience démontre amplement que dans les États (par exemple, l’Espagne postconciliaire, l’Italie et les monarchies d’Europe du Nord) qui ont maintenu des « établissements » ecclésiastiques purement nominaux et cérémoniels tout en imposant peu ou pas de restrictions à la propagande anti-chrétienne, l’«esprit chrétien » susmentionné s’étiole progressivement et disparaît de leur mentalité et de leurs mœurs, de leurs lois et de leurs communautés. (C’est, bien sûr, précisément ce que les papes du XIXe siècle avaient prédit dans leur croisade contre les libertés religieuses et autres libertés civiles excessives). La législation finit par autoriser des maux comme le divorce, la pornographie, l’avortement, la vente de contraceptifs, l’euthanasie et même le « mariage » homosexuel. (97) Cette atrophie massive de la substance de base d’un ordre social chrétien a déjà conduit inexorablement à l’abolition calme – généralement non contestée (98) – même des « établissements » catholiques nominaux d’Espagne et d’Italie, où dix-sept siècles d’ère constantinienne se sont officiellement terminés par un simple gémissement – certainement pas par une explosion – dans les années 1980.

L’insistance du Catéchisme sur le « devoir social » (c’est-à-dire national ou civique) de rendre un « culte authentique » à Dieu est éclairée par les célèbres échanges théologiques préconciliaires aux États-Unis entre John Courtney Murray et ses critiques conservateurs. En effet, comme l’a souligné un éminent commentateur de ces débats, l’existence ou la non-existence d’un tel devoir est au cœur même de ce débat. (99) Pavlischek choisit comme attaque paradigmatique de la position de Murray un essai de 1952 dans lequel Monseigneur Joseph Clifford Fenton insiste sur le fait que tout l’édifice de la doctrine catholique orthodoxe concernant l’Église, l’État et la répression/tolérance religieuse est carrément basé sur le principe fondamental que « non seulement les hommes à titre d’individus, mais aussi toutes les sociétés ou groupes d’hommes sont tenus » de reconnaître et d’honorer Dieu, et que :

« le seul culte social acceptable et autorisé de Dieu se trouve résumé dans le sacrifice eucharistique de l’Église catholique. La volonté de Dieu est que les hommes s’acquittent de la dette de reconnaissance et de gratitude qu’ils ont envers lui dans le culte et selon le rite de sa propre Église. » (100)

Tant Murray que ses critiques, comme Fenton, se sont rendu compte que ce principe était inséparable de toutes les conséquences pratiques (sinon strictement logiques) qui en découlaient, en particulier la légitimité d’un certain degré de restriction gouvernementale sur les manifestations contraires à la religion catholique (qui comprend bien sûr à la fois la  » foi  » et la  » morale « ). C’est précisément pour cette raison que Murray a nié ledit principe : selon lui, l’incompétence de l’État à reconnaître la vérité religieuse est le véritable fondement du droit humain à la liberté religieuse. Après le Concile, Murray a essayé de présenter la DH comme soutenant sa propre position sur ce point ; mais en fait, grâce à l’intervention papale de dernière minute, la déclaration avait tranquillement justifié la doctrine traditionnelle exposée par Fenton (avec d’autres critiques de Murray comme George W. Shea et Francis J. Connell). Et le numéro 2105 du Catéchisme la confirme encore plus explicitement. En bref, une fois que le « pavé » du « culte authentique » est jeté dans la « mare » des valeurs sociales et nationales de l’homme, certaines restrictions sur la propagande anticatholique se retrouvent parmi les effets qu’il produit inévitablement.

IV.4. Ma critique de l’ouvrage de M. Davies intitulé The Second Vatican Council and Religious Liberty. M. Guminski poursuit en critiquant mon article substantiel le plus récent sur DH, une critique de 1993 du livre de feu Michael Davies portant le titre ci-dessus. (101) Ici, je pense que certaines de ses objections sont mieux fondées que celles que nous avons examinées jusqu’à présent, et je modifierai ma position en conséquence. Cependant, je passerai rapidement sur sa première volée (102) car elle dépend entièrement d’une distinction que je trouve spécieuse. M. Guminski veut distinguer entre un « droit naturel » et « ce que l’on pourrait appeler proprement un droit naturel ». Le premier, mais pas le second, aurait pour  » fondement […] la dignité naturelle des personnes humaines « , et l’ensemble de tous les droits naturels serait  » un sous-ensemble approprié  » de  » l’ensemble des droits de droit naturel « . (103) L’implication, à savoir que certains droits dont le « fondement » n’est pas « la dignité naturelle des personnes humaines » peuvent néanmoins relever de la loi morale naturelle, me semble à la fois incompréhensible et (pour autant que je sache) non soutenue par la tradition catholique du droit naturel. (Mon critique ne cite aucun autre auteur, catholique ou non, à l’appui de cette distinction).

Plus importantes, je pense, sont d’autres questions découlant de ma critique de Davies. J’ai déjà reconnu que mon livre RLC, en se concentrant uniquement sur les principales encycliques papales (celles à partir de 1864), avait laissé sans réponse la question de savoir s’il existait déjà, avant l’époque de Pie IX, une doctrine catholique authentique enseignant que les interdictions gouvernementales de toutes les manifestations publiques non catholiques pouvaient être justes dans certaines circonstances. Le livre reconnaît, bien sûr, le fait historique évident que la pratique séculaire de l’Église (sa politique et son droit public) a approuvé de telles interdictions globales dans de nombreux pays catholiques. Mais la question de savoir si ce fait même (et/ou, peut-être, d’autres documents magistériels antérieurs) impliquait ou équivalait à une doctrine correspondante de l’Église était une question que je n’ai pas abordée dans RLC. Néanmoins, comme on l’a noté (104), les arguments de RLC en faveur de la continuité doctrinale intégrale  » couvraient déjà cette base « , à la fois en comprenant et en formulant la doctrine traditionnelle en termes suffisamment ouverts, et en faisant valoir que DH ne condamne en aucun cas rétroactivement ladite pratique antérieure comme ayant été toujours et partout injuste.

Plus récemment, j’en suis venu à penser que la réponse correcte à cette question non résolue jusqu’alors est affirmative : c’est-à-dire que l’approbation par l’Église de telles interdictions gouvernementales globales (celles qui n’autorisent aucune manifestation publique non catholique) a effectivement atteint le statut de doctrine au moins authentique (par opposition à une simple opinion théologique ou canonique commune) (105). D’autre part, je crois maintenant que ma formulation initiale, et le fondement proposé pour cette doctrine plus ancienne du magistère ordinaire, étaient (comme indiqué dans ma critique du livre) inexacts.

