Cet article a été traduit de l’anglais depuis wherepeteris.com. L’article original a été écrit par Pedro Gabriel le 20 octobre 2019 et mis à jour en Avril 2020.

Ce lundi 20 octobre 2019, des personnes ont fait irruption dans l’église de Santa Maria in Transpontina, où les statues controversées étaient conservées et exposées, les ont volées et jetées dans le Tibre, tout en se filmant en train de le faire. Ce n’est bien sûr pas une nouveauté. Tous ceux qui ont suivi cette controverse le savent déjà. Je ne donnerai pas de lien vers la vidéo ni ne la montrerai afin de ne pas donner plus de publicité à ces personnes, qui ont déjà reçu trop d’applaudissements de partisans aux vues similaires.
Je me suis passé de commentaires sur cet incident jusqu’à présent, car j’espérais que la réaction à cette action regrettable apporterait un peu de clarté à tout ce bazarre. Depuis le début de ce débat, j’ai toujours conseillé aux gens d’être prudents quant aux informations qui leur étaient données, et d’éviter de tirer des conclusions hâtives et de porter des jugements irréfléchis. Sur ce site, nous nous efforçons de ne pas réagir de manière impulsive et de ne fournir que des informations provenant de sources primaires (ou au moins fiables). Le coup de théâtre réalisé ce lundi était précisément l’antithèse de cette approche : une action imprudente et téméraire de la part de personnes qui pensaient être certaines de ce qui se passait, parce qu’elles écoutaient une propagande sensationnaliste et biaisée. Pour eux, c’était simple : ils avaient raison et les autres avaient tort.
Au contraire, il est approprié pour une personne qui étudie une question en profondeur d’être finalement confrontée à la complexité de la réalité, avec toutes ses nuances et la multiplicité des facteurs en jeu. Et la réalité est la suivante : depuis le début de cette controverse, nous avons reçu des informations contradictoires. Ce n’est pas exclusivement la faute des médias biaisés qui veulent pousser le récit du “paganisme au Vatican” afin de marquer des points contre le Pape. Alors pourquoi ? Pourquoi toutes ces contradictions ? D’où viennent ces contradictions ? De même, d’où vient la revendication de “Notre-Dame d’Amazonie” ? C’est ce que j’ai essayé de passer au crible ces derniers jours.
I. Une représentation de la vie
Après le vol, il y eut une clarification du Dr. Paolo Ruffini, du Dicastère des communications du Vatican :
“Nous avons déjà répété plusieurs fois ici que ces statues représentaient la vie, la fertilité, la terre mère. C’était un geste – je pense – qui contredit l’esprit de dialogue qui devrait toujours nous inspirer. Je ne sais pas quoi dire d’autre, si ce n’est que c’était un vol, et peut-être que cela parle de soi-même”.
Plus tôt dans la journée, il a été rapporté sur Twitter que Ruffini a donné une “réponse définitive” :
“Aucune prosternation ni aucun rituel n’a été effectué. Nous devons tous faire preuve de rigueur pour raconter ce qui s’est passé devant les caméras”.
Cela correspond à sa réponse précédente à la même question, avant le vol (cf. la section « Réponse à Ivreigh »). À ce moment là, il avait répondu en donnant son opinion personnelle, et non en sa qualité officielle de porte-parole du Vatican. Il a également déclaré qu’il allait obtenir davantage d’informations du REPAM [le réseau ecclésial pan-amazonien] et des autres organisateurs. Etait-ce le cas ?
