Cet article a été traduit de l’anglais depuis wherepeteris.com. L’article original a été écrit par Pedro Gabriel le 24 septembre 2019 et mis à jour le 12 avril 2020.
Voir aussi:
Articles de WherePeterIs sur la peine de mort [EN]
La Nef – Peine de mort : pourquoi il n’y a pas « rupture » !

« Tout cela montre que la nouvelle formulation du n.2267 du Catéchisme s’inscrit dans un développement authentique de la doctrine, qui ne contredit pas les enseignements antérieurs du Magistère. Ceux-ci, en effet, peuvent s’expliquer à la lumière de la grave responsabilité des pouvoirs publics quant à la sauvegarde du bien commun, dans un contexte social où les sanctions pénales étaient comprises de manière différente et se pratiquaient dans des conditions où il était plus difficile de garantir que le criminel ne puisse réitérer son crime. »
– Cardinal Luis Ladaria, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi : Lettre aux Évêques à propos de la nouvelle formulation du n° 2267 du Catéchisme de l’Eglise Catholique (CEC) sur la peine de mort.
Introduction
Comme prévu, la révision du paragraphe n° 2267 du CEC concernant la peine de mort par le Pape François a suscité de nombreuses critiques de la part de ses détracteurs habituels. Il est vrai que l’Eglise a enseigné la légitimité de la peine de mort dans certains cas, et (tout récemment) a dit qu’elle pourrait être un recours légitime « si celle-ci est l’unique moyen praticable pour protéger efficacement de l’injuste agresseur la vie d’êtres humains. » (version précédente du CEC 2267 de 1997). L’enseignement révisé qualifie désormais la peine de mort comme « inadmissible » à la lumière d’une meilleure compréhension de la dignité de la personne, d’une « nouvelle compréhension du sens de sanctions pénales de la part de l’État », et du développement de « systèmes de détention plus efficaces […] qui n’enlèvent pas définitivement au coupable la possibilité de se repentir. » (nouvelle version du CEC 2267 de 2018).
Les contempteurs de François soutiennent que ce nouveau développement doctrinal contredit l’enseignement précédent de l’Église et devrait, par conséquent, être rejeté. Pour répondre à cette accusation, de nombreux articles ont été écrits (par exemple, voir ici, ici et là) qui expliquent correctement la continuité de la révision de François avec les enseignements de ses deux prédécesseurs, qui cherchaient à abolir la peine de mort dans le monde.
Cependant, ces apologistes ont tendance à concentrer leur attention sur la continuité de François avec Saint Jean-Paul II et Benoît XVI, mais pas avec le reste du Magistère de l’Église. Les précédentes déclarations magistérielles sur la question, qui remontent aussi récemment que le vénérable Pie XII, semblent beaucoup plus indulgentes quant à l’applicabilité de la peine de mort. Une question légitime se pose donc : l’Église peut-elle se contredire ? Si tel est le cas, pourquoi l’écouter ? Si l’Église peut se tromper sur cet enseignement et le changer, alors peut-être qu’elle peut se tromper sur une myriade d’autres problèmes. Peut-être n’avons-nous pas besoin d’accepter les enseignements de l’Église sur les questions morales et sociales, mais d’attendre simplement qu’ils changent en notre faveur (ou même de faire pression pour cela), comme cela se produit dans toute institution humaine.
D’autre part, le cardinal Ladaria de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a déclaré que :
« La nouvelle formulation du n.2267 du Catéchisme de l’Église Catholique, approuvée par le Pape François, se situe dans la continuité du Magistère précédent et atteste un développement cohérent de la doctrine catholique[12]. »
– Lettre aux Évêques à propos de nouvelle formulation du n° 2267 du CEC sur la peine de mort
En d’autres termes, la continuité est activement recherchée par le pape François et ses proches conseillers.
Il serait donc utile d’explorer la riche histoire de la doctrine de l’Église sur la question pour trouver des réponses à ces objections pertinentes des détracteurs du Pape. De plus, j’ai exploré un précédent biblique sur une question souvent négligée.
I. Dureté de cœur et lois provisoires
Dans l’Évangile, nous lisons comment les pharisiens (qui avaient une conception idolâtre de la Loi) ont tenté de piéger Jésus-Christ en l’interrogeant sur le divorce. Nous lisons :
03 Des pharisiens s’approchèrent de lui pour le mettre à l’épreuve ; ils lui demandèrent : « Est-il permis à un homme de renvoyer sa femme pour n’importe quel motif ? »
04 Il répondit : « N’avez-vous pas lu ceci ? Dès le commencement, le Créateur les fit homme et femme,
05 et dit : À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair.
