L’article Is the New Mass ‘soft on Hell’? a été écrit par le Père Brian W. Harrison en mars 2005 et paru dans Living Tradition.
Comme nous le savons, un nombre considérable de catholiques traditionalistes aujourd’hui ne trouvent pratiquement rien à améliorer dans le vénérable rite romain « tridentin » de la Messe, et pratiquement rien d’utile dans les changements apportés au rite après Vatican II par l’autorité du pape Paul VI, agissant au nom du Concile lui-même. Je dois préciser dès le début de cet article que je suis moi-même loin d’être un enthousiaste sans critique de la manière dont la réforme liturgique a été menée à bien après Vatican II. Au contraire, je défends depuis longtemps – et j’ai fait connaître dans des conférences et par écrit – un point de vue qui a également été partagé dans ses grandes lignes, et exprimé publiquement en diverses occasions, par le cardinal Joseph Ratzinger avant son élection au Siège de Pierre. Il s’agit de l’opinion selon laquelle nous avons réellement besoin d’une « Réforme de la Réforme » – une mise en œuvre moins radicale et plus exacte de la Constitution du Concile sur la Sainte Liturgie, Sacrosanctum Concilium, qui combinerait davantage les meilleures caractéristiques des anciens et des nouveaux rites.
L’une des choses que je considère comme une nette amélioration dans le nouveau rite est la plus grande variété de lectures bibliques proclamées à la Messe au cours du cycle de trois ans du dimanche et du cycle de deux ans des jours de semaine. Cependant, parmi nos frères plus fortement traditionalistes (dont je respecte les opinions et les sensibilités, mais que je ne partage pas toujours), cette innovation, comme les autres, a généralement reçu un accueil plutôt froid. Diverses plaintes ont été formulées à l’encontre du nouveau Lectionnaire. L’une d’entre elles est l’accusation selon laquelle la sélection « politiquement correcte » des réformateurs liturgiques a eu tendance à écarter les « dures paroles » de l’Écriture, en particulier celles de notre Seigneur lui-même, afin de donner plus d’importance qu’auparavant aux enseignements plus « agréables » et réconfortants de l’Évangile – ceux jugés plus acceptables et « pertinents » pour « l’homme moderne » qui a fleuri dans les optimistes des années 1960. Récemment, j’ai reçu une critique de la nouvelle Messe, prétendant être basée sur les positions de feu l’apologiste traditionaliste Michael Davies, qui allègue que le nouveau Lectionnaire montre une tendance soit à exclure de nombreux avertissements bibliques sévères de la colère et des jugements de Dieu contre les méchants et la terrible réalité de l’enfer, soit au moins à reléguer ces lectures sévères du dimanche aux jours de la semaine, de sorte qu’au moins 90% des catholiques pratiquants – les participants à la Messe une fois par semaine – n’auront de toute façon jamais l’occasion de les entendre proclamer à l’église.
Je me suis senti poussé à vérifier la véracité de cette allégation en comparant soigneusement l’ancien et le nouveau lectionnaire ; et dans ce qui suit, je me propose de partager avec vous ce que j’ai découvert. Je mettrai l’accent sur les lectures dominicales, car elles sont en effet de loin les plus importantes du point de vue pastoral pour communiquer la Parole de Dieu à la majorité des fidèles. Cependant, je ferai aussi brièvement référence aux lectures assignées aux messes des jours de semaine ou d’autres occasions. En outre, la grande majorité des textes bibliques sur les jugements de Dieu contre les méchants, et le châtiment éternel qui en découle, se trouvent être les enseignements de Jésus lui-même, rapportés dans les Évangiles. De plus, les lectures de l’Évangile sont bien sûr celles qui sont les plus importantes du point de vue liturgique et les plus fréquemment prêchées à la Messe. Pour ces raisons, je limiterai ici mon analyse aux lectures tirées de Matthieu, Marc, Luc et Jean, en attribuant un numéro à chaque lecture citée, à des fins de comparaison et de référence rapide.
Alors, le nouveau Lectionnaire est-il en fait « laxiste » sur le jugement et l’enfer ? Nous pouvons commencer par examiner les « gros canons » de l’Évangile qui visent les pécheurs impénitents : c’est-à-dire les passages les plus complets et les plus explicites dans lesquels notre Seigneur avertit du destin effrayant qui attend ces âmes ruinées. Parmi tous ces passages, il faut certainement accorder une place de choix à la puissante parabole du Jugement dernier de Mt 25 : 31-46. De notre point de vue actuel, rien dans les Évangiles ne surpasse cette représentation apocalyptique et dramatique du jugement dernier, qui a joué un rôle majeur dans l’inspiration de certaines des plus grandes réalisations poétiques, artistiques et musicales de la chrétienté. (Pensez à la grande fresque de Michel-Ange qui orne la chapelle Sixtine, à l’Enfer de Dante et au Dies Irae scandé et autrement chanté sur des chefs-d’œuvre musicaux composés au fil des siècles). Voici les versets les plus pertinents pour notre propos : [1]
1° Mt 25:31-33,41-46 :
31 « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire.
32 Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs :
33 il placera les brebis à sa droite, et les boucs à gauche.
[…]
41 Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche : “Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges.
42 Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ;
43 j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas habillé ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité.”
44 Alors ils répondront, eux aussi : “Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, avoir soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ?”
45 Il leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.”
46 Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle.
Dans la Messe « Novus Ordo », cette lecture est prescrite à juste titre pour l’un des principaux dimanches de l’année : la solennité du Christ Roi, en l’an A [2]. Elle est également proposée chaque année le premier mardi du Carême, et est donnée en option dans la Commune des Saints et Saintes et dans les Messes des défunts.
