L’article Is Natural Family Planning a ‘Heresy’? a été écrit par le Père Brian W. Harrison et paru dans Living Tradition en janvier 2003.

Quand on entend attaquer l’enseignement de l’Église sur la transmission de la vie humaine, les attaquants sont généralement ceux qui veulent justifier les pratiques contraceptives. Ils dénoncent surtout le prétendu « rigorisme » ou « obscurantisme » des papes Paul VI et Jean-Paul II, qui ont continué à insister, comme tous leurs prédécesseurs au Siège de Pierre, sur le fait qu’il est toujours un péché grave pour les conjoints de manipuler, de pervertir ou d’interférer avec l’acte conjugal de manière à empêcher la possibilité de procréer.
Cependant, ces derniers temps, on constate également une tendance croissante chez certains catholiques traditionalistes à attaquer les encycliques des papes susmentionnés dans la direction opposée. Il y a maintenant un certain nombre d’articles de magazines, de brochures et de sites web qui se plaignent bruyamment que l’enseignement papal récent sur ce sujet n’est pas trop sévère ou rigoriste, mais trop laxiste et permissif. Ils dénoncent Paul VI et Jean-Paul II et « l’Église postconciliaire » pour avoir explicitement permis et encouragé ces procédures connues aujourd’hui sous le nom générique de « continence périodique » ou de planification familiale naturelle (PFN). Comme on le sait, ces expressions font référence à l’identification et à l’utilisation exclusive de la période naturellement infertile du cycle de l’épouse pour avoir des relations conjugales, dans des circonstances où un couple marié a des raisons suffisamment sérieuses de vouloir éviter la conception d’un nouvel enfant. Ironiquement, ces traditionalistes se joignent souvent à ceux qui se trouvent à l’autre bout du spectre théologique – les dissidents libéraux « catholiques » – pour affirmer qu’il n’y a pas de différence morale entre la PFN et l’utilisation de préservatifs, de pilules et d’autres contraceptifs. Utilisant la même épithète que celle employée par nombre de leurs ennemis jurés libéraux, ils qualifient sarcastiquement la PFN de « contraception catholique », affirmant que si l’Église était logiquement cohérente, elle autoriserait toutes les méthodes de régulation des naissances (proposition libérale) ou les interdirait toutes (proposition traditionaliste).
Cette critique « traditionaliste » de la PFN existe à des degrés divers. Et je dois commencer par reconnaître que, dans ses formes les plus douces – c’est-à-dire lorsqu’elle est dirigée davantage contre certaines politiques et pratiques pastorales modernes plutôt que contre la doctrine authentique de l’Église sur la PFN en tant que telle – la critique me semble raisonnable et juste. D’après ce que j’ai vu et lu au cours de mes années de prêtrise, je suis d’accord avec ces critiques sur le fait que, parmi ceux qui font la promotion de la PFN, il y a parfois une partialité ou un manque d’équilibre. On enseigne souvent aux couples mariés ou fiancés la légitimité et la technique de l’ovulation ou des méthodes sympto-thermiques de la PFN, mais avec peu ou pas de mention de cette autre partie de l’enseignement de l’Église qui insiste sur le fait que les couples ont besoin de « justes raisons » (Humanae Vitae, 16 ; Catéchisme de l’Église catholique [CEC], n°2368) pour utiliser la PFN s’ils veulent être libres de tout péché devant Dieu. (En effet, très franchement, je pense que nous avons vraiment besoin maintenant de la part du Magistère de directives moins vagues et plus spécifiques quant à ce qui constitue réellement une « juste raison »). Très souvent, ces couples n’entendent pas du tout parler du fait que « la Sainte Écriture et la pratique traditionnelle de l’Église voient dans les familles nombreuses un signe de la bénédiction divine et de la générosité des parents » (CEC n° 2373). Ils sont encore moins souvent informés du fait que, selon le Magistère, les considérations purement temporelles ou mondaines sont en elles-mêmes des critères inadéquats pour décider quand la PFN peut être justifiée : « Par ailleurs, que tous sachent bien que la vie humaine et la charge de la transmettre ne se limitent pas aux horizons de ce monde et n’y trouvent ni leur pleine dimension, ni leur plein sens, mais qu’elles sont toujours à mettre en référence avec la destinée éternelle des hommes » (Concile Vatican II, Gaudium et Spes, n° 51, cité dans le CEC n° 2371). En tenant compte de l’ensemble de l’enseignement biblique et ecclésiastique dans ce domaine, je pense personnellement que nous devons ramener le mot « grave » dans le discours sur la planification familiale. En d’autres termes, nous devrions enseigner que les problèmes temporels ou mondains à anticiper par une autre grossesse et une autre naissance (principalement de santé ou de pauvreté) doivent être vraiment graves pour qu’un couple marié soit en droit de conclure qu’il a une « juste raison » d’utiliser la PFN. (J’ai dit « ramener » ci-dessus, car, comme je le montrerai dans cet article, cet adjectif clé, « grave », a en fait été utilisé par le Magistère dans ce contexte, dans certaines décisions qui ont été généralement oubliées, mais en aucun cas répudiées).
