Cet article est une traduction française de l’excellent article écrit pour le webjournal Where Peter Is ayant pour auteur Mike Lewis, que tous nos lecteurs anglophones n’hésitent pas une seule seconde à puiser dans cet édifiant webjournal. Pour notre part nous prierons le Seigneur pour leur bonne continuation et pour tous ses journalistes.
«C’est un document contenant 41 000 mots. 41 000 mots. C’est beaucoup. Cette encyclique est -il me semble- la plus longue. Je n’ai pas vérifié, mais elle avait l’air d’être la plus longue. Je vais maintenant vous montrer quelque chose à l’écran que je trouve scandalisant. Je ne suis pas le premier à l’avoir remarqué. Donc c’est document de 41 000 mots.
Taylor Marshall, Pope Francis’ New Encyclical Fratelli tutti: 8 POINT REVIEW, 6 octobre 2020
Regardez-moi ça: Dieu le Père n’est jamais mentionné, Jésus Christ deux fois, Saint-Esprit deux fois. Ce n’est pas un document à propos de notre foi. Ce n’est pas un document à propos de la Trinité ni du catholicisme.
Il parle de l’humanisme, il parle du mondialisme, du naturalisme etc.»
En réponse à la nouvelle encyclique du pape François Fratelli Tutti, la personnalité américaine de la communauté du youtube catholique d’outre-manche Taylor Marshall a usé d’une tactique rhétorique populaire depuis le début du pontificat du pape par ses détracteurs. Je l’ai pour la première fois remarqué en 2013 sur le blog se clamant traditionaliste de Louis Verecchi, dans sa pseudo-analyse d’Evangelii Gaudium. Il pousse le râle suivant: «J’ai jeté un œil aux notes de bas de page sous cette encyclique de 50 000 mots, et, restez-accrochés, un grand total de 20 références pour 217 au total sont puisé dans le magistère précédant Vatican II.» Il compare cette statistique avec celle de l’encyclique Immortale Dei par Léon XIII: «Les notes de bas de page prennent abondamment pour référence l’Écriture-Sainte et contiennent un nombre conséquent de redirection vers les Pères de l’Église.»
Inspectons l’affaire de plus près. Oui, sur les vingt-sept annotations dans Immortale Dei, il est impressionnant d’en trouver vingt et une prenant leur source directement dans la Bible. Et oui, c’est vrai. Il n’y a pas une seule référence à l’écriture dans les annotations d’Evangelii Gaudium. Mais pourquoi ? Tout simplement parce que, dans Evangelii Gaudium quand François référence l’Écriture il le fait directement dans le texte. Si Verrechio (dont la mentalité l’a apparemment depuis conduit au sédévacantisme) avait pris le temps de lire l’encyclique attentivement, il l’aurait peut-être remarqué. Les références à l’Écriture ne sont pas numérotées dans Evangelii Gaudium, donc j’ai pris le temps de les compter. L’encyclique contient donc le nombre astronomique de 207 références à la Révélation écrite chrétienne, dix fois plus que dans l’encyclique de Léon XIII. Et puisqu’il n’y a que vingt-sept annotations en tout, cela veut dire qu’il ne reste que six autres redirections. Comparé à la vingtaine de document prédatant le concile Vatican II dans le document du pape François.
Depuis, cette rhétorique idiote (utiliser la recherche ciblée pour choisir arbitrairement et attirer l’attention sur des «omissions» dans le but de critiquer le magistère) a été employé à foison et de manière répétée par les détracteurs du pape. Prenons pour exemple le cas de LifeSiteNews, plus tôt cette année, qui a publié l’article d’une scientifique décriant un document émanant de l’A.P.V (Académie Pontificale pour la Vie) ayant pour sujet l’épidémie actuelle de Coronavirus, dans ce papier elle critiquait l’Académie pour n’avoir employé le mot «espoir» qu’un total de six fois, une seule «foi» et jamais «grâce». Pour elle, la publication dit alors «Sans utiliser le mot grâce ne serait-ce qu’une seule fois, le document suggère de facto que l’Homme peut sans se convertir à la foi chrétienne se sortir de ses tourments.» Cette omission, selon elle, forcerait le document à adopter «une vision réductrice d’un royaume terrestre utopique dans lequel tous les hommes peuvent jouir d’une vie plaisante». Bien téméraire quand on sait que le document dont elle parle appelle explicitement à la conversion de nos cœurs et de nos intelligences.
