Cet article a été traduit de l’anglais et réadapté depuis l’article de David Wanat publié sur wherepeteris.com.
Certaines personnes ont réagi avec hostilité, voire dérision, à mes articles concernant le comportement des détracteurs du Pape, qui ressemblent à Luther ou à Calvin. Vraisemblablement, ils pensent que je veux dire qu’ils partagent les mêmes erreurs sur le plan théologique. Puisqu’ils savent qu’ils ne le font pas, ils pensent que je les calomnie. Mais ils n’ont pas compris ce que j’avais vraiment voulu dire. Qu’ils le réalisent ou non, je pense qu’ils montrent le même mépris pour l’Église qui les contredit et les corrige, comme l’ont fait les fondateurs du protestantisme. Les deux groupes utilisent les mêmes arguments pour nier l’autorité du Pape tout en insistant sur le fait qu’ils sont les vrais chrétiens pour la rejeter.
Pour donner un exemple, regardons comment les deux groupes désignent le Pape Jean XXII :
Pour donner une brève description, Jean XXII était un pape réformateur qui a statué contre les abus d’un certain ordre religieux – les Franciscains Spirituels. Ils en voulaient au Pape à cause de ses restrictions concernant leurs pratiques religieuses et, parce qu’ils pensaient que leurs fins étaient légitimes, ils ont réagi en l’accusant constamment d’hérésie. Ce conflit a atteint son apogée lorsque, lors de certaines homélies privées, Jean XXII a émis l’opinion selon laquelle ceux qui meurent en état de grâce ne connaissent pas la vision béatifique avant le Jugement Dernier. Certains théologiens français ont exprimé leurs préoccupations. Et ils ont convaincu Jean XXII que leur compréhension était correcte. Il a donc changé son opinion personnelle. Rappelez-vous, c’est ce que ses homélies privées étaient : des opinions. Il n’avait donné aucun enseignement formel sur le sujet. Ce qui est important à retenir ici, c’est que l’Église n’avait pas encore défini de dogme à ce sujet, mais certains catholiques pensaient qu’il avait changé l’enseignement de l’Église. Cela ressemble à la façon dont certains catholiques ont mal interprété Benoît XVI lorsqu’il a utilisé un exemple de « prostitué masculin atteint du SIDA » et a pensé qu’il assouplissait l’enseignement sur la contraception. Les Franciscains spirituels ont décrit cela comme « Le Pape enseigne l’hérésie, donc il n’a pas le droit de nous condamner ! »
La question de savoir quand les gens auraient la vision béatifique n’a été définie qu’après sa mort. Le successeur de Jean XXII, Benoît XII, a publié le décret après avoir ordonné aux deux parties de présenter leurs arguments [1]. Si un catholique devait tenir la position de Jean XXII maintenant, une telle personne serait hérétique parce qu’elle tiendrait obstinément une position condamnée par la position définitive de l’Église. De même, nous considérons saint Thomas d’Aquin comme un saint malgré le fait qu’il ne croyait pas à l’Immaculée Conception. Le dogme n’avait pas encore été défini par le Magistère ordinaire ou extraordinaire [2]. Mais si quelqu’un aujourd’hui devait le nier, cette personne serait hérétique.
Dans ce contexte, regardons cette section de l’ouvrage principal de Calvin, intitulé Institution de la religion chrétienne (livre IV, chapitre 7, section 28), lorsqu’il a mal interprété cette affaire pour justifier le rejet de l’autorité des papes :
« 28. Apostasie de Jean XXII
Mais imaginons que l’impiété des pontifes que j’ai mentionnés soit cachée, car ils ne l’ont ni publiée par la prédication ni par les écrits, mais l’ont trahie uniquement à table, dans la chambre à coucher, ou du moins à l’intérieur des murs. Quoi qu’il en soit, s’ils souhaitent que ce privilège (qu’ils allèguent) se maintienne, laissez-les radier de la liste des papes Jean XXII, qui affirmaient ouvertement que les âmes sont mortelles et meurent avec les corps jusqu’au jour de la résurrection. Et pour que vous remarquiez que l’ensemble du siège avec ses principaux dirigeants était alors complètement tombé, aucun des cardinaux ne s’opposa à cette grande folie, mais l’École de Paris poussa le roi de France à le forcer à se rétracter. Le roi interdit à ses sujets de communiquer avec Jean à moins qu’il ne se repentît promptement, et le publia par héraut de la manière habituelle. Obligé par cette nécessité, le pape a abjuré son erreur, comme en témoigne Jean de Gerson, alors vivant. Cet exemple me dispense de devoir débattre plus longtemps avec mes adversaires sur leur déclaration selon laquelle le siège romain et ses pontifes ne peuvent pas se tromper dans la foi, car il a été dit à Pierre: « Mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. » [Luc 22:32]. Certainement, avec ce genre de chute révoltante, Jean XXII est-il tombé de la vraie foi, ce qui est ici une preuve notable de postérité que tous ne sont pas les Pierre qui succèdent à Pierre dans le souverain pontificat. Pourtant, en soi, cette affirmation est si enfantine qu’elle n’a pas besoin de réponse. Car s’ils souhaitent appliquer aux successeurs de Pierre tout ce qui a été dit à Pierre, il s’ensuit qu’ils sont tous des Satan, puisque le Seigneur l’a également dit à Pierre: « Passe derrière moi, Satan ! Tu es pour moi une occasion de chute » [Matt. 16:23]. En effet, il nous sera aussi facile de leur retourner ce dernier qu’il leur est facile de nous lancer l’autre. »
Selon le raisonnement de Calvin – parce qu’un Pape a cru de façon privé quelque chose, qui n’était pas encore défini, d’une façon différente de ce que nous professons aujourd’hui, – cela était une « preuve » que les Papes pouvaient formellement « enseigner l’erreur ». Donc l’Eglise Catholique ne pourrait pas être la vraie Eglise.
