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Pie IX, Vatican II et la liberté religieuse

L’article Pius IX, Vatican II and Religious liberty a été écrit par le Père Brian W. Harrison en janvier 1987 et paru dans Living Tradition.


Partie I

La question de la liberté religieuse, si âprement débattue il y a plus de vingt ans entre les évêques et les responsables du Concile Vatican II, a de nouveau fait l’objet de l’actualité au cours de ces deux dernières années. De manière assez surprenante, nous avons vu le père Charles Curran se ranger – sur une question – du côté de nul autre que l’archevêque Marcel Lefebvre. Ces deux dissidents aux extrémités opposées du spectre catholique ont uni leurs forces pour une fois en soutenant que la déclaration de Vatican II sur la liberté religieuse, Dignitatis Humanae, est inconciliable avec la doctrine catholique préconciliaire. Ce prétendu conflit plaît au Père Curran (puisqu’il pense qu’il constitue un précédent pour les « révisions » de la moralité catholique qu’il propose), tandis qu’il scandalise l’archevêque (qui y voit une raison de rejeter Vatican II).

D’où vient la difficulté ? Il faudrait un livre entier pour traiter cette question de manière adéquate, mais parmi les déclarations doctrinales préconciliaires du Magistère qui sont supposées incompatibles avec l’enseignement de Vatican II, la plus couramment citée est probablement l’enseignement très catégorique du Pape Pie IX, dans l’encyclique Quanta Cura de 1864, sur les devoirs des autorités civiles envers les « violateurs de la religion catholique ». Il condamne comme une opinion « perverse » – qu’il ordonne en fait d’être absolument tenue (omnino haberi) « pour réprouvées, proscrites et condamnées » [1] – l’opinion selon laquelle, dans la « meilleure » condition de la société, ces personnes ne devraient pas être pénalisées par le gouvernement à moins qu’elles ne mettent en danger la « paix publique » (pax publica) [2]. Les gouvernements peuvent et doivent être plus restrictifs que cela envers la propagande non-catholique, enseigne le pape.

Pour comprendre précisément ce que Pie IX avait à l’esprit ici, nous devons être conscients du contexte historique de l’encyclique. Quanta Cura était en grande partie une réaffirmation de ce que Grégoire XVI avait dit trente ans plus tôt dans l’encyclique Mirari Vos de 1832. La cible principale de cette affaire était le philosophe-journaliste français H.F. de Lamennais, dont le journal, L’Avenir, exigeait de l’État, au titre de principe universel, une liberté de diffusion de l’erreur qu’il admettait être virtuellement illimitée (« on laisse à l’erreur la faculté illimitée de se produire« ) [3]. L’État, selon L’Avenir, doit être totalement laïque et ne peut limiter la propagande de toute nature « que dans l’ordre des intérêts matériels » [4]. Une liberté totale de propagande doit être accordée, de sorte que :

« Le pouvoir constitutionnel ne possède que le droit et le devoir de réprimer les crimes et autres délits qui attenteraient matériellement à ces libertés – ou aux autres droits civils et politiques des citoyens. » [5]

En d’autres termes, Lamennais ne permettrait pas à l’État de reconnaître de manière effective l’existence de Dieu ou d’une nature spirituelle transcendante en l’homme – et encore moins la vérité unique de la foi catholique ou des valeurs morales chrétiennes. La « séparation totale » de l’Église et de l’État était exigée (même dans les pays majoritairement catholiques) [6], de même que l’abolition de tous les concordats entre les gouvernements et le Saint-Siège [7]. Dans ce système, les critères ouvertement « matérialistes » exigés de l’État ne lui permettraient d’exercer la censure ou la coercition que pour prévenir l’incitation aux émeutes, à la sédition ou à la révolution, ou pour prévenir les dommages physiques ou la gêne aux personnes ou aux biens. En d’autres termes, pour préserver la « paix publique ».