Il semble que oui, car cette réponse est également cohérente avec les interventions des autres membres du REPAM, qui ont depuis parlé de cette controverse. Inés San Martín du Crux était présente ce dimanche sur la Via Crucis où se trouvait la statue, et a interrogé l’un des organisateurs de l’événement sur sa signification :
Selon le père Fernando Lopez, jésuite, et membre du « Groupe itinérant », composé d’hommes et de femmes, religieux et laïcs, qui parcourent l’Amazonie en prêchant l’Évangile dans des régions extrêmement reculées, l’image de la femme enceinte « représente la vie ». (…) Le prêtre jésuite faisait partie des centaines de personnes qui ont participé au chemin de croix du samedi organisé sous l’égide de “Amazonie: Maison commune”, parrainé par plusieurs organisations catholiques, telles que Caritas Internationalis, Misereor, l’Union internationale des Supérieurs généraux et le REPAM, le Réseau ecclésial pan-amazonien (…) Lopez a déclaré que la sculpture sur bois est une image que le “Groupe itinérant” utilise depuis des années, et qu’elle a été achetée sur un marché artisanal à Manaus, une ville de l’Amazonie brésilienne.
Plus récemment, nous avons découvert une vidéo publiée sur le mur Facebook d’une personne impliquée dans le groupe REPAM, nommée Afonso Murad (lien). Il y dit que l’image n’est pas religieuse, qu’elle n’a fait l’objet d’aucune forme de culte et qu’elle représente la terre et les peuples indigènes.
Voici la transcription de ses propos (d’après ma traduction du portugais brésilien original):
“Je suis le frère Afonso Murad, je suis ici à Rome au Synode pour l’Amazonie et je veux clarifier quelque chose que de nombreuses personnes au Brésil m’ont demandé d’aborder. Ce lundi matin, ou ce qui semble être le cas, un petit groupe est entré dans l’église des Carmélites de Transpontina, où il y a eu une série de célébrations sur l’Amazonie, en parallèle avec le Synode. Chaque jour, il y a au moins deux moments de prière, en plus des conférences et des expositions. Dans ce contexte, une série de symboles ont été utilisés à cet endroit. Parmi eux, il y avait trois silhouettes féminines : celle d’une femme enceinte indigène qui symbolisait la Terre qui prend soin de nous, et aussi les peuples indigènes. Je tiens à préciser que, contrairement à ce qui a été entendu au Brésil, ce n’est pas une image religieuse, ce n’était pas l’objet d’un culte, c’est simplement un symbole des peuples indigènes qui a été étiqueté comme s’il s’agissait d’une image de la Pachamama, la Mère Terre. Les peuples indigènes ne vénèrent pas les images de la Terre Mère comme nous le faisons avec une image de Notre-Dame ou du Saint-Sacrement. C’était donc simplement un symbole religieux parmi tant d’autres qui sont présents dans cette église pour ceux qui veulent la voir. Par conséquent, cet acte était un acte de violence, de manque de respect et ne peut donc être approuvé par aucun d’entre nous. Aimeriez-vous que quelqu’un allait dans votre église et prenne l’un de vos symboles religieux, que ce soit une bougie ou un tissu ? Bien sûr que non. C’est pourquoi nous sommes clairement contre cet acte de violence et nous n’y accordons pas non plus trop d’importance. Car ce qui est plus important, c’est que nos yeux, nos esprits et nos cœurs soient dirigés vers l’Amazonie, vers l’Église en Amazonie et vers votre mission d’annoncer l’Évangile, dans un dialogue avec les peuples amazoniens ».
II. Les déclarations contradictoires
Ces sources font autorité, puisque ces éclaircissements émanent de personnes qui ont effectivement participé à l’organisation des activités parallèles du Synode. J’ai déjà dit que c’est vers elles que nous devrions nous tourner pour trouver des réponses.
Cependant, ces informations contredisent ce qui a été dit par deux autres participants, à savoir la femme autochtone qui a présidé le service, et le père Roberto Rojas, le prêtre qui a été interviewé par Rome Reports et qui était l’organisateur de l’exposition dans l’église de Santa Maria in Transpontina. Tous deux ont appelé les figures « Notre-Dame d’Amazonie ». De plus, il y a deux récits contradictoires sur l’origine de la statue : Le père Lopez dit qu’elle a été achetée sur un marché de Manaus et le père Rojas dit qu’elle a été sculptée par les catholiques indigènes de l’Amazonie.