Ceci étant dit, nous devons maintenant passer à la mise en évidence de la grave erreur de ces « traditionalistes » catholiques qui vont beaucoup plus loin que la simple réprobation d’une approche pastorale indûment laxiste, permissive et unilatérale de la PFN, et qui prétendent que la pratique est, en principe, immorale, et qu’elle est également condamnée par le magistère ordinaire (ou même extraordinaire) précédent de l’Église. Jamais l’utilisation des guillemets autour du mot « traditionaliste » n’a été plus appropriée que dans ce cas, parce que, comme nous allons le voir, il n’y a jamais eu à aucun moment une « tradition » catholique – pas même une tradition « non-infaillible » de niveau inférieur – contre l’utilisation de la continence périodique. Pratiquement dès que les premières méthodes rudimentaires d’estimation de la période d’infertilité sont apparues, avec les progrès de la science médicale au milieu du XIXème siècle, le Siège de Pierre a immédiatement et explicitement donné sa bénédiction à cette pratique !
Ignorant ce fait, pas mal de « traditionalistes » prétendent maintenant que, d’un point de vue catholique orthodoxe, la notion même de « régulation » ou de « planification » des naissances et de la taille des familles est un affront à Dieu, et trahit un manque de confiance dans sa Providence aimante. Ils prétendent que les couples mariés sont toujours moralement obligés soit de s’engager dans des relations conjugales régulières sans aucune intention de « planifier » la taille de leur famille (et donc en laissant cela entièrement à la Providence de Dieu) ; soit, s’ils sont vraiment convaincus qu’il y a de graves raisons d’éviter une autre grossesse, de s’abstenir totalement de relations conjugales aussi longtemps que dure cette situation, sans faire aucune tentative pour identifier et utiliser les moments naturellement infertiles du cycle de la femme.
Le partisan le plus franc et le plus intransigeant de ce point de vue pseudo-traditionnel est sans doute M. Richard Ibranyi, un écrivain « sédévacantiste » prolifique dont les brochures, bulletins et articles de site Web dénoncent sans cesse l’Église « apostate » de Vatican II et les « antipapes » qui la dirigent. Ibranyi a récemment publié une brochure de 32 pages [1] dont les conclusions ne sont rien moins que directes et sans ambiguïté. Il déclare : « Tous ceux qui utilisent la planification familiale naturelle commettent un péché mortel. Il existe une loi naturelle dans le cœur de tous les hommes et la pratique de la PFN viole cette loi naturelle. Le pape Pie XI [dans l’encyclique Casti Connubii] enseigne qu’il n’y a pas d’exceptions ni d’excuses. Aucune exception, même si votre prêtre ou votre évêque dit qu’il est possible de l’utiliser » [2].
Eh bien, Pie XI a-t-il en fait enseigné cette doctrine dans son document de 1930 ? Pour répondre à cette question, nous devons d’abord replacer Casti Connubii (CC) dans son contexte historique, car cette encyclique n’était en aucun cas la première déclaration émanant du Vatican sur ce sujet.