06 Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! »
07 Les pharisiens lui répliquent : « Pourquoi donc Moïse a-t-il prescrit la remise d’un acte de divorce avant la répudiation ? »
08 Jésus leur répond : « C’est en raison de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de renvoyer vos femmes. Mais au commencement, il n’en était pas ainsi.
09 Or je vous le dis : si quelqu’un renvoie sa femme – sauf en cas d’union illégitime – et qu’il en épouse une autre, il est adultère. »
– Mt 19 :3-9
Comme nous pouvons le voir, Jésus-Christ semble contredire la loi mosaïque, qui autorisait spécifiquement le divorce (cf. Dt 24 :1). Les pharisiens pensaient certainement que cet enseignement du Christ était une contradiction flagrante et évidente avec la tradition éternelle et immuable. Cependant, nous savons aussi que Jésus a dit qu’Il n’est pas venu pour abolir la Loi, mais pour l’accomplir, de sorte qu’aucun iota ou trait de Loi ne puisse être changé (Mt 5 : 17-18).
Il est intéressant de noter que la grande majorité de ceux qui prônent la peine de mort au motif d’une continuité avec les déclarations passées du Magistère sont également de féroces adversaires de notre culture actuelle sur le divorce, qu’ils perçoivent à juste titre comme contradictoire avec l’enseignement du Christ énoncé ci-dessus. Ils ne recherchent pas et ne luttent pas contre la continuité entre les enseignements de Jésus et l’allocation mosaïque pour le divorce, même si les deux sont inscrits de manière inerrante dans les Écritures.
C’est parce que l’Église enseigne que Jésus-Christ est l’interprète faisant autorité de la loi. (Ce n’est pas sans rappeler la façon dont le Pape, agissant en tant que Vicaire du Christ, a le pouvoir de prononcer des jugements doctrinaux et de prendre des décisions disciplinaires dans l’Église (CEC 553)). Par conséquent, les catholiques partisans de la peine de mort reconnaissent l’apparente « dérogation » de Jésus à la loi sur le divorce de l’Ancien Testament.
Jésus justifie ce changement de loi en déclarant que Moïse n’a autorisé le divorce qu’«en raison de votre dureté de cœur». Cela suggère qu’il y a des moments où Dieu tolère un mal en raison du stade de développement du fidèle, tandis que nous approfondissons notre connaissance de la loi de Dieu. Cependant, quand vient le temps où nous atteignons un niveau de développement suffisant et que nous reconnaissons qu’un mal est intolérable (inadmissible ?), alors nous pouvons reconnaître, par des autorités légitimes, que Dieu nous demande de supprimer une formulation plus ancienne d’un enseignement. parce que cela peut devenir une pierre d’achoppement dans notre évolution vers une compréhension plus parfaite et vivre de son Évangile.
Par conséquent, une compréhension précise de la façon dont la doctrine se développe devrait être en mesure de nous aider lorsque nous examinons un sujet spécifique et distinguons ce qui contient un élément de vérité éternelle (et donc l’immuabilité) et ce qui est provisoire sur les meilleurs efforts des fidèles à vivre le mandat évangélique à un moment donné, mais qui peut être un obstacle à l’approfondissement de la compréhension de ce même évangile si nous nous y attachons trop (devenant ainsi une «dureté de cœur»). Par exemple, nous croyons que l’Ancien Testament est inspiré, mais en tant que chrétiens, nous en tirons un code moral sur la façon de nous conduire, tout en ignorant les sanctions pénales (qui étaient subordonnées à un contexte historique qui ne peut être extrapolé à toutes les situations à tout moment).
Comment faire cette distinction ? Encore une fois, Jésus-Christ fournit la réponse dans notre exemple sur le divorce :
II. Retourner « au commencement » – se recentrer sur la tradition
Quand Jésus-Christ dit que la loi mosaïque pour le divorce a été créée « en raison de la dureté de votre cœur », il dit aussi : « Mais au commencement, il n’en était pas ainsi ». Il continue en invoquant le récit de la Genèse, de l’homme et de la femme qui se lient ensemble et deviennent une seule chair, comme une époque précédente à ce dont Il parle.
En d’autres termes, il fait appel à une tradition plus ancienne que celle de Moïse. Il montre quelque chose qui est plus proche, plus primitif de la source qui retrace ses racines « depuis le commencement ».