Il est important de noter que le REPAM n’est pas une organisation unique, mais un réseau de diverses organisations différentes travaillant ensemble vers un objectif commun. De plus, il y avait plus d’un exemplaire de la même figure, de sorte qu’elles pouvaient avoir des origines différentes.
Par conséquent, contrairement à ce que certains de nos commentateurs ont dit, le Dr. Ruffini n’a pas commis de faute en ignorant ces faits. Il répétait probablement l’explication qu’il avait reçue de l’organisateur à qui il avait demandé ou qui lui avait fourni cette information. Nous, à Where Peter Is, sommes partis avec les informations recueillies auprès de certains organisateurs qui ont dit une chose et le Dr. Ruffini et les autres porte-paroles du Vatican ont probablement reçu des informations différentes de la part d’autres organisateurs.
Cependant, malgré ces divergences, toutes les personnes impliquées qui ont été interrogées sur le personnage s’accordent à dire que la statue n’est pas païenne :
- La femme autochtone et le père Rojas disent que c’est Notre-Dame d’Amazone ; ils n’ont pas attribué de signification païenne à la figure ;
- Le Dr Ruffini, du Dicastère des communications du Vatican, a déclaré dans sa première réponse sur le sujet (bien qu’il n’ait pas agi en sa qualité officielle à l’époque) « Je crois que quand on essaie de voir des symboles païens ou de voir le mal, on n’y est pas »
- Avant lui, l’évêque David Guinea avait également été interrogé sur la signification de la statue, et il a répondu : « nous n’avons pas besoin de créer de liens avec la Vierge Marie ou avec un élément païen« .
- Le père Lopez, interviewé par Inés San Martín : « Lorsqu’on lui a demandé si cela faisait partie d’un rituel païen, le prêtre a répondu « non ». »
- Le Frère Afonso Murad est clair sur le fait que le personnage n’est pas une image religieuse et qu’il n’a reçu aucune sorte de culte.
En d’autres termes, l’hypothèse du « c’est clairement païen » a été réfutée à chaque étape. Le fait que cette accusation n’ait pas été abandonnée, mais plutôt qu’elle ait été obstinément maintenue, démontre que ceux qui vilipendent cette figure ne sont pas préoccupés par la vérité, mais par le fait de pousser un récit. Au cours de ces derniers jours, bon nombre de ces personnes nous ont envoyé des liens sur les réseaux sociaux vers des interventions qui, selon elles, réfutaient les interprétations mariales des statues (en faisant abstraction de la façon dont ces liens réfutaient en fait leurs propres interprétations païennes des statues), et partaient sur des tirades triomphales du genre « Et maintenant, qu’allez vous dire après ça, hein ? Hein ? Qu’allez-vous va faire ? Je vous ai eu ! ». Et en même temps, ils ignoraient studieusement les organisateurs qui disaient en réalité que c’était Notre-Dame d’Amazonie, comme d’une sorte d’amnésie sélective qui leur faisait oublier ces preuves gênantes. Le même type d’amnésie sélective qui a commodément oublié tout ce qui se trouvait dans leurs propres liens et qui réfutait les accusations de paganisme, et qui n’est allée que pour ce qui niait Marie.
Bien sûr, il ne s’agit pas d’un jeu à somme nulle, dans lequel deux perspectives antagonistes s’affrontent pour des références, et où celui qui marque le plus de points gagne. C’était la perspective de ceux qui voulaient désespérément valider leur thèse d’une Pachamama païenne sans fondement. Ils cherchaient des liens et des informations pour renforcer leur position, puis nous les lançaient comme s’ils annulaient d’une manière ou d’une autre les organisateurs qui disaient que c’était la Vierge.
