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Le mensonge et le point Godwin

Ceci est une traduction d’un article de mai 2017 rédigé par Ronald Conte, intitulé « Mentir aux Nazis pour sauver des Juifs ».


Cela ne rate jamais ! Lorsque le sujet de la moralité du mensonge surgit dans une discussion, quelqu’un rappelle systématiquement la scène où l’on peut mentir au Nazis pour sauver des Juifs. Le scénario est le suivant : Vous hébergez et cachez des Juifs à votre domicile. Les Nazis toquent à la porte, cherchant à tuer des innocents, et vous demandent si vous cachez des Juifs chez vous.

Ce cas d’école hypothétique est loin d’être une nouveauté. Saint Augustin s’était posé la question de la moralité du mensonge face à des meurtriers pour sauver des innocents. Le scénario du « mensonge aux Nazis pour sauver des Juifs » en est simplement une version plus récente. Cela n’impacte pas la moralité de la question. Un meurtrier vous demande si vous cachez des innocents, et en réalité, vous en cachez. Est-il moral de mentir dans cette situation ?

En théologie morale, la réponse classique est celle de Saint Augustin et de Saint Thomas.

Saint Augustin a répondu que l’acte de mensonge est votre propre péché, pour lequel vous seriez coupable, mais que l’acte de meurtre est le péché de l’autre personne, et vous n’en sauriez être coupable. Chaque personne humaine est liée par la loi morale éternelle imposant d’éviter le péché. Et il n’est pas acceptable ni justifiable, que vous commettiez un péché véniel, afin d’empêcher quelqu’un de commettre un péché mortel. [Saint Augustin, Sur le mensonge, n°13]

Saint Thomas d’Aquin considère la question plus générale : « Tout mensonge est-il un péché ? » Sa réponse est : « Oui ».

Saint Thomas d’Aquin écrit, dans sa somme théologique :

Cependant, on lit dans l’Ecclésiastique (7, 13): « Garde-toi de dire aucun mensonge. »

Conclusion:
Une chose mauvaise par nature ne peut jamais être bonne et licite; parce que, pour qu’elle soit bonne, il est nécessaire que tous les éléments y concourent; en effet, « le bien est produit par une cause parfaite, tandis que le mal résulte de n’importe quel défaut » selon Denys(Div. Nom. iv). Or, le mensonge est mauvais par nature; c’est un acte dont la matière n’est pas ce qu’elle devrait être; puisque les mots sont les signes naturels des pensées, il est contre nature et illégitime qu’on leur fasse signifier ce qu’on ne pense pas. Aussi Aristote dit-il (Ethic. Iv, 7) que « le mensonge est par lui-même mauvais et haïssable, tandis que le vrai est bon et louable ».
Tout mensonge est donc un péché, comme l’affirme S. Augustin. (Contra Mend. i)
[Saint Thomas Aquinas, Summa Theologica, II-II, Q. 110, A. 3.]

La réponse des Saintes Écritures est aussi très claire, tout mensonge doit être rejeté, car Dieu est la Vérité et le diable est le père du mensonge. À ce sujet, consultez mon article : Que disent les écritures de la moralité du mensonge ?

L’enseignement du catéchisme de l’Église Catholique affirme que le mensonge est mauvais par nature (CEC 2485). Cette affirmation implique-t-elle que le mensonge est toujours mauvais ? Oui car le magistère enseigne que les actes mauvais par nature sont intrinsèquement mauvais et par conséquent toujours immoraux.

Le pape Jean Paul II dit à ce sujet :

78. […] la rectitude d’intention n’excuse jamais une mauvaise action.
[…]
81. Si les actes sont intrinsèquement mauvais, une intention bonne ou des circonstances particulières peuvent en atténuer la malice, mais ne peuvent pas la supprimer. Ce sont des actes « irrémédiablement » mauvais ; par eux-mêmes et en eux-mêmes, ils ne peuvent être ordonnés à Dieu et au bien de la personne
[…]
De ce fait, les circonstances ou les intentions ne pourront jamais transformer un acte intrinsèquement malhonnête de par son objet en un acte « subjectivement » honnête ou défendable comme choix.
[Pape Jean Paul II, Veritatis Splendor, n. 78, 81.]

Il n’est pas moral de commettre un péché, même véniel, afin d’atteindre un plus grand bien ou d’éviter un plus grand mal. Dieu dit à Sainte Catherine de Sienne qu’il ne fallait pas commettre le moindre péché véniel, pas même pour libérer le monde de l’enfer.