J’ai alors écrit : « La doctrine traditionnelle exclut la possibilité que, dans une société à prédominance catholique, il puisse exister un droit naturel des non-catholiques à être tolérés dans la profession publique de leur religion » . (106) Mais cette formulation équivaudrait à une doctrine selon laquelle cette seule circonstance sociale (à savoir la présence d’une population « majoritairement catholique »), indépendamment de toute autre condition culturelle, sociale, religieuse ou politique contemporaine, est, toujours et partout, une condition suffisante pour la légitimité morale de la répression de toutes les manifestations publiques des autres religions. La « prédominance » catholique (quel que soit le pourcentage de la population que l’on puisse définir comme tel) jouirait d’un statut doctrinal en tant que simple « test décisif », perpétuellement et universellement valable, garantissant qu’une telle répression globale ne violerait, en tant que telle, aucun droit de l’homme des minorités religieuses concernées.

Je pense maintenant que cette opinion que j’ai exprimée en 1993 impliquait une lecture un peu trop abstraite et non-historique du magistère ordinaire antérieur. Certes, chaque fois que la question s’est posée au cours des siècles précédents à propos des « sociétés majoritairement catholiques » (ou de la chrétienté), on a toujours insisté sur la légitimité d’une répression aussi complète. Mais je ne soutiendrais pas que les premiers papes et évêques qui en sont arrivés à ce jugement l’ont fait, au moins implicitement, par rapport à tout l’ensemble des circonstances sociales contingentes qui existaient alors. Celles-ci incluaient non seulement le pourcentage de catholiques dans une région donnée, mais aussi (entre autres choses) le niveau généralement bas de culture et d’éducation parmi des populations largement analphabètes, et la vision « paternaliste » généralement acceptée du rôle du gouvernement en général, à l’époque précédant l’essor de la démocratie occidentale moderne qui a donné naissance à des demandes populaires croissantes d’autonomie individuelle et collective vis-à-vis de l’autorité de l’État. Un autre changement pertinent dans les circonstances historiques récentes a été la révolution dans la technologie, les communications et la « mondialisation », qui a rendu les « sociétés » catholiques (dans le sens communément compris de « pays » sous un régime politique unifié) beaucoup moins isolées du monde non-catholique qu’elles ne l’étaient dans les siècles précédents. On ne peut guère supposer que les gardiens de la doctrine catholique d’avant le XIXe siècle aient prévu une époque où leurs successeurs pourraient arriver à un nouveau jugement prudentiel selon lequel la région pertinente nécessitant des politiques religieuses uniformes (pour le bien commun et l’ordre public) ne serait plus un « pays » donné (État souverain ou colonie, selon le cas), mais plutôt une communauté beaucoup plus vaste de pays – englobant même la planète entière – dont la population, prise dans son ensemble, n’est certainement pas « majoritairement catholique ». (107)

Pour toutes ces raisons, je ne pense plus qu’il soit correct d’élever la catégorie des « sociétés majoritairement catholiques » au rang de doctrine, et je l’ai donc omise dans la formulation des thèses doctrinales discutées dans cet essai (cf. les propositions X, Y et Z de la section I).

Voilà pour ma formulation de 1993 de la doctrine en question. Je crois aussi aujourd’hui que je me suis trompé dans le fondement ou la base que j’offrais alors pour cette doctrine, à savoir l’ « infaillibilité » supposée impliquée dans la pratique même (politique ou droit public) de l’Église qui, pendant de nombreux siècles, a préconisé la répression civile de toutes les manifestations publiques des religions non catholiques. M. Guminski me prend à partie assez longuement sur ce point ; (108) mais il n’est pas nécessaire d’examiner ses arguments en détail, car je rétracte maintenant la prémisse qui a attiré son feu. Il existe en effet un enseignement commun de longue date (bien qu’aujourd’hui largement oublié) des théologiens approuvés, qui remonte (sous une forme explicite) à des auteurs des XVIe et XVIIe siècles tels que Melchior Cano, Bellarmin et Suarez, selon lequel la législation disciplinaire universelle de l’Église est  » infaillible  » en ce sens qu’elle est garantie de ne pas ordonner ou recommander un comportement qui serait en soi immoral ou contraire à la foi catholique. (109) C’est un enseignement que j’accepte toujours comme faisant autorité et comme étant raisonnable. Cependant, une étude plus approfondie m’a persuadé que j’avais auparavant mal compris le terme « universel », tel qu’il est utilisé par ces auteurs approuvés. Ils fondent leur raisonnement sur les promesses du Christ selon lesquelles le Saint-Esprit guidera constamment l’Église dans son ensemble sur la voie du salut éternel, et ne permettra donc jamais à son autorité suprême d’ « obliger tous les fidèles » (110) – c’est-à-dire la grande majorité du peuple de Dieu – à accomplir des actions objectivement pécheresses. Mais ils ne prétendent jamais que les lois ecclésiastiques qui n’obligent qu’une petite proportion de chrétiens – même si elles sont décrétées par l’autorité « universelle » de l’Église (Pape ou Concile) et/ou pour une zone géographiquement « universelle » – génèrent ou présupposent ipso facto une doctrine infaillible (ou même authentique) correspondante. Après tout, la Providence a permis à Satan de gagner des batailles limitées et locales contre l’Église, y compris ses dirigeants, depuis qu’il a réussi à intimider Pierre et à corrompre Judas. Les exemples concrets donnés par ces auteurs classiques sont presque toujours dans le domaine du droit liturgique et sacramentel – des normes de culte public s’appliquant à l’ensemble des catholiques fidèles. Mais les décrets papaux, les lettres, etc., qui exhortent les autorités séculières à réprimer toutes les manifestations non catholiques relevant de leur juridiction n’ont jamais obligé, même indirectement, qu’une infime partie des fidèles : les dirigeants, les magistrats et autres responsables de l’application de la « loi et de l’ordre ».

