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Fraternité : un gros mot ?

Ceci est une traduction de l’article rédigé par Pedro Gabriel sur le site Wherepeteris.

Dans sa nouvelle encyclique Fratelli tutti, le pape François met en garde contre le fait que le mot solidarité «n’est pas toujours bien reçu; dans certaines situations, c’est devenu un gros mot, un mot qui n’ose pas être dit.» (N ° 116). Je crois que quelque chose de similaire s’est produit avec la «fraternité», en particulier dans certains coins de l’Église. Cela explique en partie l’aura de suspicion et de malaise manifestée par certains catholiques lorsque la nouvelle encyclique sur la fraternité a été annoncée, avant même que son contenu ne soit connu.

Certes, ce malaise avec le mot fraternité a une justification historique. «Liberté, égalité, fraternité» était la devise de la Révolution française. Malgré son appel à de nombreuses valeurs nobles et idéalistes, la Révolution française a fini par tuer des dizaines de milliers de personnes, la plupart catholiques. Elle a également lancé une période d’intenses persécutions et répressions de l’Église catholique. Ces événements ont imprimé une certaine méfiance à l’égard du mot «fraternité» dans l’Église, qui a fait écho à travers les siècles. Cette suspicion trouve sa plus grande expression chez les catholiques qui ont une vision idéalisée de l’Église avant la révolution.

Dans son encyclique, le pape François a réussi à dépasser cette fausse dichotomie. Il a même eu le courage de s’approprier «Liberté, égalité, fraternité» en utilisant cette devise comme titre d’une sous-section du document (# 103-105). Les catholiques liés à la compréhension susmentionnée du passé ont probablement trouvé qu’il s’agissait là d’une autre confirmation des vues «modernistes» du pontife. Mais est-ce vraiment le cas? Qu’est-ce que le pape François a à nous apprendre sur cette triade de valeurs, et spécifiquement sur la fraternité ?

Catholicisme et assimilation

Le fait qu’une certaine valeur ou idée trouve ses origines dans un cadre non catholique (ou même anticatholique) ne signifie pas toujours qu’elle doit être rejetée. L’une des propriétés les plus fascinantes du catholicisme est sa capacité à absorber les idées de ses adversaires – filtrer de ces idées ce qui est contraire à la foi tout en conservant le bien. Malheureusement, les esprits fortement idéologisés et incapables d’évaluer les idées à leur valeur nominale – y compris celles de nombreux penseurs catholiques – étiqueteront inévitablement ces idées d’une manière tribaliste («est-ce pour nous ou contre nous?»).

St.John Henry Newman, dans son essai sur le développement de la doctrine, a écrit:

« Le phénomène, admis de toutes parts, est celui-ci : cette grande partie de ce qui est généralement reçu comme vérité chrétienne se trouve, dans ses rudiments ou dans ses parties séparées, dans les philosophies et religions païennes… M. Milman en fait valoir…Ces choses sont dans le paganisme, donc elles ne sont pas chrétiennes, nous préférons au contraire dire, ces choses sont dans le christianisme, donc elles ne sont pas païennes. »

Ce que le cardinal-saint veut dire, c’est que le catholicisme fait preuve d’un pouvoir d’assimilation, défini par Newman comme «rien de plus qu’une simple accrétion de doctrines ou de rites de l’extérieur». Il poursuit en expliquant que le fait qu’un concept ou une idée particulière soit plus étroitement associé à une source non catholique qu’à une source catholique ne signifie pas automatiquement que l’idée «a été indûment influencée, c’est-à-dire corrompue par eux, mais que il a une affinité antérieure avec eux. Par «affinité antécédente», il entend les idées et principes qui étaient compatibles avec la foi avant d’être adoptés par un autre groupe ou école de pensée. Le christianisme a-t-il une affinité antérieure avec l’idée de fraternité ? Je pense qu’il serait difficile de nier cela, et la nouvelle encyclique de François en est certainement une bonne preuve.