Sainte Catherine de Sienne :
« C’est un amour ordonné que la lumière de la discrétion – laquelle, ai-je dit, procède de la charité – accorde au prochain. C’est dans l’ordre de la charité de ne pas se faire tort à soi-même par le péché, pour rendre service au prochain. Quand il suffirait d’un seul péché pour délivrer de l’enfer le monde entier, ou pour produire une action de grande importance, ce ne serait pas d’une charité ordonnée avec discrétion de le commettre; une semblable charité (42) serait même dépourvue de toute discrétion, car il n’est pas permis de se rendre coupable de péché, même pour accomplir un grand acte de vertu, ou pour servir le prochain.  »
[Le dialogue de Sainte Catherine de Sienne, n. 42. Dans cette citation, Dieu s’adresse à Sainte. Catherine lors d’une révélation privée]

Il n’est pas moral de mentir pour sauver quelqu’un de la damnation éternelle, donc il n’est pas plus moral de mentir pour sauver la vie de quelqu’un. Puisque tous ces innocents qui meurent de la main des meurtriers auront la vie éternelle au ciel, tout n’est pas perdu pour eux, même si leurs meurtriers réussissent à les tuer. Tous les vrais innocents vont au Paradis. Mais si vous péchez pour quelque raison que ce soit, vous offensez Dieu et vous n’êtes pas entièrement innocent.

Soyez innocent, comme les innocents que vous cachez des meurtriers et rejetez tout mensonge.

Un argument pratique.

L’enseignement moral de l’Écriture et de l’Église est clair. Le mensonge est intrinsèquement mauvais et est à ce titre toujours immoral. Mais il y a aussi un argument pratique qui doit être présenté ici, et qui propose plusieurs raisons selon lesquelles le scénario du Nazi et du Juif ne permet pas de justifier le mensonge.

1. Ce scénario n’est pas sincère, et est peut-être même hypocrite.

Personne n’utilise cet exemple pour affirmer que le mensonge est moral uniquement dans des situations extrêmes. La discussion tourne toujours rapidement à la justification de tous les petits mensonges de la vie ordinaire : mentir à son épouse pour ne pas blesser ses sentiments, mentir à ses enfants pour influencer leur attitude, mentir à son responsable professionnel pour éviter une situation difficile, mentir au gouvernement pour obtenir quelques bénéfices, etc..

Voyez-vous le problème ? L’exemple extrême du mensonge au Nazis pour sauver les Juifs n’est qu’un prétexte pour justifier des mensonges dans tous les types de situations, quelqu’en soit la raison. Il est malséant d’instrumentaliser le mal infligé aux Juifs pendant l’holocauste afin de justifier toutes les petits mensonges commodes de la vie. Quand bien même le mensonge serait moral dans cet exemple très hypothétique, la conclusion que tout mensonge pourrait être justifié par une intention bonne ou des circonstances difficiles ne s’ensuit pas, et est contraire à l’enseignement magistériel.

2. Ce scénario est outrageusement naïf.

Des Nazis viennent toquer à votre porte et vous demandent si vous cachez des Juifs. Vous mentez et répondez : « Non ». Puis les Nazis s’en vont. Ils vont ont cru car ils ont confiance en vous et sont très candide. Oui. N’est ce pas ?

Est-ce réellement de cette façon que cette scène se déroulerait ? Pas du tout. Ils auraient fouillé votre domicile quoi que vous ayez répondu. Ils ne vous auraient certainement pas cru.

Encore une fois, ils iraient fouiller votre domicile. Mentir ne sauverait pas de vie. Et mentir ne les ferait pas partir.

3. A quel point savez vous bien mentir ?

Il est simple (mais tout de même immoral) de mentir à un enfant. Ils ont tendance à croire tout ce qui leur est dit. Mais vous n’allez pas convaincre des Nazis de ne pas fouiller votre domicile par un simple mensonge. Les Nazis ne sont pas aussi naïfs. Ils vont considérer votre réponse avec suspicion. Ils n’ont aucune prédisposition à croire ce que vous pourriez leur dire.

Et ils n’accepteront pas une réponse simple et aussi courte qu’un mot. Ils vont vous interroger longuement : « Cachez-vous des Juifs dans votre domicile ? Avez-vous des Juifs dans ce coin ? Avez-vous déjà connu des Juifs dans votre vie ? Savez-vous si des Juifs possèdent des affaires dans le coin ? Etc …

Donc, si vous choisissez le mensonge, vous aurez à enchainer mensonge après mensonge, phrase après phrase, explication après explication. Savez-vous bien mentir ? Si vous mentez mal, et qu’ils s’en aperçoivent, ils vont comprendre que vous cachez des innocents dans votre domicile, et ne s’arrêteront de les chercher que lorsqu’ils les auront trouvés. Mal mentir conduira donc à la mort d’innocents.