Au fil des ans, j’ai rencontré beaucoup d’autres personnes usant de ce genre de tactique pour critiquer le pape. Prenons par exemple, dans son article de 2018 critiquant violemment le document produit par les jeunes avant le synode leur étant dédié cette même année, Matthew Schmitz râle reprochant à certains mot d’apparaître dans cette lettre en lieu et place de ce qu’il voudrait personnellement y voir: «Ils mentionnent les «bars», les «salles de gym», les «parcs», les «cafés», les «stades», les «bureaux», les «prisons», les «orphelinats», les «hôpitaux», les «centres de réhabilitation», les «quartiers chauds», les «régions déchirées par la guerre», les «quartiers de marginaux», les «zones rurales»…apparemment l’Église devrait être partout sauf dans les églises. À un tel point qu’il semblerait que l’attitude envers les endroits sacrés adoptée par ce document soit hostile.» Si nous écoutons monsieur Schmitz apparemment «tout cela mènerai à un nouveau genre d’arianisme pratique, une emphase sur la dimension humaine de l’Église au sacrifice de sa dimension divine.». J’imagine que «rencontrer les gens là où ils sont» ce n’est pas une priorité pour monsieur Schmitz.
Un autre habitué de cette approche est le biographe de saint Jean-Paul le grand, George Weigel. Un de ses habitus est de chercher la petite bête dans les déclarations du pape et notamment quand en 2015 il s’adressait au congrès des États-Unis il écrit dans un article pour First Things: «Il n’a pas parlé de «l’homme et la femme» ou «du père et de la mère», leur préférant la vulnérabilité des enfants.» il s’est tout autant plaint que «François utilise le mot «dialogue» trop de fois.». On peut imaginer que si sa sainteté n’avait parlé que deux fois de dialogue, la critique aurait trouvé d’elle-même un autre mot que le pape a trop mentionné.
Un grand nombre des critiques d’Amoris Lætitia se plaignait que le pape François ne cite pas assez Veritatis Splendor. Pourtant quand on comprend et qu’on lit l’encyclique correctement -et comme Brian Killian l’a démontré dans son brillant article en mai 2019- les deux documents sont parfaitement en harmonie, monsieur l’abbé de Souza écrivait à ce propos, «Dans le texte comme dans les notes de bas de page il n’y a pas une seule redirection vers Veritatis Splendor.» Notons que c’était également un des arguments de la dubia présentée au pape à propos de l’encyclique. Il faut cependant savoir que le pape n’est pas du tout obligé de citer ou de rediriger vers quelque chose lorsqu’il écrit un document magistériel. Lors de cette affaire, ce qui nous semble évident est surtout que les nombreux critiques sont fâchés contre l’évêque de Rome parce qu’il n’a pas écrit ce qu’ils désiraient qu’il écrive, nous sommes heureux d’apprendre que cela constitue maintenant un grave péché d’omission selon ces gens.
Ce qui nous amène à Fratelli Tutti. Phil Lawler dans sa contribution à l’offensive contre le pape, il observe que:
«D’autres pontifes ont souligné l’importance cruciale de mariages sains et de familles fortes comme base d’une société saine. Fratelli Tutti ne mentionne jamais le mariage, et lorsque le mot « famille » apparaît, il s’agit invariablement d’une référence à l’ensemble de la famille humaine, et non à la famille nucléaire.