Au fil des siècles, Dieu a dû faire face à la dureté de cœur de Son peuple élu en complétant cette Tradition par une série de lois pour les guider vers un comportement plus droit. Par exemple, « œil pour œil » (Lév 24 : 19-21) était une avancée majeure dans la morale en ce sens que cela signifiait que la punition devait être proportionnelle au crime. C’était plus humain à l’époque que l’alternative d’une vengeance disproportionnée. Cependant, Dieu n’a jamais voulu dire que « œil pour œil » soit le dernier mot, comme Il nous le dit lui-même en voyant que l’humanité était prête à recevoir une troisième alternative : la charité chrétienne (Mt 5 : 38-42).
D’un autre côté, les pharisiens avaient introduit des couches et des couches de leurs propres interprétations humaines au fondement de la Loi immuable de Dieu. Ils pensaient que ces « traditions » étaient des principes de base de la foi. Ils n’avaient pas le pouvoir de transformer leurs interprétations personnelles en doctrine immuable, mais ils n’étaient pas capables de distinguer leurs propres traditions artificielles de la loi de Dieu, et ils ont résisté à la propre autorité de Dieu de réformer les lois selon Sa sagesse. Ce faisant, cependant, ces pharisiens ont perdu la trace de la raison pour laquelle de telles lois étaient là en premier lieu. Pour beaucoup, les lois sont devenues autoréférentielles et les réalités évoquées par ces lois ont été oubliées.
Pour évaluer de telles lois, « retourner au commencement » est une très bonne idée, car cela nous permet d’analyser ce qui est provisoire et secondaire de ce qui est vraiment fondamental. Un recentrage de la tradition, en quelque sorte.
En « retournant au commencement », Jésus a récupéré une partie de la doctrine qui était plus importante que de permettre le divorce. Il a récupéré ce qui allait devenir le fondement de la doctrine chrétienne sur l’amour conjugal, ce qui nous a permis plus tard de le voir comme un sacrement de la grâce de Dieu.
Suivant les traces du Christ, saint Jean-Paul II a publié sa catéchèse sur la théologie du corps, où il examine le récit de la Genèse étape par étape, nous fournissant des informations sur la sexualité humaine, les relations conjugales et le sacrement du saint mariage. Ce faisant, il s’est avéré être un vrai disciple de Jésus-Christ, car il nous a enseigné à « retourner au commencement » afin de mieux comprendre la tradition et la doctrine.
Pouvons-nous faire de même pour la peine de mort ?
III. Tuer – une logique contraire à l’Évangile
Tout d’abord, nous devons voir si la peine de mort peut en fait être lue à la lumière du précédent de divorce que j’ai établi. Dans un discours qui annonçait la révision actuelle du CEC, le Pape François a déclaré que la peine de mort est « par elle-même contraire à l’Evangile ».
Les apologistes de la peine de mort, désireux de replacer le débat dans leurs propres termes pour mieux contrôler la discussion, sont rapidement passés à la conclusion que cela signifiait que François postulait que la peine de mort était « intrinsèquement mauvaise » (c’est-à-dire qu’elle n’était jamais permise dans aucune situation). Néanmoins, François a dit ce que François a dit : non pas que la peine capitale est intrinsèquement mauvaise, mais qu’elle est contraire à l’Évangile.
C’est, à mon avis, factuel. Le seul exemple (que je connaisse) d’un cas de peine de mort dans l’Évangile (à part la crucifixion dont Jésus – un homme innocent, je vous le rappelle – a lui-même été victime) est l’épisode où les pharisiens ont demandé à Jésus de juger sur la la légitimité de l’application de la peine de mort, comme le prescrit la loi mosaïque, à une adultère prise en flagrant délit (Jn 7 : 53 et Jn 8 : 11).
Jésus-Christ ne renverse pas la loi mosaïque d’une manière aussi claire qu’avant, mais nous pouvons toujours saisir sa préférence. En disant : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre », il nous demande clairement de faire miséricorde à ceux qui se trompent, car nous nous trompons tous de la même manière (et je peux vous rappeler que la sanction éternelle du péché, tout péché , serait la mort éternelle, sans le salut que le Christ a gagné pour nous). Cela semble correspondre aux avertissements de Jésus selon lesquels nous serons jugés avec la même mesure que nous jugeons nous-mêmes les autres (Mt 7 : 2), et que ceux qui tuent par l’épée périra par l’épée (Mt 26 : 52).
