Ceci est une traduction d’un article du philosophe néo-thomiste Edward Feser écrit sur son blog le 28 décembre 2015.
La question de savoir si Chrétiens et les Musulmans ardorent le même Dieu est devenue le sujet du jour dans certaines parties de la blogosphère. Nos amis Frank Beckwith, Bill Vallicella, Lydia McGrew, le P. Al Kimel, et Dale Tuggy font partie de ceux qui l’ont commentée (Dale a aussi posté un recensement utile d’articles sur la controverse). Frank, le P. Kimel, et Dale font partie des nombreux commentateurs qui ont répondu par l’affirmative. Lydia répond par la négative. Sans fermement répondre par la négative, Bill défend que la question n’est pas aussi facile à trancher que ce que les optimistes pensent, tout comme Peter Lithart dans First Things. Cependant, à l’inverse, je défendrais plutôt que les optimistes ont raison.
Se référer à Dieu
Laissez-moi rappeler quelques points qui devraient être évidents, et qui ont déjà été présenté par d’autres, mais qui sont cruciaux pour donner un cadre approprié à la question. Premièrement, nous devons garder à l’esprit le point de Fregean selon lequel la différence du sens n’entraîne pas la différence de la référence. Pour reprendre le fameux example de Fregean, le sens de l’expression « étoile du matin » est différent du sens de l’expression « étoile du soir ». Mais ces deux expressions se réfèrent à une seule et même chose, c’est-à-dire la planète Venus. De façon similaire, les expressions comme « le Dieu des chrétiens » ou « le Dieu des musulmans » diffèrent en leur sens, mais ce seul fait n’entraîne pas qu’ils ne se réfèrent pas au même Dieu. De la même manière, bien que l’expression « Dieu » diffère de l’expression « Allah », cela ne veut pas dire que Dieu n’est pas Allah, pas plus que Stan Lee et Stanley Martin Lieber ne diffèrent.
Deuxièmement, même les croyances erronées d’un orateur n’entraînent pas qu’il ne se réfère pas à la même chose à laquelle se réfère l’orateur aux bonnes croyances. Considérez l’exemple rendu populaire par Keith Donnellan. Supposez que vous êtes à une fête et qu’un homme à l’autre bout de la pièce boit avec un verre à martini. Vous dites quelque chose du genre « l’homme qui boit un martini est bien habillé ». Supposez, cependant, que cet homme ne boit pas un martini en réalité, mais seulement de l’eau. Cela ne veut pas dire que vous ne vous êtes pas vraiment référé à lui. De plus, supposez qu’il y a un deuxième homme, quelque part dans la pièce que vous n’avez pas vu, qui lui boit vraiment un verre de martini et est habillé avec classe. Cela ne veut pas dire que vous vous étiez, après tout, vraiment referé à ce second homme et que vous vous soyez trompé. Plutôt, en admettant que le premier homme était réellement bien habillé, vous vous étiez référé à ce premier homme et aviez dit quelque chose de vrai à son propos, même si vous vous étiez trompé à propos de ce qu’il boit. Et donc, vous vous référez au même homme auquel se seraient référés ceux qui savent qu’il boit de l’eau, s’ils avaient dit que « l’homme qui boit de l’eau dans un verre à martini est bien habillé ». D’une façon semblable, le fait que des musulmans ont ce que les chrétiens considèrent être de fausses croyances à propos de Dieu n’entraîne pas en soi que les musulmans et les chrétiens ne se réfèrent pas à la même chose quand ils utilisent l’expression « Dieu ».
Cela étant dit, il est aussi vrai que cela ne marche pas pour tout. Comme je l’ai noté il y a quelque temps dans un post au sujet de l’essai de Peter Geach « Sur l’Adoration du Bon Dieu« , il est possible que le corps de croyances que quelqu’un possède à propos d’une chose pourrait être si profondément déconnecté de la réalité qu’il ne peut pas plausiblement s’y référer avec succès.
Mais à partir de quand exactement l’erreur théologique de quelqu’un peut mener à cela, à tel point qu’il ne peut pas à se référer au vrai Dieu? Lydia McGrew dit que la raison pour laquelle chrétiens et musulmans ne peuvent pas selon elle adorer le même Dieu est que les différences dans les manières de concevoir Dieu sont « importantes » et « suffisament cruciales ». Mais cela est à mon avis, trop vague pour nous aider. Supposons que quelqu’un sait que Platon était l’étudiant de Socrates mais croit en la légende selon laquelle Platon était le fils du dieu Apollon, et, pour une raison ou pour une autre, pense que Platon n’a écrit aucun des travaux qui lui sont attribués mais qu’il vendait en réalité des gyros et des baklava dans un chariot à Athènes. Une telle personne se serait évidemment trompés sur des choses « importantes » et en effet « cruciales », ce qui ne veut pas dire qu’il ne s’est pas vraiment réferé à Platon. Au contraire, nous savons qu’il a tort en partie parce que nous considérons qu’il s’est bel et bien référé à Platon. Nous ne pensons pas: « Oh, il se réfère à un autre homme nommé « Platon », mais à celui qui était l’étudiant de Socrates ». Nous pensons qu’il se réfère au même Platon, et pour cette raison nous savons qu’il se trompe sur des choses importantes, vu que nous savons qu’elles ne sont pas vraies à son sujet.
D’une manière similaire, il est parfaitement cohérent de dire que les musulmans se trompent de façon « importante » et « cruciale » précisément parce qu’ils se réfèrent justement à la même chose que les chrétiens quand ces derniers utilisent le mot « Dieu », et de dire qu’ils disent des choses fausses à propos de ce référent. Que les erreurs soient « importantes » ou « cruciales » n’est pas en soi suffisant pour empêcher une vraie référence. Et puisque les musulmans adorent la référence en question, il s’en suit que ce n’est pas suffisant non plus pour qu’ils n’adorent pas le même Dieu que les chrétiens.