À ce stade, nous devons ouvrir une petite parenthèse afin de préciser quel type de document constitue en fait une véritable intervention du Vatican. En effet, certains « traditionalistes », dont Ibranyi, refusent d’accepter comme officielle, ou même comme authentique, toute déclaration du Vatican qui n’est pas publiée dans son journal officiel, les Acta Apostolicae Sedis (AAS). De nombreux lecteurs savent que, ces dernières années, l’interprétation rigoriste et tardive du dogme « Hors de l’Eglise, point de salut », proposée par le Père Leonard Feeney, a connu un certain regain d’intérêt. Et ceux qui ont suivi cette controverse savent probablement que l’une des principales stratégies des Feeneyistes est de nier le caractère officiel, et même l’authenticité, de la célèbre Lettre du Saint-Office à l’archevêque de Boston de 1949. Puisque cette Lettre, qui rejette la position doctrinale du Père Feeney, n’a jamais été publiée dans l’AAS, ses partisans prétendent qu’elle ne compte tout simplement pas comme une intervention authentique du Magistère. (Les Pères de Vatican II pensaient manifestement le contraire, puisqu’ils l’ont citée avec d’autres sources magistérielles dans le document le plus solennel du Concile. [3]) Dans une autre de ses nombreuses publications, Richard Ibranyi, qui se trouve être un Feeneyiste ainsi qu’un sédévacantiste, se réfère à ce document comme « la soi-disant Lettre du Saint-Office contre le Père Feeney » et la qualifie (en gros caractères gras) de « frauduleuse ». [4]
L’erreur Feeneyiste sur ce point est évidemment basée sur une mauvaise application du canon 9 du Code de droit canonique de 1917 (parallèlement au canon 8 du Code de 1983), qui déclare (entre autres choses) que les « les lois universelles de l’Eglise » doivent être promulguées dans l’AAS pour être obligatoires. Or, les « lois de l’Eglise » sont des exercices du gouvernement de l’Église. Ce sont avant tout des décisions « pratiques », établissant que quelque chose de spécifique doit être fait ou ne doit pas être fait. Ces décisions doivent être soigneusement distinguées de celles du Magistère de l’Église, qui sont avant tout des décisions « théoriques » visant à clarifier la différence entre la vraie et la fausse doctrine. Or, la lettre du Saint-Office de 1949 appartenait clairement à cette dernière catégorie. Elle ne décrétait aucune sanction à l’encontre du Père Feeney ou du ‘St. Benedict Center’, et n’ordonnait pas à l’archevêque de Boston de prendre des mesures spécifiques dans ce cas. Elle s’est limitée à faire autorité en distinguant les interprétations vraies et fausses du dogme en question. Il n’était donc absolument pas nécessaire que cette Lettre soit publiée dans l’AAS pour être à la fois authentique et officielle.
Le fait est, comme le savent tous ceux qui sont familiers avec les procédures standard du Vatican, que depuis la création de l’AAS par le Pape saint Pie X en 1909, il y a toujours eu un grand nombre de déclarations et de décisions officielles des Papes et des Congrégations du Vatican, y compris des documents doctrinaux du Saint-Office et de la Sacrée Pénitencerie (sur des questions morales particulièrement pertinentes pour les confesseurs dans le Sacrement de Pénitence), qui ne sont jamais publiés dans la revue susmentionnée. Souvent, elles sont d’abord envoyées en privé par Rome aux évêques, et peut-être seulement des années après (comme dans le cas de la Lettre de 1949) sont publiées dans une revue catholique ou autre. Le fait qu’une telle revue ne soit pas elle-même une publication officielle de l’Église n’implique nullement (comme le prétendent souvent les Feeneyistes) que le document romain qu’elle publie n’est pas officiel. En dehors des « lois universelles de l’Eglise », qui doivent effectivement être publiées dans l’AAS, l’inclusion ou la non-inclusion d’autres types de déclarations papales et vaticanes dans l’AAS est une mesure, non pas de leur caractère « officiel » ou « non officiel », mais plutôt du degré d’importance publique que le Saint-Siège leur accorde [5].
