Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer

Remarques sur le titre d’« évêque universel »

Il est fréquent d’entendre, que ce soit chez les protestants ou les orthodoxes, que le saint Pape Grégoire le Grand aurait condamné la papauté moderne en plusieurs endroits de ses lettres à Jean, patriarche de Constantinople, qui par orgueil s’était octroyé le titre d’« évêque universel ». Nous reviendrons brièvement ici sur cet épisode afin d’en distinguer le vrai du faux.

« Moi, je dis, sans la moindre hésitation, que quiconque s’appelle l’évêque universel ou désire ce titre, est, par son orgueil, le précurseur de l’antéchrist, parce qu’il prétend ainsi s’élever au-dessus des autres. L’erreur où il tombe vient d’un orgueil égal à celui de l’antéchrist, parce que, comme ce pervers veut être regardé comme élevé au-dessus des autres hommes comme un Dieu, de même quiconque désire être appelé seul évêque s’élève au-dessus des autres. » Saint Grégoire le Grand, Lettres, Livre VII, lettre 33 ; PL 77, col. 891.

L’évêque de Rome chez Saint Grégoire

En premier lieu, remarquons que pour ce qui est de la « lettre », le Pontife romain ne jouit pas officiellement du titre d’évêque universel. Comme nous allons le voir, cette formule peut revêtir plusieurs sens différents dont un est certainement inacceptable, que ce soit pour Saint Grégoire ou pour tout bon chrétien. Dans les faits toutefois – pour ce qui est de l’esprit pourrions-nous dire -, il faut reconnaître que le Pape est, dans l’enseignement de saint Grégoire lui-même, un « surveillant » universel, Episkope en grec (d’où dérive l’episcopus latin), qui a la charge et le soin de l’Eglise toute entière. Nous lisons en effet en plusieurs passages des lettres du saint Pontife qu’il considère l’Eglise romaine qu’il dirige comme dotée d’un certain nombre de privilèges particuliers. En témoignent les paroles suivantes :