Même les erreurs concernant la nature Trinitaire de Dieu ne sont pas en soi suffisantes pour empêcher une vraie référence. Abrahm et Moïse n’étaient pas trinitariens, mais aucun chrétien ne peut nier qu’ils se référaient et adoraient le même Dieu que les chrétiens. On pourrait objecter que même s’ils n’étaient pas trinitariens, c’est seulement parce qu’ils ne connaissaient pas la doctrine de la Trinité, tandis que les musulmans la connaissent et la rejettent positivement. Mais cela n’est pas pertinent. Depuis les débuts de l’histoire de l’Eglise, les chrétiens ne se sont pas accusés entre eux d’adorer un faux Dieu simplement parce qu’ils rejetaient la Trinité. Par exemple, ces juifs qui niaient l’idée que Jésus était l’incarnation de la seconde personne de la Trinité n’étaient pas accusés par l’Eglise primitive d’adorer un faux Dieu [note d’Archidiacre: la question était en fait débattue dans les polémiques mais St Augustin et St Justin maintenaient qu’ils adoraient le vrai Dieu]. Les hérétiques n’étaient généralement pas accusés de cela non plus. Par exemple, au moins quelques baptêmes ariens étaient considérés comme valide en raison de leur usage de la formule baptismale trinitaire, malgré le fait que les ariens avaient des opinions hérétiques au sujet des personnes Divines. Ces baptêmes ne pourraient pas être considérés comme valides si la compréhension arienne était si radicalement différente que « Père, » « Fils », et « Saint Esprit » échoueraient à se référer à la personne Divine et se réfèraient à de fausses divinités.
L’échec de référence
Cela m’amène à un exemple qui inclut bel et bien une erreur suffisamment grande pour que la référence à Dieu soit douteuse. Dans le post sur Geach mentionné plus haut, j’ai cité une décision de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi en 2001 selon laquelle les baptêmes mormons n’étaient pas valides même s’ils paraissaient utiliser la formule Trinitaire. La raison de cette décision est que la conception mormonne de Dieu est si radicalement différente de la conception catholique qu’il est douteux que ces mots invoquent réellement la Trinité. Le problème n’est cependant pas le trinitarianisme en soi, mais plutôt l’anthropomorphisme radical de la conception mormone de Dieu. Comme le résumait un article de l’Osservatore Romano à l’époque:
Le Père, le Fils et le Saint Esprit, selon l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, ne sont pas les trois personnes en qui subsiste le seul Dieu, mais trois dieux qui forment une divinité. L’un est différent de l’autre, même si elles existent en parfaite harmonie… Le mot divinité même n’a qu’un contenu fonctionnel et non substantiel, car la divinité tire son origine de la décision d’union de ces trois divinités pour former celle qui sauverait l’humanité… Cette divinité et l’homme partagent la même nature et sont égaux en substance. Dieu le Père est un homme exalté, natif d’une autre planète, qui a acquis son statut divin en mourrant de façon similaire à celle des êtres humains, la voie nécessaire à la divinisation… Dieu le Père a des parents et cela est expliqué par la doctrine de la régression infinie des deux initialement mortels… Dieu le Père a une femme, la Mère Céleste, avec qui il partage la responsabilité de la création. Ils procréent des enfants dans le monde spirituel. Leur premier-né est Jésus Christ, égal à tous les hommes, ayant acquis la divinité dans une existence pré-mortelle. Même le Saint Esprit est le fils de parents célestes. Le Fils et le Saint Esprit ont été procréés après le commencement de la création du monde que nous connaissons… Quatre dieux sont directement responsables de notre univers, dont trois ont établi une alliance et ainsi formé la divinité.
Comme on peut le voir facilement, la similarité des titres ici ne correspond en aucun cas à un contenu doctrinal qui peut mener à la doctrine de la Trinité. Les mots Père, Fils et Saint Esprit ont pour les mormons une signification totalement différente de celle des chrétiens. Les différences sont si grandes qu’on ne peut même pas considérer que cette doctrine est une hérésie émergeant d’une mauvaise compréhension de la doctrine chrétienne. La doctrine des mormons a une matrice complètement différente. Nous ne nous trouvons donc pas face à un cas de validité du baptême administré par des hérétiques, déjà affirmé par les premiers siècles de l’ère chrétienne, ni face à un baptême conferré dans des communautés ecclésiales non-catholiques…
Fin de citation. La conception mormone de la déité, fait ainsi de Dieu quelque chose d’essentiellement créé et fini, quelque chose qui manque de l’ultimité métaphysique absolue qui fait partie de la définition de Dieu dans la théologie catholique et le théisme classique plus généralement. Même l’Arianisme ne fait pas cela, en dépit de ses graves erreurs sur la Trinité. Certainement, l’Arianisme fait de la seconde personne de la Trinité une créature, mais elle ne confond pas la divinité en soi comme quelque chose de créé. Au contraire, parce qu’il affirme que la pleine divinité et nature incrée du Père, il suppose à tort qu’il doit nier la pleine divinité du Fils. Il comprend correctement la notion de divinité en soi, et l’applique simplement de façon incorrecte. Les mormons, au contraire, comprennent la divinité en soi de façon fondamentalement erronée. Ainsi leur usage de « Dieu » peut être dit uniquement verbalement similaire à celui des Catholiques, Protestants, Juifs, et al. On peut plausiblement considérer qu’ils ne se réfèrent pas vraiment à la même chose que ces derniers, et donc n’adorent le pas même Dieu qu’eux.