Lamennais fut condamné et finit par quitter l’Église, mais son influence resta forte, surtout en France, et Pie IX se sentit finalement contraint de renouveler la condamnation de son prédécesseur. C’est clairement le même libéralisme extrême que Quanta Cura a à l’esprit : celui qui exige que :

« les citoyens ont droit à toute espèce de liberté, sans qu’aucune loi, ecclésiastique ou civile, puisse les empêcher de manifester ouvertement et publiquement leurs idées, soit par la parole, soit par la presse, soit par tout autre moyen [8]. »

Ce contexte historique est essentiel pour bien comprendre ce que Grégoire XVI et Pie IX avaient à l’esprit lorsqu’ils ont condamné la « liberté de conscience et de culte ». Certes, les concordats qu’eux-mêmes et leurs successeurs préconciliaires ont établis avec des nations comme l’Espagne et certains États latino-américains étaient beaucoup plus restrictifs à l’égard des autres religions que tout accord que le Saint-Siège serait aujourd’hui prêt à approuver [9] ; mais tout ce que les premières encycliques condamnaient comme incompatible avec la doctrine catholique (c’est-à-dire avec la loi divine), c’était cette vision totalement permissive et séculariste de l’État qui était à la mode, à l’époque comme aujourd’hui, chez certains intellectuels catholiques. (C’est le droit public préconciliaire de l’Église, et non la doctrine préconciliaire, qui soutenait que dans les pays majoritairement catholiques, la propagande non catholique en tant qu’elle pouvait être considérée comme une menace pour le bien commun, et donc limitée par la loi) [10].

Or, l’enseignement de Vatican II est loin d’être aussi libéral que celui de Lamennais et de ses disciples. Il ne tombe donc pas sous le coup de l’interdiction des encycliques du XIXe siècle qui visaient précisément ces messieurs. En effet, Dignitatis Humanae, loin de contredire le pape Pie IX, reprend explicitement son enseignement selon lequel la « paix publique » n’est pas le seul critère auquel les gouvernements peuvent faire appel pour restreindre les manifestations ou la propagande religieuses (ou antireligieuses). Selon l’article 7 de la Déclaration conciliaire, la « paix publique » n’est qu’un des trois critères que l’État peut invoquer à cette fin. Les deux autres sont « la protection due à la moralité publique », et « l’efficace sauvegarde des droits de tous les citoyens » (et « l’harmonisation pacifique de ces droits »). Grâce à une intervention du jeune archevêque Karol Wojtyla, une déclaration a été ajoutée à ce paragraphe, insistant sur le fait que ces limites doivent être décidées et imposées sur la base de « l’ordre moral objectif« . Et c’est, bien sûr, l’Église catholique qui est l’unique interprète de ce qui est objectivement moral ou immoral.

Le Concile sous-entend-il donc que les gouvernements devraient idéalement reconnaître le rôle unique de l’Église catholique à cet égard ? Oui, il le fait. Non seulement l’article 1 de la Déclaration conciliaire réaffirme « la doctrine catholique traditionnelle » sur le « devoir moral » des « sociétés » (et pas seulement des individus) envers la vraie religion ; mais le rapporteur officiel du schéma sur la liberté religieuse, Mgr Emil de Smedt, a expliqué aux Pères assemblés que ce premier article doit absolument être compris comme réaffirmant le devoir de « l’autorité publique » envers l’Église catholique comme vraie religion. Il a fait remarquer que le projet précédent avait été révisé précisément dans le but de rendre le document plus clairement conforme à l’enseignement des papes du XIXe siècle. (Jusqu’à ce que cette révision et d’autres révisions de dernière minute soient apportées au schéma, des critiques conservatrices persistantes – et, pourrions-nous ajouter, la puissance du Saint-Esprit – avaient à plusieurs reprises empêché l’obtention d’un consensus solide de votes positifs, chaque fois que des projets antérieurs avaient été soumis au jugement des Pères du Concile) [11]. Le commentaire officiel de l’évêque de Smedt, d’une importance vitale (qui, à ma connaissance, n’a jamais été publié en [français]), mérite d’être cité. Lors de la 164e congrégation générale du Concile (19 novembre 1965), il a donné l’explication suivante :

