L’interprétation des textes du concile Vatican II :
l’interprétation moderniste et l’interprétation authentique par le magistère
Le concile doit être compris et interprété selon une herméneutique de continuité et non de rupture avec le passé, comme l’a bien expliqué le pape Benoît XVI. Et c’est ce qu’entendait le pape Jean‑Paul II quand il parlait de « l’enseignement intégral du concile », « c’est-à-dire entendu à la lumière de la sainte Tradition et sur la base du Magistère constant de l’Église ».
C’est comme la Parole de Dieu écrite, la Sainte Écriture, qui a besoin d’être lue à la lumière de la Tradition et du Magistère de l’Église. Personne ne va dire que la Bible est mauvaise parce qu’elle a besoin d’une telle lumière pour qu’on la comprenne et qu’on évite ainsi les interprétations des hérétiques.
[Benoît XVI], quand il était cardinal, avait déjà expliqué :
« Premièrement : il est impossible [pour un catholique] de prendre position “en faveur” de Vatican II et “contre” le concile de Trente et Vatican I. Quiconque accepte Vatican II tel qu’il s’est lui-même clairement exprimé et compris, affirme en même temps toute la tradition ininterrompue de l’Église catholique, et en particulier les deux conciles précédents. [Ceci vaut pour ce qu’on appelle le “progressisme” au moins dans ses formes extrêmes.] Deuxièmement : de la même manière, il est impossible de se ranger “en faveur” du concile de Trente et de Vatican I et “contre” Vatican II. Quiconque nie Vatican II nie l’autorité qui soutient les deux autres conciles et l’abolit dans son principe même. [Ceci vaut pour ce qu’on appelle le “traditionalisme”, lui aussi dans ses formes extrêmes.] Ici, tout choix partisan détruit le tout, [l’histoire même de l’Église], qui ne peut exister que comme unité indivisible ».
— Joseph, Card. RATZINGER, Vittorio MESSORI, Entretien sur la foi, trad. franç. : Paris, Fayard, 1985, p. 29 [les passages entre crochets ont été ajoutés par le cardinal lui-même à la relecture]
Ayant participé au concile Vatican II de 1962 à 1965, et même, ayant lutté contre le courant moderniste qui essayait d’y imposer ses thèses, Dom Antônio de Castro Mayer signa, uni au pape Paul VI, tout comme Mgr Marcel Lefebvre, les actes de promulgation de tous les documents du concile, les considérant « comme la doctrine du magistère suprême de l’Église ». Il écrivit, comme évêque diocésain, trois lettres pastorales sur l’application du concile Vatican II dans son diocèse, essayant d’y donner aux prêtres et aux fidèles la légitime interprétation de l’aggiornamento désiré par le pape Jean XXIII, mettant en garde contre ceux qui, profitant du concile, essayaient de faire revivre dans l’Église le modernisme et son ensemble d’hérésies. Il montrait ainsi comment le concile peut et doit être interprété selon la Tradition, c’est-à-dire que ses documents « doivent être compris à la lumière de la doctrine traditionnelle de l’Église ».
Dans sa lettre pastorale du 19 mars 1966 intitulée « Considérations à propos de l’application des documents promulgués par le concile œcuménique Vatican II », Dom Antônio cite l’avertissement du « Saint-Père glorieusement régnant », Paul VI, en date du 18 novembre 1965, contre l’interprétation moderniste des textes conciliaires. Dom Antônio déclare :
« Voici ses paroles : “C’est le moment [dit Paul VI] du véritable aggiornamento, préconisé par Notre vénéré prédécesseur Jean XXIII. Celui-ci, en employant ce mot programme, n’y mettait certainement pas la signification que d’aucuns tentent de lui donner, et qui permettrait de ‘relativiser’, selon la mentalité du monde, tout ce qui touche à l’Église, dogme, lois structures, traditions, alors qu’il y a dans ce mot un sens si vif et si ferme de la permanence de la doctrine et des structures de l’Église, que celle-ci en fait l’idée maîtresse de sa pensée et de son action.” […]
[Dom Antônio poursuivait alors :] Notons, chers fils, […] que le Saint-Père […] attire l’attention sur l’existence d’une fausse interprétation du concile, comme si l’Église avait renoncé à l’immutabilité de sa doctrine, de sa structure fondamentale, de la valeur salvifique de ses traditions, pour se lancer dans la mer houleuse de l’évolution qui fait délirer les hommes d’aujourd’hui, et leur fait croire que rien, absolument rien de pérenne et d’éternel ne s’impose à l’esprit humain ».
