Le concile In Trullo, aussi nommé Quinisexte fut réuni de 691 à 692 par l’empereur Justinien II. Il se veut annexe des Vème et VIème conciles généraux (à savoir Constantinople II et III) et pour cette raison il a parfois été considéré comme pleinement œcuménique et revêtu de cette autorité, particulièrement chez les orientaux. Nous verrons dans cet article par l’étude de quelques réactions des papes que cette affaire n’est pas aussi claire qu’on pourrait le penser.
Constantin Ier (708-715)
Constantin, quatrième successeur de Serge Ier (687-701) – qui avait refusé en bloc le concile pour des raisons diplomatiques – , semble être le premier pape à avoir reconnu In Trullo comme légitime. D’après les deux principales sources sur son pontificat que sont la Chronique de Bède le Vénérable et le Liber Pontificalis, il se rendit à Nicomédie en 710 ou 711 sur ordre de Justinien II, vraisemblablement pour régler les soucis dus à l’acceptation d’In Trullo par l’Occident en général, ses prédécesseurs (à l’exemple de Jean VII) ayant fui la question (cf. Dictionnaire de Théologie Catholique, Tome 13.2, col. 1595). Là, le futur Grégoire II alors diacre qui accompagnait Constantin « répondit à toutes les objections » de Justinien, puis ce dernier, se jetant aux pieds du pape, aurait demandé à recevoir la communion de sa main avant de le renvoyer à Rome après avoir « renouvelé tous les privilèges de son Eglise ».

Malgré le manque de détail concernant cette entrevue, on peut supposer de par le ton très cordial qu’elle semble avoir pris et le bon souvenir que garde le Liber Pontificalis de Justinien II que Constantin reçut le concile In Trullo comme légitime, mais n’accepta cependant pas les canons qui avait posé problème à ses prédécesseurs (en l’occurrence le vingt-sixième ainsi que ceux sur le célibat des prêtres) et convint de tout cela avec Justinien II.
Adrien Ier (772-795)
Adrien Ier, pape durant le VIIème concile œcuménique (Nicée II, 787) est certainement celui qui réserva le plus bon accueil au Quinisexte. Dans sa lettre au concile de Nicée, après avoir cité le 82ème canon du Quinisexte, il affirme la chose suivante : « Quare et easdem sanctas sex synodos suscipio cum omnibus regulis quae iure ac divinitus ab ipsis promulgatae sunt », affirmation qui peut se comprendre de deux manières. La première, qu’on pourrait qualifier d’« orientale » ou d’orthodoxe serait la suivante : « C’est pourquoi, je reçois ces mêmes six saints synodes avec toutes les règles qui furent promulguées par eux ; à bon droit et selon la volonté divine. » Selon cette lecture, Adrien Ier approuverait tous les canons des six premiers conciles (sachant qu’il compte In Trullo comme annexe de Constantinople III et donc faisant partie intégrante du sixième concile) sans exception, parce qu’ils furent promulgués à bon droit et selon la volonté de Dieu. Quant à la seconde interprétation, plus « occidentale » ou catholique, elle consisterait plutôt en ceci : « C’est pourquoi, je reçois ces mêmes six saints synodes avec toutes les règles qui à bon droit et selon la volonté divine furent promulguées par eux. » C’est-à-dire, « je reçois seulement les règles qui furent à bon droit et selon la volonté divine promulguées par eux, autrement dit ceux qui ont été approuvés par mes prédécesseurs et la tradition ecclésiastique en général. » Cette lecture quoique moins naturelle à première vue, présente selon toute vraisemblance plus de cohérence que la première, car on sait en effet, et le Pape Adrien Ier le savait aussi de toute évidence, que tous les canons des six premiers conciles ne furent pas acceptés sans exception par les papes, et pour ne citer qu’un exemple, on prendra celui du vingt-huitième canon du concile de Chalcédoine refusé par saint Léon le Grand (440-461). C’est également la lecture retenue par le Père Laurent dans un article paru dans un numéro de la revue des études byzantines (lien sous l’article). Néanmoins, force est de constater que le pape Adrien suit sur ce point la revendication qui avait été faite en premier lieu par le patriarche saint Tharaise de Constantinople, qui déclarait recevoir les canons d’In Trullo et en particulier le 82ème sur les images comme faisant partie du sixième concile œcuménique, s’inscrivant en cela dans une tradition qui se transmettra en Occident chez Anastase le bibliothécaire ou dans les décrets de Gratien par exemple. Toutefois, il faut reconnaître que cela relève d’une confusion certaine. En premier lieu, Tharaise affirme lors de la quatrième session du deuxième concile de Nicée : « quatre ou cinq ans après le VIe concile œcuménique, les mêmes évêques s’étant de nouveau réunis en assemblée avaient porté les susdits canons [ceux d’In Trullo] », or le concile In Trullo (691-692) a en fait eu lieu dix ans après Constantinople III (680-681), et sur 220 évêques présents à In Trullo, 43 seulement avaient assisté à Constantinople III d’après le décompte fait par le Père Laurent ; Tharaise confond ici avec le synode réunit en 686 par Justinien II pour approuver ce qui avait été fait à Constantinople III.
En conclusion, Adrien accepte la plupart des canons d’In Trullo, qu’il reconnaît comme « annexe » du sixième concile œcuménique, sous réserve toutefois qu’ils ne s’opposent pas aux décrets du Saint-Siège, comme cela sera affirmé plus nettement encore chez son successeur Jean VIII.