En bref, je ne soutiens plus, comme je le faisais en 1993, que selon la doctrine traditionnelle, il ne peut jamais (c’est-à-dire de la Pentecôte jusqu’au jour du Jugement dernier) y avoir un droit naturel pour tout non-catholique « dans les États à prédominance catholique » d’être toléré dans la profession publique de sa religion. Cette modification me permet de retirer à mon tour une autre affirmation – plutôt bancale, comme je le vois maintenant – que je devais logiquement faire dans la même critique de livre afin de soutenir ma thèse centrale selon laquelle la DH ne contredit pas la doctrine traditionnelle. Je fais référence à l’affirmation – sévèrement critiquée par M. Guminski – selon laquelle le droit à la liberté publique implicitement reconnu par DH aux non-catholiques vivant « dans des États majoritairement catholiques  » n’est pas en fait, selon le Concile, un droit naturel, mais seulement » un droit acquis accordé par l’Église « . (111) Mon critique fait remarquer que cette expression réduit effectivement la liberté religieuse publique des non-catholiques dans ces États à « une question de grâce législative » (112) – un simple privilège, en fait. Je suis maintenant enclin à convenir avec lui que cette lecture du Concile  » présente des difficultés  » et ne rend probablement pas justice à l’esprit du Pape et des Pères conciliaires. Elle impliquerait, par exemple, que le droit des non-catholiques en Espagne à l’immunité de coercition dans la manifestation publique de leur religion n’a commencé à exister que le 7 décembre 1965, précisément en vertu de la promulgation de la DH par l’Église. Je pense maintenant qu’il est plus probable que la véritable pensée de l’Église à ce moment-là était qu’elle discernait une réalité qui existait déjà et de manière indépendante, et non qu’elle créait une nouvelle réalité par son propre fiat législatif. En d’autres termes, je suppose que la plupart des Pères de Vatican II se comprenaient comme discernant et reconnaissant – bien que sans porter de jugement sur la législation répressive de type espagnol dans des circonstances historiques antérieures – qu’au moins dans les circonstances du milieu du XXe siècle, ce degré de répression en Espagne avait déjà cessé d’être compatible avec le droit humain naturel à la liberté religieuse (dans la mesure où une telle répression ne pouvait plus être raisonnablement décrite comme essentielle pour le bien commun de la société, c’est-à-dire comme requise par un ordre public juste). Néanmoins, je crois qu’il est utile de souligner encore une fois que ce discernement concret ne découle pas simplement et directement du contenu strictement doctrinal de DH, qui est un instrument trop émoussé, pour ainsi dire, pour atteindre une telle précision chirurgicale ; au contraire, il dépendait logiquement aussi d’un jugement prudentiel distinct et complémentaire, à savoir l’évaluation des faits contemporains et contingents exprimés entre parenthèses dans la dernière partie de la phrase précédente. C’est pourquoi, en cherchant à résumer la position implicite de DH dans ma proposition Y (cf. section I), j’ai utilisé l’expression « devrait […] être jugée comme impliquant », et non simplement « devrait […] impliquer ».

Je ne pense pas que les deux derniers points substantiels de M. Guminski nécessitent une réponse détaillée. Dans le premier cas, qui concerne le Catéchisme de l’Église catholique, mon critique annonce de « sérieuses difficultés » dans ma lecture de l’article 1738, mais il dirige ensuite son inquiétude principalement sur le fait que le CEC lui-même met entre parenthèses ici le « bien commun » et l’«ordre public ». (113) Je passerai également sur ses objections à mon discours de 1993 au National Wanderer Forum, qui concernent une question tout à fait secondaire et plutôt ‘subjective’, à savoir comment l’image publique de l’Église pourrait (selon lui) être affectée par le type de compréhension de DH que j’ai exprimé dans ce discours. (114)

Les lecteurs apprécieront peut-être un résumé succinct de ma thèse générale. Ma position de base est que la grande différence entre la position de l’Église sur la liberté religieuse avant et après Vatican II ne réside pas dans enseignements doctrinaux, respectivement ses anciens et nouveaux ; car ceux-ci, bien que certainement pas identiques, sont tout à fait compatibles, en grande partie grâce à leur contenu très général (non spécifique). Elle réside plutôt dans les jugements prudentiels très différents de l’Église avant et après le Concile quant au degré de restriction de la propagande fausse et immorale requis par un ordre public juste, étant donné les changements sociaux et politiques dramatiques des derniers siècles.

Je voudrais terminer en remerciant simplement M. Guminski pour sa critique réfléchie. Il la conclut en soulignant – à très juste titre – l’importance de suivre une  » méthode correcte  » si nous voulons déterminer le véritable sens de Dignitatis Humanae. Je laisse aux lecteurs le soin de juger par eux-mêmes si sa méthode ou la mienne apporte plus de lumière sur le traitement par le Concile de cette question importante mais complexe.