Maintenant, vous pouvez dire ce que vous voulez de l’Islam, mais il ne fait pas de Dieu quelque chose d’essentiellement créé. Que Dieu soit un absolu métaphysique ultime, ce dont toute autre chose dérive, ce qui ni n’a pas ni ne peut en principe avoir de cause, etc. est quelque chose que la théologie musulmane comprend clairement. Ainsi d’un point de vue chrétien les musulmans doivent clairement être vus comme les juifs et les ariens plutôt que comme les mormons. Ils sont dans l’erreur à propos de la Trinité, mais non à propos de la divinité en soi.
Étant absolument ultime métaphysiquement, étant ce dont tout autre chose dérive, étant ce qui n’a pas ni ne peut en principe avoir une cause, etc. — en bref, être ce que le théisme classique considère ce que Dieu est en essence — est, je dirai, la clé pour déterminer si l’usage du mot « Dieu » se réfère plausiblement au vrai Dieu chez quelqu’un. Si quelqu’un affirme ces choses à propos de Dieu, il y a au moins une forte présomption en faveur de la conclusion qu’il se réfère au véritable Dieu, et donc l’adore, même s’il dit aussi des choses sérieusement erronées à son sujet. Si quelqu’un n’affirme pas ces choses à propos de Dieu, il y a au moins un sérieux doute sur sa référence et adoration du vrai Dieu. Et si quelqu’un nie positivement ces choses, il y a une forte présomption qu’il ne se réfère pas ni n’adore le vrai Dieu. Comme Richard Gale l’a écrit:
Le personnage incarné par Marlon Brando dans Sur les quais disait qu’il aurait pu être un compétiteur, peut être le champion; mais cela aurait été une violation du sens de Dieu s’il avait dit qu’il aurait pu être Dieu ou si Dieu lui disait que lui-même aurait pu être un petit bras de l’organisation. (On the Nature and Existence of God, p.5)
Quelqu’un ayant été le petit bras d’une organisation ne pourrait pas être Dieu. Et quelqu’un qui serait moins que métaphysiquement ultime, ou qui ne serait pas la source de toute autre chose que lui-même, ou qui aurait sa propre cause, ne pourrait pas être Dieu. S’il apparaissait que ce que nous appelions « Dieu » était quelque chose de moins que métaphysiquement ultime ou avait sa propre cause etc., il ne s’en suivrait pas que Dieu était réellement toutes ces choses au final. Plutôt, cela voudrait dire qu’il n’y a pas de Dieu du tout.
Le Trinitarianisme et la référence
Mais un chrétien ne devrait-il pas croire qu’une certaine référence à la Trinité ou à la divinité de Jésus est aussi au moins nécessaire, bien qu’insuffisante, pour se référer correctement à Dieu? Ne s’ensuit-il pas qu’être Trinitaire est, d’un point de vue chrétien, aussi essentiel à Dieu? Non, cela ne s’ensuit pas du tout, et un chrétien qui pense autrement devra, s’il s’arrête pour y réfléchir sérieusement, conclure qu’il ne croit pas réellement cela. Encore une fois, les chrétiens ne nient pas qu’Abraham et Moïse, ou les juifs modernes, ou les ariens et autres hérétiques, se réfèrent et adorent le même Dieu que les chrétiens orthodoxes, en dépit du fait que ces gens n’affirment pas la Trinité ou la divinité de Jésus.
Ou considérez le scénario suivant. Supposez qu’il y a une cause de toute autre chose qu’elle-même, étant unique, éternelle, immatérielle, nécessaire, omnipotente, omnisciente, parfaitement bonne etc. Mais supposez également que la résurrection de Jésus ne soit jamais arrivée, que les apôtres aient propagée une fable, etc. Ce scénario voudrait-il dire que l’athéisme est vrai? Bien sûr que non, et aucun chrétien ne dirait cela. Ce serait un scénario où Dieu existe mais ne s’est pas incarné en Jésus, n’a pas fondé d’Eglise etc.
Ou considérez un autre scénario. Supposez qu’il n’y avait en réalité pas de cause de toute autre chose qu’elle-même, éternelle, immortelle, nécessaire, omnipotente, omnisciente, parfaitement bonne etc. Mais supposez aussi qu’il y eut réellement une entité puissante qui envoya Moïse délivrer la Loi à Israël, qui a engendré Jésus et l’a envoyé comme prophète, l’a doté de pouvoirs préternaturels ainsi qu’à ses apôtres afin de fonder l’Eglise etc. Cependant supposez que cet être puissant était un extraterrestre et que ces évènements rapportés dans la Bible étaient causés par quelque chose décrit à la façon d’Erich von Däniken dans Présence des extraterrestres. Supposez que cet extraterrestre s’était nommé « le Père », qu’il eut deux lieutnants nommés « le Fils » et « le Saint Esprit ». Cela serait-il un scénario dans lequel le théisme Chrétien serait vrai? Evidemment que non, et qu’aucun chrétien (je l’éspère!) ne le dirait. Ce serait un scénario où l’athéisme est véridique.
Notez que ce premier scénario est métaphysiquement possible même si Dieu est nécessairement Trinitaire. Car même si Dieu est une Trinité, il aurait pu s’abstenir de s’incarner en Jésus, de causer la fondation de l’Eglise, de nous révéler sa nature Trinitaire etc. Même dans ce premier scénario, Dieu serait Trinitaire (comme doivent le croire les chrétiens), mais nous ne le saurions pas. Pourtant, cela ne nous empêcherait pas de nous référer correctement à lui et de l’adorer.