La multitude actuelle de dissidents ne veut pas aller aussi loin. Ils veulent seulement prétendre que les Papes qu’ils n’aiment pas peuvent enseigner l’erreur et, par conséquent, être ignorés. Tandis que les Papes qu’ils aiment peuvent être obéis. Mais cela pose des problèmes. Logiquement :
- Tous les Papes sont humains.
- Tous les humains sont pécheurs [3].
- Par conséquent tous les Papes sont pécheurs.
Vous pourrez toujours trouver des choses embarrassantes dans les actions de n’importe quel Pape. N’importe quelle critique qui veut refuser l’obéissance peut utiliser cet argument. Lorsqu’un groupe soutient qu’elle n’a pas à obéir au pape François à cause de ses « erreurs », tandis qu’un autre soutient qu’elle n’a pas à obéir à Saint Jean-Paul II à cause de ses « erreurs », qui décide si ces revendications ont du mérite ? Si un détracteur peut juger de l’orthodoxie d’un pape, alors chaque pape est sujet à erreur, et nous pourrions aussi bien accepter le raisonnement de Calvin – ou celui des sédévacantistes.
Même si les dissidents d’aujourd’hui accusent le pape François de « protestantiser » l’Église, ils font la même erreur que Calvin : ils traitent une erreur personnelle sur une question indéfinie (ou, dans le cas du pape François, ils pensent que le pape est dans l’« erreur ») comme une « preuve » de l’hérésie et l’utiliser pour rejeter l’Église en cas de désaccord. Bien sûr, Calvin va plus loin dans son rejet, l’amenant à la conclusion « logique » qui vient avec le fait de nier que Dieu protège le Pape dans tous les cas, mais les détracteurs de François suivent le même chemin qui les conduit à rejeter l’usage légitime de l’autorité papale.
Ces détracteurs devraient être prudentes. Rejeter l’obéissance d’un pape est un acte schismatique (canon 752), et accomplir un acte schismatique tout en prétendant être les vrais fidèles montre une incapacité à comprendre l’Écriture ou la Tradition. Comme l’a dit saint Jean-Paul II (Ecclesia Dei n°4) :
« A la racine de cet acte schismatique, on trouve une notion incomplète et contradictoire de la Tradition. Incomplète parce qu’elle ne tient pas suffisamment compte du caractère vivant de la Tradition qui, comme l’a enseigné clairement le Concile Vatican II, «tire son origine des apôtres, se poursuit dans l’Eglise sous l’assistance de l’Esprit-Saint: en effet, la perception des choses aussi bien que des paroles transmises s’accroît, soit par la contemplation et l’étude des croyants qui les méditent en leur cœur, soit par l’intelligence intérieure qui’ils éprouvent des choses spirituelles, soit par la prédication de ceux qui, avec la succession épiscopale, reçurent un charisme certain de vérité (Conc. Vatican II. Constitution Dei Verbum, n· 8; cf. Conc. Vatican I. Constitution Dei Filius, ch. 4: DS 3020.)».
Mais c’est surtout une notion de la Tradition, qui s’oppose au Magistère universel de l’Eglise lequel appartient à l’évêque de Rome et au corps des évêques, qui est contradictoire. Personne ne peut rester fidèle à la Tradition en rompant le lien ecclésial avec celui à qui le Christ, en la personne de l’apôtre Pierre, a confié le ministère de l’unité dans son Eglise (Cf. Mt. 16. 18; Lc. 10. 16; Conc. Vatican I, Constitution Pastor æternus, chap. 3: DS 3060.). »
Si les critiques catholiques modernes ne veulent pas être comparées aux fondateurs du protestantisme, elles devraient donc s’efforcer d’éviter les formes de schisme et de ne pas penser qu’ils ne peuvent pas être coupables parce qu’ils ne partagent pas la forme du schisme de Calvin.
[1] Cela ne signifie pas que l’Église aurait pu tout aussi facilement la définir dans l’autre sens. Dieu protège Son Église contre les enseignements erronés.
[2] Oui, le magistère ordinaire fait autorité. Bérenger a été condamné pour avoir nié la Présence Réelle, qui n’était pas infailliblement définie jusqu’en 1215, mais avait été systématiquement enseignée avant.
[3] Évidemment, nous ne nions pas ici l’Immaculée Conception. Je confesse que Notre-Dame a reçu, dès le moment de la conception, une grâce spéciale qui l’a gardée de tout péché. Mais le reste de l’humanité est concerné par cette prémisse.