Il existe cependant une autre façon d’aborder cela. On pourrait soutenir que la fraternité n’est pas simplement une vertu séculière que le catholicisme s’est assimilée après l’avoir purifiée. On peut affirmer que la fraternité a toujours été une vertu catholique. J’y ai réfléchi à la lumière de ce que Chesterton a écrit dans son livre Orthodoxy :

«Le monde moderne n’est pas mauvais; à certains égards, le monde moderne est bien trop beau. Il regorge de vertus sauvages et gâchées. Lorsqu’un projet religieux est brisé (comme le christianisme a été brisé à la Réforme), ce ne sont pas seulement les vices qui sont libérés. Les vices sont, en effet, lâchés, et ils errent et font des dégâts. Mais les vertus se déchaînent aussi; et les vertus errent plus sauvagement, et les vertus font des dégâts plus terribles. Le monde moderne regorge des vieilles vertus chrétiennes devenues folles. Les vertus sont devenues folles parce qu’elles ont été isolées les unes des autres et errent seules.»

Peut-on dire qu’avec la montée de la laïcité, la vertu de fraternité s’est isolée des autres vertus chrétiennes et est devenue folle ? Cela a certainement été le cas à certaines époques et à certains endroits de l’histoire. Mais en regardant l’état de notre monde contemporain – la polarisation de l’Église et de la société, notre culture du jetable, le mépris de la dignité humaine, le tribalisme, l’inégalité économique, l’oppression, l’apathie – notre plus grand défi aujourd’hui est en fait l’inverse. Le problème n’est pas que la fraternité a été isolée des autres vertus et devenue folle. Comme le Pape François le montre très clairement dans Fratelli Tutti, une grande partie du mal qui existe aujourd’hui est la conséquence du fait que les autres vertus sont isolées de la fraternité et deviennent folles à cause de cela.

Quand la fraternité est oubliée

Quand on considère la devise «Liberté, égalité, fraternité» et que l’on regarde le discours politique et historique qui l’entoure, la fraternité semble être le «vilain petit canard» des trois. La liberté et la libération sont des idéaux célébrés. L’idée de l’État démocratique moderne est fondée sur l’égalité humaine. Mais qu’en est-il de la fraternité ? Lorsque nous nous tournons vers cette vertu – curieusement la dernière des trois à être mentionnée – nous entendons surtout des grillons. Selon le pape François, le problème réside précisément dans la liberté et l’égalité excisées de leur fraternité. Il écrit dans Fratelli Tutti :


«La fraternité ne naît pas seulement d’un climat de respect des libertés individuelles, voire d’une certaine égalité administrativement garantie. La fraternité appelle nécessairement quelque chose de plus grand, qui à son tour renforce la liberté et l’égalité. Que se passe-t-il quand la fraternité n’est pas consciemment cultivée, quand il y a un manque de volonté politique de la promouvoir par l’éducation à la fraternité, par le dialogue et par la reconnaissance des valeurs de réciprocité et d’enrichissement mutuel ? La liberté n’est plus qu’une condition pour vivre comme on veut, totalement libre de choisir à qui ou à quoi on appartiendra, ou simplement de posséder ou d’exploiter. Cette compréhension superficielle a peu à voir avec la richesse d’une liberté dirigée avant tout vers l’amour. L’égalité n’est pas non plus atteinte par une proclamation abstraite que «tous les hommes et toutes les femmes sont égaux». C’est plutôt le résultat d’une culture consciente et prudente de la fraternité. Ceux qui ne peuvent être que des «associés» créent des mondes fermés. Dans ce cadre, quelle place y a-t-il pour ceux qui ne font pas partie de leur groupe d’associés, mais qui aspirent à une vie meilleure pour eux-mêmes et leurs familles? L’individualisme ne nous rend pas plus libres, plus égaux, plus fraternels.» (103-105).

