Extrait du discours au Consistoire Secret tenu pour la création des nouveaux cardinaux, 24 Mai 1976
[…] il y a aussi des motifs d’amertume, que Nous n’entendons certes pas voiler ni minimiser. Ils viennent spécialement de ce que Nous observons une polarité, souvent irréductible dans certains de ses excès, qui manifeste en divers domaines une immaturité superficielle, ou bien une obstination entêtée, en substance une surdité amère envers les appels à ce sain équilibre conciliateur des tensions, appels qui ont pris leur source dans la grande leçon du Concile, il y a maintenant plus de dix ans.
a) D’un côté, voici ceux qui, sous prétexte d’une plus grande fidélité à l’Eglise et au Magistère, refusent systématiquement les enseignements du Concile lui-même, son application et les réformes qui en dérivent, son application graduelle mise en oeuvre par le Siège Apostolique et les Conférences épiscopales, sous notre autorité voulue par le Christ. On jette le discrédit sur l’autorité de l’Eglise au nom d’une Tradition, pour laquelle on ne manifeste un respect que matériellement et verbalement ; on éloigne les fidèles des liens d’obéissance au Siège de Pierre comme à leurs Evêques légitimes ; on refuse l’autorité d’aujourd’hui au nom de celle d’hier. Et le fait est d’autant plus grave que l’opposition dont Nous parlons n’est pas seulement encouragée par certains prêtres, mais dirigée par un Evêque, qui demeure cependant toujours l’objet de notre respect fraternel, Mgr Marcel Lefebvre.
C’est si dur de le constater ! Mais comment ne pas voir dans une telle attitude — quelles que puissent être les intentions de ces personnes — le fait de se placer hors de l’obéissance au Successeur de Pierre et de la communion avec lui, et donc hors de l’Eglise ?
Car telle est bien, malheureusement, la conséquence logique, lorsque l’on soutient qu’il est préférable de désobéir sous prétexte de conserver sa foi intacte, de travailler à sa façon à la préservation de l’Eglise catholique, alors qu’on lui refuse en même temps une obéissance effective. Et on le dit ouvertement ! On ose affirmer que l’on n’est pas lié par le Concile Vatican II, que la foi serait également en danger à cause des réformes et des orientations post-conciliaires, que l’on a le devoir de désobéir pour conserver certaines traditions. Quelles traditions ? C’est à ce groupe, et non au Pape, et non au Collège épiscopal, et non au Concile oecuménique, qu’il appartiendrait de définir parmi les innombrables traditions, celles qui doivent être considérées comme normes de foi ! Comme vous le voyez, Frères vénérés, une telle attitude s’érige en juge de cette volonté divine qui a fait de Pierre — et de ses Successeurs légitimes — le Chef de l’Eglise pour confirmer ses frères dans la foi et paître le troupeau universel (cf. Lc Lc 22,32 Jn 21,15 ss. ), et qui l’a établi garant et gardien du dépôt de la foi.
Ceci est d’autant plus grave, en particulier lorsque l’on introduit la division justement là où « l’amour du Christ nous a ressemblés en un seul Corps », congregavit nos in unum Christi amor, c’est-à-dire dans la liturgie et dans le sacrifice eucharistique, en refusant le respect dû aux normes fixées en matière liturgique. C’est au nom de la Tradition que Nous demandons à tous nos Fils, à toutes les communautés catholiques, de célébrer, dans la dignité et la ferveur, la liturgie rénovée. L’adoption du nouvel Ordo Missae n’est pas du tout laissée au libre arbitre des prêtres ou des fidèles. L’Instruction du 14 juin 1971 a prévu la célébration de la messe selon l’ancien rite, avec l’autorisation de l’Ordinaire, uniquement pour des prêtres âgés ou malades, qui offrent le sacrifice divin sine populo. Le nouvel Ordo a été promulgué pour être substitué à l’ancien, après une mûre réflexion, et à la suite des instances du Concile Vatican II. Ce n’est pas autrement que notre saint Prédécesseur Pie V avait rendu obligatoire le missel réformé sous son autorité, à la suite du Concile de Trente.
Avec la même autorité suprême qui nous vient du Christ Jésus, Nous, exigeons la même disponibilité à toutes les autres réformes liturgiques, disciplinaires, pastorales, mûries ces dernières années en application des décrets conciliaires. Aucune initiative qui vise à s’y opposer ne peut s’arroger la prérogative de rendre un service à l’Eglise : en réalité elle lui cause un grave dommage.
Plusieurs fois, directement, ou par l’intermédiaire de nos collaborateurs et d’autres personnes amies, Nous avons appelé l’attention de Mgr Lefebvre sur la gravité de ses attitudes, l’irrégularité de ses principales initiatives actuelles, l’inconsistance et souvent la fausseté des positions doctrinales sur lesquelles il fonde ces attitudes et ces initiatives, et le dommage qui en résulte pour l’Eglise entière.