— Dom Antônio de CASTRO MAYER, Lettre pastorale, cf. « Pour un christianisme authentique », p. 277.
C’est dans la même ligne que l’avertissement du cardinal Ratzinger, cité plus haut, contre ceux qui cherchent à séparer le concile Vatican II de toute la tradition passée de l’Église.
Comme nous l’avons dit plus haut (IV et V), le magistère vivant et authentique existant dans l’Église est continu, sans interruption, et l’assistance continuelle et ininterrompue de l’Esprit Saint divin est sa garantie contre toute erreur quant à la foi et aux mœurs. Et cette assistance divine ne s’est pas interrompue au concile Vatican II. Le pape Jean XXIII, dans la convocation du concile, a bien rappelé cette vérité. Après avoir cité le passage de l’Évangile : « voici que je serai avec vous tous les jours jusqu’à la fin des siècles » (Mt 28,20), il ajoutait :
« Cette consolante présence du Christ n’a jamais cessé d’être vivante et opérante dans la sainte Église, mais particulièrement dans les périodes les plus graves de l’humanité ».
— Pape S. JEAN XXIII, Bulle Humanae salutis, 25 décembre 1961
Même s’il y a eu, de la part de certains Pères conciliaires de tendance moderniste, l’intention mauvaise de produire dans le concile des textes qui seraient comme une bombe à retardement, comme certains d’entre eux l’ont avoué, néanmoins, l’Esprit Saint qui est Dieu n’a pas permis que de telles intentions s’exprimassent dans les textes authentiques promulgués officiellement par le Magistère. Et, pour ce qui concerne le Magistère de l’Église, ce qui vaut, ce sont les textes, et non les supposées intentions des rédacteurs. En d’autres termes,
« l’acte vraiment conciliaire, comme acte de l’Église, et qui mérite l’assistance de l’Esprit Saint, c’est le texte dans sa pleine formulation objective, approuvé par un acte définitif de l’Assemblée conciliaire et par le Souverain Pontife, quelque opinion particulière qu’aient pu avoir soutenu certains Pères conciliaires à son sujet ».
— Abbé Julio MEINVIELLE, De Lamennais à Maritain, appendice II : La déclaration conciliaire sur la liberté religieuse et la doctrine traditionnelle, Buenos Aires, éd. Theoria, 1967.
De manière analogue à ce que nous avons dit plus haut au sujet de la Messe, les interprétations données par les modernistes ont impressionné le monde catholique et beaucoup ont pensé que c’était là l’interprétation à donner au concile. Mais non : le sens des textes est fourni par le Magistère de l’Église.
Semblablement, quand avaient surgi des interprétations erronées du décret du concile Vatican I sur la juridiction du pape et des Évêques, les Évêques allemands avaient écrit une lettre circulaire donnant l’interprétation correcte et avaient reçu du pape Pie IX une lettre d’approbation de cette interprétation exacte. Était donc correcte non pas une interprétation qu’aurait pu recevoir le texte, ni celle que voulait lui donner le Chancelier Bismarck, mais bien celle que lui donnait le Magistère.
De la même façon, le sens fidèle des textes du concile Vatican II est fourni par le Magistère de l’Église et non par les modernistes.