La liberté et l’égalité doivent toujours être lues à travers le prisme de la fraternité. Lorsque la liberté et l’égalité sont exercées isolément, sans fraternité pour les équilibrer, les choses se détraquent – comme nous l’avons vu tant de fois au cours de l’histoire, pendant la Révolution française et d’innombrables autres conflits et situations d’oppression. Nous devons embrasser la fraternité. Il ne peut pas devenir simplement un mot vide dans une belle devise, sans application pratique en dehors du domaine des idées abstraites. François nous met en garde contre cette erreur :

« Un moyen efficace d’affaiblir la conscience historique, la pensée critique, la lutte pour la justice et les processus d’intégration est de vider les grands mots de leur signification ou de les manipuler. De nos jours, que signifient vraiment certains mots comme démocratie, liberté, justice ou unité ? Ils ont été pliés et façonnés pour servir d’outils de domination, de balises sans signification qui peuvent être utilisées pour justifier n’importe quelle action. » (FT 14).

Notre engagement envers la fraternité doit être authentique, car sans la fraternité, nous ne pourrons jamais vraiment réaliser la liberté, l’égalité ou presque toute autre vertu.

Vraie Fraternité Chrétienne

Le christianisme donne au mot «fraternité» un sens beaucoup plus grand. Même si le christianisme n’a pas inscrit le mot «fraternité» dans une devise célèbre, la valeur de la fraternité elle-même est présente dans le christianisme depuis le début. Les racines du concept de fraternité sont profondément ancrées dans la foi chrétienne. Comme l’écrit le Pape François dans Fratelli tutti, «Pour nous, la source de la dignité humaine et de la fraternité est dans l’Évangile de Jésus-Christ» (277).

C’est vrai. La fraternité est née dans l’Évangile. C’est juste là, dans les évangiles de Matthieu (Mt 6: 9-13) et de Luc (Lc 11: 2-4). Lorsqu’on lui a demandé de nous apprendre à prier, Jésus nous a enseigné la prière du Seigneur, le Notre Père. Lisons très attentivement les deux premiers mots de cette prière. Si Dieu est un père, et s’il n’est pas seulement mon père, mais notre père, cela implique que nous sommes tous frères et sœurs. Pour les chrétiens, la fraternité est née ici et s’est développée davantage dans les nombreux enseignements du Christ (et par la suite de l’Église) sur la manière dont nous devons traiter le prochain comme un frère ou une sœur.

La vertu de la fraternité a subi la trajectoire boomerang que j’ai mentionnée précédemment. Né du christianisme, il a été approprié par ses ennemis (et «devenu fou»). Il rentre maintenant chez lui (et est «assimilé» dans la foi). Bien sûr, la fraternité est revenue changée. La fraternité, telle que nous l’avons comprise au XXIe siècle, n’est pas identique à ce qu’elle était au XVIIe siècle, dans la chrétienté avant la Révolution française. Ce n’est pas forcément mauvais et cela ne doit pas être considéré avec suspicion. Nous devons grandir avec nos expériences. La fraternité devrait aussi.

Il est inévitable qu’au cours de son voyage à travers le désert de la pensée séculière, la fraternité ait incorporé de nouveaux éléments en cours de route. Si ces éléments ne sont pas mauvais en eux-mêmes, nous devons les laisser être. Mais il est urgent de permettre à la fraternité de revenir au lexique catholique. Ces éléments étrangers peuvent en fait enrichir notre propre culture chrétienne, si nous restons ouverts à la croissance, et si nous cultivons l’attitude d’écoute que le Pape François aime tant. Fratelli Tutti est rempli d’appels à écouter les autres cultures et à apprendre d’elles, même lorsque nous devons rester fidèles à notre propre identité.

A travers cette merveilleuse encyclique, François a permis à la fraternité de rentrer chez elle, ouvertement et sans honte ni méfiance. Il nous fournit la lentille chrétienne à travers laquelle nous devons considérer la vertu de la fraternité. À l’avenir, la fraternité ne devrait pas être un «gros mot». Au contraire, elle doit être intégrée à notre orthodoxie et à notre orthopraxie. De même, il est impératif que les catholiques ne soient pas désireux de fermer ce que les clés de Pierre ont ouvert. François a écrit cette encyclique parce qu’il sait que sans un cadre fraternel pour agir comme correctif, toutes les autres idées et vertus deviendront folles, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Église. Sans une vraie fraternité, nous ne surmonterons jamais la crise morale actuelle qui nous touche tous.

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