Revenons maintenant au sujet de la planification familiale naturelle. Il était d’abord nécessaire de clarifier la question de la nécessité ou de la non-nécessité de la promulgation de l’AAS, afin de prévenir une objection « traditionaliste » toute faite à l’argument qui suit. Car il se trouve que plusieurs documents magistériels clés approuvant la PFN n’ont jamais été publiés dans l’AAS. Et puisqu’ils n’ont même jamais été publiés dans la version anglaise du Denzinger (une source clé de la doctrine pré-Vatican II pour les laïcs tels que M. Ibranyi, qui a publiquement admis sa propre ignorance du latin), ces décisions sont apparemment restées inconnues des catholiques qui dénoncent la PFN comme une aberration ou une hérésie « moderniste » récente. En tout cas, je n’ai jamais vu aucune de ces décisions citées, ou même mentionnées, dans les attaques « traditionalistes » contre l’utilisation de la continence périodique.
La première fois que Rome s’est exprimée sur le sujet, c’était en 1853, lorsque la Sacrée Pénitencerie a répondu à un dubium (une demande formelle de clarification officielle) soumis par l’évêque d’Amiens, en France. Celui-ci demandait : « Faut-il réprouver les époux qui ne recourent au mariage que les jours où, de l’avis de certains médecins, la conception est impossible ? ». La réponse du Vatican fut la suivante : « Après un mûr examen, nous avons décidé que de tels époux ne doivent pas être inquiétés [ou troublés], à condition qu’ils ne fassent rien qui empêche la génération » [6] Par l’expression « empêche la génération », il est évident que le Vatican entendait le recours à l’onanisme [7] (ou coït interrompu, aujourd’hui appelé populairement « retrait »), aux préservatifs, etc. Car sinon, la réponse serait auto-contradictoire et n’aurait aucun sens.
La question a été soulevée une nouvelle fois en 1880, lorsque la Sacrée Pénitencerie a publié, le 16 juin de cette année-là, une réponse plus générale (c’est-à-dire qui ne s’adressait pas seulement à un évêque en particulier). Cette fois, le Vatican va plus loin : non seulement il demande aux confesseurs de ne pas « inquiéter » ou « troubler » les couples mariés qui pratiquent déjà la continence périodique, mais il autorise même le confesseur à prendre l’initiative de suggérer positivement cette méthode, avec la prudence qui s’impose, à des couples qui ne la connaissent pas encore et qui, selon son jugement prudent, risquent autrement de continuer à pratiquer le « crime détestable » de l’onanisme. On ne pouvait pas demander une preuve plus évidente et plus explicite que déjà, plus de quatre-vingts ans avant Vatican II, le Saint-Siège voyait une grande différence morale entre la PFN (comme nous l’appelons maintenant) et les méthodes contraceptives (que les moralistes catholiques appelaient alors globalement « onanisme » de différents types). La question précise posée était la suivante : « Est-il permis de n’user du mariage qu’aux jours où une conception est plus difficile ? ». La réponse est la suivante : « Des conjoints qui font usage de la manière précitée ne doivent pas être inquiétés, et le confesseur peut – avec précaution cependant – suggérer ce dont il s’agit à des époux qu’il aura tenté vainement d’éloigner d’une autre manière du crime détestable de l’onanisme ». [8] Les notes éditoriales du Denzinger indiquent que cette décision a été rendue publique l’année suivante (1881) dans la revue française très respectée, Nouvelle Revue Théologique ; et à Rome même en 1883, dans le recueil Analecta Iuris Pontificii approuvée par le Vatican.
