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Combien seront sauvés à la fin des temps?

Sommaire :
I. Position du problème.
II. Liberté de la discussion.
III. La question du nombre des élus dans la sainte Ecriture.
IV. La tradition et le nombre des élus.
V. Les considérations théologiques et le nombre des élus.
VI. Conclusion.

II. LIBERTÉ DE DISCUSSION

— On prétend que la question, ainsi posée sur un terrain très large, ne peut être librement discutée; l’opinion qui admet, parmi les catholiques adultes, une majorité d’élus, peut être considérée comme probable; mais l’opinion qui admettrait, dans le genre humain tout entier, une majorité d’élus, mérite une censure. Elle n’est donc pas libre. Telle est la thèse du P. Godts dans son ouvrage De paucitate salvandorum, 3 e édit., Bruxelles, 1899, p. 347-35i.

Plusieurs théologiens présentent, en effet, la thèse du petit nombre des élus, dans tout le genre humain, comme de foi. Laselve, Annus aposlol.; Concio pro Dont. Sept., Liège, 1727, t. i, p. 177 sq.; Smising, Disp. théol. de Deo, i. i, De Deo uno, tr. III, disp. VI, De provid., n. 803, Anvers, 1626; Bosco, Theol. spirit. schol. et moral., 1. 1, De provid . div., disp. III, sect. III, concl.8. Mais la conclusion de ces trois théologiens est fort contestable; ils proclament de foi leur opinion, parce qu’elle leur semble refléter clairement le sens du verset : MULTI VOCATI, PAUCI ELECTI. Or ce sens est très discutable, et jamais l’Eglise ne l’a sanctionné.

D’autres assurent que le petit nombre des élus dans le genre humain est une vérité certaine; l’opinion opposée mériterait donc d’être qualifiée d’erreur. Gonet, Clypeus theologiœ thomisticœ, tr. V, disp. IV, digressio 2 s’exprime ainsi : Certum est et exploratum apud omnes, quod si loquamur de omnibus omnino hominibus… multo major est numerus reproborum.

D’autres théologiens, sans être aussi explicites, laissent clairement entendre que l’opinion large n’est, à aucun point de vue, soutenable. Ainsi Suarez : Secunda comparatio est inter homines, absolute de omnibus… et hoc modo communis et vera sententia numerum reproborum esse majorem, Tract, de div. predest. et reprob., 1. VI, c. ni; Estius : Nimis quam vere dicitur, hominum reproborum numerum longe majorem esse quam electorum, si totum censeatur genus humanum.In IV .Sent., l.I,dist. XL, § 23, Paris, 1662, 1. i, p. 114. Cet avis des théologiens n’est qu’un écho de la doctrine des Pères de l’Église, et le R. P. Godts rappelle aux partisans de l’opinion large qu’« il y a obligation de respecter ou même d’admettre, sous peine de témérité, un enseignement des saints Pères ou des théologiens qui se rapproche sensiblement de l’accord unanime ». A. Vacant, Etude sur le magistère ordinaire île l’Église, Paris, Lyon, 1887, p. 60.

A ces considérations d’ordre général s’ajoute la condamnation portée par l’Index, le 22 mai 1772, contre la thèse du P. Gravina, insérée dans l’ouvrage posthume du P. Plazza, publié à Palerme (1762) sous le titre : Dissertatio anagogica, theologica, parœnetica de paradiso. Le P. Gravina avait ajouté un chapitre, le Ve, De electorum hominum numero respectu hominum reproborum, dans lequel il soutenait comme une opinion vraisemblable que le nombre des hommes élus, par rapport au nombre des hommes réprouvés, était de beaucoup supérieur. Et le chapitre fut censuré : omiiino damnatur, porte le décret, avec proscription de l’ouvrage entier, tant qu’il ne sera pas expurgé dudit chapitre. Voir Index, Rome, 1900, p. 242. Marmontel avait soutenu, en France, la même thèse dans son Bélisaire (1767); la Sorbonne censura l’ouvrage, le 20 juin 1707, et l’archevêque de Paris, Christophe de Beaumont, le condamna le 24 janvier 1768 au sujet du salut des païens, mais surtout à cause du c. xv sur la tolérance. Picot, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique pendant le XVIe siècle, 3 e édit., Paris, 1855, t. iv, p. 251-258; II. Reusch, Der Index der verbotenen Bücher, Bonn, 1885, t. n, p. 913. L’ouvrage de Marmontel (mis à l’Index donec corrigatur le 25 mai 1767) méritait la censure sous bien des rapports; quant au P. Gravina, il semble bien que la S. C. de l’Index ait voulu proscrire sa thèse et non viser simplement le mode et l’inopportunité de sa publication. Voir Ami du clergé, t. xxiii, p. 159. Cependant Picot, op. cit., t. v, p. 457-458, dit que la manière dont Gravina établissait sa thèse du grand nombre des élus « n’annonçait pas beaucoup de jugement et de critique; c’était par des arguments assez ridicules et par des révélations apocryphes. » Cf. Reusch, Der Index, t. n, p. 975-970. Le sentiment de Gravina a été réfuté par le camaldule A. Gardini, Dissertatio theologica adversus novilates P. J. M. Gravinae S. J. cœli januas reserantis non solum haereticis et schismaticis, verum tamen hebraeis, mahommedanis, etc., in-8°, Venise, 1767, et par François Cari, Lettera indirizzala in nome del Dogo della republica degli Apisti al Rev. de’Solipsi G. G. (Giuseppo Gravina). Si la thèse de Gravina a été réellement proscrite, la discussion restera-t-elle libre ?