Maintenant, la première partie athée du second scénario est, je dirai, métaphysiquement impossible (même s’il est épistémiquement possible — c’est-à-dire que nous pourrions nous trouver dans une situation où nous croyons faussement que ce scénario tient la route). La raison pour laquelle cela n’est pas possible métaphysiquement est qu’il n’aurait pas pu arriver (selon moi) qu’il n’y ait pas une cause de toute autre chose qu’elle même, unique, éternelle, omnipotente, omnisciente, parfaitement bonne etc. Dieu, s’il existe, existe nécessairement plutôt que de façon contingente. L’Athéisme, s’il est faux, est nécessairement faux plutôt que simplement faux par contingence. Mais cela n’a rien à voir avec le Trinitarianisme en soi. Et cela est vrai même si Dieu est essentiellement Trinitare. Car ce n’est pas en vertu de la connaissance du fait que Dieu est Trinitaire que nous savons que, s’il existe, il doit exister nécessairement et non de façon contingente. Plutôt, c’est en vertu de la connaissance du fait qu’il est pure actualité, qu’il est un être subsistant par lui-même, qui est absolument simple et non-composite etc., que nous savons que s’il existe, il existe nécessairement plutôt que de façon contingente.
Tout cela montre que nous devons distinguer comment Dieu doit être et comment Dieu doit être conçu. Ce que la doctrine de la Trinité entraîne est que Dieu ne pourrait pas être autre chose que trois personnes divines en une seule substance. Mais cela n’entraîne pas que nous ne pouvons pas concevoir Dieu autrement qu’en trois personnes divines en une seule substance. Supposer que, parce que la doctrine de la Trinité implique ce premier fait, alors elle doit aussi impliquer le second, c’est faire une confusion entre la métaphysique et l’épistémologie.
Rien de tout cela ne devrait nous surprendre étant donné que, comme le christianisme l’enseigne traditionnellement, la doctrine de la Trinité n’est pas quelque chose à laquelle la raison humaine aurait pu arriver seule, mais quelque chose qui peut être connue seulement par une révélation divine spéciale. Nous pouvons savoir que Dieu est Trinitaire seulement si nous savons d’abord qu’il existe et a révélé certaines vérités (par un prophète, une écriture, une tradition, ou les enseignements de l’Eglise). Naturellement, donc, nous devons être capables de le concevoir dans un sens non-Trinitare, sinon nous ne pourrions jamais nous approcher de la connaissance de la Trinité. (Notez bien que cela n’entraîne pas qu’il aurait pu ne pas être Trinitaire. Ce serait encore une fois confondre métaphysique et épistémologie)
Thomas d’Aquin et à la référence à Dieu
Comme toujours, nous ne pouvons pas faire mieux que nous tourner vers Thomas d’Aquin pour chercher un guide philosophique en matière de théologie. Sur la référence en général, il écrit:
Dans la signification des noms, autre chose parfois est ce dont le nom a été tiré, autre chose ce qu’il est destiné à signifier : ainsi le mot pierre (lapis) a été choisi parce que la pierre blesse le pied (laedit pedem) ; et pourtant il ne signifie pas “ ce qui blesse le pied ”, mais bien une espèce de corps ; sans quoi, tout ce qui blesse le pied serait une pierre. (ST I,13,2)
et aussi:
Ce dont un nom a été tiré n’est pas toujours ce qu’on lui fait signifier. En effet, lorsque nous connaissons la substance d’une chose par ses propriétés ou ses opérations, nous la nommons parfois du nom de telle opération ou de telle propriété particulière, comme la substance de la pierre a pris nom de ce qu’elle blesse le pied. Cependant on n’emploie pas ce mot pour désigner l’action de blesser, mais pour désigner la substance de la pierre. Quand il s’agit de choses qui nous sont connues en elles-mêmes, comme la chaleur, le froid, la blancheur, etc., on ne recourt pour les nommer à rien d’autre ; dans ce cas, ce que le nom signifie par lui-même est aussi ce qu’il est destiné à signifier. (ST I,13,8)
L’exemple de la pierre n’est, malheureusement, pas aussi clair pour les lecteurs modernes qu’il l’aurait été pour ses contemporains. L’idée est que l’étyomologie de lapis (« pierre ») dérive (comme l’a faussement présumé Thomas) de la blessure du pied (par exemple quand elle tombe dessus, ou quand le pied la frappe). La signification littérale de lapis (encore, comme Thomas l’a présumé) est « ce qui blesse le pied », mais ce que nous voulons signifier par cela n’est pas quelconque chose qui puisse blesser le pied — un marteau, un piège un ours, un partenaire de danse maladroit etc. — mais plutôt les pierres, spécifiquement. Un exemple moderne pourrait être « housefly » [anglais de « mouche domestique », littéralement maison-vol]. Ce que nous entendons par là n’est pas quelconque chose qui puisse voler dans une maison — papillons de nuits, perroquets échappés, l’hélicoptère télécommandé offert à mon plus jeune fils à Noël, etc. — mais plutôt un type spécifique d’insecte.
Maintenant, ce que Thomas d’Aquin dit est que dans certains cas, nous nous référons à des choses par des propriétés qu’elles ont, ou des caractéristiques contingentes qu’elles possèdent, ou des effets qu’elles causent, plutôt que par leur essence. Blesser le pied n’est pas l’essence d’une pierre, même si nous nous yréférons comme « ce qui blesse le pied », et voler dans une maison n’est pas l’essence des mouches domestiques, même si nous les appelons [en anglais] « houseflies ». Ce à quoi nous voulons nous référer par « ce qui blesse le pied » est l’essence de la pierre, et par « housefly » l’essence de la mouche domestique. Il y a une distinction à tirer de ces cas entre ces choses en vertu de quoi nous nous référons à quelque chose, et les choses auxquelles nous nous référons. (Comme le note Christopher Martin dans le chapitre sur la référence dans son livre Thomas Aquinas: God and Explanations, ici Tgomas anticipait une distinction que fit Saul Kripke dans Naming and Necessity).