Reprenons-donc : savez-vous bien mentir ? Il ne s’agit pas d’une conversation ordinaire. Vous êtes sous la contrainte. Il y a, au sens propre, une arme de pointée sur votre tête, ou sur celle de vos enfants ou de votre femme. Si vous mentez et qu’ils s’en aperçoivent, il y aura des morts. Ils vont tuer les innocents que vous dissimulez et votre famille. Même si vous êtes un acteur expérimenté, méritant un Oscar, vous pourriez ne pas être convaincants en mentant, alors que des armes sont pointées sur vous et vos proches. Il n’y a pas de seconde prise dans cette situation. Tout sera scruté, chaque mot, le ton de votre voix, votre expression, votre façon de parler. Et si pour quelques raisons ils pensent que vous mentez, ils ne s’arrêteront pas de fouiller votre domicile jusqu’à trouver les innocents que vous dissimulez.

En mentant, vous pariez avec les vies de tout le monde chez vous dans ce cas de figure. Vous pariez sur la vie de vos proches que vous seriez capables de mentir et d’être convaincant dans cette situation si difficile, que des personnes aussi malfaisantes et qui vous voient avec mépris et suspicion et se mettent à vous croire. Et si vous mentez mal, ils vont s’en apercevoir et comprendre qu’il y a des innocents sous votre toit.

Donc, mentir revient bien plus probablement à tuer tout le monde chez vous. Vous n’êtes pas un si bon acteur. Vous n’êtes pas si doué dans le mensonge si on vous soumet à un interrogatoire si stressant. En mentant, vous ne commettez pas seulement un péché de mensonge, vous péchez également en mettant votre famille en danger.

4. Le silence est bien plus efficace.

Face à un mal si extrême que des Nazis cherchant à mettre des Juifs à mort, vous devriez considérer le silence comme l’une des meilleures options. Jésus est resté silencieux devant Hérode. Il ne dit aucun mot à une personne aussi malfaisante.

La restriction mentale n’est pas intrinsèquement mauvaise. Sous des circonstances ordinairement difficiles, il est possible d’utiliser la restriction mentale. Mais dans un scénario aussi extrême que celui de meurtriers cherchant des innocents, le même problème pratique est soulevé. S’ils s’en rendent compte, vous aurez mis des innocents en danger. Si le phrasé de vos réponse n’est pas excessivement pesé et convaincant, malgré le fait que vous y ayez pensé sur le moment, vous aurez fait plus de mal que de bien en indiquant par inadvertance que vous cachez des innocents.

Il est préférable de rester silencieux et de les laisser fouiller votre domicile en espérant que les innocents ne soient pas trouvés.

5. L’usage de la violence est-il une possibilité ?

Si les Nazis trouvent les innocents que vous cachez, ils vont probablement tuer votre famille et vous-même. Chacun sous votre toit sera alors en danger de mort. Il est donc moral d’utiliser la force létale contre les Nazis venus chez vous pour tuer des innocents.

Mais beaucoup de commentateurs désapprouvent l’idée d’utiliser la violence contre des meurtriers venus chez vous pour tuer des innocents. Les mêmes commentateurs qui insistent sur le fait que « mentir à des Nazis pour sauver des Juifs » justifie presque tous les mensonges s’opposent fortement à l’usage de la violence pour sauver des innocents. Pourquoi donc ? Si le sujet de la question n’était pas le mensonge, mais plutôt à partir de quand tuer est-il un acte de légitime défense et et non un meurtre, est-ce que ce scénario ne serait-il pas compté comme un cas de légitime défense ? Il est plus clair en tant qu’argument défendant la violence létale en légitime défense que le mensonge.

Mais ils s’opposent fortement à tuer des Nazis meurtriers puisque cela leur enlève l’excuse pour tous les petits (et les gros) mensonges avec lesquels ils souhaitent continuer à vivre.

La Foi contre la raison

La religion Catholique est basée sur la Foi et la raison. Cependant, la Foi est plus grande que la raison. Si la foi nous enseigne que le mensonge est toujours immoral – et elle le fait –, et si vous êtes un fidèle, alors vous rangerez tous vos raisonnement propres et donnerez l’assentiment de l’intelligence et de la volonté aux enseignements de l’Église. Le problème est que la plupart des Catholiques, même ceux qui semblent être des dévots, placent leur propres idées et raisonnements au-dessus de l’enseignement de l’Église. Et ceci est la raison pour laquelle la grande apostasie est proche.

Un homme sage n’est pas meilleur qu’un fou, à moins qu’il soit également courageux. Ayez le courage de rejeter l’opinion majoritaire de vos pairs et vos propres raisonnements lorsque l’enseignement de l’Église y est contraire.


Par Ronald L. Conte Jr.
Théologien Catholique Romain et
traducteur de la Bible Catholic Public Domain Version.

Blog de Ronald Conte : https://ronconte.com/


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