  • Se justifiant d’imiter certains usages liturgiques de l’Eglise de Constantinople et demandant à son confrère de Syracuse de mettre fin aux rumeurs de son Eglise selon lesquelles cela constituerait en quelque sorte un aveu de soumission au Siège de Constantinople, Grégoire admoneste : « Que Votre Charité, donc, se rende à Catane lorsqu’une occasion se présentera ; ou bien dans l’Eglise de Syracuse ne dédaignez pas d’enseigner ceux-là qui purent murmurer [à propos de la liturgie de l’Eglise de Rome], tenant une conférence là-bas comme dans un but différent. Quant à ce qu’ils disent à propos de l’Eglise de Constantinople, qui doute qu’elle ne soit soumise au Siège Apostolique ? Et le très pieux seigneur empereur et notre confrère évêque de cette cité ne cessent de le reconnaître. Toutefois si cette Eglise ou quelqu’autre détient quelque chose de bon, moi je suis prêt à imiter mes inférieurs en ce qu’ils ont de bon, tout en leur interdisant ce qui est illicite. »
    Saint Grégoire le Grand, Lettres, Livre IX, 12 à Jean évêque de Syracuse ; PL 77, col. 957.
  • « Il est clair pour tous ceux qui connaissent l’Évangile qu’à la parole du Seigneur la charge de toute l’Église a été confiée à l’apôtre saint Pierre, prince de tous les apôtres ; c’est à celui-ci qu’il est dit : Pierre, m’aimes-tu ? ; Pais mes brebis. C’est à lui qu’il est dit : Voici que Satan a cherché à vous éprouver tous comme on passe le blé au crible, et moi j’ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas, et lorsque tu te seras converti, confirme tes frères. C’est à lui qu’il est dit : Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église et les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle ; je te donnerai les clefs du Royaume des cieux ; tout ce que tu auras lié sur terre sera lié dans les cieux, tout ce que tu auras délié sur terre sera délié dans les cieux. Voici qu’il a reçu les clefs du Royaume céleste, voici qu’on lui donne le pouvoir de lier et de délier, voici qu’on lui confie le soin de toute l’Église et le pouvoir suprême sur celle-ci, et pourtant il n’est pas appelé évêque universel. »
    Saint Grégoire le Grand, Lettres, Livre V, 20 à Maurice Auguste ; PL 77, col. 745-746.
  • « Si une faute est trouvée parmi les évêques, je ne connais personne qui ne soit pas soumis au Siège Apostolique ; mais lorsqu’aucune faute n’exige le contraire, tous sont égaux selon l’estimation de l’humilité. »
    Saint Grégoire le Grand, Lettres, Livre IX, 59 à Jean de Syracuse ; PL 77, col. 996.
  • Tentant de définir ce que doit être un chef idéal, saint Grégoire développe : « Mais nous comprendrons plus pleinement cette disctinction si nous considérons les exemples donnés par le premier des pasteurs. Pierre, en effet, tenant de Dieu la primauté sur la sainte Eglise (sanctae Ecclesiae principatum), refusa la vénération immodérée de Cornelius s’humiliant jusqu’à terre devant lui en disant : « lève-toi, n’agis pas ainsi, mois aussi je suis un homme. » (Actes 10 : 26) Mais lorqu’il découvrit la faute d’Ananie et Saphire, il montra bien vite de quelle puissance il avait été élevé au-dessus des autres. […] Ici la sainteté de l’acte avait mérité la communion de l’égalité, là le zèle de la vengeance manifesta le droit de la puissance. […] La règle suprême, par conséquent, est bien régie lorsque celui qui préside domine plus sur les vices que sur ses frères. »
    Saint Grégoire le Grand, Regulae pastoralis, Livre II, 6 ; PL 77, col. 36.
  • Ailleurs, il remarque sans plus de faste que son prédecesseur avait récemment cassé les actes d’un synode constantinopolitain, tenu sous la présidence de l’évêque de Constantinople, par l’autorité de l’Apôtre Pierre : « Il y a huit ans, au temps de mon prédécesseur Pélage de sainte mémoire, notre frère et co-évêque Jean a tenu un synode dans la ville de Constantinople, prétextant une autre cause, dans lequel il entreprit de se faire appeler [évêque] universel. Ce qu’apprenant aussitôt mon prédécesseur, ayant rédigé des lettres, il cassa les actes de ce même synode par l’autorité du saint Apôtre Pierre. »
    Saint Grégoire le Grand, Lettres, Livre V, 43 ; PL 77, col. 771.
  • A ce même propos, il avertissait en ces termes les évêques grecs : « Que votre fraternité sache donc qu’un certain Jean, autrefois évêque de la ville de Constantinople avait, contre Dieu, contre la paix de l’Eglise et à l’injure et au mépris de tous les prêtres, outrepassé les limites de la modestie et de la mesure en usurpant pour son compte l’orgueilleux et pestilentiel titre d’œcuménique, c’est-à-dire d’universel, par le moyen d’un synode illicite. Ce qu’apprenant notre prédécesseur de vénérée mémoire Pélage, il cassa par une censure parfaitement valide tous les agissements de ce synode, à l’exception de ce qui y avait été fait au sujet de Grégoire, évêque d’Antioche de vénérée mémoire, l’engageant par une réprimande des plus sévères à se garder de ce téméraire et nouveau nom de superstition, et même interdisant à son diacre de processionner avec lui, à moins qu’il ne s’amende d’un agissement à ce point illégitime. […] Et quoique notre très pieux empereur ne permettre pas qu’on agisse là de manière illicite, cependant afin que des hommes pervers, profitant de votre assemblée, ne cherchent à vous faire approuver ce nom de superstition ou pensant assembler un synode sous quelque autre prétexte en vue de l’introduire par de malins artifices, quoique sans l’approbation et l’autorité du Siège Apostolique aucun acte qui soit ne saurait avoir de force (sine apostolica sedis auctoritate atque consensu nullas quaeque acta fuerint vires habeant), je vous implore et vous conjure devant le Dieu tout-puissant de n’assentir là-bas à aucune persuasion, aucune flatterie, aucune pot-de-vin ni aucune menace ; mais au regard du jugement éternel, que vous vous montriez sainement et unanimement opposés à ces ambitions désordonnées ; et, soutenus d’une pastorale constance et de l’autorité apostolique, vous excluiez le loup et le brigand ambitieux. […] Si quelqu’un, ce que nous ne pouvons croire, devait négliger quoique ce soit mentionné ici par écrit, il se verrait séparé de la paix du bienheureux Pierre prince des Apôtres. »
    Saint Grégoire le Grand, Lettres, Livre IX, 58 ; PL 77, col. 1003-1005.
  • « Dans la mesure où il est manifeste que le Siège apostolique est, par l’ordre de Dieu, établi sur toutes les Églises, il y a, parmi nos multiples soucis, une demande spéciale pour notre attention, quand notre décision est attendue en vue de la consécration d’un évêque. […] Vous devez le faire consacrer par ses propres évêques, comme l’exige l’usage ancien, avec le consentement de notre autorité et l’aide du Seigneur, afin que, par l’observance de cette coutume, le Siège apostolique conserve le pouvoir qui lui appartient et, en même temps, ne diminue pas les droits qu’il a accordés à autrui. »
    Saint Grégoire le Grand, Lettres, Livre III, 30 ; PL 77, col. 627-628.