Dans d’autres cas, cependant, nous nous référons à quelque chose en vertu de son essence. Thomas d’Aquin donne les exemples de la chaleur, du froid, et de la blancheur et (comme le note aussi Martin) l’exemple de la « douleur » qu’utilise Kripke dans Naming and Necessity pourrait être similaire à l’argument que fait Thomas. L’idée de Kripke est que la « douleur » se réfère à cette sensation que nous associons à la douleur, et que l’essence de la douleur est simplement d’être cette sensation. La sensation n’est pas quelque chose qui suit simplement la douleur ou est associé à la douleur par contingence. Vraisemblablement Thomas d’Asuin disait quelque chose de similaire à propos de la chaleur, du froid, de la blancheur — e.g ce qui est blanc n’implique pas une apparence visuelle d’une certaine sorte mais ce qui est l’essence de la blancheur. (Les exemples de Thomas d’Aquin sont inévitablement controversés au vu de la physique moderne sur la température et la couleur, mais les exemples spécifiques ne sont pas essentiels à son argument, qui est que nous nous référons parfois à des choses en vertu de leur essence plutôt qu’en vertu de leurs caractéristiques ou effets).
Quand il s’agit de Dieu, la position de Thomas d’Aquin est que nous nous référons à lui de la première sorte plutôt que de la seconde:
Parce que Dieu ne nous est pas connu dans sa nature propre mais nous est révélé uniquement par ses activités ou par ses œuvres, c’est donc à partir d’elles que nous pouvons le nommer, comme on l’a dit plus haut. En conséquence, ce nom “ Dieu ” nomme une opération, si l’on considère sa signification étymologique. Car ce nom a été donné en raison de la providence universelle que Dieu exerce pour les choses, et tous ceux qui parlent de Dieu entendent appeler Dieu l’être à qui incombe le gouvernement de toutes choses. […] Mais bien qu’il soit emprunté à cette perfection et à cette activité, ce nom “ Dieu ” n’en est pas moins employé pour signifier la nature divine. (ST I,13,8)
L’idée est que, dans cette vie, nous n’avons pas immédiatement la connaissance de Dieu, ou la vision béatifique, dont bénéficient ceux au paradis. Notre connaissance de Dieu n’est pas comme notre connaissance de la douleur (si Kripke dit vrai à ce propos), mais plutôt comme cette connaissance profane de la pierre ou de la mouche domestique, dans la mesure où le profane ne les connaît que par leurs effets ou caractéristiques contingentes plutôt qu’en vertu de leurs essences (comme le ferait un chimiste ou un biologiste). En particulier, nous connaissons Dieu comme ce qui exerce une providence universelle — ce qui les crée, les soutient à tout moment, leur donne à tout moment le pouvoir d’opérer et ainsi de suite.
Bien sur, nous savons aussi que la nature de Dieu est Trinitaire, parce que ce fait nous a été spécialement révélé. Mais cela n’entraîne pas que nous avons une connaissance immédiate de la nature Trinitaire, de la même manière que nous avons une connaissance immédiate de la douleur (si, encore une fois, Kripke dit vrai). Nous n’avons pas de telle connaissance immédiate. Pour emprunter la distinction rendue populaire par Bertrand Russel, nous pourrions dire que nous savons que Dieu a une nature Trinitaire seulement par description, non par connaissance. Ainsi, en dépit de la révélation divine, un chrétien ne se réfère pas moins qu’un non-chrétien à Dieu par ses effets plutôt que par la connaissance directe de son essence. Et en ce qui concerne les effets les plus généraux (par exemple, la création de Dieu ou la conservation de l’existence du monde, par opposition à ses miracles), les non-chrétiens peuvent en principe les connaître autant que les chrétiens. Ainsi les non-chrétiens peuvent se référer à Dieu autant que les chrétiens. Comme Thomas d’Aquin l’écrit:
Il est évident par là que le catholique disant que l’idole n’est pas Dieu contredit le païen pour qui elle est Dieu, car tous deux emploient ce nom “ Dieu ” dans l’intention de signifier le vrai Dieu. En effet, lorsque le païen affirme que son idole est Dieu, il n’emploie pas ce mot selon qu’il signifie un Dieu prétendu. Car, en ce cas, il dirait vrai, puisque les catholiques aussi emploient parfois le nom : Dieu, en ce sens, par exemple lorsqu’ils disent avec le Psaume (96, 5 Vg) : “ Tous les dieux des païens sont des démons. ” […] La nature même de Dieu en ce qu’il est, ni le catholique ni le païen ne la connaît ; mais l’un et l’autre la connaît en tant qu’elle est au terme des voies de la causalité, de l’éminence et de la négation, nous l’avons déjà dit. Ainsi le païen, lorsqu’il dit que son idole est Dieu, peut-il prendre ce mot “ Dieu ” dans le même sens que le catholique disant que l’idole n’est pas Dieu. Mais, s’il y avait quelqu’un qui ne connaisse Dieu sous aucun rapport, il ne le nommerait aucunement, sinon comme nous prononçons parfois des mots dont nous ignorons le sens. (ST I,13,10)
L’idée ici est que c’est précisément parce que le païen en question, pas moins qu’un catholique, peut comprendre que « Dieu » signifie ce qui cause le monde etc. que le catholique et le païen peuvent réellement être en désaccord à propos de savoir si une certaine idole est Dieu. Si le païen n’entendait par « Dieu » rien de plus que « cette idole particulière », alors il n’yaurait pas de désaccord. C’est-à-dire que si le païen utilisait le mot de façon idiosyncratique (i.e si, comme le dit Thomas d’Aquin, il employait ce mot selon qu’il signifie un Dieu prétendu), il dirait vrai s’il disait que « cette idole particulière est Dieu », car cela reviendrait à ne dire rien de plus que « cette idole particulière est cette idole particulière ». C’est parce que le païen entend davantage par ce « Dieu » que le chrétien peut dire « Non, cette idole ne peut pas être Dieu, étant donné que nous savons tous les deux ce qu’est Dieu ».