Cependant, une personne qui cherche effectivement la vérité, au lieu d’insister sur un récit, agira différemment. Une telle personne se posera la question : « Si ce n’est qu’une représentation de la vie… alors pourquoi y a-t-il des gens proches de l’événement qui disent que c’est Notre-Dame d’Amazonie ? »
Il est intéressant de noter que j’ai eu un aperçu d’une réponse potentielle à cette question cruciale provenant de deux sources très improbables…
III. Les indigènes en parlent
Les deux sources improbables dont je parle sont LifeSiteNews (LSN) et EWTN. À leur crédit, elles ont fait ce que j’avais demandé aux journalistes (et aux porte-parole du Vatican) de faire : recueillir des informations auprès des gens sur le terrain. Bien sûr, ces deux médias ont un parti pris contre le pape, et LSN en particulier a activement essayé de prouver que la cérémonie des jardins du Vatican était un rituel païen, et que la figure controversée est la Pachamama. Nous devons donc être prudents lorsque nous acceptons leurs explications sur le fait qu’il pourrait en être ainsi. Cependant, il existe un critère d’embarras. En d’autres termes, si des sources biaisées contre l’hypothèse de « Notre-Dame d’Amazonie » sortent et disent quelque chose qui prouve que cette hypothèse est juste, alors nous devrions les croire, car ils ne l’auraient pas dit si ce n’était pas vrai.
Veuillez garder à l’esprit que nous ne disposons pas de la transcription complète de la question de LSN, ni de la réponse complète des volontaires, à l’exception d’une seule (qui décrit alors la figure plus comme un symbole que comme une déesse) : étant donné le parti pris et le manque de fiabilité de LSN, nous devrions prendre cela avec des pincettes.
Cependant, la raison pour laquelle j’en parle est ce joyau caché, enfoui au milieu de l’article de LSN :
« Deux hommes que nous avons interrogés ont soutenu la croyance de Paolo Ruffini selon laquelle la statue n’est qu’un symbole de « vie ». Mais lorsque nous avons mentionné à l’un d’entre eux que plusieurs autres volontaires avaient identifié la statue comme étant la « Pachamama », il s’est arrêté et a dit que bien sûr les gens ont « différentes interprétations : certains pensent que cette statue est la vie, d’autres la Pachamama et certains l’appellent même la Vierge Marie« .
Qui sont ces « personnes » qui l’appellent la Vierge Marie ? Pouvons-nous le savoir ? Cela nous amène à une vidéo de l’EWTN, dans laquelle Rafael Tavares, le rédacteur en chef de la branche lusophone de l’ACI Digital, est interviewé. Voici la vidéo :
Rafael Tavares a interrogé la REPAM (03:21 de la vidéo) sur l’origine des statues, et a reçu la réponse suivante (03:46) :
« L’image est de l’art. De l’art pur. Elle n’a pas de signification païenne, ni de signification chrétienne (…) Cette statue a été créée par un artiste de Manaus, la capitale de l’État brésilien d’Amazonas. Puis un membre de l’équipe de spiritualité qui organise les événements à Transpontina a trouvé l’image. Avec son équipe ils ont commencé à la porter de tribu en tribu, de lieu en lieu, et les Indiens eux-mêmes ont commencé à appeler cette image – que vous voyez – Notre-Dame de l’Amazonie« .
Dès lors, Tavares met immédiatement en évidence les similitudes avec la déesse païenne Pachamama. Mais il s’agit d’une présentation gratuite de son opinion personnelle, basée sur les similitudes. C’est son interprétation en tant qu’homme non-indigène, jouant selon les préjugés de l’EWTN et de l’ACI, qui a fait avancer l’hypothèse païenne depuis le début. Donc, encore une fois, cette partie doit être prise avec des pincettes.
Cependant, cette vidéo de l’EWTN apporte beaucoup de lumière sur la question. Tout d’abord, elle correspond à la version du Crux sur l’origine de la statue : elle a été achetée sur un marché de Manaus. Ensuite, elle montre qu’il peut y avoir un décalage entre la signification attribuée aux figures par les organisateurs officiels du REPAM et les peuples indigènes. Les premiers considèrent l’image comme une représentation de la vie, dépourvue de signification religieuse (païenne ou chrétienne), qu’ils peuvent utiliser pour illustrer leurs activités. Les seconds peuvent considérer cette image comme une représentation de la Vierge Marie. Un mouvement de base de l’Amazonie elle-même, qui peut ou non être significatif en termes de taille, a pris l’initiative de « christianiser » cette image. Cela correspond à tout ce qui s’est passé ces dernières semaines.