Et quand cette grande parabole apparaît-elle dans la célébration de la Messe traditionnelle ? De façon surprenante, elle n’apparaît jamais. Jamais un dimanche et jamais un autre jour.
Si la lecture susmentionnée est le témoignage évangélique le plus puissant du Jugement Dernier à la fin du monde, alors l’avertissement le plus détaillé et le plus déchirant de notre Seigneur concernant le Jugement Particulier immédiatement après la mort est certainement la sinistre parabole du mauvais riche et de Lazare dans Luc 16 : 19-31. En voici les versets clés :
2° Lc 16 : 22-31 :
22 Or le pauvre mourut, et les anges l’emportèrent auprès d’Abraham. Le riche mourut aussi, et on l’enterra.
23 Au séjour des morts, il était en proie à la torture ; levant les yeux, il vit Abraham de loin et Lazare tout près de lui.
24 Alors il cria : “Père Abraham, prends pitié de moi et envoie Lazare tremper le bout de son doigt dans l’eau pour me rafraîchir la langue, car je souffre terriblement dans cette fournaise.
25 – Mon enfant, répondit Abraham, rappelle-toi : tu as reçu le bonheur pendant ta vie, et Lazare, le malheur pendant la sienne. Maintenant, lui, il trouve ici la consolation, et toi, la souffrance.
26 Et en plus de tout cela, un grand abîme a été établi entre vous et nous, pour que ceux qui voudraient passer vers vous ne le puissent pas, et que, de là-bas non plus, on ne traverse pas vers nous.”
27 Le riche répliqua : “Eh bien ! père, je te prie d’envoyer Lazare dans la maison de mon père.
28 En effet, j’ai cinq frères : qu’il leur porte son témoignage, de peur qu’eux aussi ne viennent dans ce lieu de torture !”
29 Abraham lui dit : “Ils ont Moïse et les Prophètes : qu’ils les écoutent !
30 – Non, père Abraham, dit-il, mais si quelqu’un de chez les morts vient les trouver, ils se convertiront.”
31 Abraham répondit : “S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus.”
Dans le nouveau Lectionnaire, cette parabole est la lecture de l’Évangile du 26e dimanche per annum [3], Année C, et elle est également présentée chaque année le jeudi de la deuxième semaine du Carême. Et quand apparaît-elle dans le rite tridentin ? Là encore, nous sommes surpris. Jamais. Ni le dimanche, ni aucun autre jour.
L’Évangile de Marc contient un passage avec l’un des avertissements les plus complets et les plus imagés sur l’enfer, combinant des passages parallèles distincts de Matthieu (5, 29-30 et 18, 6-9), mais ajoutant de manière tranchante que « le ver ne meurt pas et [que] le feu ne s’éteint pas » :
3° Mc 9 : 42-48 [4] :
42 « Celui qui est un scandale, une occasion de chute, pour un seul de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’on le jette à la mer.
43 Et si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la. Mieux vaut pour toi entrer manchot dans la vie éternelle que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux mains, là où le feu ne s’éteint pas.
45 Si ton pied est pour toi une occasion de chute, coupe-le. Mieux vaut pour toi entrer estropié dans la vie éternelle que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux pieds.
47 Si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le. Mieux vaut pour toi entrer borgne dans le royaume de Dieu que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux yeux,
48 là où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas.
Nous trouvons ce passage dans le nouveau Lectionnaire de l’Année B, le 26e dimanche per annum, comme faisant partie d’un passage plus long, Mc 9 : 38-43 ; 45 ; 47-48 (qui commence par l’ouverture de Jésus aux disciples « indépendants » qui ne font pas partie des Douze). Presque le même texte (versets 40-49) apparaît chaque année le jeudi de la 7e semaine per annum.
Une fois de plus, cependant, cette menace de feu de l’Enfer, qui pèse en particulier sur ceux qui scandalisent les « petits », ne figure jamais dans les lectures dominicales annuelles du rite traditionnel de la Messe. J’insiste ici sur le terme » annuel « , car une fois tous les sept ans, lorsque le 29 septembre est un dimanche, les participants à la Messe tridentine hebdomadaire entendront effectivement ce terrible avertissement proclamé lors de la fête (de première classe) de saint Michel Archange – pas dans la version de Marc, citée plus haut, mais dans la péricope parallèle de Matthieu [5]. Le passage complet pour le 29 septembre dans l’ancien rite, répété quelques jours plus tard pour la fête (mineure) des anges gardiens le 2 octobre, est Mt 18, 1-10. Ces versets semblent avoir été choisis en pensant aux anges protecteurs des enfants, car ils commencent par l’éloge de la simplicité de ces « petits » et se terminent par la révélation que « leurs anges dans les cieux regardent toujours la face de mon Père céleste » (verset 10). Voici, pour mémoire, les versets intermédiaires, parallèles à ceux cités au n° 3 ci-dessus :
3a° Mt 18 : 6-9 :
06 Celui qui est un scandale, une occasion de chute, pour un seul de ces petits qui croient en moi, il est préférable pour lui qu’on lui accroche au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’il soit englouti en pleine mer.
07 Malheureux le monde à cause des scandales ! Il est inévitable qu’arrivent les scandales ; cependant, malheureux celui par qui le scandale arrive !
08 Si ta main ou ton pied est pour toi une occasion de chute, coupe-le et jette-le loin de toi. Mieux vaut pour toi entrer dans la vie éternelle manchot ou estropié, que d’être jeté avec tes deux mains ou tes deux pieds dans le feu éternel.
09 Et si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le et jette-le loin de toi. Mieux vaut pour toi entrer borgne dans la vie éternelle, que d’être jeté avec tes deux yeux dans la géhenne de feu.