Interventions officielles du Saint-Siège à ce sujet
Aussitôt après le concile Vatican II, commencèrent à surgir des interprétations modernistes. Le Saint-Siège, par la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi, réprouva immédiatement ces fausses interprétations et donna celle qui était juste, dans une lettre aux présidents des Conférences épiscopales, signée par celui qui en était alors le pro-préfet, le cardinal Ottaviani, et dont nous transcrivons les principaux passages :
« Comme le concile œcuménique Vatican II, récemment terminé de façon heureuse, a promulgué des documents très sages, tant en matière doctrinale, qu’en matière disciplinaire, pour la promotion efficace de la vie de l’Église, il incombe au peuple de Dieu tout entier le grave devoir de s’efforcer de tout son pouvoir de mettre à exécution tout ce qui, avec l’inspiration du Saint-Esprit, a été proposé ou décrété solennellement dans cette très grande assemblée des Évêques, présidée par le Souverain Pontife.
Quant à la hiérarchie, il lui revient le droit et le devoir de veiller sur, de diriger, et de promouvoir le mouvement de rénovation commencé par le concile, de telle sorte que les Documents et Décrets du concile reçoivent une droite interprétation et soient appliqués en conservant soigneusement leurs propres force et esprit. En effet, les Évêques doivent protéger cette doctrine, vu qu’ils jouissent de la charge d’enseigner avec autorité sous la direction de Pierre. Et c’est de façon louable que beaucoup de Pasteurs ont déjà entrepris d’expliquer comme il faut la doctrine du concile.
Il faut cependant se plaindre que des nouvelles regrettables nous sont parvenues de diverses régions concernant les abus qui se développent dans l’interprétation de la doctrine du concile, ainsi que des divagations et des opinions audacieuses qui surgissent de ci de là non sans perturber grandement les esprits de beaucoup de fidèles. Il faut louer les études et les efforts destinés à investiguer de manière plus approfondie la vérité, en distinguant à juste titre ce qui est à croire et ce qui est libre ; mais il résulte des documents examinés par la présente Sacrée Congrégation, que de nombreuses positions dépassent facilement les limites de la simple opinion ou de l’hypothèse, et semblent affecter dans une certaine mesure le dogme même et les fondements de la foi.
Il est utile de signaler quelques-unes de ces opinions et de ces erreurs, sous forme d’exemples, telles qu’elles sont connues d’après les rapports d’hommes savants et d’écrits publics.
1. Il s’agit en premier lieu de la sacrée Révélation elle-même : il y en a, en effet, qui recourent à l’Écriture sainte, en laissant délibérément de côté la Tradition ; mais ils réduisent l’étendue et la force de l’inspiration et de l’inerrance bibliques et ils n’ont pas une juste notion de la valeur des textes historiques.
2. En ce qui concerne la doctrine de la Foi, on dit que les formules dogmatiques sont à ce point soumises à l’évolution historique que leur sens objectif lui-même est sujet à changement.
3. Il arrive que l’on néglige et que l’on minimise à ce point le magistère ordinaire de l’Église, celui surtout du Pontife romain, qu’on le relègue presque dans le domaine des libres opinions.
4. Certains ne reconnaissent presque plus une vérité objective absolue, ferme et immuable ; ils soumettent toutes choses à un certain relativisme, en avançant comme raison que toute vérité suit nécessairement le rythme de l’évolution de la conscience et de l’histoire.
5. La personne adorable elle-même de Notre Seigneur Jésus-Christ est atteinte lorsque, en repensant la christologie, on use de notions sur la nature et sur la personne qui sont difficilement conciliables avec les définitions dogmatiques. Un certain humanisme christologique se répand qui réduit le Christ à la simple condition d’un homme qui, peu à peu, aurait acquis la conscience de sa divine filiation. Sa conception virginale, ses miracles, sa résurrection elle-même sont concédés en paroles, mais sont ramenés en réalité à l’ordre purement naturel.