Tandis que le pape échoue dans Fratelli Tutti à invoquer le magistère pontifical qui le précède, ce n’est qu’un signe du plus gros problème de cette encyclique: une absence de la perspective catholique. Le mot «nouveau» apparaît à peu près deux fois plus que le nom «Jésus». Il n’y ait presque pas voire pas du tout fait mention de la prière, de l’Évangile ou des sacrements. François y écrit beaucoup à propos à propos de l’économie de marché mais on dirait bien que c’est aux frais de l’économie du Salut.»
On va donc regarder de plus près ce qu’il dit. Premièrement, il est vrai que le mot «mariage» n’apparaît nulle part dans le document. Mais j’ai une bonne nouvelle pour vous ! Si vous voulez voir le pape parler du mariage j’ai trouvé un article sur le site officiel du Vatican d’environs 260 pages, il s’appelle Amoris Lætitia et il a été écrit par le primat d’Italie il y’a 4 ans. Si quelqu’un donc veut connaître ce que le pape pense de la famille et du mariage ce serait bien de commencer par le lire. «Famille» apparaît quant à lui 41 une fois dans Fratelli Tutti. Et oui, si on regarde en détail, la plupart du temps c’est en référence à la famille humaine mais pas toujours. Regardons par exemple ce que le dix-neuvième paragraphe dit pour preuve: «Nous ne nous rendons pas compte qu’isoler les personnes âgées, tout comme les abandonner à la charge des autres sans un accompagnement adéquat et proche de la part de la famille, mutile et appauvrit la famille elle-même.»
Le paragraphe 230 se concentre sur l’unité familiale également, la mentionnant cinq fois. Dans un passage on peut lire: «Dans une famille, les parents, les grands-parents, les enfants sont de la maison ; personne n’est exclu. Si l’un d’eux a une difficulté, même grave, bien qu’il l’ait cherchée, les autres vont à son secours, le soutiennent ; sa douleur est partagée par tous.». Mais je suspecte monsieur Lawler de ne pas avoir cherché le pluriel familles qui apparaît une bonne dizaine de fois (17 fois pour le terme anglais families, la langue de monsieur Lawler) et qui se réfère ) chaque fois à l’unité de la famille individuelle.
Ensuite, laissons-nous prendre au jeu et inspectons son deuxième argument, il est fourbe de dire que le mot «nouveau» apparaît deux fois plus que «Jésus». «Nouveau» («New» dans la langue de monsieur Lawler, noté que nous l’avons recherché comme Nouv étant la racine du mot nouveau, «newly» par exemple se traduit «nouvellement»), Jésus lui n’apparaissant que 33 fois. J’imagine qu’il pensait à des phrases comme la suivante du point 77: « Chaque jour, une nouvelle opportunité s’offre à nous, nous entamons une nouvelle étape.». («Comment a t’il trouvé la vergogne suffisante pour dire quelque chose de positif ou de motivant ! Ça ressemble beaucoup trop à l’esprit de Vatican II pour moi !»)
Mais monsieur Lawler s’est un peu fait duper, en anglais le mot «new» apparaît pour désigner une grande variété de concepts et de choses, de «New Testament», à «New York» cinq fois dans les notes de bas de pages. Et bien plus souvent encore le mot «nouveau» est utilisé pour dénoncer une forme perverse d’injustice et d’immoralité qui est la spécialité typique de notre triste époque. Au numéro 14 il écrit: «Ce sont les nouvelles formes de colonisation culturelle.» Il critique également les «nouvelles formes de violence qui menacent le tissu social.». Lawler nous apprend qu’il n’y a «pas ou presque de mention de la prière», c’est tout de même assez osé quand on constate que le pape conclu non pas par une mais deux prières. On peut aussi rajouter que «Évangile» n’apparaît ”que” sept fois mais qu’il y’a de nombreux passages desdits évangiles et que le message de Notre-Seigneur est clairement proclamé tout le long du document.