C’est en fait le seul avertissement évangélique « majeur » du jugement et de la damnation qui apparaît dans les lectures de l’ancien rite romain. Et il apparaît chaque année aux deux dates susmentionnées, lorsque les prédicateurs de la messe sont plus enclins à mettre l’accent sur la doctrine de l’Église concernant la réalité et l’œuvre des saints anges – surtout lorsque l’occasion en or d’un tel enseignement se présente une fois tous les sept ans pour leurs paroissiens du dimanche.
Nous avons vu jusqu’à présent que le Lectionnaire post-conciliaire présente l’un des » gros canons » de notre Seigneur sur le feu de l’enfer éternel pour une Messe dominicale chaque année du cycle triennal, lorsque Matthieu, Marc et Luc sont respectivement utilisés pour les lectures évangéliques annuelles. Cependant, il y a deux autres passages des Synoptiques qui, comme les trois déjà cités, se distinguent de tous les autres comme des passages « majeurs » sur ce thème en raison de leur longueur et de leur sévérité explicite. Il s’agit de Mt 7, 21-27, dans lequel les versets qui prévoient la destruction de la « maison construite sur le sable » (c’est-à-dire la perdition de ceux qui entendent les paroles de Jésus mais les ignorent) sont précédés par d’autres qui réfutent explicitement le sophisme actuellement en vogue selon lequel, bien que l’enfer existe sans aucun doute, nous sommes en droit d’espérer que personne n’y va vraiment ! En effet, le Seigneur ne se contente pas d’affirmer que « beaucoup » seront en fait exclus du Royaume des cieux, mais il lance également un avertissement effrayant : parmi ces « beaucoup » se trouveront des âmes présomptueuses qui se considéraient comme de bons chrétiens et s’attendaient pleinement à la gloire éternelle. La partie de la lecture qui nous intéresse ici est la suivante :
4° Mt 7: 21-23, 26-27 :
21 Ce n’est pas en me disant : “Seigneur, Seigneur !” qu’on entrera dans le royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux.
22 Ce jour-là, beaucoup me diront : “Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé, en ton nom que nous avons expulsé les démons, en ton nom que nous avons fait beaucoup de miracles ?”
23 Alors je leur déclarerai : “Je ne vous ai jamais connus. Écartez-vous de moi, vous qui commettez le mal !”
[…]
26 Et celui qui entend de moi ces paroles sans les mettre en pratique est comparable à un homme insensé qui a construit sa maison sur le sable.
27 La pluie est tombée, les torrents ont dévalé, les vents ont soufflé, ils sont venus battre cette maison ; la maison s’est écroulée, et son écroulement a été complet.
Il s’agit de l’Évangile du 9e dimanche de l’an A du Lectionnaire de Paul VI, qui se trouve également chaque année le jeudi de la 12e semaine de l’an. En ce qui concerne les lectures traditionnelles de la Messe, nous trouvons ici une autre correspondance, même si elle est encore une fois minime : dans l’ancien Missel, l’Évangile du 7e dimanche après la Pentecôte ne comprend que le premier verset cité ci-dessus (verset 21). Il s’agit du dernier verset du passage prescrit, Mt 7, 15-21, qui parle principalement de « reconnaître les arbres à leurs fruits », mais qui contient aussi une allusion – brève et seulement symbolique – au feu de l’enfer. Les versets en question sont les suivants :
5° Mt 7 : 19-21
19 Tout arbre qui ne donne pas de beaux fruits est coupé et jeté au feu.
20 Donc, c’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez.
21 Ce n’est pas en me disant : “Seigneur, Seigneur !” qu’on entrera dans le royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux. [6]
Le dernier passage « majeur » de l’Évangile qui met en garde contre le jugement et l’exclusion éternelle du Royaume est en partie parallèle au texte de Matthieu au point 4 ci-dessus, et contient à nouveau l’avertissement explicite de Jésus selon lequel « beaucoup » seront en fait incapables d’entrer dans la « porte étroite » qui admet les justes à la vie éternelle.
6° Lc 13 : 22-30 :
22 Tandis qu’il faisait route vers Jérusalem, Jésus traversait villes et villages en enseignant.
23 Quelqu’un lui demanda : « Seigneur, n’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? » Jésus leur dit :
24 « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite, car, je vous le déclare, beaucoup chercheront à entrer et n’y parviendront pas.
25 Lorsque le maître de maison se sera levé pour fermer la porte, si vous, du dehors, vous vous mettez à frapper à la porte, en disant : “Seigneur, ouvre-nous”, il vous répondra : “Je ne sais pas d’où vous êtes.”
26 Alors vous vous mettrez à dire : “Nous avons mangé et bu en ta présence, et tu as enseigné sur nos places.”
27 Il vous répondra : “Je ne sais pas d’où vous êtes. Éloignez-vous de moi, vous tous qui commettez l’injustice.”
28 Là, il y aura des pleurs et des grincements de dents, quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, et tous les prophètes dans le royaume de Dieu, et que vous-mêmes, vous serez jetés dehors.
29 Alors on viendra de l’orient et de l’occident, du nord et du midi, prendre place au festin dans le royaume de Dieu.
30 Oui, il y a des derniers qui seront premiers, et des premiers qui seront derniers. »
Comme pour les passages 1-4 ci-dessus, le Lectionnaire paulinien met en valeur cette péricope en la prescrivant pour une messe dominicale, le premier 21 de l’année C. Elle est également désignée chaque année pour le mercredi de la 30e semaine per annum.
Une fois de plus, cependant, le Missel traditionnel nous « déçoit » : ce passage en est totalement absent.