6. De même, dans la manière de traiter la théologie des sacrements, certains éléments ou sont ignorés ou ne sont pas considérés suffisamment, surtout en ce qui concerne la Très Sainte Eucharistie. Au sujet de la présence réelle du Christ sous les espèces du pain et du vin, il en est qui dissertent en favorisant un symbolisme exagéré, comme si le pain et le vin n’étaient pas changés par la transsubstantiation au corps et au sang de Notre Seigneur Jésus-Christ, mais étaient simplement transférés à une certaine signification. Il en est aussi qui, au sujet de la messe, favorisent plus qu’il n’est juste l’idée du repas (agapes), au détriment de l’idée de sacrifice.
7. Certains aiment expliquer le sacrement de pénitence comme moyen de réconciliation avec l’Église, et ne soulignent pas assez la réconciliation avec Dieu offensé. Ils prétendent aussi que pour la célébration de ce sacrement n’est pas nécessaire la confession personnelle des péchés, tandis qu’ils s’appliquent à exprimer uniquement la fonction sociale de réconciliation avec l’Église.
8. Il n’en manque pas qui minimisent la doctrine du concile de Trente sur le péché originel ou qui la commentent de telle manière que la faute originelle d’Adam et la transmission de son péché sont, pour le moins, mises en veilleuse.
9. Non moindres sont les erreurs qui circulent dans le domaine de la théologie morale. Beaucoup, en effet, osent rejeter la raison objective de la moralité ; d’autres n’acceptent pas la loi naturelle et affirment la légitimité de ce qu’on appelle la morale de situation. Des opinions pernicieuses sont répandues sur la moralité et la responsabilité en matière sexuelle et de mariage.
10. À tout cela, il faut ajouter une note sur l’œcuménisme. Le Siège apostolique approuve assurément ceux qui, dans l’esprit du décret conciliaire sur l’œcuménisme, prennent des initiatives pour favoriser la charité avec les frères séparés et les attirer à l’unité de l’Église : mais il regrette qu’il ne manque pas de personnes qui, interprétant à leur manière le décret conciliaire, préconisent une action œcuménique qui offense la vérité sur l’unité de la foi et de l’Église, en favorisant un irénisme et un indifférentisme dangereux, [ce qui est] entièrement étranger à l’esprit du concile.
Ces erreurs et ces dangers, répandus les uns ici, les autres là, sont rassemblés sous forme de synthèse sommaire dans cette lettre aux Ordinaires des lieux afin que chacun, selon sa fonction et son office, s’efforce de les enrayer ou de les prévenir.
Ce sacré Dicastère prie instamment ces mêmes Ordinaires des lieux, rassemblés en conférences épiscopales, d’en traiter et d’en faire rapport au Saint-Siège d’une manière opportune en faisant connaître leurs avis avant la fête de Noël de cette année. […] Rome, le 24 juillet 1966. A. cardinal Ottaviani ».
Cette lettre de la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi est l’un des innombrables documents de l’Église postérieurs à Vatican II dans lesquels on déclare le véritable sens des décrets et dispositions conciliaires, contre les fausses interprétations qui étaient en train de naître.
Elle est signée par un cardinal au-dessus de tout soupçon, Ottaviani, pro-préfet de la Congrégation. Sa signature ici a évidemment une valeur beaucoup plus grande que celle, largement diffusée dans les milieux traditionalistes, concernant la messe de Paul VI, quand, selon les propos du même cardinal, on usa indûment de son nom (cf. plus haut p. 67).
Source : Extrait de l’ouvrage de Monseigneur Fernando Arêas Rifan « LE MAGISTÈRE VIVANT DE L’ÉGLISE« , deuxième partie : Conséquences, applications ; Deuxième conséquence : Application de ces principes théologiques au Concile Vatican II ; § 3 et § 4.