Ceci est la traduction d’un article de Dave Armstrong, publié le 16 juillet 2021. Pour soutenir le travail de Dave Armstrong, vous pouvez lui faire un don via les instructions ici ou au compte paypal suivant: apologistdave @ gmail.com.
Le Pape François a promulgué le 16 juillet 2021 la lettre Apostolique « Motu proprio » nommée Traditionis Custodes. Il a également publié une lettre explicative aux évêques pour accompagner ce document. Cette dernière est d’une extrême importance pour comprendre les motivations de la première.
Un document Motu prioprio est d’une autorité relativement plus faible que d’autres documents pontificaux. L’ancienne Encyclopédie Catholique (1910) expliquait que ce type de document était soumis à la décision du pape personnellement, c’est-à-dire, non selon l’avis des cardinaux ou autres, mais pour des raisons qu’il jugeait suffisantes.
Pour cette raison, il peut parfois « renverser » des proclamations similaires de papes précédents, car chaque pape a le pouvoir suprême de promulguer une proclamation Motu proprio. En d’autres termes, ils portent généralement sur des sujets qui ne sont pas de nature infaillible.
Avant de commencer à citer le document et la lettre d’accompagnement, laissez-moi résumer ce que je considère être l’essence du sujet:
- Les traditionalistes et le groupe bien plus extrême de catholiques dissidents – depuis la réforme de la messe de Vatican II en 1965 -, désiraient une disponibilité plus large de la messe Tridentine.
- Le Pape Saint Jean-Paul II et le Pape Benoît XVI ont accordé cette disponibilité et accès plus larges, dans le but ouvert de subvenir à ces désirs légitimes. « Adorer et laisser adorer » semblait être l’esprit de ces actions.
- Le Pape Benoît XVI en particulier avait fait des efforts considérables dans la même ligne par son document Summorum Pontificum et sa lettre d’accompagnement en 2007.
- La vision du Pape Benoît XVI était que les deux formes soient des variantes de l’unique Rite Romain. Les catholiques ne devaient pas voir d’un mauvais oeil les autres catholiques qui choisissaient, d’adorer différemment et de suivre un autre « modèle » liturgique. Ses actions et celles de son saint prédecesseur ont toujours présupposé qu’une telle liberté ne devait pas être exploitée pour fomenter la division, un sentiment de supériorité, et une condamnation de la Messe du Pape Saint Paul VI (la fameuse « Nouvelle Messe »).
- Mais de fait (comme cela a été déterminé par une étude entreprise par les évêques), cette liberté d’adoration étendue a effectivement eu pour effet que beaucoup trop de gens adoptent une attitude quasi-schismatique, dans laquelle ils condamnaient la Messe du Pape Saint Paul VI (que le Pape Benoît XVI appelait la « forme ordinaire de la Messe ») et considéraient qu’elle était objectivement inférieure à la forme extraordinaire de la Messe (Tridentine ou « Ancienne » Messe), et dans des cas extrêmes, une forme invalide.
- A la lumière d’une division grandissante et de ce que l’on pourrait nommer un « éltitisme » ou « rigorisme », le Pape François, suivant l’étude entreprise (i.e, n’agissant pas simplement unilatéralement), a décidé que trop de gens avaient « exploité » cette liberté d’adoration, menant à une division non désirée et pécheresse dans l’Eglise, incluant la dénigration ou le rejet direct de la sublime autorité Magistérielle du Second Concile du Vatican.
- Ainsi, le Pape François désire une régulation plus réstreinte de l’usage de la Messe Tridentine (non pas une interdiction!), afin d’éviter les excès et effets secondaires indésirables, pour protéger l’unité de l’Eglise.
Avant de continuer, laissez-moi réitérer mes propres inclinations en ces lignes: quand bien même on m’accuserait de biais (ce qui arrive inévitablement, de toutes manières, dès que je défend quoi que ce soit que le Pape François fait):
- J’ai toujours été en faveur d’un accès plus large à la Messe Tridentine, depuis le temps où j’ai été reçu dans l’Eglise Catholique en Février 1991. En fait, j’ai visité Windsor, au Canada, de l’autre côté de la rivière depuis Detroit, peu après ma conversion, afin d’assister à une telle messe avant qu’elle soit rendue disponible dans l’archidiocèse de Detroit.