Or, c’est la doctrine et la pratique pastorale que tous les prêtres bien formés en théologie morale ont appris au séminaire à partir du milieu du XIXe siècle. Ainsi, avant l’élection de Pie XI, les bienheureux Pie IX, Léon XIII, saint Pie X et Benoît XV avaient tous clairement approuvé ce statu quo établi par leur propre Pénitencerie sacrée, et n’avaient jamais montré la moindre inclination à revenir sur ses décisions de 1853 et 1880. Le futur Pie XI lui-même n’est né qu’en 1857, quatre ans après la première autorisation vaticane de la continence périodique. Ainsi, comme tous les autres prêtres obéissants et studieux de son époque, le père Achille Ratti aurait appris et accepté cet enseignement authentique approuvé par le Vatican qui autorisait la PFN comme moyen d’éviter une progéniture. Il est donc très peu probable a priori qu’après avoir été élu pape, il ait eu l’intention de condamner cette pratique. Il est bien connu que la principale raison qui l’a poussé à s’exprimer sur la contraception était le fait que la Conférence anglicane de Lambeth de 1930 avait scandalisé toutes les personnes moralement honnêtes en enseignant, pour la première fois dans l’histoire de ceux qui se réclament du nom de « chrétiens », que des pratiques contre nature, c’est-à-dire l’onanisme, pouvaient être moralement acceptables. La continence périodique n’était tout simplement pas la question en 1930, et en fait, Pie XI n’a pas choisi d’aborder cette question dans Casti Connubii.
La preuve la plus claire que l’interprétation de Richard Ibranyi de CC – à savoir qu’elle condamne la PFN comme une autre forme de contraception – est incorrecte est le fait que Pie XI lui-même n’a manifestement pas interprété sa propre encyclique de cette façon. Seulement un an et demi après sa promulgation, la Sacrée Pénitencerie a encore publié une déclaration sur la continence périodique, datée du 20 juillet 1932. (Il est fort possible que ce soit parce que quelqu’un, quelque part, essayait de donner une interprétation rigoriste de type Ibranyi à CC). Cette fois, la décision, qui renvoyait simplement à la réponse antérieure et positive du même dicastère, un demi-siècle plus tôt, fut finalement rendue publique dans la revue documentaire romaine Texta et Documenta, series theologica (vol. 25 [1942], p. 95). La décision se lit comme suit (ma traduction) :
« Concernant l’utilisation exclusive de la période d’infertilité
« Q. Si est licite en soi la pratique par laquelle les époux qui, pour des causes justes et graves, veulent éviter une descendance d’une manière moralement droite, s’abstiennent de recourir au mariage – par consentement mutuel et avec des motifs droits – sauf les jours où, selon certaines théories [médicales] récentes, la conception est impossible pour des raisons naturelles.
« R. Prévu par la réponse de la Sacrée Pénitencerie du 16 juin 1880. » [9]
Or, il serait évidemment grotesque de plaider que Pie XI n’a peut-être « jamais su » cette décision de 1932, jusqu’à sa mort sept ans plus tard ! Selon toute probabilité, il a été le premier à l’apprendre ! Il est certain qu’elle a été prise sous son propre nez au Vatican, et qu’elle aurait été envoyée rapidement aux évêques du monde entier pour le bénéfice de leurs théologiens moraux enseignant aux futurs prêtres dans leurs séminaires ! Comment se fait-il que le seul évêque catholique au monde à ne pas être au courant de cette « déformation hérétique » (selon Ibranyi) de son encyclique soit l’évêque de Rome lui-même ? Partout, des théologiens moraux approuvés ont continué à enseigner cette doctrine établie et authentique sur la légitimité de la PFN pour des raisons justes et graves. [10]
Si nous regardons ce que Pie XI dit réellement dans CC, il est clair pourquoi il ne voyait lui-même aucune contradiction entre sa propre encyclique et la doctrine établie des décisions de la Pénitencerie Sacrée, tant avant qu’après l’encyclique, qui approuvait la PFN. Tout d’abord, si le Pape avait voulu faire passer un message clair aux théologiens et à l’Eglise en général qu’il renversait la doctrine de ses quatre prédécesseurs, c’est-à-dire qu’il condamnait la PFN qu’ils avaient tous autorisée, il n’aurait jamais utilisé le langage qu’il utilise en fait dans CC. Il aurait presque certainement utilisé, par souci de clarté, le langage accepté des théologiens de l’époque, qui était pratiquement universel en parlant d’onanisme pécheur d’une part (subdivisé en onanisme « strict » ou « naturel », signifiant « retrait », et onanisme « artificiel », signifiant préservatifs, moyens chimiques, gaines vaginales, ou tout autre « appareil » de ce genre), et d’autre part, continencia periodica ou usus exclusivus temporum agenneseos, pour se référer à ce que nous appelons maintenant la PFN. Le pape aurait déclaré sans ambiguïté que cette dernière, tout comme la première, devait désormais être jugée comme un péché et inacceptable.