« Certains Pères affirment que la Déclaration ne montre pas suffisamment comment notre doctrine ne s’oppose pas aux documents ecclésiastiques jusqu’à l’époque du Souverain Pontife Léon XIII. Comme nous l’avons dit dans la dernière relatio, il s’agit là d’une question que les études théologiques et historiques futures devront mettre plus complètement en lumière. En ce qui concerne le fond du problème, il faut souligner que, si les documents pontificaux jusqu’à Léon XIII insistaient davantage sur le devoir moral des autorités publiques envers la vraie religion, les Souverains Pontifes récents, tout en conservant cette doctrine, la complètent en mettant en évidence un autre devoir des mêmes autorités, à savoir celui de respecter les exigences de la dignité de la personne humaine en matière religieuse, comme élément nécessaire du bien commun. Le texte qui vous est soumis aujourd’hui rappelle plus clairement (voir articles 1 et 3) les devoirs de l’autorité publique envers la vraie religion (officia potestatis publicae erga veram religionem) ; d’où il ressort que cette partie de la doctrine n’a pas été négligée. Cependant, l’objet particulier de notre Déclaration est de clarifier la seconde partie de la doctrine des Souverains Pontifes récents, celle qui traite des droits et des devoirs qui découlent de la considération de la dignité de la personne humaine [12]. »

Voici les deux dernières phrases de Dignitatis Humanae, article 1, dans lesquelles nous avons souligné les mots ajoutés lors de cette révision finale à laquelle Mgr de Smedt faisait référence :

« Or, puisque la liberté religieuse, que revendique l’homme dans l’accomplissement de son devoir de rendre un culte à Dieu, concerne l’exemption de contrainte dans la société civile, elle ne porte aucun préjudice à la doctrine catholique traditionnelle au sujet du devoir moral de l’homme et des sociétés à l’égard de la vraie religion et de l’unique Église du Christ. En outre, en traitant de cette liberté religieuse, le saint Concile entend développer la doctrine des Souverains Pontifes les plus récents sur les droits inviolables de la personne humaine et l’ordre juridique de la société. »

L’ajout à l’article 3, mentionné par Mgr de Smedt, se trouve dans la dernière phrase de cette section, et indique clairement que les gouvernements ne doivent pas être simplement « neutres » ou « agnostiques » quant à la valeur de l’activité religieuse. Au contraire, en raison de son caractère « transcendant », ils ont le devoir de « reconnaître et favoriser la vie religieuse des citoyens ».

À la lumière de ces ajouts, qui n’ont certainement pas été recherchés par des periti libéraux comme le père John Courtney Murray, le commentaire de Murray dans l’édition d’Abbott des documents du Concile doit être considéré comme équivoque sur le plan exégétique et doctrinal. Il y dit :

« L’Église ne revendique pas, de droit [humain] ou de droit divin, d’être érigée en « religion d’État ». » [13]

Nous devons distinguer deux propositions :

(a) Le droit divin exige que la communauté civique en tant que telle reconnaisse l’Église catholique comme « religion d’État » de manière explicite, dans une Constitution écrite ou un code de lois ;

(b) Le droit divin exige que la communauté civique en tant que telle reconnaisse au moins de facto l’Église catholique comme la vraie religion, et qu’elle reflète cette reconnaissance dans ses lois et ses décisions communales.

Ni Vatican II ni l’enseignement magistériel préconciliaire n’ont insisté sur le point (a) ci-dessus, car les constitutions écrites et les documents juridiques ne sont qu’une forme de « reconnaissance » déterminée par l’histoire. La loi divine concerne ce qui est vrai toujours et partout ; et dans les siècles passés (ou théoriquement même aujourd’hui) une société moins moderne, moins développée, ou très petite pourrait n’avoir aucune loi écrite ou constitution du tout. (Comme le reconnaît le Code de droit canonique de l’Église dans les canons 27 et 28, la coutume – en particulier la coutume ancienne ou établie de longue date – est une forme de droit très respectable). Vatican II s’est délibérément abstenu de porter un jugement sur la question de savoir si l’Église catholique devait être reconnue constitutionnellement comme « religion d’État » : l’article 6 se contente de déclarer brièvement et de manière très générale que, si une religion (catholique ou non) se voit accorder une reconnaissance spéciale « dans l’ordre juridique de la cité » (in iuridica civitatis ordinatione), la liberté religieuse des autres doit également être respectée.