C’est donc avec une profonde amertume, mais aussi avec une paternelle espérance que Nous nous adressons une fois de plus à ce Confrère, à ses collaborateurs, et à ceux qui se sont laissés entraîner par eux. Oh ! certes, Nous croyons que beaucoup de ces fidèles, au moins dans un premier temps, étaient de bonne foi: Nous comprenons aussi leur attachement sentimental à des formes de culte et de discipline auxquelles ils étaient habitués, qui pendant longtemps ont été pour eux un soutien spirituel et dans lesquelles ils avaient trouvé une nourriture spirituelle. Mais Nous avons le ferme espoir qu’ils sauront réfléchir avec sérénité, sans parti pris, et qu’ils voudront bien admettre qu’ils peuvent trouver aujourd’hui le soutien et la nourriture auxquels ils aspirent, dans les formes renouvelées que le Concile oecuménique Vatican II et Nous-même avons décrétées comme nécessaires pour le bien de l’Eglise, pour son progrès dans le monde contemporain, pour son unité. Nous exhortons donc, encore une fois, tous ces frères et fils, Nous les supplions de prendre conscience des profondes blessures que, autrement, ils causent à l’Eglise. De nouveau, Nous les invitons à penser aux graves avertissements du Christ sur l’unité de l’Eglise (cf. Jn Jn 17,21 ss.) et sur l’obéissance due au Pasteur légitime qu’il a mis à la tête du troupeau universel, comme signe de l’obéissance due au Père et au Fils (cf. Lc Lc 10,16). Nous les attendons le coeur grand ouvert, les bras prêts à les étreindre : puissent-ils retrouver, dans l’humilité et l’édification, pour la joie du Peuple de Dieu, la voie de l’unité et de l’amour !
b) D’autre part, en sens opposé pour ce qui est de la position idéologique, mais nous causant tout autant une profonde peine, il y a ceux qui, croyant faussement continuer dans la ligne du Concile, ont pris une attitude de critique a priori et parfois irréductible envers l’Eglise et ses institutions.
C’est pourquoi, avec la même fermeté, Nous devons dire que Nous n’admettons pas l’attitude :
— de ceux qui se croient autorisés à créer leur propre liturgie, limitant parfois le sacrifice de la messe ou les sacrements à la célébration de leur propre vie ou de leur propre combat, ou encore au symbole de leur fraternité ;
— de ceux qui minimisent l’enseignement doctrinal dans la catéchèse ou qui dénaturent celle-ci au gré des intérêts, des pressions, ou des exigences des hommes selon des tendances qui déforment profondément le message chrétien, comme Nous l’indiquions déjà dans l’Exhortation Apostolique Quinque jam anni, le 8 décembre 1970, cinq ans après la fin du Concile (cf. AAS., 63, 1971, p. 99) ;
— de ceux qui feignent d’ignorer la Tradition vivante de l’Eglise, depuis les Pères jusqu’aux enseignements du Magistère, et qui réinterprètent la doctrine de l’Eglise et l’Evangile lui-même, les réalités spirituelles, la divinité du Christ, sa résurrection ou l’eucharistie, en les vidant pratiquement de leur contenu : ils créent ainsi une nouvelle gnose et ils introduisent d’une certaine façon dans l’Eglise le « libre examen » ; et cela est d’autant plus dangereux quand c’est le fait de ceux qui ont la très haute mission, la mission délicate, d’enseigner la théologie catholique ;
— de ceux qui réduisent la fonction spécifique du ministère sacerdotal ;
— de ceux qui transgressent malheureusement les lois de l’Eglise, ou les exigences éthiques rappelées par elle ;
— de ceux qui interprètent la vie théologale comme une organisation de la société d’ici-bas, et même qui la réduisent à une action politique, adoptant dans ce but un esprit, des méthodes ou des pratiques contraires à l’Evangile ; et ils en arrivent à confondre le message transcendant du Christ, son annonce du Royaume de Dieu, sa loi d’amour entre les hommes, fondés sur l’ineffable paternité de Dieu, avec des idéologies qui nient essentiellement ce message en le remplaçant par une position doctrinale absolument opposée : ils se font les champions d’un mariage hybride entre deux mondes inconciliables, comme d’ailleurs le reconnaissent les théoriciens de l’autre bord.
De tels chrétiens ne sont pas très nombreux, c’est vrai, mais ils font beaucoup de bruit ; ils croient trop facilement interpréter les besoins de tout le peuple chrétien ou le sens irréversible de l’histoire. Ils ne peuvent, en agissant ainsi, se réclamer du Concile Vatican II, car l’interprétation et l’application de celui-ci ne se prêtent pas à des abus de la sorte ; pas davantage invoquer les exigences de l’apostolat pour approcher ceux qui sont loin ou les incrédules : l’apostolat véritable est un envoi par l’Eglise pour témoigner de la doctrine et de la vie de l’Eglise elle-même. Le levain doit certes être diffusé dans toute la pâte, mais il doit rester levain évangélique. Autrement il se corrompt lui aussi avec le monde.
Frères vénérés. Nous avons pensé devoir vous confier ces réflexions conscient de l’heure importante qui sonne pour l’Eglise. L’Eglise est et sera toujours l’étendard levé parmi les nations (cf. Is Is 5,26 Is 11,12), car elle a la mission de donner au monde qui la regarde, avec parfois un air de méfiance, la vérité de la foi qui éclaire sa destinée, l’espérance qui seule ne déçoit pas (Rm 5,5), la charité le sauvant de l’égoïsme qui, sous diverses formes, tente de l’envahir et de l’étouffer. Ce n’est certes pas le moment de l’abandon, de la désertion, des concessions ; ni, encore moins, celui de la peur. Les chrétiens sont simplement appelés à être eux-mêmes : et ils le seront dans la mesure où ils seront fidèles à l’Eglise et au Concile.
Source: Traduction sur clerus.org, depuis Discours du Pape Paul VI en 1976, Collection « Eglise et documents », « L’enseignement de Paul VI » vol. IX, seconde partie Libreria editrice Vaticana. Texte original en italien disponible sur vatican.va