Il est intéressant de noter la différence entre ce que dit Ibranyi pour exposer sa doctrine personnelle (et non-catholique) sur cette question, et ce que dit Pie XI pour exposer la doctrine vraie et catholique. La doctrine d’Ibranyi [11] répète encore et encore des mots comme « plan » et « objectifs ». Elle est résumée à la page 7, où il dit que l’essence de la contraception pécheresse (définie par Ibranyi de manière à inclure la PFN ainsi que le ‘retrait’ et les préservatifs, les pilules, etc.) est « le désir d’avoir des relations maritales tout en ayant délibérément prévu d’empêcher la conception ». Mais Pie XI n’insiste nulle part sur les « plans » ou les « objectifs » pour éviter d’avoir des enfants. Il n’enseigne pas qu’un tel « désir », ou un tel « plan délibéré », soit essentiellement pécheur. Ce que le pape qualifie de péché, c’est de « frustrer l’acte matrimonial », c’est-à-dire de « lui enlever sa force et son efficacité » [12]. Mais lorsque les couples accomplissent des actes conjugaux exclusivement les jours d’infertilité, ils ne lui « enlèvent » pas la « force et l’efficacité » des actes qu’ils accomplissent ces jours-là. Car ces actes particuliers n’ont pas de « force et d’efficacité [de procréation] » au départ ! Vous ne pouvez pas « frustrer » un pouvoir ou un but inexistant – ou une chose inexistante !
Ce point apparaît clairement dans le passage le plus solennel (et, à mon avis, infaillible) de l’encyclique. Après avoir fait référence à la récente décision des anglicans d’autoriser la contraception (sans toutefois les citer nommément), Pie XI déclare :
« L’Église catholique, investie par Dieu même de la mission d’enseigner et de défendre l’intégrité des mœurs et l’honnêteté, l’Église catholique, debout au milieu de ces ruines morales, afin de garder la chasteté du lien nuptial à l’abri de cette honteuse déchéance, se montrant ainsi l’envoyée de Dieu, élève bien haut la voix par Notre bouche, et elle promulgue de nouveau : que tout usage du mariage, quel qu’il soit, dans l’exercice duquel l’acte est privé, par l’artifice des hommes, de sa puissance naturelle de procréer la vie, offense la loi de Dieu et la loi naturelle, et que ceux qui auront commis quelque chose de pareil se sont souillés d’une faute grave. » [13]
[…] Cela rend le véritable sens du Pape un peu plus clair. Le verbe latin qu’il utilise ici [pour « privé de »] est destituere. Et comme le montrent les dictionnaires latins, ce verbe, lorsqu’il est utilisé avec l’ablatif, comme dans ce cas (naturali sua . . . vi), signifie précisément « priver de », « dépouiller » ou « voler ». Dans ces constructions, le nom qui accompagne l’ablatif est la chose dont le propriétaire légitime a été « privé », ou qui lui a été « dépouillé » ou « volé ». Bien entendu, on ne peut pas « priver » quelqu’un de quelque chose qu’il n’a jamais possédé au départ. Vous ne pouvez pas « voler » un homme sans argent, pas plus que vous ne pouvez le « dépouiller » s’il est déjà nu. De même, puisque les actes conjugaux accomplis précisément pendant la période d’infertilité n’ont pas, par la nature même du cas, de potentiel procréatif naturel au départ, il est évident qu’ils ne peuvent être « privés » ou « volés » de ce potentiel.