Nous venons de montrer que le nouveau Lectionnaire, loin d’omettre ou d’atténuer les » dures paroles » de notre Seigneur sur les derniers événements, programme tous les principaux textes évangéliques sur le jugement et la damnation aux » heures de grande écoute » : deux dimanches de l’année A, un de l’année B et deux de l’année C. Ces cinq textes sont également présentés chaque année lors des messes en semaine, de sorte que les participants quotidiens à la messe » Novus Ordo » entendront ces avertissements apocalyptiques substantiels et sévères proclamés pas moins de vingt jours au cours de ces trois années. Le contraste avec les péricopes de l’Évangile choisies pour le rite romain traditionnel pourrait difficilement être plus frappant. À l’exception du point 3a ci-dessus, aucun de ces passages clés n’apparaît dans le Missel/Lectionnaire pré-conciliaire, et même cette exception ne se produit à la Messe dominicale qu’une fois tous les sept ans.
L’enquête que nous avons menée jusqu’à présent a déjà présenté des preuves plus que suffisantes pour réfuter l’accusation selon laquelle Paul VI et ses conseillers se sont rendus coupables d’une sélection « politiquement correcte » en décidant quelles lectures de l’Évangile devaient désormais être mises en avant à la Messe. Cependant, l’équité exige que nous accordions du crédit à ce que le Missel/Lectionnaire traditionnel contient en ce qui concerne les sujets en discussion. Les Évangiles du dimanche, qui reviennent chaque année, comprennent en fait un certain nombre de textes relativement brefs qui parlent du jugement, de la condamnation et de l’enfer, bien qu’ils se trouvent tous dans le contexte de lectures plus longues portant principalement sur un autre enseignement ou événement du ministère public de Jésus. Dans ce qui suit, ils sont présentés dans l’ordre dans lequel ils apparaissent.
Pour le troisième dimanche après l’Épiphanie, l’ancien rite nous donne Mt 8, 1-13, le récit de la guérison par Jésus du serviteur d’un centurion romain – un gentil avec plus de foi que notre Seigneur n’en avait jamais trouvé en Israël. Il contient l’avertissement suivant :
7° Mt 8 : 11-12 :
11 Aussi je vous le dis : Beaucoup viendront de l’orient et de l’occident et prendront place avec Abraham, Isaac et Jacob au festin du royaume des Cieux,
12 mais les fils du Royaume seront jetés dans les ténèbres du dehors ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents. »
Dans le nouveau rite, ces versets précis n’apparaissent jamais le dimanche, mais seulement le samedi de la 12e semaine per annum. Cependant, le même contenu de passages synoptiques similaires apparaît dans le nouveau Lectionnaire trois autres dimanches : celui du verset 11 de Lc 13, 28 (cf. n° 6 ci-dessus), celui du verset 12 de Mt 13, 42 (cf. n° 8a ci-dessous) et celui de Mt 22, 13 (cf. n° 10 ci-dessous).
Ensuite, le 5e dimanche après l’Épiphanie, nous avons Mt 13, 24-30, la parabole du bon grain et de l’ivraie, qui nous enseigne à ne pas condamner trop vite, mais plutôt à imiter la tolérance et la patience de Dieu envers les pécheurs dans la vie présente. Le dernier verset fait référence – de manière symbolique plutôt que littérale – au jugement final :
8° Mt 13 : 30 :
30 Laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson ; et, au temps de la moisson, je dirai aux moissonneurs : Enlevez d’abord l’ivraie, liez-la en bottes pour la brûler ; quant au blé, ramassez-le pour le rentrer dans mon grenier.”
Le ‘Novus Ordo’ nous donne également ce texte, le dimanche de la 16ème semaine de l’an A. En effet, la lecture ici (versets 24-43) inclut également l’explication ultérieure de la parabole par notre Seigneur. Cependant, tout comme cette explication est omise de la lecture traditionnelle, les prêtres modernes la suppriment souvent de la nouvelle lecture – une lecture très longue (20 versets) dans laquelle les versets 31-43 sont désignés dans le Lectionnaire comme facultatifs seulement. Les versets concernés sont les suivants :
8a° Mt 13 : 39-42 :
39 L’ennemi qui l’a semée, c’est le diable ; la moisson, c’est la fin du monde ; les moissonneurs, ce sont les anges.
40 De même que l’on enlève l’ivraie pour la jeter au feu, ainsi en sera-t-il à la fin du monde.
41 Le Fils de l’homme enverra ses anges, et ils enlèveront de son Royaume toutes les causes de chute et ceux qui font le mal ;
42 ils les jetteront dans la fournaise : là, il y aura des pleurs et des grincements de dents.
Le 5e dimanche après la Pentecôte, dans le rite romain traditionnel, le passage de l’Évangile est Mt 5 : 20-24, qui nous exhorte à éviter, au-delà des violations physiques du cinquième commandement, les péchés de colère et d’insulte envers notre prochain, et à nous réconcilier rapidement après toute dispute. Ce passage contient l’avertissement suivant :
9° Mt 5 : 21-22 :
21 « Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre, et si quelqu’un commet un meurtre, il devra passer en jugement.
22 Eh bien ! moi, je vous dis : Tout homme qui se met en colère contre son frère devra passer en jugement. Si quelqu’un insulte son frère, il devra passer devant le tribunal. Si quelqu’un le traite de fou, il sera passible de la géhenne de feu.
Ce passage n’est jamais lu le dimanche dans le rite révisé de la messe, mais il est lu deux fois par an, le vendredi de la première semaine de carême et le jeudi de la dixième semaine de l’année.
