La « carrière » de l’orgue a commencé il y a bien longtemps. La plus ancienne trace connue le fait remonter à Ctésibios, un hydraulicien grec du IIIe siècle avant Jésus-Christ. Devant le défi de créer un instrument puissant, cet inventeur de génie eut l’idée de placer une cloche de métal sur un bassin d’eau, la cloche assurant une pression d’air constante et soutenue pour alimenter des séries de tuyaux d’airain. Assez rapidement, cet instrument dans la source d’énergie permettait de multiplier la puissance du souffle dont on disposait et d’associer plusieurs sons simultanément, lui permit de s’imposer comme source sonore dans les grandes fêtes païennes de l’antiquité grecque et romaine. On en trouve des représentations jusqu’au IVe siècle, comme sur ce sarcophage chrétien de Saint Maximim la Sainte Baume. Par un curieux retournement de l’histoire, c’est ainsi que cet instrument, avant d’accompagner la vie liturgique, avait servi dans les cirques où furent martyrisés les chrétiens des premiers siècles.
Avec le passage de flambeau à la civilisation chrétienne, l’orgue est pendant longtemps resté un instrument de cour dont l’usage était avant tout laïc et festif, mais petit à petit, à partir du Xe siècle, il s’introduisit au sein des églises et prit une place dans le culte, sans doute pour l’aide indéniable qu’il apporte aux chanteurs hésitants, d’autant que les premiers facteurs occidentaux, à la suite de Georges de Venise en 826, étaient des moines. L’art de vivre médiéval à son sommet, c’est à dire à l’époque où le fin amor rassemblait en un même sentiment le respect pour la Sainte Vierge et l’admiration de la dame participa probablement à ce rapprochement. Les orgues firent leur entrée en l’église.
Pour des raisons matérielles, les instruments étaient jusque là restés de taille modeste mais avec les progrès de la technologie dès le milieu du moyen-âge, on développa l’étendue du clavier puis on entreprit de construire des instruments plus vastes, contenant plusieurs jeux (série de tuyaux produisant un son de même timbre). Avec le temps et sans doute incidemment, quand les paroisses plus riches achetaient des instruments plus grand on s’aperçut qu’il était possible de faire dialoguer l’ancien orgue (souvent un orgue-coffre appelé positif) et le grand orgue nouvellement acquis, et quelque ingénieux facteur eut l’idée de renvoyer le clavier de l’un à côté du clavier de l’autre. Aujourd’hui, ces deux claviers possèdent toujours le nom de leur source, on parle encore de positif et de grand-orgue pour les désigner, mais ont trouve maintenant souvent d’autres plans sonores ouvrant davantage la place aux dialogues, complémentarités ou compositions.
L’orgue avait alors presque totalement développé son caractère propre. De l’idée de faire entendre simultanément plusieurs tuyaux présente depuis les origines, à celle de proposer plusieurs registres qui permettent d’associer ou dissocier les jeux en passant par le dédoublement puis le triplement (et parfois davantage) des claviers et donc des plans sonores ou celle de renvoyer des mécaniques de notes à un clavier de pieds, le pédalier, tout fut mis en œuvre pour produire l’instrument de musique le plus polyphonique possible, adapté à l’harmonie en plein essor dans la musique médiévale depuis la découverte des motets.
Après la Renaissance, et surtout aux XVII et XVIIIe siècles, époque d’autre raffinement, on valorisa un goût pour le travail des timbres et leur multiplication. Soit à l’imitation d’instruments de musique divers (flûte, larigot, cromorne, trompette, hautbois…) , soit à celle des sons naturels, on mit sous les doigts de l’organiste une palette véritablement orchestrale. Des esthétiques nationales apparurent. L’âge baroque vit en France et en Allemagne le développement de deux types d’instruments remaquables.
Les ravages de la révolution de 1789, qui dégradèrent les instruments avec leurs églises, l’interdiction de la corporation des organiers et le pillage du plomb pour les guerres napoléoniennes auraient pu avoir raison de la profession dans notre pays, d’autant plus que la diversité des savoir-faire nécessaires au facteur d’orgues qui doit maîtriser tout autant le travail du bois, du métal, de l’étain, de la peausserie que les éléments acoustiques et esthétiques requière une pratique suivie.
Grâce à la coopération de facteurs de toute l’Europe la France retrouva son excellence. Le XIXe siècle, à la suite des perfectionnements techniques issus de l’industrie naissante allait faire apparaître des moyens techniques et technologiques nouveaux. La force des doigts de l’organiste assistée par des relais pneumatiques, et des standards de travail permirent une augmentation presque illimitée de la taille des orgues. Aristide Cavaillé-Coll, le plus illustre facteur d’orgues de l’histoire, a réalisé des instruments dont la qualité sert toujours d’exemple.
Comme pour les autres instruments, la musique a suivi l’amélioration technique et c’est ainsi qu’est apparu le mouvement romantique-symphonique autour de l’orgue de cette époque, qui se renouvelait sans faire oublier le maître incontesté, Jean-Sébastien Bach.
Au XXe siècle, la mutation fut électrique. En premier lieu, un ventilateur remplaça les « forçats » qui devaient soulever les anciens soufflets de forge pour produire le vent, les transmissions de commande de notes furent souvent remplacés pour des commandes électriques, puis à la fin du siècle, des combinateurs électroniques permettaient, sur les plus grands instruments, d’obtenir des combinaisons de tirage de jeux commandées électriquement et même l’assistance ou l’enregistrement des parties jouées par l’organiste. Grâce à l’ingéniosité de ses concepteurs, l’orgue donne l’impression de proposer des possibilités d’usage, de combinaisons, de sonorités quasiment infini. Le net recul en matière de musique qui a suivi la déroute intellectuelle des artistes contemporains ne permet pas aujourd’hui de disposer d’une production à la hauteur de ce que l’instrument permet, mais il est très probable que cette période d’attente qu’on observe un peu dans toute la musique actuelle n’est qu’un mouvement de recul pour mieux rebondir.
Alors que nos frères orthodoxes choisirent de garder uniquement la voix et sa pureté pour soutenir la liturgie, les chrétiens d’Occident préférèrent mettre à son service ce qui leur paraissait le plus représentatif de la grandeur de Dieu. Rassembler le logos et le melos (mélodie, part sensible de l’expression) devait donner sens au chemin de l’humanité vers la divinité comme le définit le concile de Trente. Pendant que Calvin rejetait la polyphonie et les instruments, l’Eglise décida, tout en limitant sa place, d’instituer l’orgue comme instrument liturgique par excellence.
Dans la Constitution sur la Sainte liturgie, le second concile de Vatican, sur la droite ligne du concile de Trente, réaffirme que « On estimera hautement, dans l’Eglise latine, l’orgue à tuyaux comme l’instrument traditionnel dont le son peut ajouter un éclat admirable aux cérémonies de l’Eglise et élever puissamment les âmes vers Dieu et le ciel. » Les autres instruments (y compris les synthétiseurs, « orgues » électroniques ou claviers numériques), s’ils correspondent à la dignité du temple et à l’édification des fidèles sont acceptés mis l’orgue restera le principal et plus adapté support de la prière des fidèles. On oublie souvent dans paroisse l’humble petit frère de l’orgue à tuyaux, l’harmonium (à anches libres) qui, s’il est joué avec sensibilité est souvent aussi un singulier serviteur de la liturgie.
Que ce soit pour célébrer la grandeur de Dieu ou les sentiments de nos âmes, n’hésitons pas à demander son usage, n’ayons pas peur que nos liturgies soient trop belles.
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