Ainsi nous comprenons bien la morale pragmatique adoptée par le saint Pontife : du moment qu’aucune erreur n’exige le contraire, il convient mieux au chef de l’Eglise de se comporter en égal de ses frères et non pas en tyran ou en « évêque universel », suivant en cela le plus élémentaire principe de subsidiarité. Dans les faits, toutefois, saint Grégoire se sait bel et bien détenteur du pouvoir suprême et de la primauté sur la sainte Eglise, sans l’approbation duquel aucun acte ne saurait avoir de force au sein de cette dernière, auquel tout évêque est soumis tant en matière doctrinale que disciplinaire et il n’hésita d’ailleurs pas à l’exercer lorsque la situation le requérait.

Lettres, Livre IX, 12 à Jean évêque de Syracuse ; PL 77, col. 957.
Lettres, Livre V, 20 à Maurice Auguste ; PL 77, col. 745-746.
Lettres, Livre IX, 59 à Jean de Syracuse ; PL 77, col. 996.
Saint Grégoire le Grand, Regulae pastoralis, Livre II, 6 ; PL 77, col. 36.
Saint Grégoire le Grand, Lettres, Livre V, 43 ; PL 77, col. 771.

Comme nous le voyons donc, saint Grégoire, reconnaît d’un côté que de toute évidence le Christ a bien confié à Pierre la mission universelle d’être le « Surveillant » de son Eglise toute entière. Pourtant, de l’autre, il précise bien que cette mission ne fait pas de lui un évêque universel, du moins pas de le sens que confère saint Grégoire à ce titre, cela peut en effet sembler paradoxal, et on est en droit de se demander pourquoi. Avant de répondre à cette question toutefois, permettons-nous de nous arrêter encore quelques instants sur ce titre d’évêque universel.

Un titre qui n’est pas ipso facto problématique

Remarquons encore que dans l’histoire de l’Eglise, il se trouve justement un saint Patriarche désigné par le titre de « Patriarche universel » dans les Actes du deuxième concile de Nicée : il s’agit de saint Tharaise de Constantinople (784-806), qui a très vigoureusement défendu la foi catholique et apostolique lors de la crise de l’iconoclasme. On trouvera ci-dessous quelques occurrences de ce phénomène au sein des Actes. De la même manière, saint Mennas (ou Menas) de Constantinople, Patriarche de la ville impériale de 536 à 552 et fêté liturgiquement le 25 août, est appelé « Patriarche œcuménique » (ce qui signifie « du monde entier » ou « universel ») dans les Actes du deuxième synode local de Constantinople (536) ; même chose pour le Pape saint Agapet Ier qui est lui aussi désigné par le titre de « Patriarche œcuménique » dans les mêmes Actes. Enfin, dernier exemple : saint Léon II (682-683) est appelé « Pape œcuménique » par l’empereur Constantin IV dans la lettre Coelorum aeternum à l’occasion de la fin du troisième Concile de Constantinople. Si le fait même de porter ce titre ou un titre semblable faisait de la personne un précurseur de l’antéchrist, il nous faudrait conclure paradoxalement que parmi nos saints se trouvent plusieurs saints précurseurs de l’antéchrist !, conclusion qui n’est évidemment guère acceptable pour tout chrétien raisonnable, qu’il soit catholique ou orthodoxe.

Actes du deuxième concile de Nicée ; Mansi XII.
Actes du deuxième synode de Constantinople, session IV ; Labbé V, col. 1048.
Actes du deuxième synode de Constantinople, session I ; Labbé V, col. 991.
Constantin IV, lettre Coelorum aeternum à Léon II ; PL 96, col. 387.