Nous avons déjà noté l’Évangile du Missel traditionnel pour le 7e dimanche après la Pentecôte [7]. Trois mois plus tard, le 19e dimanche après la Pentecôte, il prescrit Mt 22, 1-14, la parabole des Noces, qui se réfère principalement à la prédication de l’Évangile aux païens, en raison du refus d’Israël, en tant que nation, d’écouter au moment voulu. Les derniers versets, cependant, sont les suivants :
10° Mt 22 : 11-14 :
11 Le roi entra pour examiner les convives, et là il vit un homme qui ne portait pas le vêtement de noce.
12 Il lui dit : “Mon ami, comment es-tu entré ici, sans avoir le vêtement de noce ?” L’autre garda le silence.
13 Alors le roi dit aux serviteurs : “Jetez-le, pieds et poings liés, dans les ténèbres du dehors ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents.”
14 Car beaucoup sont appelés, mais peu sont élus. »
Dans le calendrier des lectures du « Novus Ordo », cette même parabole complète est prévue pour le 28e dimanche per annum, année A, mais les derniers versets – ceux qui viennent d’être cités – sont indiqués comme facultatifs seulement. (Cela est probablement dû au fait que de nombreux biblistes modernes considèrent les versets 11-14 comme une parabole distincte : on ne trouve rien de semblable à la fin de la version parallèle de cette parabole chez Luc, en 14 : 15-24). Lesdits versets ne sont cependant pas facultatifs lorsque la même parabole est présentée pour le jeudi de la 20e semaine per annum.
La dernière référence à l’enfer dans les lectures évangéliques dominicales « tridentines » se trouve le 21e dimanche après la Pentecôte, dans la parabole du serviteur endurci et de sa dette (Mt 18, 23-35), qui met l’accent sur notre devoir de pardonner aux autres, tout comme Dieu nous a pardonné. Les derniers mots nous avertissent que le fait de ne pas pardonner peut conduire au tourment éternel :
11° Mt 18 : 32-35 :
32 Alors celui-ci le fit appeler et lui dit : “Serviteur mauvais ! je t’avais remis toute cette dette parce que tu m’avais supplié.
33 Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ?”
34 Dans sa colère, son maître le livra aux bourreaux jusqu’à ce qu’il eût remboursé tout ce qu’il devait.
35 C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur.
Le nouveau Lectionnaire accorde également une place importante à cette parabole, en la désignant pour le 24ème dimanche de l’année A, et en incluant également les versets 21-22 d’introduction, dans lesquels Pierre demande à notre Seigneur combien de fois nous devons pardonner au frère qui nous a offensé, et reçoit la célèbre réponse « soixante-dix fois sept fois ». Le même passage est maintenant prescrit pour le mardi de la 3e semaine de Carême.
Il semble juste d’ajouter qu’à l’occasion de la fête traditionnelle de l’Ascension (célébrée toujours le jeudi, mais dans certains pays [comme la France] comme un jour d’obligation), l’Évangile du jour contient un bref mais piquant avertissement de damnation (Mc 16, 14-20) :
12° Mc 16 : 16:
16 Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ; celui qui refusera de croire sera condamné.
Ce même passage de conclusion de l’Évangile de Marc (qui apparaît également chaque année dans l’ancien rite le 3 décembre, fête de saint François Xavier) est conservé dans le Lectionnaire postconciliaire en Année B pour la solennité de l’Ascension, qui est maintenant célébrée dans la plupart des pays le 6e dimanche de Pâques.
Avant de conclure par un résumé de cette comparaison entre l’ancienne et la nouvelle sélection des Evangiles, il reste à signaler plusieurs autres passages secondaires ou plus courts sur le jugement et l’enfer qui apparaissent le dimanche dans le nouveau rite, mais qui n’apparaissent jamais le dimanche ou un autre jour dans l’ancien.
Tout d’abord, en l’an A, le 12ème dimanche per annum, nous avons : Mt 10, 26-33, qui exhorte les chrétiens à être courageux sous la persécution, tout en avertissant du jugement sévère de Dieu sur les tièdes. Le passage comprend les versets suivants :
13. Mt 10 : 28, 32-33 :
28 Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps.
[…]
32 Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, moi aussi je me déclarerai pour lui devant mon Père qui est aux cieux.
33 Mais celui qui me reniera devant les hommes, moi aussi je le renierai devant mon Père qui est aux cieux.
Toujours en Année A, pour le 17e dimanche per annum, nous avons Mt 13, 44-52, dont la dernière partie, après les petites paraboles du trésor dans le champ et de la coupe du grand prix, comprend une parabole très semblable à celle du n°8a ci-dessus, mais où les bons et les mauvais poissons recueillis dans le filet remplacent maintenant le bon grain et l’ivraie recueillis à la moisson. Comme le n°8a, cette partie de la lecture est désignée comme « facultative » dans le Lectionnaire ; cependant, dans ce cas, elle sera généralement incluse, car sans elle, la lecture sera très courte pour un Évangile du dimanche (seulement les cinq ou six lignes des versets 44-46). Voici les versets clés :
14. Mt 13 : 48-50 :
48 Quand [le filet] est plein, on le tire sur le rivage, on s’assied, on ramasse dans des paniers ce qui est bon, et on rejette ce qui ne vaut rien.
49 Ainsi en sera-t-il à la fin du monde : les anges sortiront pour séparer les méchants du milieu des justes
50 et les jetteront dans la fournaise : là, il y aura des pleurs et des grincements de dents.
Alors que ce passage n’apparaît jamais le dimanche dans le rite traditionnel, il apparaît annuellement dans son intégralité (versets 44-52) plusieurs jours de semaine pour les fêtes de Vierges martyres comme Sainte Lucie (13 décembre) ou Sainte Agnès (28 janvier).
L’Évangile de saint Jean ne contient que quelques références explicites au jugement final de Dieu, mais deux d’entre elles sont prescrites pour deux messes dominicales de l’année B. Le quatrième dimanche de Carême, nous avons Jn 3 : 14-21, qui enseigne que si Jésus est venu sauver le monde, ceux qui le rejettent sont condamnés. Les versets clés sont les suivants :
15. Jn 3 : 18-20 :
18 Celui qui croit en lui échappe au Jugement ; celui qui ne croit pas est déjà jugé, du fait qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.