La logique de l’Évangile ne semble pas être celle d’exiger une vengeance (pas même une vengeance légitime), mais de « tendre l’autre joue » (Mt 5 : 38-39). Être doux, miséricordieux et artisan de paix fait partie des Béatitudes (Mt 5 : 5,7,9). En fait, la logique de l’Évangile semble être si radicale qu’elle assimile simplement être en colère contre un frère avec le tuer dans son propre cœur (Mt 5 : 21-22).
D’un autre côté, on ne peut nier qu’il y a des portions de l’Évangile où Jésus-Christ semble prôner une sorte de violence (cf. Lc 22 : 36 et Mt 10 : 34), bien que le contexte et le style littéraire de ces passages me semblent suggérer qu’il parlait ici dans un sens plus figuré. Même encore, laquelle de ces deux attitudes mutuellement exclusives est la plus conforme à l’Évangile ? Et lequel devrait guider le développement de la doctrine?
Si nous avons appris quelque chose jusqu’à présent, c’est que si nous voulons comprendre ce qui est vraiment fondamental, nous devons « retourner au commencement ».
IV. Au début – meurtre et punition
Dans le livre de la Genèse, nous pouvons voir que l’homme et la femme ont été créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. Cela signifie que chaque être humain est à l’image de Dieu, lui accordant ainsi une dignité infinie (la dignité qui vient de Dieu).
Cependant, une autre leçon que nous tirons de la Genèse est que dès que l’homme et la femme ont rejeté Dieu – dès que le péché originel est entré dans notre condition humaine – la toute première chose qui arrive… est la mort qui vient dans le monde. Et la première mort humaine est venue sous la forme d’un meurtre, mettant ainsi en évidence le lien entre la mort et le péché.
La toute première personne à mourir après avoir mangé du fruit défendu n’était ni Adam, ni Eve. Non, la mort a d’abord frappé la génération suivante. Leur fils Caïn a assassiné Abel, son frère, par jalousie.
Néanmoins, Dieu ne punit pas Caïn de la peine de mort, même s’Il avait tout à fait le droit de le faire. La vie est un don de Dieu après tout, et la prérogative de la donner ou de la retirer Lui appartient. Mais comme l’explique Jean-Paul II :
« Toutefois Dieu, toujours miséricordieux même quand il punit, « mit un signe sur Caïn, afin que le premier venu ne le frappât point » (Gn 4, 15): il lui donne donc un signe distinctif, qui a pour but de ne pas le condamner à être rejeté par les autres hommes mais qui lui permettra d’être protégé et défendu contre ceux qui voudraient le tuer, même pour venger la mort d’Abel. Meurtrier, il garde sa dignité personnelle et Dieu lui-même s’en fait le garant. Et c’est précisément ici que se manifeste le mystère paradoxal de la justice miséricordieuse de Dieu, ainsi que l’écrit saint Ambroise: « Comme il y avait eu fratricide, c’est-à-dire le plus grand des crimes, au moment où s’introduisit le péché, la loi de la miséricorde divine devait immédiatement être étendue; parce que, si le châtiment avait immédiatement frappé le coupable, les hommes, quand ils puniraient, n’auraient pas pu se montrer tolérants ou doux, mais ils auraient immédiatement châtié les coupables. (…) Dieu repoussa Caïn de sa face et, comme il était rejeté par ses parents, il le relégua comme dans l’exil d’une habitation séparée, parce qu’il était passé de la douceur humaine à la cruauté de la bête sauvage. Toutefois, Dieu ne voulut pas punir le meurtrier par un meurtre, puisqu’il veut amener le pécheur au repentir plutôt qu’à la mort. » »
— Evangelium Vitae (EV), Chap 1, #7
En « retournant au commencement », nous pouvons voir que le premier meurtrier a été épargné de la peine de mort. En effet, il était protégé par Dieu afin que les autres n’exigent pas de violence contre lui pour ses crimes. Jean-Paul II tire de ce récit primordial une leçon importante: « pas même le meurtrier ne perd sa dignité personnelle ». (c’est-à-dire la dignité conférée, selon la Genèse, par la création de l’homme à l’image et à la ressemblance de Dieu).
V. Le malheur de la peine de mort légale – une tradition oubliée mais bien établie
Les apologistes de la peine de mort peuvent rétorquer que la Bible ne se résume pas à Caïn… mais qu’il existe de multiples exemples bibliques où le peuple élu a légitimement imposé la mort à des malfaiteurs, soit par la peine capitale, soit par la légitime défense, soit simplement par la guerre.