- Je déteste tous et chacun des abus liturgiques.
- J’étais membre de la paroisse St. Joseph à Detroit, entre 1991 et 2016. Celle-ci offrait une messe « Novus Ordo en latin » de façon très révérente, et était une des rares (peut-être trois ou quatres) à en faire de même. Ceci est ma propre préférence liturgique (pratiquement inexistante à présent, plutôt « entre deux chaises »). Eventuellement, une paroisse de notre groupe de trois paroisses offrait une messe Tridentine/sous forme extraordinaire. A présent St. Joseph fait partie de l’Institut du Christ Roi Souverain Prêtre et offre exclusivement des messes sous forme extraordinaire. Je m’attends entièrement à ce qu’elle continue à le faire (en présumant que la paroisse n’a pas été contaminée par une dissidence « sur le terrain »). Depuis, j’ai déménagé à 105 kilomètres et assiste à une différente paroisse.
- J’ai reçu avec enthousiasme le Summorum Pontificum de Benoît XVI en 2007, étant donné que j’avais déjà l’opinion qu’il exprimait, et l’avait défendue depuis, contre les dissidents comme Peter Kwasniewski (qui attaque également Vatican II), dont l’opinion était que la messe de Paul VI était objectivement inférieure: de façon expressément contraire à l’opinion de Benoît XVI.
- En même temps, en tant qu’apologète et « observateur sociologique » du traditionalisme et de la dissidence depuis 25 ans, j’étais bien conscient qu’il y avait de fortes tendances réactionnaires dans la communauté liée à la forme extraordinaire/ancienne messe, qui étaient « anti-forme ordinaire » et « anti-Vatican II » ainsi qu' »anti-Pape François » (et même de plus en plus anti-Pape Benoît XVI). Certaines personnes (dont je ne sais quel pourcentage) préfèrent simplement l’ancienne messe et ne rentrent pas dans ce jeu là. Je considère que ce sont de légitimes « traditionalistes ». Mais les autres (dont je ne connais pas non plus le pourcentage, mais certainement un nombre inquiétant) adoptent une approche exclusiviste/oppositionniste contre la Messe de Paul VI, Vatican II, ainsi que les papes depuis 1958.
- Ces dernier sont apparemment devenus suffisamment alarmants pour mener le Pape François à resserrer les restrictions pour protéger l’unité de l’Eglise, et je pense qu’il est en droit de le faire, bien qu’il soit grandement incompris, remis en cause et attaqué, comme toujours.
Les seules indications que je peux voir comme motifs et raisons de la promulgation de Traditiones Custodes pour le moment, dans le document en lui-même, sont les deux références à l' »unité » de l’Eglis aux deux premiers paragraphes et dans l’Article 3 §1 qui porte sur la détermination de si les « groupes célébrant selon le Missel antérieur à la réforme de 1970 » (Art. 3, introduction) « n’excluent pas la validité et la légitimité de la réforme liturgique, des préceptes du Concile Vatican II et du Magistère des Souverains Pontifes »; c’est-à-dire, s’ils n’attaquent pas la messe de Paul VI, qui a été régulièrement soutenue par Vatican II et les Papes qui ont suivi.
Je peux amplement certifier, moi-même (ayant eu une vie très active d’apologète Catholique professionnel) que ceci est un défaut endémique de la pensée et du comportement au sein de la communauté catholique dissidente, qui évidemment, est complètement dévouée à la Messe Tridentine. J’ai moi-même rencontré et réfuté cette attitude et mentalité d’innombrables fois. Je ne m’entêterai pas à citer tous ces articles. Ils peuvent se retrouver dans la page « Radical Catholic Reactionaries vs. Catholic Traditionalism« . Ceci existe indéniablement; il n’y a aucun doute là-dessus, et ce dans un nombre troublant pour moi qui suis apologète et ai eu affaire à cela régulièrement.
Le seul débat est de savoir si le problème était suffisamment mauvais pour justifier une « rétrogradation » de l’accès relativement libre à la messe extraordinaire. Le Pape François a considéré que c’était un problème suffisamment sérieux; de même que pour les évêques. Ses critiques n’accepteront pas leur jugement quoiqu’il arrive (et cela sera rendu évident dans les jours à venir). Et ceci est une part, une parcelle du problème: les dissidents ont une notion intrinsèquement défectueuse, protestantisée et théologiquement libérale de l’autorité catholique. Cette mentalité n’est pas bonne pour l’Eglise ou l’unité de l’Eglise.