Cependant, la proposition (b) ci-dessus est réaffirmée de manière équivalente dans l’enseignement de l’article 1 selon lequel les « sociétés » (un terme général qui couvre tout, de la plus simple tribu nomade à une superpuissance moderne) ont un devoir moral envers la vraie religion – un devoir exposé plus en détail dans l’enseignement « traditionnel » des Pontifes précédents, que le Concile dit avoir l’intention de laisser sans « aucun préjudice ». Avec les sociétés, comme avec les individus, Dieu Tout-Puissant est plus fondamentalement intéressé par ce que nous faisons réellement que par les promesses ou les garanties que nous pouvons faire sur le papier ; et comme l’histoire le démontre amplement, les nations sans « établissement » constitutionnel et légal de l’Église, ont parfois été plus favorables en pratique aux principes catholiques que d’autres nations où le catholicisme, sur le papier, est décrit comme la « religion d’État ». (L’Irlande et les Philippines en sont des exemples louables). Cette doctrine catholique immuable sur le devoir des sociétés en tant que telles à l’égard de la vraie religion tient compte, bien sûr, du fait que dans les sociétés où il y a une pluralité de religions, ainsi que des non-croyants, l’accomplissement de ce devoir social sera souvent politiquement difficile, voire impossible. Ce sera d’autant plus le cas, évidemment, là où une autre religion – ou même l’athéisme – est fermement « établie ».

Partie II :

Revenons à la question des limites légales à la liberté religieuse. Vatican II, comme nous l’avons vu, enseigne que les gouvernements peuvent et doivent restreindre l’activité menée au nom de la liberté religieuse non seulement lorsque la « paix publique » est mise en danger, mais aussi lorsque la moralité publique ou tout autre droit des citoyens est mis en péril par cette activité. « Tout cela », dit le Concile, « constitue une part fondamentale du bien commun (partem boni communis fundamentalem constituunt) et entre dans la définition de l’ordre public. » [14]. Ces autres droits des citoyens ne sont pas définis de manière exhaustive, mais le Concile lui-même donne quelques exemples. Ces « autres droits » des citoyens ne sont pas définis de manière exhaustive, mais le Concile lui-même en donne des exemples. Toute forme de propagande religieuse – en particulier parmi les pauvres et les personnes sans instruction – « ayant un relent (sapere videatur) de coercition, de persuasion malhonnête ou peu loyale » doit en tout temps être évitée [15]. Puis, dans un autre « resserrement » de dernière minute du document, une déclaration a été ajoutée selon laquelle une telle propagande est « une atteinte au droit des autres » [16]. Cet ajout indique clairement que les gouvernements peuvent à juste titre interdire une telle activité coercitive, malhonnête ou indigne en tant qu’infraction à l’ordre public, tel que défini à l’article 7.

Il devrait être clair maintenant que Dignitatis Humanae, ce prétendu précédent pour un changement doctrinal radical que le Père Curran trouve si encourageant (et l’Archevêque Lefebvre si alarmant), échappe tout à fait indemne aux foudres lancées par Pio Nono contre le libéralisme lamennaisien. Un éventail très large de « violations de la religion catholique » pourrait en effet être pénalisé par les gouvernements agissant conformément à Vatican II, au-delà des types de propagande qui pourraient troubler ou mettre en danger la « paix publique ».

La propagande athée et antireligieuse, par exemple, ne peut guère faire appel à Vatican II pour justifier un « droit » à la protection juridique. Ce que la Déclaration entend protéger, ce sont « les actes religieux par lesquels, en privé ou en public, l’homme s’ordonne à Dieu en vertu d’une décision intérieure » [17]. Cela n’inclut évidemment pas les actes d’irréligion, par lesquels les hommes se détournent de Dieu (et détournent les autres).

Non seulement le matériel pornographique, mais ce que Mgr John McCarthy a judicieusement appelé la « pornologie », pourrait être légalement supprimé, selon Vatican II, dans la mesure où il porte atteinte à la « moralité publique ». (« Pornologie » désigne la littérature qui, sans être directement lascive ou érotique et en se voulant sérieuse et érudite, cherche néanmoins à persuader les gens qu’ils peuvent s’engager à juste titre dans certains types d’activités sexuelles qui, en fait, sont contraires à « l’ordre moral objectif »).

