Sommaire :
I. Position du problème.
II. Liberté de la discussion.
III. La question du nombre des élus dans la sainte Ecriture.
IV. La tradition et le nombre des élus.
V. Les considérations théologiques et le nombre des élus.
VI. Conclusion.
V. LES CONSIDÉRATIONS THÉOLOGIQUES
— Nous pouvons grouper sous quatre chefs les considérations théologiques apportées ordinairement en faveur du petit ou du grand nombre des élus : 1° raisons de convenance; 2° raison d’analogie; 3° portée morale de chaque opinion; 4° argument de fait.
1° Raisons de convenance.
— Elles peuvent se ramener toutes à cette pensée que l’honneur de Dieu, le succès de la rédemption, les intérêts de la gloire du Christ, la bonté et la miséricorde de Dieu demandent que la majeure partie du genre humain ne soit pas damnée. Comme le dit Suarez dans un texte rapporté ci-dessus, voir col. 2351, « il est convenable que le bien et non le mal se trouve chez le plus grand nombre. »
C’est aussi la pensée du F. Joseph de Saint-Benoît : « L’empire du Christ doit être plus peuplé en fils de lumière et de bénédiction que le royaume de Satan en fils de ténèbres et de malédiction : car le Christ, monarque glorieux dont la puissance, la sagesse et la bonté sont infinies, ne saurait user d’étroitesse dans le choix de ses amis, ni permettre que Satan pût se targuer du nombre plus considérable de ses sujets. » Opusc, arg., n. 3, 4. Le P. Faber dit de son côté : « L’inconcevable magnificence de Dieu nous porterait à supposer a priori que le nombre des élus qui forme une des plus grandes gloires de sa création, doit être bien au-dessus de tout ce que nous pouvons attendre : l’expérience n’a-t-elle pas toujours justifié cette prévision? Dieu n’a-t-il pas toujours fait plus qu’il n’avait promis jusqu’à dépasser nos espérances?… Est-il admissible que ses bontés s’arrêtent ou pouvons-nous supposer qu’il change tout d’un coup, quand il s’agira, non seulement de notre bonheur éternel, mais de l’honneur de son Fils bien-aimé et des intérêts de sa propre gloire ? Cette pensée a quelque chose de si contraire à ce que nous avons observé, que, pour l’admettre, il faudrait qu’elle fût révélée, » Le créateur et la créature, 1. III, c. II. Cf. Castelein, op. cit., p. 189, 190, 267; Mo r Bougaud, op. cit., p. 364; M. Mauran, op. cit., p. 19.
Telles sont les raisons de convenances qui militent en faveur de la thèse du grand nombre des élus. On reproche à ce raisonnement son origine. Gravina l’employa, et il l’avait emprunté à un dialogue intitulé : De amplitudine beati regni Dei, œuvre d’un calviniste Cœlius Secundus Curio, condamné par l’Eglise. — Cette critique ne prouve rien, car on peut en dire autant de l’ouvrage d’Amelincourt qui en avait emprunté les idées aux Réflexions morales, écrit janséniste de Quesnel.
Bergier, dans son Dictionnaire, art. Élu, dit que ce raisonnement est faux en lui-même et absurde à tous égards. « Il est monstrueux, dit-il, de mettre l’honneur de Dieu dans la dépendance de la volonté perverse de ses créatures; l’argument est absurde parce qu’il suppose que le démon a autant de part à la réprobation des méchants que Jésus-Christ en a au salut éternel des saints, que les premiers sont perdus parce que le démon a été le plus fort et Jésus-Christ le plus faible… Une autre absurdité est d’envisager le sort des bons et des méchants comme un combat entre Jésus-Christ et le démon, dans lequel Jésus-Christ fait tout ce qu’il peut pour sauver une âme, sans en venir à bout, comme si le salut était l’ouvrage de la seule puissance du Sauveur, sans la coopération libre de l’homme. Le démon a-t-il donc plus de pouvoir qu’il ne plaît à Dieu de lui en accorder? » Le nombre des élus importe peu à la gloire de Dieu, que la justice divine soit glorifiée ou que ce soit la miséricorde, c’est toujours Dieu qui est glorifié. « Une seule âme sauvée est un chef-d’œuvre auquel concourent toutes les perfections divines, de concert avec la liberté humaine; une seule créature glorifiée et admise à la vision béatifique est une merveille de beauté, plus étonnante et plus ravissante que toutes les merveilles réunies de la terre et des cieux… Ici, il ne s’agit pas de compter, mais de peser : non numeranda, sed ponderanda. Un seul élu pèse plus dans la balance de la gloire divine que l’enfer tout entier. » Monsabré, loc. cit.