Nicée II (787)
Comme dit plus haut, le VIIème concile œcuménique par la voix du patriarche Tharaise associe les décrets du Quinisexte à ceux du VIème concile, sous réserve implicite qu’ils soient approuvés par le pape, conformément à l’usage.
Jean VIII (872-882)
Jean VIII, rapporté par Anastase le bibliothécaire déclare accepter dans une certaine mesure les canons, tant qu’« ils n’étaient pas en opposition avec la foi orthodoxe, avec les bonnes mœurs et les décrets de Rome. », autrement dit il excluait de fait les canons litigieux.

Conclusion
L’attitude la plus assurée à adopter quant au concile In Trullo, à la suite de la tradition ecclésiastique occidentale est donc celle-ci : nous avons là un concile légitime qui ne revêt pas le caractère d’œcuménicité par lui-même. Toutefois, considéré en tant que prolongement du VIème synode général, ses décrets sont pour la plupart acceptables et acceptés, à l’exception bien sûr des canons sur la continence/le célibat des clercs ou portant atteinte aux prérogatives de l’Eglise romaine. Néanmoins, en raison du caractère très oriental et disciplinaire de ces canons et du fait que l’Eglise latine ait presque en tous points adopté une discipline différente, on comprendra aisément qu’il n’ait eu que peu d’influence en Occident et qu’il ne soit pas ou plus cité de nos jours.
Pour plus d’informations sur le Concile In Trullo on pourra se référer :
– notamment pour les réactions de quelques autres papes, à l’article https://philosophieduchristianisme.wordpress.com/2018/08/24/le-concile-in-trullo-691-692-est-il-valide/,
– ou à l’article QUINISEXTE du Dictionnaire de Théologie Catholique (Tome 13.2 col. 1581 sq.),
– à l’article du Père Laurent, L’œuvre canonique du concile in Trullo (691-692), source primaire du droit de l’Église orientale (https://www.persee.fr/doc/rebyz_0766-5598_1965_num_23_1_1339),
– à http://www.orthodoxa.org/FR/orthodoxie/droit%20canon/canons6econcileintrullo.htm pour une liste des canons,
– à la Patrologie Latine de l’abbé Migne, disponible ici au format pdf pour consulter les sources citées plus haut http://www.documentacatholicaomnia.eu/25_10_40-_Imagines.html.