A présent j’aimerai citer et commenter le raisonnement propre du Pape dans sa lettre d’accompagnement. Celui-ci l’expose de façon très directe. Il n’y a pas d' »ambiguité » ici ou quoique ce soit du genre. C’est clair comme de l’eau de roche. Premièrement, il loue les motifs et les actions de ses prédecesseurs:
Les motifs qui ont poussé saint Jean-Paul II et Benoît XVI à accorder la possibilité d’utiliser le Missel Romain promulgué par saint Pie V, publié par saint Jean XXIII en 1962, pour la célébration du Sacrifice eucharistique sont évidentes pour tous. La faculté, accordée par indult de la Congrégation pour le culte divin en 1984 et confirmée par saint Jean-Paul II dans le Motu proprio Ecclesia Dei de 1988 [3], était avant tout motivée par la volonté de favoriser la recomposition du schisme avec le mouvement guidé de Mgr Lefebvre. La demande, adressée aux Évêques, d’accueillir avec générosité les « justes aspirations » des fidèles qui demandaient l’usage de ce Missel, avait donc une raison ecclésiale de recomposition de l’unité de l’Église.
Amen; tout à fait vrai. Ceci est un exemple de deux papes cherchant à « accepter » les « justes aspirations » de ceux qui préfèrent l’Ancienne Messe. Mais se voir accorder plus de liberté s’accompagne aussi d’une responsabilité pour les laïcs. Ce n’est pas une relation unilatérale. Ceux qui préféraient l’ancienne forme liturgique n’ont pas eu la liberté de dénigrer des conciles oecuméniques et des papes, parce que ce sont des choses non-catholiques et quasi-schismatiques.
Il était conforté dans son discernement par le fait que ceux qui désiraient « retrouver la forme, qui leur est chère, de la sainte Liturgie », « acceptaient clairement le caractère contraignant du Concile Vatican II et étaient fidèles au Pape et aux évêques ». Il déclarait également infondée la crainte de scissions dans les communautés paroissiales, parce que « les deux formes de l’usage du Rite Romain auraient pu s’enrichir mutuellement ». C’est pourquoi il invitait les évêques à surmonter les doutes et les peurs et à recevoir les normes, « en veillant à ce que tout se passe dans la paix et la sérénité », avec la promesse que « l’on pouvait chercher des voies pour trouver un remède », au cas où « de graves difficultés seraient venues à la lumière » dans l’application de la normative après « l’entrée en vigueur du Motu proprio ».
Le Pape Benoît XVI ne pensait pas qu’il y aurait des problèmes d’implémentation ou des divisions fomentées. Il pensait le contraire. Moi-même et beaucoup de ceux qui préféraient la liturgie traditionnelle pensions la même chose, avec le même espoir à l’époque. Mais de fait cela n’a pas marché de cette façon. De sérieux problèmes se sont développés: précisément dans la lignée de ce qui préoccupe le Pape François: la division, la conflictualité, la désunion, et la mentalité d’opposition binaire.
Encore une fois, il n’est pas dit combien ou quel pourcentage était considéré comme ayant ces attitudes. Mais c’est suffisamment sérieux pour agir. J’atteste, en tant qu’apologète, observateur et critique de ces mouvements (et même largement participant) que ces opinions considérées sont omniprésentes et alarmantes. Je fais face à celles-ci tout le temps. En d’autres termes, ce n’est pas simplement une perception exagérée ou faussée de la part du pape et des évêques.
Treize ans plus tard, j’ai chargé la Congrégation pour la doctrine de la foi de vous adresser un questionnaire sur l’application du Motu proprio Summorum Pontificum. Les réponses parvenues ont révélé une situation douloureuse qui m’inquiète, me confirmant la nécessité d’intervenir. Malheureusement, l’intention pastorale de mes prédécesseurs, qui avaient entendu « faire tous les efforts afin que tous ceux qui ont vraiment le désir de l’unité aient la possibilité rester dans cette unité ou la retrouver » , a été souvent gravement négligée. Une possibilité offerte par saint Jean-Paul II et avec une magnanimité encore plus grande par Benoît XVI afin de recomposer l’unité du corps ecclésial dans le respect des différentes sensibilités liturgiques a été utilisée pour augmenter les distances, durcir les différences, construire des oppositions qui blessent l’Église et en entravent la progression, en l’exposant au risque de divisions.
