Quand le Pape Grégoire XVI reçut cette lettre empreinte d’une si touchante simplicité, il fut ému jusqu’au fond du cœur. C’était lui qui, en 1826, n’étant encore que le cardinal Nicolas della Genga, avait rédigé l’Exhortation de Léon XII aux dissidents. Il chargea le Cardinal Castracane, grand pénitencier, de répondre à François Marilleau.
Voici cette réponse :
A Monsieur François Marilleau, propriétaire au Bourg de Courlay, près Bressaire, département des Deux-Sèvres.
Honorable Monsieur,
Votre lettre m’est parvenue en son temps, et, comme vous le demandiez, je l’ai portée à Sa Sainteté le Pape Grégoire XVI ; elle lui a fait grand plaisir, ainsi qu’à moi et à mes collaborateurs dans la Pénitencerie. Parce que, respectable Monsieur, vous et ceux au nom desquels vous écrivez, vous témoignez, en tant que Dissidents, ou, comme on dit, en tant que sectateurs de la Petite Eglise ; désirer de tout votre cœur et demander de toutes vos forces que le Souverain Pontife vous fasse connaître si vous êtes dans la voie du salut ou bien dans l’erreur ; de plus, parce que vous promettez que vous et eux ferez entièrement et tout de suite ce que je vous prescrirai au nom de Sa Sainteté dans ma réponse à votre lettre, voici ce que je vous réponds, par ordre du Souverain Pontife qui a même lu et examiné cette lettre que vous recevez de moi et qui l’a approuvée comme étant, dans toutes ses parties, l’expression fidèle de ses sentiments.
Je l’ai, à la vérité, écrite en latin qui est la langue de l’Eglise Romaine ; mais, conformément à votre désir, j’ai mis à côté une traduction française que j’ai soigneusement examinée et que vous lirez plus volontiers tout entière avec ceux qui partagent vos sentiments.
Il faut d’abord que vous considériez que la communion d’un homme avec l’Eglise catholique et avec son chef, Vicaire de Jésus-Christ, le Pontife Romain, ne consiste nullement dans le simple matériel des mots, mais qu’elle consiste dans les œuvres et dans la vérité. Quiconque donc résiste opiniâtrement aux décrets du Siège Apostolique et s’éloigne ainsi, par sa coutumace, des sentiments de l’Eglise est certainement étranger à sa communion, quoiqu’il proteste qu’il veut vivre dans sa communion même. Or, c’est là l’état dans lequel vous ont misérablement jetés, par leurs tromperies, les auteurs de votre Dissidence, c’est-à-dire ceux qui, rebelles aux évêques actuels de France ; qui méprisent pareillement l’autorité des Pontifes qui lui ont succédé, savoir : Léon XII, Pie VIII et Grégoire XVI, dont le premier adressa, le 2 juillet 1826, une lettre particulière à vous et aux autres Dissidents sur l’obéissance à rendre à ces décrets. (Je joins ici un exemplaire de cette lettre.) Et ni lui ni les autres pontifes, ses successeurs, n’ont jamais cessé de maintenir ces décrets et de s’y conformer pour donner de nouveaux évêques aux Eglises du royaume qui avaient perdu les leurs.
Enfin, ces auteurs de votre Dissidence méprisent aussi l’autorité des autres évêques de l’Eglise catholique qui, comme on ne peut en douter, communiquent avec les nouveaux évêques et les reconnaissent comme les vrais pasteurs du troupeau du Seigneur.
C’est pourquoi, tant que vous adhérez à des hommes coupables d’une si grande rébellion contre l’autorité sacrée, vous êtes pareillement étrangers à l’union catholique, et le Pape ne peut vous compter de nouveau au nombre des enfants de l’Eglise, si vous ne vous soumettez pas à votre évêque ou à ceux qui, maintenant que l’évêque [Mgr de Bouillé, évêque de Poitiers] est mort [en janvier 1842], ont, selon que le prescrivent les canons, l’administration du diocèse, et si vous ne prouvez pas, par des marques non équivoques de respect et de vénération, que vous honorez l’autorité du Siège Apostolique sur lequel l’Eglise a été fondée par Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Le Souverain Pontife se flatte que vous ferez tout cela sans délai ; et à la nouvelle de votre retour à l’unité, il se réjouira beaucoup dans le Seigneur.
Sûrement qu’alors, les instructions et les secours spirituels ne vous manqueront pas de la part du curé du lieu, ou que l’évêque vous procurera d’autres prêtres convenables pour votre consolation, selon que le demandent les circonstances où vous vous trouvez. Le Souverain Pontife lui-même viendra aussi à votre secours, si dans quelque occasion vous en avez besoin, et il vous donnera la bénédiction apostolique de toute l’affection de son cœur paternel, comme à ses enfants chéris.
Et moi enfin, Monsieur, augurant bien dans le Seigneur et de vous et de ceux qui partagent vos sentiments, je vous proteste à tous de mon dévouement et de mon zèle, sentiments sincères avec lesquels je suis votre serviteur,
Cardinal C. Castracane.
Rome, le 16 avril 1842.
Source : R. P. Jean-Emmanuel-B. Drochon (1894). La Petite Église : essai historique sur le schisme anticoncordataire, pp. 252-254. (Bibliothèque Nationale de France)