La seule réponse certaine à faire aux arguments de convenance, c’est la remarque de Contenson : « Les raisons de convenance, dit l’illustre dominicain, sont excellentes pour nous démontrer la sagesse des œuvres de Dieu quand il s’agit d’oeuvres accomplies et qui nous sont connues, mais non quand il s’agit d’œuvres à accomplir ou en général d’œuvres qui ne nous sont pas connues ou que nous ne connaissons que par conjecture. » Cf. Billuart, De incarnatione, diss. III, a. 3. Or, tel est le cas présent : nous ne connaissons pas le nombre des élus, ni absolu, ni relatif; les raisons de convenance n’ont qu’une faible portée, là où l’Ecriture sainte et la tradition sont muettes.
2° Raisons d’analogie.
— La plus grande partie des anges est sauvée : nul doute qu’il ne faille raisonner sur le salut final de la nature humaine comme les plus grands docteurs l’ont fait sur celui de la nature angélique. L’argument d’analogie, tiré de la nature angélique, favorise même la nature humaine, incomparablement plus faible, il est vrai, mais bien moins portée à l’orgueil, et ayant contre sa faiblesse native un secours de grâce et de miséricorde incomparablement plus abondant, celui que Notre-Seigneur nous a mérité par la rédemption. Castelein, op. cit., p. 272 sq.
L’analogie n’est pas évidente, et l’argument ne conclut pas : la proportion des hommes qui se laissent entraîner au mal est de beaucoup supérieure à celle des anges. Pour les hommes « le mal provient de ce qu’ils suivent les biens sensibles, plus à la portée du grand nombre, en laissant le bien de la raison que très peu découvrent. Mais dans les anges, il n’y a que la nature intellectuelle, et, par suite, l’argument ne vaut pas. » Telle est la réponse de saint Thomas, Sum. theol, a, q. lxiii, a. 9, ad 1 um ; dans l’art 2 um , le docteur angélique s’était objecté le même argument d’analogie, mais a pris l’inverse pour conclure au petit nombre des anges élus. Il y réplique en rappelant simplement la réponse ad l um . La réponse est-elle péremptoire? On ne saurait l’affirmer, car il y a tant d’autres éléments de la question qu’elle laisse dans l’ombre ; mais ce qu’on peut affirmer sans crainte de se tromper, c’est que l’analogie qu’on veut établir entre la nature angélique et la nature humaine ne repose, au point de vue du salut final des hommes, que sur des raisons de convenances. Or, ce sont des faits qu’il faudrait.
3° Portée morale de chaque opinion.
— Les partisans des deux opinions se renvoient les uns aux autres des arguments, qui, parce qu’ils sont exclusifs, se détruisent les uns les autres. Les rigides traitent leurs adversaires de « laxistes », et les laxistes ne manquent pas de signaler le « rigorisme » des autres; et les doctrines sont elles-mêmes ainsi diversement appréciées. La thèse du grand nombre des élus est considérée comme de l’apostolat à rebours. Godts, op. cit., p. 482. Les méchants y puiseront une fausse sécurité, les bons y trouveront une pierre d’achoppement; quant aux partisans d’une vie libre et d’une morale facile, une semblable thèse détruit leurs velléités de conversion et les confirme dans des mœurs en contradiction flagrante avec la croix de Jésus-Christ. Maréchaux, op. cit., p. 56. — Thèse d’ailleurs inutile, car, que l’on admette le petit nombre des élus ou celui des damnés, les motifs de confiance et les motifs de crainte restent les mêmes, et n’y eût-il qu’un damné sur cent mille, on peut toujours craindre d’être celui-là si l’on ne fait pas son devoir.
Les théologiens de l’opinion adverse ne manquent pas de répondre du tac au tac; on n’a pas le droit, disent-ils, pour frapper plus vivement les imaginations et dompter plus énergiquement les volontés, d’inventer un terrorisme, que ne justifie pas l’Évangile. Castelein, op. cit., p. 303. « L’Évangile est un code de bonté et d’amour, et l’on ne manque pas de rapporter tous les textes cités déjà plus haut. Voir col. 2362. Le développement de cette pensée est trop facile pour que nous nous y arrêtions. Pour éviter le reproche de laxisme, il suffit de rappeler le double mystère qu’une foi éclairée ne perd jamais de vue : mystère de la justice divine, que la miséricorde n’annule pas, mystère de la distribution des grâces et de la prédestination finale, qui doit stimuler notre volonté dans le bien et refréner efficacement les tendances de la nature au relâchement. Le rigorisme, fondé sur les terreurs exagérées de la justice divine, tue ou paralyse les initiatives d’où sortent les grandes vertus et les grandes œuvres; l’espérance est troublée par la préoccupation presque exclusive des moyens d’échapper aux peines éternelles; le mobile désintéressé de la charité est comprimé et paralysé par la crainte excessive de l’enfer qui nous empêche d’aimer Dieu en lui et pour lui. La vraie doctrine du salut, au contraire, soutenant notre espérance, s’inspirant de l’invincible foi en la bonté divine, fournit les plus puissants mobiles et les plus énergiques impulsions à toutes nos initiatives pour le bien. Castelein, op. cit., c. vi, passim.