C’est le problème et la raison pour laquelle il a décidé d’agir: pour faire simple.
Je suis également attristé par les abus de part et d’autre dans la célébration de la liturgie. Comme Benoît XVI, je stigmatise moi aussi que « dans de nombreux endroits on ne célèbre pas de façon fidèle aux prescriptions du nouveau Missel, mais qu’il soit même compris comme une autorisation ou jusqu’à une obligation à la créativité, qui conduit souvent à des déformations à la limite de ce qui est supportable ». Mais je ne suis pas moins attristé par une utilisation instrumentale du Missale Romanum de 1962, toujours plus caractérisée par un refus croissant non seulement de la réforme liturgique, mais du Concile Vatican II, avec l’affirmation infondée et insoutenable qu’il aurait trahi la Tradition et la « vraie Église ».
[…]
En même temps, je vous demande de veiller à ce que chaque liturgie soit célébrée avec décorum et avec fidélité aux livres liturgiques promulgués après le Concile Vatican II, sans excentricités qui dégénèrent facilement en abus. Les séminaristes et les nouveaux prêtres doivent être éduqués à cette fidélité aux prescriptions du Missel et aux livres liturgiques, qui reflètent la réforme liturgique souhaitée par le Concile Vatican II.
Tous les abus liturgiques sont mauvais. Ce n’est pas ce qui a motivé cette action, qui a été entreprise parce qu’un Concile Oecuménique se voyait dénigré. Ne laissez personne douter que cela est arrivé. Je peux le prouver par une documentation massive, rien que par mes propres écrits ayant opposé cela (sans succès, évidemment). C’est précisément parce que les corrections et les avertissements de prêtres, catéchistes, apologistes, etc., ont peu sinon aucun effet, que l’Eglise a parfois le besoin d’agir avec l’autorité de son Magistère. Si les gens d’une certaine mentalité n’écouteront même pas le Magistère Catholique, ils ne porteront certainement pas d’attention aux corrections d’un simple apologète laïc tel que moi!
Douter du Concile, signifie douter des intentions mêmes des Pères, qui ont exercé leur pouvoir collégial de façon solennelle cum Petro et sub Petro au concile œcuménique, et, en dernière analyse, c’est douter de l’Esprit-Saint lui-même qui guide l’Église.
Tel est le Catholicisme; c’est comme cela qu’il fonctionne, mais beaucoup aujourd’hui, à gauche ou à droite du clergé, le nient.
Il y a une dernière raison que je veux ajouter au fondement de mon choix : elle est toujours plus évidente dans les paroles et dans les attitudes de beaucoup la relation étroite entre le choix des célébrations selon les livres liturgiques précédant le Concile Vatican II et le rejet de l’Église et de ses institutions au nom de ce qu’ils considèrent comme la « vraie Église ». Il s’agit d’un comportement qui contredit la communion, nourrissant cette incitation à la division – « Je suis à Paul ; Moi, par contre, à Apollos ; Je suis de Céphas ; Je suis du Christ » – contre laquelle l’apôtre Paul a réagi fermement.
Ceci englobe ses motivations pour la promulgation de ce Motu proprio: à présent en deux phrases. La division, la désunité, le factionalisme, un esprit de parti, sont de mauvaises choses.
Répondant à vos demandes, je prends la ferme décision d’abroger toutes les normes, instructions, concessions et coutumes antérieures à ce Motu Proprio, et de conserver les livres liturgiques promulgués par les Saints Pontifes Paul VI et Jean-Paul II, conformément aux décrets du Concile Vatican II, comme la seule expression de la lex orandi du Rite Romain.
Notons bien que les évêques ont requis une action. Cette lettre leur est adressée.
Pour soutenir le travail de Dave Armstrong, vous pouvez lui faire un don via les instructions ici ou au compte paypal suivant: apologistdave @ gmail.com.