En d’autres termes, au moins une partie des indigènes se tourne vers cette figure et lui attribue une connotation mariale. Et nous savons qu’au moins un de ces indigènes était la femme qui a présidé l’activité du Jour de Saint-François dans les jardins du Vatican. Elle l’a appelée « Notre-Dame d’Amazone » et a utilisé une terminologie très catholique (elle a mentionné « l’Église ») qui semble exclure une mentalité païenne. Puisque cette activité est à l’origine de tout ce remue-ménage, je pense que nous devrions la croire sur parole et supposer charitablement qu’elle n’a rien fait de contraire à la foi. Au mieux, ils vénéraient ce qu’ils percevaient comme étant une image mariale (même si c’était un sens qu’ils attribuaient à une statue qui n’avait pas été créée spécifiquement dans cette intention en premier lieu). Au pire, ils effectuaient une sorte de dramatisation symbolique devant une représentation de la vie et de l’Amazonie, sans signification religieuse dans un sens ou dans l’autre, puisque l’accusation de paganisme a été constamment réfutée par les organisateurs et les porte-parole du Vatican et par le Pape lui-même.
IV. C’est la même chose, c’est la Pachamama
L’une des façons dont les critiques ont évité les réfutations constantes du paganisme, c’est de dire que le fait d’accueillir une représentation de la vie (ou de la Terre mère, ou de la fertilité, ou autre) dans une Église et de s’y incliner est de toutes façons du paganisme. Bien sûr, cela ne tient pas compte de ce qu’est réellement le paganisme. Les anciens païens n’ont pas créé une religion à partir de symboles et de simples représentations. Les dieux païens n’étaient pas des entités abstraites, mais des réalités concrètes pour leurs adorateurs. Les païens croyaient que leurs idoles ne représentaient pas seulement certains concepts (comme la nature, les éléments physiques, l’amour, la guerre), mais que ces mêmes idoles contenaient l’énergie des concepts qu’elles représentaient. L’idolâtrie était donc un moyen de manipuler ces réalités abstraites, en les rendant tangibles, palpables, visibles. Vous ne verriez jamais un ancien païen dire : « Ce n’est qu’un symbole, une représentation. » Le dire rendrait l’acte d’idolâtrie insensé, puisque l’adorateur païen l’a fait pour obtenir une sorte de faveur des dieux.
Certaines critiques postulent que lorsqu’ils disent « Pachamama », ils ne font pas référence à la déesse réelle des livres d’anthropologie, mais à toute idée abstraite qu’ils peuvent interpréter comme du paganisme. Qu’il s’agisse de la Pachamama ou d’une représentation de la vie, c’est du pareil au même. Dans ce cas, ce que les critiques disent en réalité, c’est que la « Pachamama » est un concept dénué de sens qu’ils peuvent remplir avec n’importe quelle définition qu’ils veulent. En étiquetant tout ce qu’ils n’aiment pas comme « Pachamama », ils font un tour de passe-passe par lequel ils peuvent transformer tout ce que le Vatican dit en une déesse païenne. C’est la raison pour laquelle la « Pachamama » est constamment répétée comme un fait établi.
Bien sûr, ce n’est pas aussi simple qu’ils le voudraient. À un moment de cette controverse, j’ai reçu un message du lecteur Eric Giunta. Il ressort clairement de son courrier électronique qu’il n’est pas du tout partial en faveur du pape François, mais dans un esprit d’honnêteté intellectuelle, il m’a gracieusement fait part de son excellent essai, que je recommande vivement. Il montre la riche tradition orthodoxe, qui remonte à l’époque médiévale, de représentation de la Terre/Mère/Nature dans les églises. Dans un addendum à son essai, il mentionne également les expressions légitimes de l’inculturation en Amérique du Sud, où se mêlent les figures de la Pachamama et de la Vierge Marie. Contrairement à certains anthropologues de salon qui ont abordé cette question en agitant simplement leurs qualifications, Eric Giunta fournit en fait de nombreuses citations et une bibliographie experte à son article. Je ne saurais trop le recommander.