Qui ne voit la part de vérité de ces arguments pour et contre ? Mais parce que les auteurs qui s’abritent derrière ne voient que leur point de vue particulier, ces arguments, trop exclusifs, ne portent pas. La thèse du petit nombre des élus peut produire des effets salutaires, par la juste crainte qu’elle inspire des jugements de Dieu; la thèse du grand nombre peut relever bien des courages abattus; mais qu’on y fasse attention, ce n’est point l’opinion du grand nombre ou du petit nombre qui obtient ce résultat heureux, c’est la pensée de la miséricorde ou de la justice divine qu’elle reflète. Mais aussitôt que de cette pensée on veut tirer autre chose que les enseignements qu’elle contient, on tombe dans l’exagération, dans l’exclusivisme, dans l’absurde.
4° Reste l’argument de fait
La situation réelle des hommes par rapport à leur salut. C’est le seul argument sérieux, qui, malgré les innombrables conjectures qui l’accompagnent nécessairement, peut fournir seul quelques indications sur le nombre des élus.
Tous les membres de la famille humaine ne passent point du temps à l’éternité dans les mêmes conditions de responsabilité. Les deux tiers peut-être, qu’ils aient ou non atteint l’âge de raison, meurent sans avoir eu l’usage régulier de leur libre arbitre. Voici comment on suppute ce nombre : au dire des médecins, les fausses couches étant plus fréquentes que les accouchements à terme, on peut dire que le nombre des enfants morts dans le sein maternel est au moins égal à celui des vivants. En additionnant ce nombre avec celui des enfants morts avant l’âge de raison et des autres irresponsables, on atteint facilement les deux tiers de la mortalité humaine. La grande majorité, selon toute apparence restée ensevelie dans sa déchéance originelle — il faut encore tenir compte de la possibilité de la sanctification de ces enfants par Dieu lui-même, cf. S. Thomas, Suni. theol., III a , q. lxviii, a. 2, ad l 1 ; Pallavicini, Hist. du concile de Trente, 1. VIII, c. ix ; Ami du clergé, 1902, t. xxiv, p. 499 sq. — ne doit être classée ni parmi les bénis de Dieu, ni parmi les maudits, elle constitue la classe des déshérités. Ainsi, la région de l’autre inonde, en définitive la plus peuplée d’êtres humains, serait celle que dans le langage catholique usuel on nomme « limbes des enfants ». P. Jean-Baptiste, op. cit. Nous avons déjà fait remarquer plus haut que cette nombreuse catégorie, selon le tempérament des théologiens, avait servi pour appuyer tantôt l’opinion rigide et tantôt l’opinion large. Voir col. 2355.
Après cette classe des déshérités, il y a la classe des enfants morts avec le baptême, et celle-ci de jour en jour s’augmente, à mesure que les religions chrétiennes progressent dans le monde; aujourd’hui les chrétiens forment à peu près le tiers de la population totale du globe. Il n’y a point ici, en effet, de distinction à faire entre catholiques, schismatiques, hérétiques; dès lors que le baptême est conféré à un enfant au nom de la sainte Trinité, ce baptême est certainement valide et assure à cet enfant, s’il vient à mourir avant l’âge de raison, l’entrée immédiate du ciel. Or, un tiers des enfants meurent avant l’âge de raison : c’est donc déjà, au moins actuellement, plus d’un dixième du genre humain assuré de son salut éternel.