Notes

[1] Arnold T. Guminski, « Contra Harrison in Re Libertatis Religiosae : On the Meaning of Dignitatis Humanae« , Faith & Reason, Vol. XXVI, No. 1, Spring 2001, 39-83. Dans les présentes notes, l’article est simplement désigné par CH.
[2] CH, 74, n. 13.
[3] La doctrine traditionnelle (résumée dans la maxime « l’erreur n’a pas de droits ») excluait certainement l’idée qu’il puisse jamais y avoir un quelconque droit naturel à croire – et encore moins à propager publiquement – une doctrine ou une pratique religieuse fausse. Mais Vatican II n’enseigne pas qu’il existe, ou puisse exister, un tel droit. Les dissidents traditionalistes de DH trahissent fréquemment une confusion sur ce point, parce qu’ils ne parviennent pas à apprécier l’importante différence entre affirmer : (a) un droit naturel de propager une religion donnée R, et (b) un droit naturel à l’immunité de la coercition humaine dans la propagation de R (cf. RLC, ch. 8). Tous les actes objectivement pécheurs ne peuvent pas être criminalisés à juste titre.
[3] Brian W. Harrison, O.S., Religious Liberty and Contraception (Melbourne : John XXIII Fellowship Coop., 1988, ci-après dénommé RLC), 44 (la façon la plus simple d’obtenir ce livre est d’envoyer un billet de 10 $ [ou de 5 livres] par la poste aux éditeurs à P.O. Box 22, Ormond, Victoria 3204, AUSTRALIE) [?]. À ce stade de mon livre, j’ai exprimé le point de vue ci-dessus en disant que cette lacune dans l’enseignement papal antérieur « laissait la porte ouverte » à Vatican II pour enseigner par la suite, sans contredire la doctrine catholique traditionnelle, que « certaines propagandes pacifiques non catholiques ont droit à l’immunité contre l’interdiction civile. » Ceci est présenté à la page 44 comme la proposition (b). J’ai supposé que les lecteurs comprendraient (comme la plupart l’ont apparemment fait) que j’entendais le mot « certaines » dans le sens le plus large, c’est-à-dire comme signifiant une certaine propagande de ce genre à au moins certains moments et/ou lieux. Cependant, M. Guminski pensait – et, en dépit de mes protestations dans une correspondance privée, a continué à insister (cf. CH, 42, première ligne, et 75, n. 16) – que le « sens objectif » de la proposition (b) ci-dessus inclut sa qualification implicite par les mots « dans un pays majoritairement catholique ». J’avoue être complètement mystifié par cette insistance, car ni à la page 44, ni ailleurs dans ce chapitre (qui s’étend sur les pages 31 à 51), il n’est fait mention de sociétés ou de pays « majoritairement catholiques ».
[4] Je pense que l’explication ci-dessus répond suffisamment à la critique de M. Guminski selon laquelle il y a une « tension », et même une « incongruité frappante » (CH, 57, 63), dans ma position du fait que je reconnais que les concordats approuvés par l’Église avant le Concile interdisaient toute propagande publique non-catholique dans de nombreux États à majorité catholique. Une telle tension ou incongruité n’existerait que si, comme l’a supposé de manière injustifiée M. Guminski, ma proposition (b) ne faisait référence qu’aux « pays à majorité catholique ».
[5] CfRLC, 129–130.
[6]J’évite maintenant le langage du mal « intrinsèque » ou des violations « intrinsèques » des droits. En effet, M. Guminski a remarqué, peut-être à juste titre, que certaines catégories d’actions qui pourraient ne pas être intrinsèquement mauvaises (c’est-à-dire dont l’objet n’est pas le mal en soi), pourraient néanmoins être mauvaises (et je crois qu’il veut dire ici toujours et partout le mal) d’une manière « extrinsèque », c’est-à-dire à cause de certaines circonstances ou conséquences invariables qui accompagnent ces actes et qui peuvent être apprises par l’observation et l’expérience empiriques (cf. CH, 77-78, n. 49, et 83, n. 104). Je renonce ici à la question de savoir si ce point de vue est valable ou non, puisque l’expression « toujours et partout » semble couvrir les deux possibilités de manière adéquate pour les besoins actuels.
[7] Cf. CH, 51, dernier paragraphe et 58, dernier paragraphe.
[8] CH, 71, et cf. 70.
[9] CH, 58.
[10] CH, 58.
[11] En effet, les Relationes officielles pertinentes et le préambule même de la DH (art. 1) nient un tel renversement doctrinal. M. Guminski pense que, selon le préambule, la déclaration ne laisse intacte qu’une partie de la doctrine existante. Cependant, j’espère montrer ci-dessous que cette exégèse de la DH n°1 est insoutenable.
[12] « La crédibilité de l’Église […] serait sérieusement compromise si la théorie de Harrison […] était perçue comme étant largement répandue » (CH, 71, c’est nous qui soulignons).
[13] Cf. l’annexe I, « Church and State : John Courtney Murray », dans RLC, 147-162 ; et « John Courtney Murray : a Reliable Interpreter of Dignitatis Humanae ? » dans D.J. D’Elia et S.M. Krason (eds.), We Hold These Truths : Further Catholic Reflections on the American Proposition (Steubenville, Ohio : Franciscan University Press, 1993), 134-165.
[14] J’utilise les termes « gauche » et « droite » dans ce paragraphe non pas comme des accroches journalistiques, mais dans leur sens politique strict et classique. Depuis l’époque de la Révolution française, une théorie politique est considérée comme étant « de gauche » (désignant une position « radicale, avancée ou innovante », selon le dictionnaire Oxford), dans la mesure où elle promeut des innovations radicales ou des écarts par rapport à l’ancien régime européen, qui était essentiellement l’ordre traditionnel de la chrétienté catholique, et où elle lui est hostile.
[15]  » The Problem of Religious Freedom « , dans J.C. Murray (ed. J.L. Hooper), Religious Liberty : Catholic Struggles With Pluralism (Louisville, KY : Westminster/John Knox Press, 1993), 187. Cet essai a été publié à l’origine dans Theological Studies, vol. XXV, no. 4, décembre 1964, 503-575.
[16] Ibid. 186 (c’est nous qui soulignons, conformément à de nombreux autres passages des écrits de Murray où il insiste sur la « croissance contemporaine de la conscience historique  » comme condition sine qua non du droit à la liberté religieuse tel qu’il est compris aujourd’hui).
[17] Voir mon essai, « John Courtney Murray : a Reliable Interpreter … ? ». (cité à la note 13 ci-dessus), 141-146.
[18] CfCH, 39–40.
[19] CH, 40.