19 Et le Jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises.
20 Celui qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dénoncées ;
Toujours en Année B, le Lectionnaire « paulinien » prescrit Jn 15, 1-8 pour le 5e dimanche de Pâques, présentant le Christ comme la vraie vigne et les croyants comme les sarments. Les deux versets suivants impliquent le jugement de Dieu sur les schismatiques :
16. Jn 15 : 5-6 :
05 Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire.
06 Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est, comme le sarment, jeté dehors, et il se dessèche. Les sarments secs, on les ramasse, on les jette au feu, et ils brûlent.
L’année B du nouveau cycle de lectures dominicales comprend un autre passage pertinent de Saint Marc. Le 10e dimanche per annum prescrit le passage 3 : 23-30, qui traite de la guerre de Satan contre le Saint-Esprit et dans lequel nous trouvons le texte biblique clé concernant le seul péché impardonnable :
17. Mc 3: 28-29 :
28 Amen, je vous le dis : Tout sera pardonné aux enfants des hommes : leurs péchés et les blasphèmes qu’ils auront proférés.
29 Mais si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, il n’aura jamais de pardon. Il est coupable d’un péché pour toujours.
Enfin, pour l’année C, nous trouvons une autre lecture dominicale pertinente, cette fois tirée de l’Évangile de Luc (13 : 1-9), prévue pour le troisième dimanche du Carême. Jésus précise ici que le jugement de Dieu ne doit pas être discerné et craint principalement dans l’apparition de malheurs purement temporels. Les versets clés sont les suivants :
18. Lc 13: 2-5 :
02 Jésus leur répondit : « Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, pour avoir subi un tel sort ?
03 Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même.
04 Et ces dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé, pensez-vous qu’elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ?
05 Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. »
Ainsi s’achève notre étude des passages de l’Évangile sur le jugement divin et le châtiment éternel des méchants que l’Église catholique a désignés pour être lus à la Messe le dimanche – cinq d’entre eux sont » majeurs » (en comptant les n° 3 et 3a comme un seul) et treize sont » mineurs « . Parmi les lectures de la première catégorie, toutes sont lues le dimanche une fois tous les trois ans dans le nouveau lectionnaire, alors que dans l’ancien, une seule, à savoir le n° 3a, apparaissait le dimanche – et ce, seulement une année sur sept. Parmi les treize lectures de la deuxième catégorie, cinq (n° 5, 7, 8, 10 et 11) [8] apparaissent le dimanche dans l’ancien et le nouveau lectionnaire, sept [9] dans le nouveau lectionnaire uniquement (n° 12-18), et une seule (n° 9) dans l’ancien lectionnaire uniquement [10].
Si nous voulons comparer la quantité réelle d’exposition des lectures de l’Évangile du dimanche à » l’homme du banc » sur ces thèmes, respectivement dans l’ancien et le nouveau rites, il faut bien sûr tenir compte de la récurrence plus fréquente (c’est-à-dire annuelle) de celles désignées pour le premier. De ce point de vue purement quantitatif, le lecteur peut vérifier, à partir des passages que nous avons cités et numérotés dans cette étude, que les années normales, les fidèles hebdomadaires de la Messe latine traditionnelle entendront un total de 16 versets dans les six lectures pertinentes (n° 5, 7, 8, 9, 10 et 11 ci-dessus) [11]. Tous les sept ans, le total sera de 20 (cf. n° 3a ci-dessus), ce qui fait un total de (6 x 16) + 20 = 116 versets tous les sept ans, soit une moyenne de 16,6 versets de l’Évangile sur l’enfer et le jugement par an.
Analyser de la même manière le Lectionnaire « paulinien » pour les dimanches est un peu plus compliqué, car trois des passages pertinents (cf. n° 8a, 10 et 14 ci-dessus) « peuvent être omis » (comme le dit la rubrique). Comme ils ont un total de 11 versets, nous leur donnerons ici la moitié de cette valeur numérique, en supposant que dans les paroisses du monde entier, ils seront omis à peu près aussi souvent qu’ils sont inclus. Sur cette base – en comptant ces trois lectures comme contenant 5,5 versets – les lecteurs peuvent vérifier que les seize lectures qui apparaissent dans le Lectionnaire pour les dimanches au cours de la période de trois ans du cycle (à savoir, les n° 1-4, 6-8, 8a, 10-11 et 13-18) contiennent un total de 72,5 versets (37,5 pour l’année A, 12 pour l’année B et 23 pour l’année C) [12]. Cela fait une moyenne de 24,2 versets évangéliques sur l’enfer et le jugement par an – une augmentation de 46% par rapport à la quantité moyenne lue annuellement dans l’ancien rite.
Bien sûr, il est vrai que les lectures de l’Écriture ne sont pas la seule partie de la Messe contenant des références à ces thèmes impopulaires – surtout dans le rite traditionnel. Chaque fois que le Canon romain – le seul canon de l’ancien rite – est récité, l’invocation « ab aeterna damnatione nos eripi » apparaît. Cela signifie « délivrez-nous de la damnation éternelle » (mais est adouci en « libérez-nous de la damnation finale » par les traducteurs d’ICEL). Et il faut reconnaître que la majorité des prêtres ‘Novus Ordo’ n’utilisent pratiquement jamais le Canon (la « Première Prière Eucharistique ») de toute façon – principalement, semble-t-il, pour la seule raison qu’il est plus long que ses nouveaux concurrents. (La mentalité de ‘fast-food’, de ‘solution rapide’ de la culture pop occidentale a apparemment infiltré même les séminaires et les sanctuaires catholiques) [13]. Et aucune de ces nouvelles prières eucharistiques ne contient de demande comparable.