Je voudrais cependant signaler que ces cas se sont produits beaucoup plus tard, alors j’hésiterais à les utiliser comme exemples « au commencement ». En dehors de l’existence historique d’Adam, Eve, Caïn et Abel (qui est réelle), ils remplissent un rôle beaucoup plus vaste: leur position primordiale et originelle dans l’Histoire du Salut les transforme en archétypes. En d’autres termes, ces personnages se transcendent, de sorte qu’ils représentent désormais l’humanité tout entière. Jean-Paul II dit de Caïn et Abel: « Ce premier meurtre est présenté avec une éloquence singulière dans une page paradigmatique du livre de la Genèse: une page récrite chaque jour dans le livre de l’histoire des peuples, sans trêve et d’une manière répétée qui est dégradante. » (EV, chapitre 1, 7)
Des récits ultérieurs, écrits après que les nations et les codes de lois aient été établis, se sont déjà produits à un moment où « la dureté des cœurs » a forcé Dieu à permettre certaines concessions, afin que les justes ne soient pas massacrés par les malfaiteurs à une époque remplie de cruauté primitive et de barbarie. Celles-ci ne sont cependant pas représentatives de la condition humaine comme le sont les événements dans Gen 1-4.
Néanmoins, même dans ces derniers récits, nous pouvons voir que les choses ne sont pas aussi simples qu’elles le paraissent. Lorsque le roi David demande de construire un temple à Dieu, on le lui interdit. En revanche, on a permis à son fils Salomon de le faire. Pourquoi ? La réponse réside dans la Bible elle-même :
07 David dit à Salomon : « Mon fils, j’avais à cœur de bâtir une maison pour le nom du Seigneur mon Dieu.
08 Mais la parole du Seigneur me fut adressée : “Tu as répandu beaucoup de sang et livré de grandes batailles ; ce n’est donc pas toi qui bâtiras une maison pour mon nom car tu as répandu devant moi beaucoup de sang sur la terre.
– 1 Ch 22 : 7-8
Nous devons nous rappeler que les morts mentionnés ici étaient des morts légales, non pas des homicides. On sait que David n’était pas un individu sanguinaire : il hésitait à prendre une vie, même si c’était celle d’un ennemi ou d’un adversaire politique. Les guerres qu’il a menées et les peines de mort qu’il a infligées étaient légales et nécessaires, selon l’Écriture elle-même. Et pourtant, même si ces meurtres semblaient être ordonnés par Dieu, ils étaient un obstacle pour que David soit digne de construire le temple du Seigneur.
C’est le début d’une tradition qui s’est étendue jusqu’aux temps de l’Église catholique. Dans l’Église primitive, les soldats n’étaient pas autorisés à être catéchumènes, à moins qu’ils ne s’abstiennent de tuer (cf. Hyppolite de Rome, Tradition apostolique). Et même aussi tard que le siècle dernier, le Code de droit canonique de 1917 interdisait aux bourreaux et aux juges qui imposaient la peine de mort d’être ordonné prêtre.
«L’esprit du ministère sacré est un esprit de miséricorde et de pardon, c’est pourquoi l’Église déclare qu’il est inapproprié d’élever au ministère sacré une personne qui a consenti à obtenir l’exécution d’un homme, aussi légitime et innocente qu’une telle action puisse avoir été.
Dès les premiers temps de l’Église, les hommes qui ont versé du sang humain, même en dehors de toute culpabilité, se sont vu refuser l’admission au ministère sacré »
– Commentaire de Woywod & Smith sur le droit canonique, p. 598, 1957
Il semble que, même lorsqu’il est légal, l’acte de tuer a un effet profond sur celui qui exécute le meurtre. La peine de mort légale est un malheur, même si elle est moralement autorisée ou parfois nécessaire. Elle obscurcit l’âme d’une manière qui ne lui permet pas de toucher la nature profonde de Dieu.
J’en tire une conclusion très audacieuse : je pense que tuer est intrinsèquement malheureux, même s’il n’est pas intrinsèquement mauvais au sens où nous utilisons habituellement ce mot. Lorsque nous disons « intrinsèquement mauvais », nous entendons un acte qui ne peut jamais être justifié moralement, quelles que soient les circonstances. Mais même si un acte n’est pas (moralement) intrinsèquement mauvais, il peut être intrinsèquement malheureux de par sa propre nature (c’est-à-dire ne jamais être un bien moral, même s’il est parfois justifié).