Il est donc clair que la censure solennelle de Pie XI ne peut se référer à la PFN (continence périodique). Elle doit se référer uniquement aux actes conjugaux qui, sans l’intervention contre nature de l’un ou des deux conjoints, auraient conservé ladite « puissance naturelle de procréer la vie ». En d’autres termes, la condamnation du Pape s’applique exclusivement aux actes conjugaux accomplis pendant ce que les époux comprennent comme étant la période de fertilité de l’épouse, mais qu’ils pervertissent délibérément (que ce soit par le « retrait », les préservatifs, les pilules ou toute autre technique) afin de les priver de cette fertilité. Ils osent ainsi lever les mains, pour ainsi dire, contre l’approche du Créateur lui-même ; comme s’ils étaient des agents de la circulation ayant le droit de donner des ordres au Seigneur, l’obligeant à faire un détour : « Arrêtez ! Halte ! Revenez en arrière ! Pas maintenant ! Aucune entrée n’est autorisée ici pour vous ! » Les couples utilisant la PFN, en revanche, ne sont pas coupables d’une telle présomption. Ils respectent la souveraineté de Dieu sur la vie et la mort humaines, et ne font que suivre leur instinct divin, et utiliser leur droit conjugal divin, aux moments où le Créateur lui-même a déjà clairement indiqué, par la façon dont il a façonné la biologie féminine humaine, qu’il n’a pas la volonté d’utiliser leur amour conjugal pour créer une nouvelle vie.
Le successeur de Pie XI, le pape Pie XII, a confirmé une fois de plus l’acceptabilité morale de la PFN, pour des « raisons graves », dans deux allocutions de 1951 (le 29 octobre, à l’Union catholique italienne des sages-femmes, et le 26 novembre, au Congrès national du « Front familial » et de l’Association des familles nombreuses). Depuis lors, bien sûr, nous avons eu d’autres confirmations de la même doctrine de la part des papes Paul VI (dans Humanae Vitae) et Jean-Paul II (dans Familiaris Consortio et dans de nombreuses autres déclarations). Nous sommes en présence d’une tradition longue et totalement ininterrompue par laquelle le Siège de Pierre a approuvé l’utilisation par les conjoints de la continence périodique afin d’éviter la conception, lorsque leurs circonstances personnelles constituent vraiment une juste cause pour cet évitement. Ce genre de tradition catholique devrait suffire à satisfaire tout traditionaliste catholique.
Notes
[1] R.J.M. Ibranyi, Natural Family Planning Is Contraception (Truth or Consequences, New Mexico, 2002). Je désigne ici Ibranyi comme l’auteur de cet ouvrage, bien que sa page de titre informe le lecteur qu’il est en fait « par » l’ensemble suivant d’influences divines et célestes : « Le Précieux Sang de Jésus-Christ, la Grâce du Dieu de la Sainte Eglise Catholique, la Médiation de la Sainte Vierge Marie, Notre Dame du Bon Conseil et Ecraseuse des Hérétiques, la Protection de Saint Joseph, Patriarche de la Sainte Famille [et] l’Intercession de Saint Michel Archange ». Ce n’est qu’au bas de cette liste d’autorités suprêmes (et clairement infaillibles) que M. Ibranyi révèle que le petit livre a également été produit avec sa propre « coopération ». Il est bon de voir que la vertu de la modestie est encore bien vivante dans la ville de « TorC », au Nouveau-Mexique.
[2] Ibranyi, op. cit., p. 32.
[3] Voir la Constitution dogmatique sur l’Église, Lumen Gentium, article 16, note de bas de page 19.
[4] R.J.M. Ibranyi, The Salvation Dogma (Truth or Consequences, New Mexico, 2003), p. 63.