De même, un opusculum très bien documenté du Père Anthony Cekada [14] a exposé dans quelle mesure les prières propres de l’ancien Missel romain ont été « aseptisées » par les réformateurs post-conciliaires, qui ont éliminé ou adouci de nombreuses expressions reflétant une théologie qu’ils jugeaient « trop négative » pour être pastoralement appropriée aujourd’hui. Parmi les anciennes prières qui sont tombées sous leur censure pour cette raison, certaines expriment précisément les vérités évangéliques que nous avons étudiées dans cet article. Le Père Cekada cite l’ipse dixit du Père Matias Augé, CMF, l’un des réformateurs responsables de ces changements. Écrivant dans la publication liturgique officielle du Vatican en 1970, le Père Augé semblait supposer que ses lecteurs, dès qu’ils prendraient connaissance du contenu des anciennes collectes de l’Avent et du Carême, considéreraient simplement comme acquis leur caractère inapproprié pour « l’homme moderne ». C’est pourquoi (nous informe le père) :
« Certaines de ces collectes, en effet, parlaient, entre autres, des châtiments, de la colère ou du courroux divin pour nos péchés, d’une assemblée chrétienne oppressée par la culpabilité, continuellement affligée à cause de ses désordres, menacée de condamnation aux peines éternelles, etc. » [15]
Imaginez cela ! Le Père Cekada poursuit en citant l’exemple de la Collecte du Missel traditionnel pour le deuxième dimanche de Pâques, qui a été déplacée à un jour de semaine dans le Missel ‘Novus Ordo’ et ‘purifiée’ de sa référence à l’enfer. La version originale implore Dieu pour qu’après avoir sauvé les fidèles « des périls de la mort éternelle, [il puisse] les amener à posséder les joies éternelles ». Au lieu de « les périls de la mort éternelle », la version mise à jour « l’esclavage du péché » [16].
Ces exemples d' »adoucissement » des références salutaires de l’ancienne liturgie aux vérités inquiétantes mais inéluctables concernant les derniers événements sont certainement très regrettables. Cependant, il ne faut pas surestimer l’effet pratique et pastoral de ces changements spécifiques sur « l’homme du banc ». Après tout, l’impact des prières traditionnelles en question était déjà très « adouci » par le simple fait qu’elles étaient récitées dans une langue inintelligible pour la grande majorité des fidèles – et même inaudible dans le cas du Canon. Il est vrai, bien sûr, que de nombreux fidèles de la Messe traditionnelle, avant comme après le Concile, ont suivi les textes liturgiques dans les traductions vernaculaires fournies dans leurs missels manuels. Mais cela a toujours été, en un sens, un peu comme « prêcher à la chorale », car ce sont pour la plupart les catholiques les plus engagés et les plus dévoués qui ont toujours pris la peine de suivre cette pratique. Ainsi, surtout avant Vatican II, lorsque tous les fidèles de rite latin qui pratiquaient leur religion devaient assister au rite « tridentin » (contrairement à l’infime minorité, généralement très fervente, qui opte pour ce rite aujourd’hui), les catholiques qui avaient le plus besoin d’entendre et d’assimiler ces « dures paroles » sur la colère divine et la perdition éternelle – c’est-à-dire la majorité moyenne, ordinaire, catholique du dimanche, pas spécialement dévote – étaient ceux-là mêmes qui, pour la plupart, n’avaient que peu ou pas conscience des sévères prières liturgiques en question. Pour ces personnes – et, à vrai dire, pour presque tout le monde – c’est ce que nous entendons et lisons dans notre propre langue maternelle qui a l’effet le plus durable.
Pour cette raison, il faut conclure que, du point de vue de notre enquête actuelle – dans quelle mesure les anciens et les nouveaux rites de la Messe communiquent pratiquement et efficacement les doctrines catholiques du jugement et de la damnation – le contenu des lectures de l’Écriture choisies pour les Messes dominicales (répétées en langue vernaculaire dans l’ancien rite après avoir été proclamées en latin) a beaucoup plus de poids que le contenu des prières trouvées dans l’ordinaire ou le propre. Nous avons vu dans cette étude que le nouveau Lectionnaire des dimanches présente, année après année, 46% de plus de versets évangéliques directement concernés par lesdites doctrines que l’ancien Missel : 24,2 versets par an, en moyenne, dans le premier, contre 16,6 dans le second. Nous avons également vu que ces quelque seize versets annuels de la Messe traditionnelle se trouvent presque toujours dans des péricopes plus longues dont le thème principal est autre que le jugement et la damnation en tant que tels. Enfin, nous avons constaté que les cinq passages évangéliques « majeurs » ou remarquables qui traitent directement de ces thèmes effrayants apparaissent dans le nouveau cycle de lectures dominicales, alors que (étonnamment) aucun d’entre eux n’apparaît dans l’ancien cycle (à l’exception de Mt 18 : 6-9, qui n’est lu un dimanche qu’une fois tous les sept ans).
On pourrait enfin objecter que, de toute façon, les catholiques pratiquant l’ancien rite entendaient – et entendent encore – beaucoup plus parler de péché, de jugement, de colère et d’enfer que leurs frères du « Novus Ordo », simplement parce que les prêtres post-conciliaires, quelles que soient les lectures du jour, ont tendance à éviter ces sujets comme la peste dans leurs homélies fades, vides et politiquement correctes. Malheureusement, cela n’a souvent été que trop vrai, bien qu’avec la « nouvelle portée » de jeunes prêtres ordonnés au cours des deux derniers pontificats – généralement beaucoup plus conservateurs que leurs prédécesseurs vieillissants des années 60 et 70 – cette tendance change progressivement. Cependant, le point principal à souligner ici est que, dans tous les cas, ce parti pris homilétique est clairement la faute des « nouveaux » prêtres et des programmes de séminaires, et non la faute du nouveau rite de la Messe de Paul VI en tant que tel. En effet, si nous devions trouver un défaut à l’un ou l’autre rite du point de vue de notre requête actuelle, il faudrait dire que c’est en fait la Messe traditionnelle, et non le ‘Novus Ordo’, qui s’avère être un peu trop « laxiste avec l’enfer ».