[20] C’est-à-dire toutes les déclarations figurant dans les encycliques et autres documents pontificaux pertinents (tels que le Syllabus de 1864), à l’exception de certaines déclarations figurant dans Quanta Cura de Pie IX. Je considère que les erreurs énoncées dans Quanta Cura (celles qui sont mises en évidence dans le texte original par l’utilisation de guillemets) sont condamnées sous une forme qui répond manifestement aux exigences de Vatican I pour les définitions papales ex cathedra. Je suis en cela des théologiens tels que Franzelin, Hervé et Newman. Parlant de l’erreur bien connue contenue dans certaines lettres du pape Honorius, le cardinal Newman déclare qu’il est évident que ledit pontife n’avait pas « l’intention d’exercer cette voix d’enseignement infaillible que l’on entend si distinctement dans le Quanta Cura et Pastor Aeternus » (« Letter to the Duke of Norfolk », in Certain Difficulties Felt by Anglicans in Catholic Teaching Considered [London : Longmans, Green, 1920], 317).
[21] CH, 40.
[22] Cf. RLC, 87-89. Ainsi, j’ai toujours nié ce qui, dans le présent essai, apparaît comme la proposition Z.
[23] RLC, 60, cité dans CH, 40.
[24] CH, 42–45
[25] CH, 44.
[26] CfAS, IV, 6, 722, cité dans RLC, 90.
[27] CH, 45 (nous soulignons).
[28] CH, 48 (nous soulignons), et à nouveau dans CH, 57, paragraphe 1.
[29] Cf. CH, 47, dernière phrase, disant que « il est absurde de dire qu’il existe un droit juridique correspondant… ». (c’est nous qui soulignons). Mais je n’ai jamais dit qu’il « existe » un tel droit.
[30] CfRLC, 93.
[31] RLC, 88 (souligné dans l’original). Ceci est également réitéré clairement dans la conclusion du livre (cf. 143).
[32] CfCH, 48.
[33] Notre proposition X mentionne la répression médiévale/ancien testamentaire de la dissidence religieuse même  » privée « . L’espace ne permet pas dans cet article d’argumenter longuement sur la compatibilité doctrinale essentielle entre DH et même ce degré de sévérité ; mais la comparaison ci-dessus avec le djihadisme du 21ème siècle éclaire la question. Le Père Basile Valuet, O.S.B., a souligné, dans son magnum opus soutenant la continuité de DH avec la tradition catholique, que dans les siècles passés, les dissidents religieux en Europe prévoyaient normalement, dans l’éventualité de leur propre ascension à la domination socio-politique, d’être aussi intolérants envers les catholiques que les catholiques l’avaient été envers eux (ou, pourrions-nous ajouter, comme les guerriers de la charia prévoient maintenant de l’être envers nous). Cf. La Liberté religieuse et la tradition catholique : un cas de développement doctrinal homogène dans le magistère authentique, 3 volumes en 6 ‘fascicules‘ (Le Barroux : Abbaye Sainte-Madeleine, 1998), vol. I, ch. 18. Dans tous ces cas, ceux qui propageaient une fausse doctrine religieuse, même « en privé », représentaient (ou représentent toujours) une menace très réelle pour la liberté d’action de l’Église, et pouvaient donc difficilement invoquer DH dans leurs demandes d’immunité contre la coercition de l’État.
En ce qui concerne l’époque de l’Ancien Testament, l’éradication des dissensions religieuses – et même des dissidents – imposée par la loi divine a constitué un pilier fondamental de l’ordre social de l’ancien Israël pendant toute la période de l’Ancienne Alliance. Dieu, par l’intermédiaire de Moïse, a ordonné aux Hébreux de traiter le culte des païens – « aussi longtemps que vous vivrez sur ce sol [d’Israël]  » – comme suit : « Vous démolirez leurs autels, vous briserez leurs stèles ; leurs poteaux sacrés, vous les brûlerez, les idoles de leurs dieux, vous les abattrez, et de chacun de ces lieux vous supprimerez leur nom. » (Deut. 12:1, 3, cf. 6:1-2, 7:5). Les « prophètes » ou les enseignants de fausses religions devaient être mis à mort pour avoir encouragé l’apostasie, tandis que même l’incitation privée d’autres personnes au culte païen devait être punie de la même manière (cf. Dt 13, 6, 7-12). La foi catholique dans la paternité divine intégrale des deux Testaments exclut toute condamnation simple de cette dureté préchrétienne. Vatican II reconnaît en effet dans Dei Verbum n°15 que certaines dispositions de l’Ancien Testament étaient imparfaites et temporaires. Mais si la justice divine peut autoriser « temporairement » ce qui est « imparfait », elle ne peut jamais autoriser quelque chose d’intrinsèquement (ou toujours et partout) injuste.
[34] Cf. RLC, 86, faisant référence aux objectifs connus et à la conscience œcuménique de nombreux Pères du Concile et des Periti, aux attitudes politiques relativement libérales de Paul VI, et à la révision postconciliaire d’un certain nombre de concordats entre le Vatican et les États à majorité catholique.
[35] Le tenter, c’est postuler un droit des catholiques à être protégés de l’exposition à une propagande mettant en danger le salut, même s’ils sont eux-mêmes prêts à risquer les conséquences possibles d’une telle exposition. Mais si la simple volonté des individus de s’exposer à un risque donné suffisait à rendre injuste toute législation interdisant cette exposition, le droit civil ne pourrait pas nous obliger à porter des ceintures de sécurité dans les automobiles, à interdire la baignade dans des zones dangereuses, etc. En effet, il ne pourrait rien faire, ou presque, pour interdire la vente de stupéfiants, dont les consommateurs, après tout, commencent par s’exposer volontairement au risque de dépendance et à ses effets catastrophiques sur leur vie. Mais au moins cette catastrophe n’est que temporelle, alors que les péchés d’hérésie, d’apostasie et de schisme conduisent à quelque chose de bien pire – la perdition éternelle. En effet, toute protection coercitive de la « moralité publique » – explicitement mentionnée comme un droit et un devoir de l’État dans le DH n°7 – semble problématique une fois que nous acceptons la prémisse que le gouvernement ne peut jamais, pour ainsi dire, protéger les gens d’eux-mêmes. Cette même prémisse libertaire implique un « droit » à l’accès légal libre à la pornographie, aux contraceptifs, et à pratiquement toutes les autres formes d’activité entre « adultes consentants », et est donc clairement considérée comme étrangère à la doctrine catholique.