Je voudrais également renvoyer mes lecteurs à un livre fantastique, intitulé « L’éternité dans leur cœur« . C’est un petit livre, très facile à lire. Il était recommandé dans les milieux catholiques orthodoxes avant l’élection du pape François (je sais, c’est la raison pour laquelle je l’ai acheté.) Il a été écrit par un missionnaire protestant, mais il ne contient rien de contraire à la foi catholique et ne montre aucune hostilité envers les missionnaires catholiques. En s’appuyant sur des preuves bibliques (la coopération de Melchisédek avec Abraham ; l’autel du Dieu inconnu utilisé par Saint Paul) et sur sa lourde expérience missionnaire (et celle de ses compères missionnaires), il montre clairement comment certaines expressions païennes contiennent ce que le Concile Vatican II a appelé les semina Verbi (« semences de l’Évangile »), qui sont en fait une matérialisation de l’aspiration de l’homme non évangélisé à Dieu. Nous devons faire preuve de discernement et de prudence, car dans notre empressement à cataloguer comme païen tout ce qui provient d’autres cultures, nous risquons en fait d’étouffer de précieuses ressources qui nous aideront dans notre processus d’évangélisation et de fermer le cœur de ceux que nous voulons amener au Christ.
En ce qui me concerne, je ne peux pas imaginer comment l’acte d’irrespect de la culture indigène commis par des personnes qui se proclament les porte-parole du vrai catholicisme ouvrira le cœur des indigènes qui ont apporté cette image comme symbole de leurs valeurs (peut-être même comme leur représentation de Marie). « Vous ne pouvez pas voir Marie dans cette image, vous devez la voir dans les moules que je vous donne : vous pouvez utiliser Notre-Dame de Guadalupe – elle est représentée comme une indigène sud-américaine et elle porte mon sceau d’approbation ».
Ou, alternativement : « Vous ne pouvez pas avoir de symboles qui évoquent votre culture dans nos églises. Ce sont nos églises, et elles doivent seulement refléter notre compréhension de ce qui est permis ou non. Même la hiérarchie ou le Pape ne peuvent pas nous contredire. Si vous ne vous soumettez pas, nous considérerons cela comme une agression, une invasion, une infiltration, et nous détruirons vos icônes ».
Je suis absolument convaincu que l’approche du pape François, qui consiste à inviter les gens dans sa propre arrière-cour, à leur permettre de s’exprimer de leur propre voix et à les écouter dans la prière avant de porter un jugement, est la façon dont nous amenons les âmes au Christ.
V. Le pape a tranché
Entre-temps, le pape a abordé cette controverse. Aujourd’hui, François a fait quelques remarques concernant l’incident :
« Bonjour. Je voudrais dire un mot sur les statues de la pachamama qui ont été prises de l’église de la Transpontina – qui étaient là sans intentions idolâtres – et qui ont été jetées dans le Tibre.
Tout d’abord, cela s’est passé à Rome et, en tant qu’évêque du diocèse, je demande pardon aux personnes qui ont été offensées par cet acte.
Ensuite, je tiens à vous communiquer que les statues qui ont suscité une telle attention dans les médias, ont été récupérées du Tibre. Les statues n’ont pas été endommagées ».
Veuillez noter que le pape est très clair : les statues étaient là sans intentions idolâtres. Là encore, les accusations de paganisme sont réfutées par nul autre que le vicaire du Christ et évêque de Rome. On ne peut pas faire plus officiel que cela.
Cependant, les suspects habituels ont pris le fait que le pape faisait référence aux statues comme étant la Pachamama comme une validation de leur point de vue. Là encore, nous pouvons voir le modus operandi : ils choisissent ce qui valide leur récit et passent sous silence ce qui ne les intéresse pas. Ils s’accrochent à un seul mot (« Pachamama ») et ignorent la partie qui dit qu’il n’a pas d’intention idolâtre.