[5] Ainsi, tout ce que l’on peut raisonnablement conclure de la non-publication de la lettre du Saint-Office de 1949 dans l’AAS est que le Saint-Siège, et presque certainement Pie XII lui-même, qui était personnellement à l’époque le Préfet du Saint-Office, n’a apparemment pas pensé que la tempête locale qui s’était formée à Boston autour du P. Feeney était suffisamment importante pour être portée à l’attention de l’ensemble du monde catholique d’une manière très médiatisée. Cela ne signifie pas, bien sûr, que la question doctrinale soulevée dans la controverse Feeney était sans importance en soi. Mais il semble que tout le reste du monde catholique, à cette époque, soutenait pacifiquement le point de vue moins rigoureux du « dogme du salut », qui était depuis longtemps enseigné explicitement par des théologiens approuvés et qui avait également été brièvement enseigné par Pie XII dans son Encyclique Mystici Corporis Christi de 1943 (voir Denzinger-Schonmetzer [DS], #3821). Rome, semble-t-il, ne voulait pas donner l’impression qu’il s’agissait d’une question qui causait de graves divisions, de la confusion et des controverses dans l’ensemble du monde catholique.
[6] Cité dans J. Montánchez, Teología Moral [Buenos Aires, 1946], p. 654, traduction de l’auteur.
[7] Voir Genèse 38, 8-10, où nous lisons que Dieu a fait mourir Onan pour avoir répandu sa semence sur le sol afin d’empêcher la procréation.
[8] « Qu :. An licitus sit usus matrimonii illis tantum diebus, quibus difficilior est conceptio?
« Resp : Coniuges praedicto modo utentes inquietandos non esse, posseque confessarium sententiam de qua agitur, illis coniugibus, caute tamen, insinuare, quos alia ratione a detestabili onanismi crimine abducere frustra tentaverit » (DS 3148, traduction du présent auteur donnée ci-dessus).
Cette décision a été publiée dans la Nouvelle Revue Théologique, vol. 13 (1881), pp. 459-460, puis dans les Analecta Iuris Pontificii, vol. 22 (1883), p. 249.
[9] « De uso exclusivo temporum agenneseos:
« Qu.:An licita in se sit praxis coniugum, qui, cum ob iustas et graves causas prolem honesto modo evitare malint, ex mutuo consensu et motivo honesto a matrimonio utendo abstinent praeterquam diebus, quibus secundum quorundam recentiorum theoremata ob rationes naturales conceptio haberi non potest?
« Resp.: Provisum est per Resp. S. Paenitentiariae, 16. Iun. 1880.«
[10]Par exemple, Heribert Jone, Moral Theology (1ère édition 1929), section 760 ; J. Montánchez (op. cit., 1946), p. 654 ; F. De Larraga, O.P., Prontuario de Teología Moral, (Madrid & Buenos Aires, 1950), p. 449-450, citant la décision du Vatican de 1880 ; A. Tanquerey, Brevior Synopsis Theologiae Moralis et Pastoralis (Paris, Desclée, 1933), p. 653. Le grand Père Adolphus Tanquerey était l’auteur de certains des manuels de théologie les plus utilisés et les plus universellement approuvés du début du 20ème siècle. Il est donc particulièrement significatif qu’il ait pu, moins de trois ans après la promulgation de CC, écrire ce qui suit (à la page citée ci-dessus).
Après avoir expliqué le caractère mortellement pécheur de l’onanisme (« retrait », préservatifs, etc.), Tanquerey affirme (en soulignant ici) : « Ab onanismo omnino differt praxis copulam solummodo iis temporibus quibus conceptio raro accidit. . . . Talis agendi ratio non est peccaminosa ex S. Paenitentiaria (16 juin 1880)« .
Traduction : « Totalement différente de l’onanisme est la pratique d’avoir des relations conjugales seulement aux moments où la conception se produit rarement. . . . Une telle pratique n’est pas un péché, selon la Sacrée Pénitencerie (16 juin 1880) ».
[11] Ibranyi, 2002, op. cit., pp. 6-7.
[12] « vitiando naturae actum » (DS 3716, = Dz 2239).
[13] […] Le texte latin original des mots soulignés est « quemlibet matrimonii usum in quo exercendo, actus de industria hominum, naturali sua vitae procreandae vi destituatur » (cf. DS 3717 ou Dz 2240).