Pour illustrer ce que je veux dire, j’emprunterai une analogie très utile que j’ai lue du P. Angel Sotelo : tuer légalement, c’est comme amputer un membre malade ; cela peut être nécessaire dans une situation désespérée, mais il ne peut jamais être considéré comme un bien en soi ; amputer un membre n’est certes jamais être une bonne chose, car aucune personne en bonne santé ne le fait à moins que ce ne soit vraiment nécessaire. À quel point cela peut-il être irrationnel, par conséquent, si une personne plaide pour l’amputation de membres, même si ce n’est pas nécessaire, simplement parce qu’il y a des moments où c’est le cas ? Imaginez que la médecine ait tellement évolué que nous n’avions plus besoin d’amputer un membre… Pourrions-nous alors nous accrocher à la procédure d’amputation ? Devrions-nous condamner ceux qui ont pratiqué des amputations avant une telle percée ?
En ce sens, je pense que le pape François et les apologistes de la peine de mort parlent dans des plans différents, qui peuvent facilement être réconciliés. Mais pour qu’une telle réconciliation ait lieu, les apologistes de la peine de mort devraient renoncer à leur focalisation exagérée sur le langage « intrinsèquement mauvais » (tel que défini classiquement), puisque ce n’est pas ce qui est en jeu. Il n’est pas non plus constructif de continuer à équivoquer le terme clair (mais non technique) « inadmissible », puisque c’est précisément le libellé que François a choisi pour éviter l’aspect « intrinsèquement mauvais » de ce débat. De telles tactiques de la part des apologistes de la peine de mort me semblent être des tentatives désespérées et légalistes de justifier leur dissidence contre cet enseignement de l’Église… Une attitude qui a incité le pape François à publier cette révision en premier lieu (puisque ces mêmes apologistes utilisaient le « des concessions rares, pratiquement inexistantes » de Jean-Paul II comme échappatoire, transformant l’exception en règle et ignorant la pétition du Pape pour l’abolition).
VI. La dignité humaine – une doctrine chrétienne fondamentale
Pourquoi le meurtre légal est-il considéré comme un mal ? La réponse peut en fait se trouver dans l’une des citations de l’Eglise les plus favorables à la peine de mort (c’est moi qui souligne) :
» Les homicides sont les ennemis les plus acharnés du genre humain et même de la nature ; car ils détruisent, autant qu’il est en eux, l’œuvre de Dieu, en détruisant l’homme pour lequel Il nous atteste qu’Il a fait toutes choses. Il y a plus: comme il est défendu dans la Genèse de tuer l’homme, parce que Dieu l’a créé à son image et à sa ressemblance, celui-là Lui fait une injure insigne, qui porte pour ainsi dire sur Lui une main criminelle, en faisant disparaître son image du milieu du monde. «
– Catéchisme Romain, Chapitre trente-troisième — Du cinquième Commandement, § IV.
En d’autres termes, la raison pour laquelle enlever une vie humaine est un crime [ou malheur] si grave (même en autorisant une punition telle que la peine de mort) est précisément parce que tuer un être humain consiste à imposer la violence à un être créé à l’image et à la ressemblance de Dieu.
Dans la Bible également, dans une autre citation en faveur de la peine de mort, nous pouvons trouver la validation de cette thèse :
06 Si quelqu’un verse le sang de l’homme, par l’homme son sang sera versé. Car Dieu a fait l’homme à son image.
– Genèse 9:6
Encore une fois, nous constatons que le fait de tuer est mal parce qu’il détruit une image de Dieu.
Cependant, ne pouvons-nous pas dire aussi que le meurtrier a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu ? Oui, nous pouvons… et nous devons. Faisant partie de la race humaine, le meurtrier partage également la même dignité humaine qu’il a attaquée par ses crimes.
Il est important de noter que je n’ai pas pu trouver une seule citation du Magistère soutenant la peine de mort qui enseigne qu’un meurtrier perd sa dignité humaine à cause de son crime. Tout au plus, l’accent est mis dans la notion classiquement thomiste selon laquelle le meurtrier a renoncé à son droit de vivre, mais ce n’est pas la même chose que de dire qu’il ne jouit pas de la dignité humaine.