[36] CH, 47-48. Tout ce que l’on peut raisonnablement conclure du fait que DH n°4 ne mentionne pas les doctrines des « communautés religieuses » (par opposition aux méthodes non éthiques de diffusion) comme une menace possible à l’ordre public est que, selon l’estimation du Concile, les doctrines en tant que telles ne pourraient normalement pas être considérées, dans les circonstances actuelles, comme constituant une telle menace. Même ainsi, il pourrait toujours y avoir des exceptions. Pour autant que je sache, personne au Vatican ne s’est plaint lorsqu’un imam radical de Londres a été réduit au silence par les autorités britanniques en 2003 pour ses prêches incendiaires et pro-terroristes, même si ces prêches n’ont été prononcés qu’à l’intérieur d’une mosquée (c’est-à-dire sur une propriété privée) et qu’ils n’ont été entendus que par ceux qui étaient venus volontairement l’écouter.
[37] Cf. AS, vol. IV, 1, 194-195.
[38] RLC, 94–95.
[39] Les observations de ce paragraphe, ainsi que celles concernant la confusion sémantique dans le paragraphe précédent, impliquent que la distinction « bien commun »/ »ordre public » n’est pas vraiment aussi importante qu’on le prétend souvent. Elles sont donc également pertinentes pour évaluer l’affirmation de M. Guminski selon laquelle la raison pour laquelle DH présente l’ordre public comme la « composante fondamentale  » du bien commun est  » de limiter radicalement la portée traditionnelle du pouvoir coercitif de l’autorité civile en matière de religion  » (CH, 55). Je pense que mon critique donne ici sa propre « tournure » libérale aux intentions du Concile. Les relations pertinentes de Mgr de Smedt ne disent rien d’une intention de « limiter radicalement » tout ce qui est « traditionnel ». En lisant M. Guminski sans lire le rapporteur lui-même, on ne devinerait jamais que lorsque Mgr de Smedt expliquait les raisons de l’utilisation de l’«ordre public » plutôt que du « bien commun » (par opposition à l’explication de la signification de ces termes), il mettait l’accent sur la question purement sémantique : c’est-à-dire la valeur de l’utilisation du même terme (c’est-à-dire « ordre public ») que celui utilisé actuellement, l’ « ordre public ») que l’on utilise aujourd’hui couramment dans les codes de droit civil en relation avec les actions coercitives du gouvernement, afin de rendre le document du Concile plus facilement intelligible dans le monde moderne, et aussi pour aider à clarifier ce terme à une époque où les régimes communistes y faisaient appel comme prétexte pour violer la liberté de l’Église elle-même. (Cf. AS, Vol. IV, 6, 722, cité et traduit dans RLC, 90).
[40] Cf. ci-dessus, discussion dans le texte principal référencée par les notes de bas de page 25-28.
[41] Concile Vatican II, Acta Synodalia (AS) Vol. IV, Partie VI, p. 723, n. 15 (traduction personnelle), cité dans RLC, 89 et CH, 46.
[42] CH, 46.
[43] CfRLC, 89–95.
[44] CH, 46.
[45] La révision n’a pas réduit l’importance du contenu spécifique et substantiel que le Concile a voulu attribuer à ce terme. Néanmoins, ce contenu lui-même – les trois points mentionnés dans le DH n°7, §3- est compris comme étant historiquement « relatif » et « évolutif », de même que les conditions qui constituent le « bien commun » dans sa totalité.
[46] Cf. RLC, 89-91, et note 7 (couvrant les pages 91-92).
[47] Cf. CH, 47, §1.
[48] Ibid.
[49] Cf. CH, 51.
[50] Les mots « intolérance » et « violence » sont par définition des termes moralement chargés : ce qu’ils signifient réellement ici, c’est respectivement « restriction injuste/excessive » et « force physique injuste/excessive« . Pour cette raison, ils ne répondent pas à la question vitale qui nous intéresse maintenant, à savoir quels types ou niveaux spécifiques de restriction et de force physique, employés ou approuvés par les catholiques pour défendre la religion, étaient en fait injustes et/ou excessifs.
[51] AAS 87 (1995), 27 (ma traduction). M. Guminski utilise une traduction défectueuse dans laquelle ces mots sont rendus : « … pourrait inclure la suppression des opinions des autres ou du moins ne pas y prêter attention ». Ce que le Pape entend clairement ici par secludi (lit., être retiré, enfermé, clôturé, isolé) est une législation restreignant ou interdisant la diffusion de telles opinions.
[52] Cf. Catéchisme de l’Église Catholique, n° 2109.
[53] Cf. section III.2 ci-dessus.
[54] Cf. la discussion dans la section III.1 ci-dessus, dans le paragraphe faisant référence à la note 32. J’insiste sur le mot « doctrine » dans la phrase ci-dessus, parce que l’opinion théologique médiévale commune soutenait en effet que la force physique pouvait être utilisée contre les hérétiques et les apostats non seulement pour protéger la société chrétienne de leur influence dangereuse (c’est-à-dire dans l’intérêt de l’ordre public), mais aussi pour contraindre ces personnes elles-mêmes à réaccueillir la foi orthodoxe de leur baptême. (Cf., St. Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, Q. 10, a.8c, et discussion dans RLC, 125.) Je ne connais aucune preuve, cependant, que la légitimité de ce raisonnement particulier pour l’usage de la force – c’est-à-dire, visant plus à « réhabiliter » le délinquant lui-même qu’à protéger le reste de la société contre lui – ait jamais été soulignée par le magistère de l’Église comme une vérité exigeant l’assentiment de tous les catholiques.
[55] Cf. section I, paragraphe référençant les nn. 2-5.
[56] CfRLC, 57–58, 87–88.
[57] CH, 52.
[58] Ces législateurs espagnols (cités par M. Guminski) commencent effectivement la loi de 1967 en citant le principe constitutionnel existant (1958) selon lequel toute législation en Espagne « doit s’inspirer de la doctrine de l’Église catholique » (c’est nous qui soulignons). Mais leur décision de citer ce principe est tout à fait explicable par la simple opportunité d’indiquer, dans un document législatif, pourquoi un document magistériel de ladite confession religieuse pourrait, en tant que tel, être considéré comme nécessitant une modification du droit civil espagnol.
[59] CH, 51–52, citant DH n°1, §3.