Maintenant, si même un païen idolâtre peut se référer correctement au vrai Dieu en utilisant le terme « Dieu » — c’est-à-dire, s’il parlait vraiment de Dieu même s’il avait des croyances gravement erronées à son sujet — alors il est évident que les musulmans, ainsi que ceux qui sont aussi conscients que les chrétiens que Dieu ne peut pas être identifié à une idole, peuvent se référer avec succès au vrai Dieu, en dépit de leurs rejet gravement erroné du trinitarianisme. Et puisqu’ils adorent ceux à quoi ils se réfèrent, il s’en suit qu’ils adorent le vrai Dieu.
Un commentaire
Comme je l’ai dit au début, bien que je pense qu’il est correct de dire que les chrétiens et les musulmans adorent le même Dieu, j’ajouterai un commentaire à cette affirmation. Ce commentaire est le suivant. Ce que j’ai dit dans ce post s’applique à la chrétienté et à l’islam dans l’abstrait et aux chrétiens et musulmans en général. Mais il est toutefois toujours possible qu’il y a des individus chrétiens ou musulmans particuliers dont les conceptions personnelles de Dieu diffèrent tellement qu’ils ne pourraient pas plausiblement adorer le même Dieu. Pour développer un exemple possible, considérons quelque chose d’autre que dit Lydia McGrew dans son post mentionné plus haut. Elle écrit:
Les chrétiens croient […] que ce même être a causé les origines du judaïsme — les promesses à Abraham, l’Exode etc. — et les origines de la chrétienté — la résurrection du Christ etc. En ce sens, le chrétien dit que le Dieu d’Abraham est la même entité que le Dieu que nous adorons […] Mais aucun chrétien ne devrait croire que le Dieu que Jésus représentait est la même entité qui a causé les origines de l’Islam! Au contraire, nous chrétiens devrions le nier emphatiquement […] [Ceci] distingue ce que le chrétien affirme à propos de la relation entre la chrétienté et le judaïsme de ce que le chrétien croit à propos de la relation entre la chrétienté et l’islam. L’argument n’est pas que seul un trinitarien peut d’une certaine façon adorer le vrai Dieu. Abraham n’était pas trinitarien mais adorait le vrai Dieu. Mais Abraham, comme nous le croyons, était réellement en contact avec le vrai Dieu. Le vrai Dieu était réellement la source des révélations d’Abraham. Le vrai Dieu n’était pas la source de celles de Mohammed.
Fin de citation. Ici, je suis certainement d’accord avec Lydia pour dire qu’un chrétien ne doit pas considérer Mohammed comme ayant reçu une véritable révélation de Dieu. Mais ce fait n’accomplit pas ce qu’elle pense qu’il accomplit. Elle soutient que les chrétiens et les juifs adorent le même Dieu même si (selon elle) les chrétiens et musulmans ne le font pas. Son argument semble présupposer que par « Dieu », les juifs entendent « la source des révélations d’Abraham etc. », les chrétiens entendent « celui qui a ressuscité Jésus des morts etc. », et les les musulmans entendent « la source des révélations de Mohammed etc. ». Maintenant si cela était uniquement ce que les juifs, les chrétiens et les musulmans entendaient respectivement par « Dieu », alors son argument aurait de la force. Car dans ce cas, étant donné que les chrétiens pensent que le même Dieu s’est à la fois révélé à Abraham etc. et a ressuscité Jésus des morts etc., mais pensent que Dieu n’a pas donné une quelconque révélation à Mohammed, ils ne pourraient pas voir leur Dieu comme ce que les musulmans entendent par « Dieu ». Le problème est que ça n’est simplement pas seulement ce que les juifs, chrétiens et musulmans entendent par « Dieu », ou du moins la plupart d’entre eux. Car par « Dieu », ils entendent aussi « la cause incausée de toute chose autre qu’elle même, omnipotente, omnisciente, parfaitement bonne, etc. ». Et parce qu’il y a une correspondance considérable dans leurs conceptions de Dieu, il est possible qu’ils se réfèrent et adorent le même Dieu unique en dépit de leurs désaccords, pour les raisons données précédemment.
Cependant, supposez qu’un juif, chrétien ou musulman utilisait réellement le mot « Dieu » dans un sens aussi réstreint que celui de l’argument de Lydia. Supposez, par exemple, qu’un musulman particulier disait: « Non, en réalité, je me fiche de tout le reste. Ce que j’entend par ‘Dieu’ est la source des révélations de Mohammed, et c’est uniquement ce que j’entend par le mot, et j’adorerai quand même Dieu s’il apparaissait que cette source n’était pas omnipotente omnisciente, parfaitement bonne, cause incausée du monde, mais quelque chose d’autre ». Dans ce cas, je pense que vous pourriez dire que ce musulman en particulier n’adorait pas le même Dieu que les chrétiens.