On ne peut pas expliquer le rejet par Dieu de David comme bâtisseur de temple, ou le rejet par l’Église des juges qui enlèvent légitimement des vies humaines au ministère sacré, si ceux qui sont légalement tués n’ont aucune dignité humaine. Si la peine de mort est comme une vache se rendant à l’abattoir, alors pourquoi cela aurait-il un impact sur le fait que quelqu’un puisse accomplir les devoirs les plus sacrés devant Dieu ?
Nous voyons donc ici, dans une tradition la plus ancienne et la plus vénérable de l’Église, les germes de ce qui est devenu la conscience accrue « que la personne ne perd pas sa dignité » que le Pape François invoque pour justifier sa révision du CEC. Cette prise de conscience accrue de la dignité humaine n’était pas quelque chose que François avait inventé à partir de rien, mais était déjà inscrite dans l’enseignement magistériel de l’Église par son prédécesseur Jean-Paul II :
« Meurtrier, il garde sa dignité personnelle et Dieu lui-même s’en fait le garant. »
– Evangelium Vitae, chap. 1, #7
« Mais si des moyens non sanglants suffisent à défendre et à protéger la sécurité des personnes contre l’agresseur, l’autorité s’en tiendra à ces moyens, parce que ceux-ci correspondent mieux aux conditions concrètes du bien commun et sont plus conformes à la dignité de la personne humaine. »
– Version CEC 1997 du paragraphe 2267
VII. Peine de mort – Ce qui est provisoire et ce qui est fondamental
En ce qui concerne le divorce, Jésus distinguait entre les aspects simplement provisoire de la loi, et les aspects fondamentaux de la loi. Les lois provisoires étaient limitées à certains contextes historiques et n’ont pas de sens en dehors d’eux. Celles-ci étaient également secondaires, car il n’y a rien de fondamental à la doctrine chrétienne dans la légitimité de l’émission d’actes de divorce. D’un autre côté, ce qui était vraiment fondamental, c’était une bonne compréhension de la véritable nature indissoluble de l’institution du mariage, en raison de sa dignité originelle et naturelle. Lorsque les lois provisoires menaçaient les enseignements fondamentaux à cause de la « dureté du cœur de l’homme », Jésus-Christ les a supprimées. C’était une évolution irréversible ; l’homme ne peut oublier ce qu’il a appris, et Dieu n’inversera pas non plus le chemin qu’Il a tracé dans l’Histoire du Salut ordonnée vers un accomplissement progressivement plus grand de Son Évangile. Au contraire, les enseignements précédents doivent être lus à la lumière des enseignements développés, tout comme l’Ancien Testament ne peut avoir de sens qu’en étant lu à la lumière du Nouveau Testament.
Nous pouvons voir une situation parallèle avec la peine de mort. Contrairement à ce que de nombreux détracteurs ont dit dans de nombreux articles, le soutien de la peine de mort n’est pas un fondement de la foi chrétienne. Ce n’est pas un principe de base qui, s’il était changé, modifierait radicalement le sens du christianisme. C’est un enseignement secondaire. Elle dépend également de nombreux paramètres variables, à savoir si l’État dispose d’autres moyens pour obtenir les mêmes effets que la peine capitale pour protéger les innocents, comme le montrent les sources magistrales favorables à la peine de mort suivantes (je souligne) :
» Il est une autre espèce de meurtre qui est également permise, ce sont les homicides ordonnés par les magistrats qui ont droit de vie et de mort pour sévir contre les criminels que les tribunaux condamnent, et pour protéger les innocents. Quand donc ils remplissent leurs fonctions avec équité, non seulement ils ne sont point coupables de meurtre, mais au contraire ils observent très fidèlement la Loi de Dieu qui le défend. Le but de cette Loi est en effet de veiller à la conservation de la vie des hommes, par conséquent les châtiments infligés par les magistrats, qui sont les vengeurs légitimes du crime, ne tendent qu’à mettre notre vie en sûreté, en réprimant l’audace et l’injustice par les supplices. «
– Catéchisme Romain, Chapitre trente-troisième — Du cinquième Commandement, § I.