Enfin, parmi les adultes, les plus favorisés sont certainement les catholiques : beaucoup meurent encore avant l’âge des passions et risquent moins de voir leur salut compromis; les autres, il faut l’avouer, vivent en grande majorité assez, mal; mais quand, suspendus sur le bord extrême de la vie, ils voient venir à eux le mystère de l’au-delà, la plupart se préparent à la mort d’une façon suffisante. Laxenaire, Les élus dans l’Eglise et hors de l’Église, Paris, 1903, p. 54. Tel n’est point, évidemment, l’avis des théologiens partisans du petit nombre : « Le fond de la question revient à ceci : il y a un rapport nécessaire entre la vie présente et la vie future : celle-là est la préparation de celle-ci. Par suite, il y a un rapport entre le nombre de ceux qui servent Dieu ici-bas, et le nombre de ceux qui seront sauvés. Petit est relativement le nombre des premiers, petit sera le nombre des seconds. » Maréchaux, op. cit., p. 52. On objecte les sacrements, les grâces de la dernière heure. Mais que de pécheurs n’ont pas le temps de recevoir les sacrements ou les reçoivent mal ! On meurt généralement comme on a vécu; et s’il en est ainsi de ceux qui meurent munis des sacrements, que faut-il penser de ceux qui meurent privés des secours de la religion ? « Voilà pourquoi, conclut dom Maréchaux, tout en nous gardant bien de nier les grâces et les conversions de la dernière heure, nous croyons que ce suprême effort de la miséricorde divine n’empêche pas que les élus ne soient le petit nombre, et qu’il confirme, même par les exceptions qu’il y apporte, cette règle générale que, pour bien mourir, il faut commencer par bien vivre, » p. 64-65. Cette appréciation pessimiste ne semble être justifiée que dans les cas où vraiment on attend trop tard pour conférer au malade les sacrements : le malade n’a plus alors les dispositions suffisantes; mais dans la plupart des cas où les pécheurs reçoivent en pleine connaissance les secours de la religion, on peut dire qu’ils se préparent à la mort d’une façon convenable. En somme, on ne peut porter de jugement bien précis : dans les pays très chrétiens, la presque totalité se sauvera, dans les pays indifférents ou hostiles, la minorité seule présentera extérieurement des chances de salut. Mais il reste toujours le secret des cœurs que Dieu seul peut sonder, et les dispositions du dernier moment qu’il lui est si facile de changer, surtout s’il reste encore au fond de l’âme du moribond des germes de foi.
Considérons maintenant les adultes qui vivent hors de l’Église. Certains rigoristes, jansénistes pour la plupart, condamnent au feu éternel, sans merci, quiconque n’est pas membre visible de l’Église : « Tous les hérétiques, tous les juifs, tous les musulmans, tous les infidèles. » Cerveau, prêtre janséniste, L’esprit de Nicole, c. xvi, § 7, dans les Démonstrations évangéliques de Migne, t. ni, col. 1233. D’autres, sans aller aussi loin, n’admettent que de rares exceptions, et damnent en masse tous les étrangers à la communion extérieure de l’Eglise. Une telle doctrine est exagérée. Cf. Jaugey, Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 2 e édit., col. 1425; Laxenaire, op. cit. Sans appartenir au corps de l’Église in re, on peut appartenir à l’âme de l’Eglise, et par là, au corps lui-même in voto. Tous ceux qui sont dans cette situation par rapport à l’ Église seront sauvés : sera-ce le grand nombre ou le petit nombre ? Est-il facile ou difficile d’appartenir à l’âme de l’Église ? Ainsi se présente à nous l’argument du fait, en ce qui concerne les hommes adultes séparés de la communion extérieure catholique.
Ici encore les réponses sont sévères ou larges, selon que nous avons affaire à un partisan du petit nombre ou à un partisan du grand nombre. La critique exige qu’on fasse des distinctions.
Tout d’abord, envisageons les non-catholiques baptisés : ce sont les schismatiques et les hérétiques. Il ne s’agit, évidemment, que de ceux qui sont de bonne foi et qui ne refusent pas de propos délibéré d’entrer dans la religion catholique. Sont-ils nombreux ? La bonne foi ne fait pas de doute dans la masse du peuple, peu instruite, et qui, sans s’en rendre compte, a suivi ses pasteurs dans l’hérésie ou dans le schisme. Dans les classes éclairées, il peut se faire que le doute existe, et cependant l’aveu de Newman affirmant avoir vécu de longues années dans l’anglicanisme, sans avoir le moindre doute sur la légitimité de cette religion, est bien fait pour nous faire pencher vers l’indulgence. S’il n’est pas téméraire d’affirmer avec l’abbé Jaugey, op. cit., préface, p. IX, que « la grande majorité des adversaires du christianisme vit dans la bonne foi, » nous pouvons dire que la bonne foi est la part de la presque totalité des chrétiens hérétiques ou schismatiques qui ne s’occupent pas de l’Eglise catholique.
Cela posé, il est facile de tirer quelques conclusions.
Les schismatiques possèdent la véritable foi, au moins dans les articles essentiels de la religion catholique; ils ont les sacrements, les uns toujours valides, baptême, confirmation, eucharistie, extrême-onction, ordre, mariage; l’autre, le sacrement de pénitence, valide au moins à l’article de la mort. On peut donc conclure qu’en fait, les schismatiques sont à peu près dans les mêmes conditions que les catholiques au point de vue de leur salut éternel.