Mais je pense que vous auriez du mal à trouver un musulman qui dirait une telle chose, tout comme je pense que vous auriez du mal à trouver un chrétien qui vous dirait qu’il croirait encore en la Bible même si on apprenait qu’elle avait été écriture par un des extraterrestre d’Erich von Däniken. Peut-être qu’il y a des musulmans (et des chrétiens ou juifs) qui sont si attachés à certaines affirmations contingentes à propos de Dieu dans leur religion qu’ils préfèreraient abandonner la croyance en un attribut divin essentiel plutôt que d’abandonner ces affirmations. Dans ce cas il y aurait la sorte de distance conceptuelle entre les croyants qui entrainerait qu’ils n’adorent pas le même Dieu. Donc je limiterai à ce niveau là l’affirmation défendue dans ce post. Mais la possibilité me paraît être très éloignée et académique.
Autres réponses d’Edward Feser en commentaires:
- [Doit-on penser] qu’un juif qui adorait le Dieu d’Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, adorait le vrai Dieu tant qu’il n’avait pas entendu la doctrine de la Trinité ou de l’incarnation, mais dès qu’il aurait entendu parler d’elles et aurait dit « Non, je rejette ces doctrines », alors soudainement le référent dont il fait usage par « Dieu » se transformerait en quelque chose de différent de ce qu’il était avant de dire « Non »? C’est une théorie très intéressante et sans précédent de la référence. J’aimerai voir un argument ne serait-ce que plausible en sa faveur, ou un quelconque argument tout court en sa faveur.
- [On ne peut simplement présumer] que rejeter la divinité de Jésus doit entraîner a) adorer un faux dieu plutôt que b) adorer le vrai Dieu mais en comprendre incorrectement la nature et les actes. Vu que tout le sujet du post est de démontrer pourquoi cela n’entraîne pas a) mais seulement b), cette présomption fait une pétition de principe.
- Oui, les juifs modernes ont une situation épistémique différente d’Abraham et Moïse, comme je l’ai dit. J’ai aussi expliqué pourquoi cela était impertinent pour l’argument présent. […] J’ai énuméré des points en réponse à l’affirmation selon laquelle quelqu’un du temps d’avant Jésus-Christ (Abraham, Moïse et al.) ou après Jésus-Christ n’était pas pertinent.
- [Doit-on penser] que Scotus, Ockham et al. étaient aussi des adorateurs d’un faux dieu? Bonne chance. Cette position semble entraîner que quiconque faisant une erreur à propos de la nature divine était ipso facto non seulement coupable d’une erreur théologique ou même d’une hérésie, mais également d’idolâtrie. Encore une fois, bonne chance pour rendre cela plausible. Je serai heureux d’entendre même un mauvais argument en ce sens.
- Ai-je dit que la Trinité « n’est pas essentiel à une compréhension de Dieu »? Bien sûr que ça l’est. Quelqu’un qui affirme la Trinité a une connaissance bien plus profonde de Dieu que quelqu’un qui ne l’affirme pas. Ce que j’ai dit était que la connaissance de la Trinité n’était pas essentiel à la capacité de se référer et d’adorer (bien qu’imparfaitement) Dieu. Et c’est quelque chose à laquelle vous vous accordez implicitement en admettant qu’Abraham n’était pas trinitarien mais adorait néanmoins le vrai Dieu.
- Je ne vois rien de neuf dans l’argument de Qureshi. Il se résume à dire « les chrétiens affirment X au sujet de Dieu et les musulmans nient X, donc ils n’adorent pas le vrai Dieu ». Et pour les raisons expliquées dans le post, ce n’est qu’un non-sequitur. J’ai aussi expliqué pourquoi dire que les différences sont « grandes » est trop vague pour être utile. Encore une fois, dans l’exemple que j’ai donné, deux personnes peuvent toujours se référer à la même personne quand ils utilisent le nom « Platon », même si l’un d’eux à des croyances sérieusement incorrectes et bizarres au sujet de Platon.
- « Etant donné que Yahvé et Jésus insistent sur l’évitement de l’idolâtrie et l’adoration de Dieu en esprit et en vérité, on se trompe sur une définition plus réstreinte de Dieu ». Il y a trois problème avec cette affirmation. Premièrement, le Christ ne parle même pas des questions de référence, ou de comment définir le mot « Dieu » etc. dans ce passage, donc je ne vois pas en quoi c’est pertinent.
Deuxièmement […] personne ne dit que l’islam offre une connaissance salvifique de Dieu, ou que n’importe qui peut être sauvé en dehors du Christ, qu’il n’y a pas d’erreurs graves de nature morale et théologique dans l’islam, etc. Rien de tout cela ne pose problème. La question est simplement de savoir si les musulmans qui utilisent le mot « Dieu » se réfèrent bel et bien au vrai Dieu et donc si, puisqu’ils adorent ce à quoi ils se réfèrent par le mot « Dieu », alors ils adorent (dans ce sens réstreint) le vrai Dieu. C’est tout. Quelqu’un peut adorer le vrai Dieu dans ce sens réstreint et demeurer coupable d’idolâtrie en d’autres manières. (Par exemple, un chrétien sincère peut aller à l’église, croire en la Trinité etc., éviter toutes les hérésies, mais toujours avoir un coeur porté avant tout sur le gain d’argent, ou de pouvoir, et dans ce sens être coupable de placer quelque chose au-dessus de Dieu).