« La condamnation à mort est un moyen nécessaire et efficace pour l’Église d’atteindre ses fins lorsque les rebelles contre elle troublent l’unité ecclésiastique, en particulier les hérétiques obstinés qui ne peuvent être empêchés par aucune autre peine de continuer à perturber l’ordre ecclésiastique »
– Pape Léon XIII, Préface du vol. 2 du «Livre de droit canonique» (Institutiones juris ecclesiastici publici, par le P. Marianus de Luca)
S’il existe d’autres moyens que la peine de mort pour atteindre ces objectifs, alors ces citations pro-peine de mort perdent toute leur force. En fait, c’est précisément ce raisonnement que Jean-Paul II a utilisé pour développer l’enseignement :
» Aujourd’hui, en effet, étant données les possibilités dont l’Etat dispose pour réprimer efficacement le crime en rendant incapable de nuire celui qui l’a commis, sans lui enlever définitivement la possibilité de se repentir, les cas d’absolue nécessité de supprimer le coupable » sont désormais assez rares, sinon même pratiquement inexistants » (Evangelium vitae, n. 56). «
– Version CEC 1997 du paragraphe 2267
Le pape François développe simplement le point de JPII encore plus loin :
» On a également mis au point des systèmes de détention plus efficaces pour garantir la sécurité à laquelle les citoyens ont droit, et qui n’enlèvent pas définitivement au coupable la possibilité de se repentir. «
– version CEC actuelle du paragraphe 2267
Un enseignement dont l’applicabilité est si variable et dépendante du contexte peut-il vraiment être aussi fondamental pour la doctrine chrétienne ? Je ne pense pas.
Qu’est-ce qui est fondamental alors? Quelqu’un peut-il nier que la doctrine de la dignité humaine (même d’un criminel) est un principe beaucoup plus central de la doctrine chrétienne? Certainement pas, car la dignité inviolable de l’être humain, porteur de l’image et de la ressemblance de Dieu, imprègne tout le christianisme, des dogmes de l’Incarnation à l’interdiction de l’avortement et de l’euthanasie.
Par conséquent, si l’enseignement secondaire et dépendant du contexte sur la peine de mort commence d’une manière ou d’une autre à entrer en conflit avec la doctrine fondamentale de la dignité humaine, en particulier si l’humanité a déjà atteint une compréhension suffisante de la dignité humaine pour mériter des comportements plus conformes à la logique de l’Évangile, il est la prérogative (et le devoir) du pape François d’utiliser son autorité pour développer cette doctrine dans sa dernière étape logique et de supprimer les dispositions divines prises uniquement en raison de la dureté du cœur de l’homme.
Conclusion
La nouvelle révision du CEC par le pape François, contrairement à ce qui a été affirmé par de nombreux détracteurs, ne contredit pas la doctrine immuable. En fait, cela s’accorde très bien avec les enseignements précédents, même si cela ne semble pas évident à première vue (comme c’est courant avec les développements légitimes). Nous ne trouvons d’irrésolubles contradictions que si nous insistons (comme les dissidents le font souvent) à équivoquer les concepts, tels qu’ « inadmissible » avec « intrinsèquement mauvais », ou « renoncer au droit de vivre » avec « perdre sa dignité humaine ».
Il est indéniable que le nouvel enseignement du pape François est un développement de la doctrine. Là où l’enseignement précédent de l’Église permettait la peine de mort (même si de plus en plus avec des restrictions de plus en plus strictes), François a maintenant clairement indiqué qu’il est totalement inacceptable pour un catholique contemporain d’être en faveur de la peine capitale.
Les gens qui défendent la peine de mort se réfèrent généralement au concept du Pape Benoît XVI d’« herméneutique de continuité » pour dénoncer tout enseignement de l’Église qu’ils jugent « discontinus » avec les enseignements précédents. Ils oublient cependant que Benoît XVI n’a jamais utilisé le terme « herméneutique de continuité », mais plutôt « herméneutique de réforme (dans la continuité) ». En d’autres termes, même si la continuité est là (et j’espère que cet article l’a prouvé sans aucun doute), il doit y avoir une réforme. Là où il y a réforme, il y a des pratiques et des idées qui sont abandonnées au cours du processus. Tant que le noyau immuable reste intact, le développement est légitime.
Quel est ce noyau immuable ? La doctrine chrétienne fondamentale sur la dignité humaine, même pour le plus grand pécheur. La révision du CEC de François ne contredit pas cela. S’accrocher idolâtrement au soutien de la peine de mort, cependant, peut effectivement contredire le principe chrétien central de la dignité humaine, car il peut exposer un être humain à une destruction inutile. En révisant le CEC, François sauvegarde en fait la nature immuable du christianisme contre ceux qui l’attaquent sous prétexte de la protéger.
À cet égard, je pense que la position anti-peine de mort du pape François est, en fait, un exemple paradigmatique de la façon dont une doctrine peut être développée à travers une herméneutique de réforme dans la continuité.