Quelqu’un pourrait objecter que le Concile ne voudrait pas que les gouvernements laissent l’Église catholique être l’arbitre de ce qui est (ou n’est pas) conforme à cet « ordre moral objectif », puisqu’il dit qu’en décidant des limites à fixer, ils devraient éviter « la pratique injuste du favoritisme » (pour utiliser la traduction donnée dans l’édition Flannery). Cependant, outre le fait qu’il serait impossible pour un concile de l’Église catholique d’insinuer qu’une autorité autre que l’Église elle-même pourrait être un meilleur juge de ce qui est « objectivement » bien ou mal, le texte latin ne contient pas l’allusion possible de Flannery selon laquelle favoriser une partie est, en soi, nécessairement injuste. Il dit simplement qu’en décidant du type d’activité à interdire ou à autoriser, les gouvernements doivent éviter de « favoriser injustement un camp » (uni parti inique favendo) [18]. Le fait que le principal signataire de Dignitatis Humanae, Paul VI, ne comprenait pas la Déclaration dans un sens où elle enseignait qu’il est « injuste » de favoriser le « camp » catholique (ou ce qui est populairement considéré comme le « camp catholique ») est devenu clair trois ans plus tard. La plupart des gens ignorent que l’encyclique Humanae Vitae de 1968 ne s’est pas contentée de réaffirmer l’immoralité de la contraception en tant qu’activité privée, mais a également exhorté les « gouvernants » de ne pas permettre « par voie légale » la distribution de contraceptifs [19]. Son appel a trouvé des oreilles réceptives en Irlande, du moins jusqu’à il y a un an ou deux.

Les formes les plus virulentes de propagande protestante (et autres) contre l’Église catholique pourraient certainement être légalement interdites, conformément aux restrictions de Vatican II contre les formes « malhonnêtes » et « peu loyales » de promotion de la religion. Comme nous l’avons vu, la publicité religieuse, selon le Concile, ne doit même pas avoir un relent de tels défauts. Mais certaines expressions actuelles du fondamentalisme sont positivement empestées par la « malhonnêteté » et de déloyauté ! Les bandes dessinées anti-catholiques de Jack Chick, par exemple, contiennent au moins une parodie de la doctrine catholique par page. Ils accusent également les Jésuites de laver le cerveau des candidats à la conversion au protestantisme tout en les gardant enfermés dans des cellules capitonnées ; tandis que l’Action catholique, nous dit-on, envoie des filles séduisantes infiltrer les séminaires protestants et les congrégations paroissiales, encouragées par des promesses de généreuses réductions de leur temps au Purgatoire pour chaque pasteur ou séminariste qu’elles peuvent séduire et corrompre !

Le blasphème, lui aussi, est une forme manifestement « peu loyale » d’expression « religieuse ». En 1985 encore, le pape Jean-Paul II s’est aligné avec Grégoire XVI et Pie IX pour appeler à une action contre cette forme particulière de « violation de la religion catholique » : il a protesté contre la projection publique à Rome du célèbre film « Ave Maria », même si ni lui ni personne d’autre n’a essayé de prétendre qu’il s’agissait d’une menace pour la « paix publique ».

Résumons. Avec Vatican II, la doctrine catholique, ou loi divine, reste comme elle a toujours été dans ce sens que les sociétés et leurs autorités publiques sont moralement obligées d’agir, de légiférer et de gouverner en accord avec les principes de la vraie religion. (Le décret du Concile sur l’apostolat des laïcs réaffirme également cet enseignement dans son article 13, qui dit que les catholiques doivent s’efforcer « de pénétrer d’esprit chrétien la mentalité et les mœurs, les lois et les structures » de leur communauté). Cette même loi divine immuable entraîne le droit et le devoir des autorités publiques de sanctionner ceux qui attaquent la vraie religion – dans la mesure où le bien commun l’exige.

