Cet article a été traduit et adapté de l’anglais depuis wherepeteris.com. L’article original a été écrit par Emmett O’Regan le 14 janvier 2021.

Ce n’est un secret pour personne que certaines citations faussement attribuées à saint François d’Assise ont fait leur chemin dans la conscience populaire. La plupart des gens se rendent compte que la célèbre prière de paix de saint François a probablement été écrite au 19ème siècle, et que la citation « Prêchez l’Évangile. Si nécessaire, utilisez des mots », est un pieux sentiment mais qui n’a probablement jamais été prononcé par le saint séraphique. Malheureusement, il existe de nombreuses citations faussement attribuées à saint François d’Assise qui peuvent induire les fidèles en erreur, promouvoir l’erreur doctrinale et alimenter de dangereux récits idéologiques. Deux articles récents sur LifeSiteNews s’appuient sur une telle citation, et dans une vidéo sur le site Web, le fondateur de LifeSiteNews, John Henry Westen, affirme à deux reprises que la citation est incontestablement authentique.
Dans l’un des récents tracts sur le thème apocalyptique de l’archevêque Viganò publié sur LifeSiteNews, il affirme que le pontificat actuel est une préparation pour la venue de l’Antéchrist, ce qui implique fortement que le pape François est l’incarnation ultime du faux prophète biblique décrit dans Apocalypse 13. Cette récente interview de Viganò suit rapidement un autre article sur ce sujet publié par LifeSiteNews par le P. Frank Unterhalt, intitulé Le faux prophète de l’Apocalypse. Ici, le P. Unterhalt utilise une fausse prophétie attribuée à saint François d’Assise afin de suggérer en outre que son accomplissement est réalisé par le pape François infectant l’Église avec des erreurs doctrinales perfides. Comme je l’ai longuement défendu ailleurs, l’idée qu’un pape puisse remplir le rôle de faux prophète de l’Apocalypse contredit le dogme de fide tenenda de l’indéfectibilité du Siège apostolique, et a été rejetée par le Magistère de l’Église à plusieurs reprises. différentes occasions, notamment dans la Constitution dogmatique de l’Église Pastor Aeternus.
Dans l’article ci-dessus, au lieu de s’appuyer sur des sources primaires qui peuvent être reliées de manière fiable à saint François d’Assise lui-même, le P. Unterhalt cite un texte secondaire du chroniqueur franciscain Bartolomeo da Pisa (Barthélemy Rinonico), intitulé De conformitate vitae Beati Francisci ad vitam Domini Iesu, publié vers la fin du XIVe siècle. L’œuvre de Rinonico attribue une prophétie à saint François concernant « un personnage non canoniquement élu, élevé à la Papauté » qui usurpe la chaire de saint Pierre et empoisonne l’Église avec des enseignements hérétiques, le tout afin d’agir comme un type d ‘« anti-Élie » pour ouvrir la voie à la venue de l’Antéchrist.
La prophétie ci-dessus est étroitement liée à un autre texte qui a été largement diffusé lors de l’ascension du pape François à la papauté, qui a également été faussement attribué à saint François d’Assise, et assimile de la même manière le faux prophète de l’Apocalypse à un futur pseudopape. Cet ouvrage est cité dans Œuvres du père séraphique Saint François d’Assise (Londres: R. Washbourne, 1882), qui est tiré de l’ouvrage du XVIIe siècle du frère Luke Waddings, Annales ord. minorum. Le Père Solanus Benfatti a démontré que la source du matériel de Waddings provient d’une collection de dictons contenus dans les œuvres de Conrad d’Offida, datant du début du XIVe siècle. (Voir le P. Solanus Benfatti, « On the paternity of a medieval report of Francis of Assisi foretelling a non-canonically elected pope », New York: 2018). Ici, on dit que saint François d’Assise a prédit la venue d’un « pape destructeur » élu de manière non canonique qui cherchera à démanteler l’Église de l’intérieur en enseignant des doctrines hérétiques :
« Au temps de cette tribulation, un homme, non canoniquement élu, s’élèvera au pontificat qui, par sa fourberie, s’efforcera de conduire les multitudes dans l’erreur et dans la mort. Dès lors, des scandales se multiplieront, notre ordre sera divisé et bien d’autres entièrement détruits, car ils consentiront à l’erreur au lieu de s’y opposer. »