Avant tout il revient de remarquer que dans une question qui touche aussi lointainement et indirectement à la foi et aux mœurs que la question du nombre des élus, l’opinion même unanime des Pères et des théologiens ne peut imposer une manière de voir de préférence à une autre, si l’Église laisse la discussion libre .

Or, même avant la condamnation du P. Gravina, l’Eglise laissait librement s’exprimer l’opinion du plus grand nombre des élus, même parmi le genre humain considéré dans son ensemble. Sans parler de la théologie du P. Genér, nous en trouvons un exemple remarquable dans les œuvres du F. Joseph de Saint Benoit. Le Vénérable F. Joseph de Saint-Benoit, religieux convers de l’abbaye de Montserrat, simple tailleur de pierres, mourait le 17 novembre 1723. Favorisé de révélations ou d’illuminations célestes, touchant précisément à la question du nombre des élus, il en a résumé les idées principales en quelques écrits dont les titres sont bien significatifs : Brochures pour le soulagement spirituel de certaines personnes qui nourrissent des timidités et des craintes folles au sujet de leur salut; Énoncé de quelques phrases du Nouveau Testament, qui semblent avoir une certaine rigueur et rugosité. Or, il y enseigne que « le nombre des hommes sauvés est très grand, incalculable; il dépasse celui des réprouvés, grâce à la puissance, à la sagesse et à la bienveillance infinie du Christ, qui, sans doute, n’a pas en vain souffert et répandu son sang, n’est pas en vain ressuscité, et n’a pas vainement brisé l’insolente domination de Satan sur l’espèce humaine. » Opus, arg. 3 et 4.

Quatorze théologiens furent chargés d’examiner ses écrits : au premier rang figure le nom du P. Ignace Garrotte, qualificateur de la Suprême Inquisition; les ouvrages furent soumis également à de nombreux docteurs en théologie de Barcelone, Valence, Yich, Manrèse. Aucun théologien ne réprouva l’opinion du serviteur de Dieu ; beaucoup l’approuvèrent, entre autres les censeurs bénédictins, Lardito et Barnuevo, Dominique Lossada, O. M., François de Miranda, S. J. L’Église ne les inquiéta pas.

Bien plus, quelques années auparavant, le 30 juillet 1708, la S. C. de l’Index condamnait un ouvrage à tendances opposées : La science du salut, renfermée dans ces deux paroles : il y a peu d’élus, ou traité dogmatique sur le nombre des élus, publié en 1701 à Rouen par l’abbé Olivier Debors-Desdoircs, sous le pseudonyme d’Amelincourt. Et encore ce dernier consacrait une cinquantaine de pages à réfuter « ceux qui resserrent excessivement le nombre des élus. » Au XIXe siècle, la liberté de la discussion est proclamée par des théologiens de grand renom : Perrone, De Deo creatore, n. 748, note ; Hurter, Theol. dogm. comp., tr. de Dea, part. 1, c. m, a. 3, n. 2; Bergier, Dict. de théol.. art. Élu; Traité hist. et dogm. de la vraie religion, part. III, c. n, a. 2, S 7, Besançon, 1820; Actorie, De l’origine et de la réparation du mal, 1. I, c. i, p. i, Lyon, 1846; Lacordaire, Conférences, conf. Lxxi, les résultats du gouvernement divin : « Le petit nombre des élus n’est pas un dogme de foi, mais une question librement débattue dans l’Église » Monsabré, loc. cit. : « Sur la question du nombre des élus, nous n’avons que des opinions. » Et l’Eglise laisse dire, et l’on pourrait multiplier les citations.