[60] Je n’étais pas au courant de cette intervention lors de la rédaction de RLC et de mes précédents articles sur DH. L’archiviste du Concile Vatican II, Mgr Vincenzo Carbone, a finalement publié en 1991 le texte d’une importante note manuscrite du Pape, datée du 15 novembre 1965. Elle se lit comme suit (ma traduction) : « Des propositions de nouvelles modifications du texte De lib. rel. ont été vues. A Mgr Felici Pericle [secrétaire général du Concile]. Je vous prie de faire savoir ce qui suit : quelques retouches rassurantes seront apportées (saranno apportati alcuni ritochi tranquillizzanti) ; mais le schéma doit être imprimé immédiatement après (ce soir) afin d’être distribué le mercredi 17 et soumis au vote le vendredi 19. Déjà téléphoné à Mgr Dell’Acqua » (V. Carbone, « Il ruolo di Paolo VI nell’evoluzione e nella redazione dello dichiarazione ‘Dignitatis Humanae' », dans Paolo VI e il rapporto Chiesa-mondo al Concilio [Brescia : Istituto Paolo VI, 1991], 169). On peut voir ce qu’étaient ces « retouches rassurantes » en comparant le texte final du DH n°1 avec l’avant-dernier projet (textus recognitus). L’article 3 a également été modifié par cette intervention papale, de sorte que le texte final n’exclut plus toutes les préoccupations trans-temporelles du domaine de compétence légitime de l’État, et exclut l’idéal « laïciste » de « neutralité » de l’État entre religion et irréligion. Il précise que l’État « doit reconnaître et favoriser la vie religieuse des citoyens ».
[61] Cf. AS, IV, 6, p. 719 (reproduit au n° 31 dans RLC, 75, traduction personnelle).
[62] L’archiviste du Concile nous informe que le même jour où Paul VI a ordonné les insertions ci-dessus dans le projet final aux numéros 1 et 3, il est également intervenu directement pour dicter leur explication officielle :  » Au bas d’une feuille de papier contenant la section de la relatio allant de ‘Aliqui patres‘ jusqu’à ‘adiunximus‘ [la section mentionnée au n. 61 ci-dessus], le Pape a ajouté l’annotation manuscrite suivante : ’15-XI-1965. Pour Mons. C. Colombo. Ce texte sera inséré dans la relatio finale sur le Schema De libertate religiosa, pour répondre à l’objection de la discontinuité du magistère. » (Carbone, 169-170, c’est nous qui soulignons). Ces interventions papales semblent en effet avoir eu un effet « rassurant » significatif pour plusieurs centaines de Pères. Le pourcentage de ‘placets‘ (votes positifs) pour les articles 1 à 5 de cette nouvelle version du schéma a augmenté le 19 novembre pour s’approcher du consensus nécessaire : 88 pour cent (1954 sur 2216), comparé à seulement 72 pour cent (1539 sur 2138) lors du vote sur le projet précédent le 26 octobre (cf. Carbone, 170 et RLC, 67).
[63] Cf. références dans le n. 61 ci-dessus.
[64] Cf. la note 4 ci-dessus et le paragraphe correspondant dans le texte principal.
[65] Cf. CH, 53-54, citant divers passages de RLC.
[66] Cf. RLC, 100-101, où plusieurs exemples sont suggérés : le droit positif divin concernant la polygamie, l’observance du dimanche, et le devoir per se des communautés politiques elles-mêmes (ainsi que de toutes les autres  » sociétés « , selon DH n°1, §3), de reconnaître le catholicisme romain comme vrai.
[67] Cf. CH, 54.
[68] CH, 55.
[69] Cf. par exemple le Concile Vatican I, DS 3033-3034, et Léon XIII, Immortale Dei, n° 6 :  » C’est pourquoi, de même qu’il n’est permis à personne de négliger ses devoirs envers Dieu, et que le plus grand de tous les devoirs est d’embrasser d’esprit et de cœur la religion, non pas celle que chacun préfère, mais celle que Dieu a prescrite et que des preuves certaines et indubitables établissent comme la seule vraie entre toutes, ainsi les sociétés politiques ne peuvent sans crime se conduire comme si Dieu n’existait en aucune manière, ou se passer de la religion comme étrangère et inutile, ou en admettre une indifféremment selon leur bon plaisir ». (c’est nous qui soulignons, cité dans RLC, 13). Le Catéchisme de l’Église Catholique, n°2105, fait référence à cette encyclique dans son intégralité pour expliquer le devoir social de la religion.
[70] CH, 39.
[71] “Vatican II and Religious Liberty: Contradiction or Continuity?”, Social Justice Review, July/August 1989, 104–112. Cet article a été republié dans Catholic Dossier, vol. 6, no. 2, mars-avril 2000, 21-30. Je suivrai M. Guminski en faisant référence à cet article comme « SJR89« .
[72] SJR89, 110, cité dans CH, 58.
[73] Il s’agirait principalement de la vérité unique de la religion catholique romaine et de la menace conséquente pour le salut éternel des citoyens catholiques découlant de la propagation de l’hérésie dans la société.
[74] Le Concile Vatican I, par exemple, insiste sur le fait que, à la lumière de la plénitude de la révélation divine, « le Saint-Esprit n’a pas été promis aux successeurs de Pierre pour qu’ils fassent connaître sous sa révélation une nouvelle doctrine, mais pour qu’avec son assistance ils gardent saintement et exposent fidèlement la Révélation transmise par les apôtres, c’est-à-dire le dépôt de la foi« ; (DS 3070 = Dz 1836).
[75] CH, 58.1.
[76] CEC, n°2109.
[77] CfCEC, n°2434.
[78] Concile Vatican II, Déclaration sur l’éducation chrétienne, Gravissimum Educationis, n°1.
[79] CH, 59.
[80] Cf. section III.6 ci-dessus.
[81] “ […] sacram Ecclesiae traditionem doctrinamque scrutatur, ex quibus nova semper cum veteribus congruentia profert” (nous soulignons).
[82] Comme le souligne M. Guminski, j’avais déjà défendu cette thèse en détail dans le chapitre 6 de RLC. Il ne semble pas particulièrement soucieux de contester le bien-fondé, ou même le statut théoriquement normatif, d’un tel « établissement » du catholicisme par l’État, à condition que cela n’ait pas de conséquences restrictives perceptibles pour les minorités non catholiques.
[83] RLC, 60 (proposition 2) ; cf. CH, 58-59. Comme nous l’avons vu dans la section III.2 ci-dessus, la coercition que le bien commun exige (c’est-à-dire qui est vraiment nécessaire) – par opposition à la coercition qui serait (putativement) bénéfique, mais pas nécessaire, pour le bien commun – est précisément ce que DH entend, selon l’explication officielle du relateur, par coercition dans l’intérêt d’un « ordre public juste ».
[84] CH, 59.
[85] La section de la Relatio finale dictée par le pape implique incontestablement que le mot « sociétés » dans DH n°1 inclut les « pouvoirs publics » (potestas publica), c’est-à-dire l’État (cf. AS, Vol. IV, 6, 719, reproduit au n° 31 dans RLC, 75).
[86] CfCH, 59.
[87] Cf. AS IV, 5, 78, pour la section pertinente de l’avant-dernier projet (textus recognitus), et AS IV, 6, 704 pour la section correspondante du texte final (textus denuo recognitus).