Troisièmement, le critère de se tromper sur « une définition plus réstreinte de Dieu », si suivi jusqu’au bout de façon cohérente, demanderait de traiter toutes les erreurs théologiques au sujet de la nature divine comme équivalentes à l’échec de se référer et donc d’adorer le vrai Dieu. Il s’en suivrait qu’au mieux, seul certains théologiens qui formulent les choses exactement correctement se réfèrent vraiment à Dieu et adorent vraiment Dieu. Il se pourrait qu’il n’y ait pas de tel théologien, car les gens décrivent rarement des vérités théologiques complexes d’une manière qu’il ne pourrait pas y avoir d’imperfections ici et là. - [En réponse à des hors sujets sur l’islam en société] Vous voyez, c’est là votre problème — vous passez votre temps à amener des sujets qui sont complètement impertinents à la question très spécifique discutée ici. Ce qui explique pourquoi vous passez toujours à côté de l’argument, répétant de mauvaises objections qui ont déjà été réfutées etc. Que l’islam soit une menace à la société occidentale, de quelle façon l’islam diffère éthiquement de la chrétienté ou du judaïsme, que les libéraux soient naïfs à propos de l’islam, que le salut passe par le Christ seul, etc. — toutes ces choses sont des sujets extrêmement importants. Le problème est qu’elles n’ont rien à voir du tout avec ce qui a été dit dans le post et le sujet du débat.
- [à propos du Coran vu comme co-éternel avec Dieu] c’est intéressant mais je ne vois pas en quoi cela affecte l’argument. Evidemment que je pense que c’est une erreur théologique non seulement fausse mais sérieuse. Mais j’ai déjà expliqué pourquoi les erreurs théologiques sérieuses en soit ne sont pas suffisantes pour saper la référence correcte au vrai Dieu. Ce qui importe c’est si l’affirmation du coran comme étant co-éternel avec Dieu est la sorte d’erreur qui saperait une référence correcte. Vous suggérez que la raison pourrait être qu’elle compromet l’unité de Dieu. Mais cela soulève deux questions: d’abord, cela compret-il réellement l’unité divine? Deuxièmement, si c’est le cas, est-ce d’une façon à saper la référence? Les réponses aux deux questions dépendent de comment nous interprétons l’affirmation que le Coran est co-éternel avec Dieu.
Certainement, ce qui est signifié n’est pas qu’un livre littéralement matériel est co-éternel avec Dieu, mais plutôt que le contenu de ce livre l’est. Supposez que cela est interprété comme signifiant que le Coran existe éternellement comme un objet de pensée divine. Cela serait rappellerait la doctrine Augustinienne selon laquelle les Formes ou Idées Platoniques existent comme archétypes dans l’intellect divin. Maintenant, cette doctrine Augustinienne ne compromet certainement pas l’unité divine. Et si l’affirmation selon laquelle le Coran est co-éternel avec Dieu est interprétée de cette façon, alors ce n’est pas clair en quoi elle compromettrait l’unité divine non plus. (Encore une fois, ça ne veut pas dire que l’affirmation n’est pas une erreur sérieuse — ça l’est. Mais ce qui nous préoccupe ici est de savoir si l’erreur est, spécifiquement, une matière de compromission pour l’unité divine).
Ou supposez qu’à l’inverse, l’affirmation était comprise comme si le Coran dérivait éternellement de Dieu d’une manière semblable à l’engendrement éternel du Fils par le Père chez les chrétiens. Ici, évidemment aucun chrétien ne dirait cette dernière affirmation incompatible avec l’unité divine non plus. Mais si l’affirmation au sujet de la co-éternité du Coran devait être interprétée d’une façon analogue, alors il ne serait toujours pas clair en quoi cela compromettrait l’unité divine non plus.
Pour ces deux interprétations, l’affirmation place le Coran « à l’intérieur » de Dieu, d’une certaine manière. Supposez que nous l’interprétons comme plaçant le Coran éternellement « en dehors de Dieu ». Cela compromettrait plus plausiblement l’unité divine. Mais cela le ferait-il au point de saper la référence au vrai Dieu? Ce n’est pas aussi évident que vous semblez le supposer.
Considérez d’abord, comme je l’ai déjà noté, que les hérétiques ariens n’ont pas échoué à se référer au vrai Dieu, et ce en dépit de leur compromission de l’unité divine dans la mesure où ils considéraient le Fils comme une divinité inférieure. Ainsi, si l’affirmation du Coran co-éternel avec Dieu était interprétée de façon analogue à la perspective Arienne du Fils, il semblerait que l’erreur ne saperait pas la référence au vrai Dieu.
Evidemment, les ariens considéraient le Fils comme créé, et ceux qui disent le Coran co-éternel à Dieu le considère comme incréé. Mais même cette affirmation demande une interprétation. Supposez que ce qui est signifié par cela est que le Coran n’a pas de commencement temporel mais dépend éternellement de Dieu. Il semblerait que ceux qui disent le Coran co-éternel avec Dieu n’attribuent pas la pleine divinité au Coran mais plutôt, encore une fois, prennent quelque chose d’analogue à la perspective arienne. Dans ce cas, encore une fois, il semblerait que l’erreur n’est pas de telle sorte qu’elle sape la référence.
Sur cette dernière interprétation, l’affirmation pourrait être lue comme comparable à l’idée néo-platonique selon laquelle l’intellect et l’âme émanent du principe unique. Ici, il est certainement discutable que les néo-platoniciens se référaient au vrai Dieu en dépit de leurs erreurs — Augustin semble le penser, et je ferai de même. Donc, si l’affirmation que le Coran est co-éternel avec Dieu est comprise de cette façon, alors, encore une fois, il semblerait que cette erreur ne suffise pas pour saper la référence au vrai Dieu