Faut-il donc conclure, malgré la condamnation de Gravina, à une liberté illimitée de discussion ? La question nous parait assez complexe. L’opinion, condamnée dans le livre édité par Gravina, était celle-ci : Verisimile est electos homines, respectu hominum reproborum, longe numerosiores esse. Il est possible que la condamnation porte sur l’adverbe longe plutôt que sur le comparatif numerosiores. Il faudrait donc conclure à la prohibition de l’opinion qui restreindrait à quelques rares unités le nombre des réprouvés, tout comme il faut écarter la prétention de ceux qui affirment la réprobation en masse des hommes, fût-ce des non-catholiques. Tel doit être le sens des deux condamnations contraires portées contre Gravina et contre d’Amelincourt.

Aussi les auteurs qui ont affirmé leurs préférences pour l’opinion large, dans tout le cours du XIXe siècle, l’auteur des Tesori di confidenza in Dio, Pignerol, 1831 ; l’abbé Le Noir, Dict. des droits de la raison dans la foi, art. Immortalité de l’âme, n. 146, dans la III e Encyclopédie catholique de Migne, t. lvii ; Dict. des harmonies de la raison et de la foi, art. Vie éternelle, § 3, ibid., t. xix, lequel fut formellement dénoncé à l’Index et sortit indemne de l’examen qu’on fit subir à sa doctrine; le P. Melguizo, O. S. B., rééditeur des œuvres du Fr. Joseph, Son màs los que se salvan que los que se condenan, Madrid, 1860; le P. Hurter, op. cil.; l’abbé Martinet, La science de la vie, leçon 1 ; L’art d’enseigner la religion, c. xx, dans Œuvres, Paris, 1878, n’ont jamais été aussi loin que Gravina. Seuls, Mgr Bougaud, Le christianisme et les temps présents, Paris, t. v, et M. l’abbé Mauran, Élus et sauvés, Marseille, 1896, se rapprochent de Gravina, et néanmoins ils n’ont pas été condamnés par l’Église.

Mais pour juger sainement de la condamnation de Gravina par rapport aux opinions larges de plusieurs théologiens du XIXe siècle, il faut encore faire attention à un point tout particulier, sur lequel nous aurons l’occasion de revenir : beaucoup d’hommes, le plus grand nombre peut-être, meurent avant d’avoir atteint l’âge de raison. De ce nombre, l’immense majorité se voient fermer la porte du Ciel, à cause du péché originel, mais ne sont pas condamnés à l’Enfer. D’une certaine manière, ils sont damnés, « c’est-à-dire condamnés par la sentence portée contre notre nature déchue à ne jamais voir Dieu face à face et à ne jamais jouir du bonheur de cette contemplation. Mais ignorant le grand bien qu’ils ont perdu, ils ne souffrent pas de cette privation, et Dieu les laisse jouir en paix de tous les biens delà nature. » Monsabré, loc. cit. Voir Dam. Les Pères et les théologiens, avant le XVIIIe siècle, se plaçant au point de vue doctrinal, considéraient cette foule de non-élus comme faisant partie du nombre des réprouvés; de là, leur opinion unanime, qui semble, en effet, difficilement contestable, du plus grand nombre des réprouvés dans tout le genre humain, et la juste condamnation de la thèse de Gravina. Aujourd’hui, les partisans de l’opinion large entendent par damnés ceux qui sont condamnés à l’Enfer; les non-élus, coupables seulement de la faute originelle, forment la classe des déshérités, qui, heureux d’un bonheur purement naturel, voir Limbes, glorifient à leur manière la bonté et la miséricorde de Dieu. De là — dans un but peut-être plus apologétique que doctrinal — tout en admettant même l’opinion du plus grand nombre des non-élus, on peut légitimement soutenir celle du petit nombre des damnés : l’une n’est pas exclusive de l’autre.

Ces explications préalables étaient nécessaires pour bien comprendre la question qui se pose et qui partage aujourd’hui en deux camps les théologiens qui s’y intéressent. Réduite aux termes que nous avons fixés, on conçoit que la liberté de discussion est laissée au sujet des deux opinions. Sans nier la part de vrai qui existe dans leur affirmation par rapport à l’opinion trop large, il faut dire que le R. P. Godts et après lui dom Maréchaux, Du nombre des élus, Paris, 1901, ont exagéré, en refusant à leurs adversaires le droit d’opiner en faveur du plus grand nombre d’élus. On peut conclure avec le R. P. Jean-Baptiste du Petil-Bornand, dans les Études franciscaines, avril 1906 : « La question reste ouverte, et tout le monde reconnaît qu’on peut la discuter, parce que ni l’Écriture, ni la tradition ne sont suffisamment explicites et que l’Église ne s’est point prononcée. »

Et cependant c’est à l’Écriture sainte et à la tradition que s’adressent les partisans du petit nombre des élus, pour prouver leur thèse. C’est donc sur ce terrain qu’il convient de suivre les adversaires pour entendre leurs raisons de part et d’autre et les juger.

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