« Il y aura tant de diversités d’opinions et de schismes parmi les gens, les religieux et le clergé que, à moins que ces jours soient raccourcis, selon les mots de l’Évangile, même les élus seront induits en erreur, s’ils ne sont pas tout spécialement accompagnés, au milieu de tant de confusion, par l’immense miséricorde de Dieu. »
« Ceux qui préservent leur ferveur et adhèrent à la vertu avec amour et zèle pour la vérité, souffriront les outrages et les persécutions, persécutés comme rebelles et schismatiques, car leur persécuteurs, exhortés par les esprits démoniaques, affirmeront rendre un grand service à Dieu en exterminant de si méprisables hommes de la surface de la terre. »
« Certains prédicateurs resteront silencieux sur la vérité et d’autres la fouleront aux pieds et la nieront. La sanctification de la vie sera tournée en dérision, par ceux-là même qui la professent ouvertement, car en ces jours-là, Notre Seigneur Jésus Christ ne leur enverra pas un vrai pasteur, mais un destructeur. »
La provenance de la prophétie du « pape destructeur » élu de manière non-canonique ne se trouve cependant pas parmi les écrits authentiques de saint François d’Assise, mais émane plutôt des spirituels franciscains millénaristes qui ont été condamnés comme hérétiques par plusieurs papes au Moyen Âge. Comme le P. Benfatti l’écrit:
« Il existe un domaine académique solide et bien peuplé de l’historiographie franciscaine, vigoureux et rigoureux depuis plus d’un siècle. Et parmi les chercheurs dans ce domaine, publiant continuellement dans une multitude de revues à comité de lecture consacrées exclusivement à ces questions, il n’y en a pas un qui ait attribué ou attribue maintenant le contenu du rapport au Pauvre d’Assise. »
La référence au « pape destructeur » élu de manière non canonique mentionnée dans ce texte visait en fait le pape Boniface VIII afin d’attaquer ses tentatives de réprimer les spirituels franciscains, et les origines de cette fausse prophétie remontent aux écrits de l’un des leurs figures fondatrices, Pierre de Jean Olivi.
Après la mort de saint François en 1226, l’Ordre franciscain a été fortement divisé au cours de sa direction future, en particulier par rapport à leur acceptation de la pauvreté en réaction aux aspirations mondaines de certains de leurs confrères ecclésiastiques. La mesure dans laquelle les vœux de pauvreté devaient être appliqués au sein de l’Ordre laissait les franciscains divisés selon les lignes d’une observation stricte et laxiste de la Règle. Après que plusieurs papes aient donné leur soutien au parti laxiste au sein de l’Ordre franciscain, ceux qui adhéraient à la règle stricte d’observance se radicalisèrent contre la papauté et se tournèrent vers les écrits apocalyptiques de Joachim de Fiore pour s’inspirer de ses idées sur un pape destiné à remplir le rôle du Faux Prophète de l’Apocalypse.
Vers la fin de sa carrière à la fin du XIIIe siècle, Olivi avait composé un commentaire sur le livre de l’Apocalypse qui reposait fortement sur l’eschatologie millénaire de l’abbé Joachim, dont l’œuvre avait été condamnée par l’Église lors des conciles d’Arles en 1260 et 1264. Afin de continuer à proposer leurs croyances hérétiques, les spirituels franciscains ont fait valoir que l’abdication du pape Célestin V en 1294 était invalide et, dans leurs tentatives de rejeter l’autorité papale, ils ont fait valoir que Boniface VIII avait été « élu de manière non canonique » dépeignant le pape comme le faux prophète d’Apocalypse 13. C’est ici que nous trouvons les origines de la théorie papale de l’antéchrist, qui a été utilisée avec des effets dévastateurs par les réformateurs protestants au XVIème siècle. Nous pouvons également voir des parallèles étroits dans ce cas avec la montée moderne du « bénédictisme », qui rejette la validité de l’abdication du pape Benoît XVI afin de dépeindre le pape François comme une sorte de précurseur de l’Antéchrist.