Vatican II, cependant, en soulignant un autre aspect de la loi divine – le droit naturel de tous les hommes d’être laissés libres (dans les limites qui leur sont dues) de pratiquer leur propre religion sans interférence humaine – a en fait modifié substantiellement cette loi ecclésiastique antérieure (et non la doctrine). De la même manière, l’Église a souvent modifié de nombreux autres aspects de sa législation ou de sa discipline antérieure lorsqu’ils ne semblaient plus appropriés ou semblaient donner lieu à des injustices dans la pratique [20]. Depuis Vatican II, surtout à la lumière de la manière dont le Saint-Siège a appliqué la Déclaration conciliaire, la nouvelle loi est que, même dans les pays à prédominance catholique, le droit des groupes non catholiques, au moins les plus modérés et les plus intègres, à l’immunité contre l’ingérence gouvernementale, prime sur le droit des catholiques à ne pas être « induits en tentation » vers des péchés contre leur foi, en raison de la diffusion publique de l’hérésie ou de l’infidélité [21]. Cette immunité, selon le Concile, est elle-même un aspect du bien commun – en comprenant ce terme dans son sens le plus large. En ce qui concerne la restriction civile, l’Église interprète et applique donc la loi divine avec moins de sévérité qu’auparavant : en matière de religion, le bien commun ne permet et n’exige des mesures coercitives que si ses caractéristiques les plus fondamentales sont attaquées – caractéristiques qui sont regroupées dans Dignitatis Humanae : 7 sous le terme d' »ordre public ». En d’autres termes, même dans un pays fortement catholique, la diffusion publique d’idées ou de pratiques non catholiques ne devrait pas désormais (selon Vatican II) être considérée comme une menace punissable pour le bien commun simplement dans la mesure où elles sont non catholiques. Pour mériter cette classification, il faudrait plutôt qu’il s’agisse d’un type de propagande anticatholique qui attaque ou menace (soit par son contenu, soit par ses méthodes) les normes de vérité, d’honnêteté, de responsabilité civique, de moralité sexuelle et de respect des autres personnes qui peuvent être valablement défendues et établies sur des bases humaines et rationnelles uniquement, sans faire appel à l’autorité surnaturelle de la révélation divine.

En bref, tous les catholiques qui aiment et honorent le Magistère de l’Église peuvent se réjouir. Nous ne devons pas nous contenter de la position peu rassurante selon laquelle Vatican II n’a pas été « prouvé coupable » de contredire Quanta Cura du pape Pie IX. Une fois que nous lisons les documents pertinents avec soin, dans le latin original, avec une compréhension historique correcte de ce qu’ils ont voulu dire par le choix de certaines expressions, et en gardant à l’esprit la distinction cruciale entre la doctrine de l’Église d’une part, et son droit public mutable d’autre part, un seul verdict est possible : le Concile est « prouvé innocent » de cette accusation.

Notes :

[1] Denz. 2896

[2] Quanta Cura : 3. Texte latin du P. Gasparri (ed.) Codicis Iuris Canonici Fontes, Vol. II. Rome, Typis Polyglottis Vaticanis, 1924, p. 995. Dans deux articles récents, le P. William G. Most a cité une traduction inexacte de Quanta Cura, qui attribue à tort l’expression « ordre public » à Pie IX dans ce passage. Cf. les articles du P. Most, « Religious Liberty : What the Texts Demand« , Faith & Reason, Vol. IX No. 3, Fall 1983, pp. 201, 206 ; et « Vatican II on Religion and the State », The Wanderer, 23 octobre 1986, p. 4. Cette traduction défectueuse crée des difficultés inutiles pour le catholique qui souhaite défendre Vatican II contre l’accusation d’avoir contredit la doctrine antérieure, car Vatican II enseigne en fait très clairement qu’un « ordre public juste » (iustus ordo publicus) est le seul critère admissible pour limiter la liberté religieuse (cf. Dignitatis Humanae : 2, 3 et 7).

[3] L’Avenir, cité dans le Dictionnaire de Théologie Catholique, Vol. IX, Part I, Paris, Librairie Letouzey et Ané, 1926, s.v. « Libéralisme Catholique », colonne 536.

[4] Ibid, col. 550.

[5] Ibid.

[6] Ibid, col. 539.

[7] Ibid, c. 541.

[8] Quanta Cura : 3, loc. cit.

[9] Le concordat de 1953 du Saint-Siège avec l’Espagne, par exemple, reconnaissait l’article 6 de la constitution espagnole de l’époque qui interdisait les manifestations publiques de toute religion non catholique. Cf. Acta Apostolicae Sedis, Vol. 45 (1953), pp. 651-52.

[10] Voir, par exemple, le manuel préconciliaire du droit public de l’Église du P. F. M. Cappello : Summa Iuris Publici Ecclesiastici. Rome, Gregorian University Press, 1936 (4ème édition), p. 369.