Notes
[1] Dans cet article toutes les citations des Saintes Ecritures sont tirées de la traduction officielle de Association Épiscopale Liturgique pour les pays Francophones.
[2] Dans le nouveau rite, cette fête majeure a lieu le dernier (34e) dimanche du soi-disant « temps ordinaire ». De nombreux catholiques anglophones ont remarqué que le mot « ordinaire » dans ce contexte – comme une grande partie du travail des traducteurs d’ICEL – sonne de manière déprimante, plate et non liturgique (plutôt « désagréable », en fait). Se référer simplement au « (Nième) dimanche de l’année » aurait sonné mieux, tout en étant plus fidèle à l’original latin. Par conséquent, dans la suite de cet article, j’utiliserai au lieu de « temps ordinaire » l’expression latine « per annum » (littéralement, « par an ») que l’on trouve dans l’editio typica du Missel romain et de l’Office divin révisés.
[3] Cf. note 2.
[4] Ici, les versets 44 et 46, que les spécialistes modernes de la Bible considèrent généralement comme des interpolations ultérieures, sont omis du Lectionnaire. De toute façon, ces deux versets ne sont que des répétitions du verset 48 : « […] où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas ».
[5] Ce passage n’apparaît jamais dans le nouveau Lectionnaire, puisque la version parallèle de Marc, lue à la messe quatre fois tous les trois ans, couvre amplement le même enseignement.
[6] Ce passage précis, 7 : 15-21, ne figure pas dans le nouveau Lectionnaire, mais les versets 15-20 sont prescrits pour le mercredi de la 12e semaine par an.
[7] Cf. lecture n°5.
[8] Il convient toutefois de rappeler que dans les régions relativement peu nombreuses où la fête de l’Ascension est à la fois célébrée le jeudi et désignée comme une fête de précepte, la lecture de l’Évangile pour l’ancien rite (n° 12) peut être regroupée ici de manière appropriée avec ces cinq-là. En effet, si nous accordons une attention particulière aux messes dominicales dans cet article, c’est parce qu’elles sont, avec celles des jours saints d’obligation, les seules messes auxquelles assiste régulièrement la grande majorité des catholiques pratiquants.
[9] Ce nombre serait réductible à six dans les régions qui viennent d’être évoquées (cf. note 8 ci-dessus).
[10] En plus de ces dix-huit lectures du dimanche et des jours de fête, il ne reste dans tous les Évangiles que quatre autres avertissements directs de la perdition finale (encore une fois, si nous ne comptons pas séparément quelques autres textes parallèles presque identiques dans les Synoptiques). Aucun de ces textes n’est aussi « important » que ceux numérotés 1, 2, 3, 4 et 6 dans cette étude, et bien qu’aucun d’entre eux ne figure jamais dans les lectures de la Messe traditionnelle, ils apparaissent tous annuellement les jours de semaine dans le « Novus Ordo », dans le contexte de lectures plus longues. Les voici :
(a) Mt 7 : 13-14 : (Jeudi, 12ème semaine per annum)
13 « Entrez par la porte étroite. Elle est grande, la porte, il est large, le chemin qui conduit à la perdition ; et ils sont nombreux, ceux qui s’y engagent.
14 Mais elle est étroite, la porte, il est resserré, le chemin qui conduit à la vie ; et ils sont peu nombreux, ceux qui le trouvent.
(b) Jn 3 : 36 : (Jeudi, 2ème semaine de Pâques)
36 Celui qui croit au Fils a la vie éternelle ; celui qui refuse de croire le Fils ne verra pas la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui.
(c) Jn 5 : 27-29 : (Mercredi, 4ème semaine du Carême)
27 et il lui a donné pouvoir d’exercer le jugement, parce qu’il est le Fils de l’homme.
28 Ne soyez pas étonnés ; l’heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix ;
29 alors, ceux qui ont fait le bien sortiront pour ressusciter et vivre, ceux qui ont fait le mal, pour ressusciter et être jugés.
(d) Mt 23 : 15 : (Lundi, 21ème semaine per annum)
15 Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous parcourez la mer et la terre pour faire un seul converti, et quand c’est arrivé, vous faites de lui un homme voué à la géhenne, deux fois pire que vous !
[11] Par souci de simplicité, nous n’inclurons pas dans cette comparaison l’unique verset cité au n° 12 ci-dessus, puisque la fête de l’Ascension – selon la décision de chaque Conférence épiscopale – est parfois célébrée le jeudi? et parfois non ; et elle est parfois un jour saint d’obligation, et parfois non. Cf. également la note 8 ci-dessus.
[12] En faisant ce calcul, n’oubliez pas de tenir compte de la note 4 ci-dessus.
[13] Cependant, certains instituts cléricaux « Novus Ordo » soucieux de la tradition, tels que nos propres Oblats de la Sagesse et l’ordre Lumen Dei basé en Espagne, ont une règle ou une politique permanente selon laquelle leurs prêtres doivent donner la préférence à l’utilisation du Canon romain.
[14] The Problems With the Prayers of the Modern Mass (Rockford, Illinois: TAN Books, 1991).
[15] Cité dans Cekada, op. cit., p. 11.
[16] Ibid., p. 14.