Dans son commentaire sur l’Apocalypse, Olivi écrit l’affirmation sans fondement selon laquelle saint François d’Assise avait secrètement révélé son matériel concernant un pseudopape hérétique à son fidèle compagnon le frère Leo et à un certain nombre de ses proches. Ici, on nous dit qu’une figure apocalyptique du pseudopape assimilée au faux prophète comme l’ « Antéchrist mystique » (Antichristus Mysticus) surgirait et se mettrait à mener une persécution des spirituels franciscains aux côtés de Frédéric II, l’empereur du Saint-Empire Romain Germanique, qu’ils assimilaient à l’ Antichristus Magnus (Grand Antéchrist) :
« D’après les nombreuses choses que Joachim a écrites sur Frédéric II et sa postérité, et d’après les choses que saint François aurait révélées secrètement au frère Léon et à certains de ses autres compagnons, ils pensent que Frédéric avec sa postérité est comme la têtes blessée de ce siècle, et qu’il reviendra au temps de l’Antéchrist mystique en quelqu’un de sa descendance de telle manière qu’il obtiendra non seulement l’empire romain, mais conquerra les Français et leur royaume. Cinq autres rois lui seront alliés. Il érigera en pseudopape un certain faux religieux qui inventera quelque chose contre la règle évangélique. Il fera une mauvaise dispense, faisant évêques parmi les hommes qui avaient professés cette Règle ceux qui se soumettent à lui, expulsant les clercs et les évêques antérieurs qui étaient opposés à la descendance de Frédéric et surtout à cet empereur lui-même, ainsi qu’à lui et à son mode de vie. Il persécutera tous ceux qui souhaitent observer et défendre la Règle purement et pleinement… Mais qui seront ou non ces hommes, je pense que c’est une chose à laisser à la direction divine. Les savants susmentionnés ajoutent qu’à cette époque, la parole de l’apôtre dans 2 Thess. 2:3, « il faut que vienne d’abord l’apostasie », sera en partie accomplie. Alors presque tous s’éloigneront de l’obéissance du vrai pape et suivront le faux pape. Il sera en effet faux, parce qu’il se trompera obstinément contre la vérité de la pauvreté et perfection évangélique, et peut-être parce qu’au-delà de cela, il ne sera pas élu canoniquement, mais soumis au schisme. »
(Peter Olivi, Commentary on Revelation, Trad. [anglaise] Bernard McGinn, Visions of the End: Apocalyptic Traditions in the Middle Ages, p. 211)
Étant donné que la « prophétie » qu’Olivi attribue à saint François d’Assise est manifestement fausse, ce qui est prouvé par son affirmation selon laquelle Frédéric II et Boniface VIII étaient l’Antéchrist et le faux prophète de l’Apocalypse, nous pouvons également rejeter les variantes du commentaire d’Olivi qui ont fait leur chemin dans les œuvres ultérieures de Barthélemy de Pise, Luc de Wadding et Marc de Lisbonne. La grande majorité des œuvres d’Olivi ont brûlé après que son commentaire sur l’Apocalypse fut formellement condamné par le pape Jean XXII en 1326. Olivi était si estimé par les spirituels franciscains que nombre de ses œuvres furent confondues avec celles de saint François d’Assise lui-même, et des fragments de son commentaire sur le livre de l’Apocalypse ont trouvé son chemin dans plusieurs mélanges prophétiques du Moyen Âge tardif, tels que ceux rassemblés par les écrivains franciscains Marc de Lisbonne (mort en 1591) et Luc de Wadding (1588-1697), qui étaient dépouillés de ce contexte original.
La prophétie d’Olivi d’un pape « élu de manière non canonique » assumant le rôle du faux prophète biblique est en contraste frappant avec l’ecclésiologie adoptée par ses contemporains dominicains de renom, saint Thomas d’Aquin et saint Albert le Grand, qui ne permettaient pas la possibilité d’un pape hérétique, basé sur la longue tradition de l’indéfectibilité du Siège Apostolique. Comme le déclare saint Thomas dans son commentaire sur Matthieu 16:18 (point 1847) :
« ET LES PORTES DE L’ENFER NE L’EMPORTERONT PAS SUR ELLE. Jr 1, 19 : Ils te feront la guerre, mais ils ne l’emporteront pas. Et que sont les portes de l’enfer ? Les hérétiques, car de même que [l’hérétique] entre dans la maison par la porte, de même entre-t-on par eux en enfer. Aussi les tyrans, les démons et les péchés. Et bien que les autres églises puissent être stigmatisées par les hérétiques, l’Église romaine n’a cependant pas été corrompue par les hérétiques, car elle est fondée sur la pierre. Ainsi, il y a eu des hérétiques à Constantinople et le travail des apôtres [y] avait été perdu ; seule l’Église romaine est demeurée inviolée. De sorte que Lc 22, 32 [dit] : J’ai prié pour toi, Pierre, afin que ta foi ne défaille pas. Et cela ne se rapporte pas seulement à l’Église de Pierre, mais à la foi de Pierre et à toute l’Église occidentale. Je crois donc que les Occidentaux doivent un plus grand respect à Pierre qu’aux autres apôtres. »
La position de St. Thomas et St. Albert sur l’indéfectibilité du Saint-Siège a été développée par St. Robert Bellarmin et Francisco Suarez, et a finalement été renforcée pendant le premier Concile du Vatican, qui a enseigné que le Christ lui-même établit par la loi divine que » le bienheureux Pierre a des successeurs dans sa primauté sur l’Église universelle « . Le même concile a également enseigné que « ce siège de Pierre demeurait pur de toute erreur, aux termes de la promesse divine de notre Seigneur et Sauveur au chef de ses disciples : » J’ai prié pour toi, pour que ta foi ne défaille pas ; et quand tu seras revenu, affermis tes frères » Lc 22,32. ». Ainsi l’idée d’un pape assumant le rôle du Faux Prophète de l’Apocalypse en liant l’ensemble des fidèles à l’hérésie est donc à rejeter fermement comme un enseignement hétérodoxe qui contredit le dogme de l’indéfectibilité du Siège Apostolique, qui place les adhérents de cette position en dehors de la communion avec l’Église catholique.