D’autre part, saint Grégoire nous rappelle lui-même que ce titre avait été donné à ses prédécesseurs, mais que ceux-ci l’avaient refusé par humilité : « Votre Fraternité le sait, le vénérable concile de Chalcédoine n’a-t-il pas donné honorifiquement le titre d’universels aux évêques de ce Siège apostolique dont je suis, par la volonté de Dieu, le serviteur ? Et cependant aucun n’a voulu permettre qu’on lui donnât ce titre ; aucun ne s’attribua ce titre téméraire, de peur qu’en s’attribuant un honneur particulier dans la dignité de l’épiscopat, il ne semblât la refuser à tous les Frères. » Une fois de plus, si l’on ne souhaite pas être conduits à attribuer au concile de Chalcédoine un comportement antéchristique, il faut nous refuser à considérer le titre ou la fonction d’évêque universel comme antéchristique en temps que tels, puisqu’ils semblent bien être ce que Chalcédoine considère comme des réalités assumées par le Pontife Romain.
Au vu de tout ceci, une première conclusion semble s’imposer : le titre d’évêque universel n’est pas en lui-même problématique, ni la réalité qu’il signifie concrètement et qui est dans les faits assumée par le Pontife Romain, autrement dit le fait d’avoir mission de paître l’Eglise entière.

Que condamne réellement Grégoire ?

Alors que condamne en réalité saint Grégoire, si ce n’est pas le titre en lui-même ? A vrai dire il nous en donne l’explication en plusieurs endroits : c’est, en effet, parce qu’en s’attribuant ce titre Jean veut réduire l’honneur de ses frères dans l’épiscopat voire leur retirer leur charge que sa conduite est répréhensible : « Loin, bien loin de toute âme chrétienne la volonté d’usurper quoi que ce soit qui puisse, tant soit peu, diminuer l’honneur de ses frères ! ». Ensuite, ce sont encore les motivations qui se cachent derrière la prise de ce titre qui se révèlent être également mauvaises : orgueil, désir de s’élever au sein du collège épiscopal, alors que selon la maxime évangélique, quiconque s’élèvera sera abaissé : « quiconque s’appelle l’évêque universel ou désire ce titre, est, par son orgueil, le précurseur de l’antéchrist. » Selon saint Grégoire en effet, « si un évêque, comme il le pense, est universel, il reste que vous n’êtes pas évêques » (Livre IX, lettre 58). Enfin, en bonne théologie catholique, il faut se rappeler que co-existent au sein de l’Eglise et la juridiction locale de l’évêque, et la juridiction universelle du Pape, qui de ce fait ne détruit ni ne réduit en rien celles des autres évêques. Ce que condamne saint Grégoire est donc tout à fait différent de ce qu’enseigne l’Eglise catholique sur les charges épiscopale, papale et leur fonctionnements propres.
Ainsi, nous pouvons avec assez de certitude conclure ceci : c’est parce qu’il peut être source d’orgueil, se comprendre d’une mauvaise manière, et en conséquence prêter à scandale, qu’il vaut mieux que le titre d’évêque ou de patriarche universel ne soit porté par personne, et non car la réalité à laquelle il renvoie, dans le cas du Pape de Rome, serait ecclésiologiquement incorrecte ; ce dernier, en effet, dispose bien du soin et de la charge de l’Eglise entière, non pas à la manière d’un évêque unique qui prendrait la place de ses frères, mais à la manière d’un père qui veille sur ses fils et se fait arbitre et juste juge de la foi entre eux tous.

Pour aller plus loin

On pourra consulter avec profit :
– Georges BAVAUD, Le Pape est-il « évêque universel », www.aasm.ch/pages/echos/ESM077002.pdf
– Siméon Vailhé, Saint Grégoire le Grand et le titre de patriarche œcuménique, https://www.persee.fr/doc/rebyz_1146-9447_1908_num_11_70_3734
https://philosophieduchristianisme.wordpress.com/2018/04/16/saint-gregoire-le-grand-et-le-titre-d-eveque-universel/
– les Regulae Pastoralis de saint Grégoire en anglais : https://www.newadvent.org/fathers/3601.htm ; ainsi que bon nombre de ses lettres, traduite en anglais à l’adresse suivante : https://www.newadvent.org/fathers/3602.htm

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Créez un site ou un blog sur WordPress.com

Retour en haut ↑

%d blogueurs aiment cette page :