Les hérétiques sont moins favorisés : un seul sacrement leur reste, le baptême ; c’est beaucoup sans doute, et c’est peu si l’on songe à toutes les fautes graves qui se commettent ordinairement dans tout le cours d’une vie, que ne soutiennent pas la doctrine et les sacrements de l’Église. Ils ont la possibilité de la contrition parfaite, qui suppose la foi, l’espérance du pardon et un acte d’amour de Dieu par-dessus toutes choses; et comme ils conservent encore de la foi catholique les articles fondamentaux, il est à croire qu’avec le secours de la grâce divine, cette possibilité devient assez fréquemment réalité. Cf. Dublanchy, De axiomate : Extra Ecclesiam nulla est salus, Bar-le-Duc, 1895, p. 359-360. Voir ÉGLISE, col. 2169-2171.
Restent les infidèles. Il est certain que Dieu ne les abandonne pas, et que, pour procurer à ceux d’entre eux qui font le bien le moyen de se sauver, Dieu leur donnera la foi nécessaire pour les conduire par l’espérance et l’amour à la justification. Remarquons d’abord que, parmi les infidèles, il y a plusieurs catégories à faire : les mahométans et les juifs sont monothéistes. Ils ont donc une facilité relative pour faire l’acte de foi ou de repentir nécessaire au salut. Les païens sont les plus éloignés de la foi véritable; et cependant, ils ne sont pas déshérités complètement, car Dieu veut sincèrement le salut de tous les hommes, même des païens. Dans quelle mesure les païens seront-ils sauvés ? Nous l’ignorons, comme nous ignorons les moyens dont la divine providence peut se servir pour leur faire parvenir les connaissances nécessaires pour faire l’acte de foi explicite, requis pour le salut. Il ne rentre pas dans le but de cet article de discuter les conditions de salut des païens, la question sera traitée ex professo à l’article Foi; on pourra consulter à cet égard la thèse citée du P. E. Dublanchy, De axiomate : Extra Ecclesiam nulla est salus, liar-le-Duc, 1895, p. 3G0-363 ; l’opuscule de M. Laxenaire, Les élus dans l’Église et hors de l’Église, Paris, 1903; et surtout l’ouvrage du R. P. Ilugon, O. P., Hors de l’Église, point de salut, Paris, 1907. A lire principalement le c. IV, intitulé : Le salut des païens. On trouvera également dans Mgr Berteaud d’admirables passages sur les merveilleuses adaptations des manifestations divines à l’état du genre humain. On trouvera les références dans l’ouvrage cité du P. Jean-Baptiste, c. VII. Voir Église, col. 2171-2174.
La seule conclusion à tirer est, qu’étant donné les conditions de moralité souvent déplorables dans lesquelles vivent les païens, il est à craindre que le grand nombre ne soit damné. Quant à admettre un état intermédiaire entre le ciel et l’enfer pour les païens, à cause de l’invincible ignorance où ils sont des choses de la foi, et de l’impossibilité qui résulte pour eux de faire un acte de foi, cela est théologiquement insoutenable.
Les limbes pour les adultes sont une hypothèse inadmissible. Voir Revue thomiste, novembre 1905, janvier 1906, article du P. Hugueny, O. P. L’opuscule paru dans la collection Science et religion, sous le titre : De la prédestination et du sort final des païens, par un professeur de théologie, et qui soutient cette thèse invraisemblable, est en contradiction avec toute la doctrine catholique à ce sujet.
Comme conclusion, au sujet des infidèles, il plaît de citer cette pensée de l’abbé Martinet : « Usant de la liberté que l’Eglise me laisse, j’incline très fort à croire que, par l’abondance des secours intérieurs, la miséricorde divine supplée, pour les infidèles, au défaut des moyens extérieurs du salut. Je n’ignore pas que des théologiens de grand renom se sont montrés fort parcimonieux en matière de grâces, réduisant la part des infidèles à une bien faible portion; mais je sais aussi que Dieu a placé le trésor de sa grâce, non dans l’écritoire des théologiens, mais au Cœur de l’Agneau immolé par l’amour dès l’origine du monde, Apoc, xiii, 8, et dont le sang n’a pas attendu son effusion réelle au calvaire pour faire éprouver à toutes les générations humaines sa vertu purificative. » La science de la vie, leçon xxvi, dans Œuvres, t. Il, p. 247. Et de fait, Dieu est toujours et avant tout le Dieu de la miséricorde et du pardon.