Il est cependant vrai que le pape, dans Fratelli Tutti, ne parle pas d’une manière intensive (du moins explicitement) de l’économie du Salut. Mais il explique pourquoi dans la sixième section de cette lettre: «Bien que je l’aie écrite à partir de mes convictions chrétiennes qui me soutiennent et me nourrissent, j’ai essayé de le faire de telle sorte que la réflexion s’ouvre au dialogue avec toutes les personnes de bonne volonté.». Mais elle parle bien de «notre Sauveur» et «le Seigneur ressuscité». Le deuxième chapitre du document (n°56b) va jusqu’à citer dans son entièreté le passage de l’Évangile qui parle le mieux de l’économie du Salut selon la doctrine chrétienne. En effet c’est bien dans Luc 10 :25-37 que nous aprennons grâce à l’avocat qui la pose la réponse à la question «Que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ?» notre Seigneur donnant alors au monde la parabole du bon samaritain et concluant en exhortant de toute sa divine autorité: «Va, et toi aussi, fais de même.»
Nous en venons enfin à Taylor Marshall !
Cette personne est sans doute la plus pathétique, intellectuellement malhonnête et possédant le record quant aux tentatives perfides (faites volontairement) d’attaquer le pape qu’il m’a été donné de voir. Comme cité au début de cet article, Marshall remarque que «Dieu le Père»* n’est pas mentionné par sa sainteté dans Fratelli Tutti et que pour Jésus Christ et Saint-Esprit il ne sont que deux fois à l’honneur. J’imagine qu’il nous répondra que techniquement, il ne ment pas et c’est vrai dans un sens: cherchez dans la version anglaise de l’encyclique pour «God the father», «Jesus-Christ» et «Holy Spirit», les nombre correspondent.
Mais ce qu’il oublie de nous dire c’est que «Jésus» apparaît trente fois (toujours dans la version anglaise de l’encyclique, les termes étant traduits différemment en français) et Christ 6 fois. «Christ Jesus (le Christ Jésus)» une fois et «Saint-Esprit» apparaît en réalité trois fois, pas deux comme le disait Marshall, auxquelles il faut ajouter deux mentions de l’«Esprit» qui parlent clairement de la troisième personne de la Très-Sainte Trinité. Effectivement, «Dieu le Père” n’apparait pas clairement dans l’encyclique si on le désigne par cette formule mais plusieurs des entrées pour «Père » font clairement référence à Dieu. On tombe également sur quatre-vingt références pour «Dieu», neuf pour «Seigneur», deux pour «Créateur» et même une pour «Trinité».
Pour le dire autrement, il trompe les gens. Je suis très sérieux en disant ça: c’est une chaîne youtube religieuse pour les gens ignorants et crédules. Je ne le nie pas, ça marche. Mais c’est une manière de faire pour les faibles. Il trompe les gens et il le sait. Il compte sur le fait que la plupart de son audience ne va pas vérifier ce qu’il leur dit, les gens le croient, c’est tout. Il joue à un jeu qui n’est pas que dangereux mais qui est aussi ridicule et il y est bon. Il sait exactement comment exploiter le manque sérieux d’esprit critique chez tant de nos frères. Malheureusement, la plupart des gens dans ce pays et leur Église est dans cette situation de nos jours.
Des centaines de milliers (voir des millions) de chrétiens, des gens impliqués dans nos paroisses et nos communautés sont mené sur le chemin du schisme par Taylor Marshall et les autre personnes de son acabit. J’ai peur que nos évêques ne se rendent pas compte de l’ampleur du problème. Non-seulement ce genre de comportements grandi dans nos paroisses mais aussi chez certains prêtres et séminaristes.
Pour conclure -sur une note un peu amusante- j’aimerai partager des découvertes «aberrantes» d’autres documents magistériels que notre auteur Carlos Colorado a faites, n’utilisant pas plus que les touches CTRL et F sur son clavier.
NB: À la demande de l’auteur original de l’article, les images sont adaptées par moi-même au public français et concernent les traductions françaises de ces textes.