[11] Lorsque l’avant-dernière ébauche a été votéé, par exemple, le 27 octobre 1965, il y avait 65 votes « non » et 534 votes « oui avec réserves » sur les articles 1 à 5 du schéma sur la liberté religieuse. Cela signifiait que près de trois Pères du Concile sur dix – une minorité significative – étaient encore plus ou moins mal à l’aise avec cette section vitale du document (cf. Acta Synodalia S. Conc. Vat. II, Vol. IV, Part VI, p. 724). Après avoir entendu l’explication de l’évêque de Smedt sur le projet révisé un mois plus tard, ils ont été invités à voter à nouveau – cette fois un simple « oui » ou « non ». Le résultat fut de 89% de « oui » et 11% de « non ». Lorsqu’il est devenu évident que Paul VI allait approuver ce projet, l’opposition est tombée à 70 évêques, soit environ 3 %, lors du vote final et officiel. (Après que le pape l’ait effectivement signé, je crois que seul l’archevêque Lefebvre a refusé d’ajouter sa signature [il s’est avéré qu’il l’a également signé]).

[12] Acta Synodalia, op. cit., p. 719.

[13] Note 53, p. 693, W.M. Abbot (ed.) The Documents of Vatican II.

[14] Dignitatis Humanae : 7.

[15] Ibid., 4.

[16] Ibid.

[17] Ibid., 3.

[18] Ibid., 7.

[19] Humanae Vitae : 23

[20] Mgr de Smedt l’a fait remarquer aux Pères du Concile, en mentionnant, à titre d’illustration et de précédent, le fait que le Pape Benoît XIV, en 1745, avait répudié explicitement la discipline médiévale qui n’avait pas toujours respecté les libertés personnelles, et avait parfois permis des pressions ou des coercitions indues sur les personnes, en relation avec l’embrassade du sacerdoce ou de la vie religieuse. Cf. Acta Synodalia, Vol. IV, Partie V, p. 101.

[21] On pourrait objecter que, en approuvant le Concordat récemment révisé avec la République italienne, qui ne reconnaît plus le catholicisme comme « religion d’État », le Saint-Siège adopte implicitement la position selon laquelle la séparation constitutionnelle de l’Église et de l’État est désormais le modèle préféré, ou l’idéal, même dans les pays catholiques. Cette déduction serait tout à fait injustifiée. La décision du Saint-Siège dans cette affaire – évidemment prudentielle, pratique et non infaillible – doit être considérée à la lumière du fait que l’Italie est aujourd’hui de facto une société assez pluraliste, qui comprend non seulement des groupes minoritaires de protestants, de témoins de Jéhovah et de musulmans, mais aussi un grand nombre de personnes sans véritable engagement religieux. (L’Italie a le plus grand parti communiste de toutes les nations occidentales). Le cardinal Casaroli, principal architecte (du côté du Vatican) du Concordat révisé, avait sans doute à l’esprit l’enseignement de Vatican II dans Gaudium et Spes : 76, qui observe que l’Église « ne place pas son espoir dans les privilèges offerts par le pouvoir civil », et qu’elle est prête à « [renoncer] à l’exercice de certains droits légitimement acquis, s’il est reconnu que leur usage peut faire douter de la pureté de son témoignage ou si des circonstances nouvelles exigent d’autres dispositions ». Toutefois, il est tout à fait clair que le Saint-Siège ne suggère pas que ce qu’il considère comme le meilleur dans le cas de l’Italie est nécessairement le meilleur arrangement constitutionnel pour tous les autres pays. Au contraire, le concordat post-conciliaire (1973) du Vatican avec la Colombie – probablement la nation la plus fermement catholique d’Amérique latine – continue d’accorder une reconnaissance constitutionnelle beaucoup plus positive à l’Église. En fait, il reflète dans une large mesure ce que Dignitatis Humanae réaffirme à propos du « devoir moral » des « sociétés » envers la vraie religion. L’article 1 du nouveau concordat colombien déclare que « l’État, par égard pour le sentiment catholique traditionnel de la nation colombienne, considère la religion catholique et romaine comme un élément fondamental du bien commun et du développement intégral de la communauté nationale ».

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