[88] Voir par exemple l’interprétation [AELF], dans des textes tels que Lc. 10:42 (Marthe et Marie) :  » Une seule est nécessaire […] » ; Lc. 11:20 : « En revanche, si c’est par le doigt de Dieu que j’expulse les démons, […] » ; et Mt. 8,27 : « Mais les hommes étaient stupéfaits… ». Cf. aussi I Chron. 5:2, 11:5, I Rois 22:30 ; I Rois 11:32. […]
[89] Carbone, op. cit., 169–170.
[90] Latin : integram.
[91] CH, 59.
[92] La libertá religiosa nel Vaticano II (Torino-Leumann, Elle Di Ci, 2e éd., 1967), 145. Le commentaire de Hamer est également cité dans RLC, 77 (traduction personnelle, nous soulignons).
[93] De manière significative, la version finale (1997) du Catéchisme omet les références originales (1992) spécifiant les articles 3 et 17 de Immortale Dei, et les articles 8 et 20 de Quas Primas. Ces encycliques, deux pièces de résistance classiques pour les traditionalistes catholiques, sont donc maintenant référencées dans leur intégralité, ce qui indique clairement que l’Église ne répudie aucune partie de leur doctrine.
[94] Latin : servare (DH n°1, dernier mot, second paragraphe).
[95] Il ne s’ensuit pas en effet une stricte nécessité logique. Comme je l’ai noté dans mes autres écrits, l’établissement de la religion par l’État est théoriquement compatible avec une très grande variété de dispositions juridiques concernant le traitement des autres religions, philosophies et modes de vie, allant de l’intolérance la plus féroce à une liberté presque sans restriction.
[96] Cf. par exemple : « Le sacrifice des méchants est une horreur » (Prov. 21:27) ; « Éloignez de moi le tapage de vos cantiques ; que je n’entende pas la musique de vos harpes. Mais que le droit jaillisse comme une source ; la justice, comme un torrent qui ne tarit jamais ! Des sacrifices et des offrandes, m’en avez-vous apporté pendant quarante ans au désert, maison d’Israël ? » (Amos 5:23-[25]) ; également Is. 1:11-17, Sir. 34:19-20, Jér. 6, 20, Mc 12:38-40, etc.
[97] En effet, une nouvelle intolérance à l’égard de l’expression religieuse chrétienne se profile désormais dans certains de ces États officiellement « chrétiens » : dans la Suède luthérienne, un pasteur pentecôtiste a été emprisonné en juin 2004 pour avoir commis le « crime de haine » de prêcher (à ses propres fidèles, dans le bâtiment de sa propre église) que les actes homosexuels sont « pervers » et abominables aux yeux de Dieu.
[98] Toutefois, pour une belle polémique patriotique contre le démantèlement du catholicisme comme religion d’État en Italie, voir Roberto de Mattei, L’Italia Cattolica e il Nuovo Concordato (Rome : Centro Culturale Lepanto, 1985).
[99] Cf. Keith J. Pavlischek, John Courtney Murray and the Dilemma of Religious Toleration (Kirksville, Missouri : Thomas Jefferson University Press, 1994) 44-47.
[100] J.C. Fenton, « Principles Underlying Traditional Church-State Doctrine », American Ecclesiastical Review, vol. 126, juin 1952, 455-456 et 457, cité dans Pavlischek, op. cit. 44 et 45-46.
[101] Cette critique a été publiée à l’origine dans Living Tradition, n° 44, janvier 1993, 4-12 (abrégé par M. Guminski en LT93). Cependant, je ferai également référence ici à la version plus accessible et largement diffusée publiée dans Fidelity (mai 1993, 39-47), sous le titre (choisi unilatéralement par l’éditeur), « Did the Church Change Her Teaching on Religious Liberty ? » (ci-après abrégé en F93).
[102] Cf. CH, 62–63.
[103] CH, 62.
[104] Cf. section II ci-dessus (paragraphe faisant référence aux notes 21-23).
[105] J’ai remarqué, par exemple, que dans son encyclique Mirari Vos de 1832, le pape Grégoire XVI, pour condamner les demandes d’une  » liberté insensée d’opinion « , a fait appel à l’argument de saint Augustin pour réprimer la propagande donatiste du Ve siècle :  » Quelle mort plus funeste pour les âmes, que la liberté de l’erreur ! (« […] quae peior mors animae, quam libertas erroris ? » [DS 2731, = Dz 1615]). La doctrine clairement sous-entendue du Pontife est que, puisque l’erreur religieuse en tant que telle menace le salut des âmes catholiques, toute manifestation publique d’erreur religieuse pourrait être réprimée à juste titre (du moins dans les circonstances qu’il présuppose et auxquelles il s’adresse, à savoir les sociétés majoritairement catholiques du début du XIXe siècle). Le « risque » pour le « salut éternel » des citoyens catholiques découlant de « la diffusion de fausses doctrines » a également été présenté comme justifiant l’intervention du gouvernement dans le schéma préparatoire pertinent de Vatican II, dont les auteurs (notamment le cardinal Alfredo Ottaviani, chef du Saint-Office) étaient très bien qualifiés pour identifier le contenu de la doctrine catholique existante (c’est-à-dire traditionnelle). (Cité dans M. Davies, The Second Vatican Council and Religious Liberty [Long Prairie, Minnesota : Neumann Press, 1992], 300).
[106] LT93, 8 (= F93, 41-42), cité dans CH, 63 (souligné dans l’original).
[107] Pie XII avait déjà soulevé cette question une décennie avant Vatican II dans son allocution Ci riesce (6 décembre 1953), publiée dans AAS 45 (1953), 794-802. Cf. Davies, op. cit. 310-312 pour une traduction anglaise de la section concernée.
[108] CfCH, 65–66.
[109] Cf. M. Davies, I Am With You Always (Long Prairie, Minnesota : 1997), 32. Voir aussi des textes standard comme J.M. Hervé, Manuale Theologiae Dogmaticae, vol. I (Westminster, Maryland : Newman Bookshop, 1946), 515-516 ; L. Lercher, S.J., Institutiones Theologiae Dogmaticae, 5e éd. (Barcelone : Herder, 1951), 304-305 ; E. Dublanchy, s.v. ¨Église¨ (section IV), dans le Dictionnaire de Théologie Catholique, vol. IV (Paris : Letouzey, 1911), cc. 2185-2186.
[110] “[…] omnes fideles obligare” (Lercher, loc. cit.); “[…] omnibus fidelibus praecipere” (Hervé, loc. cit.); “. . . pour tout le peuple chrétien” (Dublanchy, loc. cit.).
[111] F93, 45.
[112] Cf. CH, 67.
[113] Cf. CH, 68-69. Il trouve la formulation de l’article 1738 « confuse », « déroutante » et « mystifiante ». Les lecteurs qui trouvent ma discussion précédente sur la distinction  » bien commun « / » ordre public  » convaincante (cf. sections III.2 et III.3 ci-dessus) ne partageront probablement pas une grande partie de la perplexité de mon critique.
[114] Cf. CH, 69–70.


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