Heureusement, un porte-parole du Vatican s’est empressé de clarifier ce que le pape voulait dire en réalité :
« Dans ses remarques, le pape a utilisé l’expression « les statues de la pachamama » mais dans la transcription, le mot pachamama était en italique.
Le porte-parole du Vatican, Matteo Bruni, a déclaré que le pape avait utilisé ce mot pour identifier les statues car c’est ainsi qu’elles sont connues dans les médias italiens et non pas en référence à la déesse ».
Il est intéressant de constater que des personnes qui, jusqu’à il y a quelques jours, s’accrochaient désespérément aux paroles du porte-parole du Vatican (même si elles n’agissaient pas en leur qualité officielle à l’époque, mais fournissaient des interprétations personnelles), évitent maintenant de s’accrocher à une lecture littéraliste des paroles du pape. Bien sûr, ils ne croient le pape que sur le passage « Pachamama » car ils pensent que cela prouve leur point de vue. Si le pape disait le contraire, ils ne le croiraient pas, comme le montre le fait qu’ils ne sont pas d’accord lorsque le pape dit que les statues n’ont pas d’intention idolâtre.
En fin de compte, le Vatican a expliqué pourquoi le Pape a utilisé le mot « Pachamama ». L’idée que les statues étaient une déesse païenne, et qu’elles recevaient le culte de la latrie dans les jardins du Vatican, a été réfutée une fois de plus, mais cette fois même aux échelons les plus hauts de l’Église.
VI. Conclusion
À l’heure actuelle, je pense que nous pouvons tirer les conclusions suivantes de toute cette saga :
- Les statues ont été acquises et utilisées par le REPAM comme une représentation de la vie, de la terre mère et des peuples indigènes, et non comme des déesses païennes;
- La position officielle du Vatican et du REPAM est que ces représentations (que ce soit durant l’activité des Jardins du Vatican ou dans l’église de Santa Maria in Transpontina) n’ont aucune signification religieuse, ni païenne ni catholique ;
- Néanmoins, certaines personnes indigènes ont conféré une signification mariale aux images sculptées ;
- Parmi celles-ci, la femme indigène qui a présidé l’activité des Jardins du Vatican et qui a présenté la figure au Pape ; Ceci a également été validé par le prêtre chargé d’organiser les événements dans l’église de Santa Maria in Transpontina ;
- Les seuls à colporter des accusations de paganisme sont les médias hostiles au Synode et biaisés contre le Pape ;
- Les accusations de paganisme ont été officiellement, continuellement et à plusieurs reprises démenties par les membres du REPAM, par les porte-parole du Vatican et par le Pape lui-même ;
- Les actes symboliques de révérence à des représentations de concepts abstraits n’équivalent pas à de l’idolâtrie ou du paganisme ;
- Il existe une tradition de représentations orthodoxes de la Terre-Mère dans l’Église, ainsi que des expressions orthodoxes inculturées de la Pachamama, qui ne sont ni païennes ni idolâtriques ;
- Par conséquent, les actes de vol, de vandalisme et d’irrespect de la culture indigène qui ont eu lieu le 20 octobre 2019 étaient injustifiés et résultaient d’idées entourant les figures qui ne sont pas conformes à la réalité des faits ;
En fin de compte, rien de ce qui a pu être dit par le Vatican ou par le REPAM ou par Where Peter Is n’aurait pu arrêter les événements regrettables qui ont eu lieu. Le récit d’un soi-disant rituel païen avait déjà été mis en route et ne pouvait pas être arrêté, car ceux qui croient à ce récit ont donné leur soumission d’esprit et de volonté aux organes qui les ont nourris de cette propagande. Il fallait croire cette version, car il y avait derrière une arrière-pensée : saper le Synode, en le dépeignant comme un repère d’hétérodoxie, de libéralisme et de syncrétisme. Cela a servi à son tour le motif suprême : saper le pontificat de François. C’est la seule raison pour laquelle cette figure devait être la Pachamama, et pourquoi cette affirmation n’était pas falsifiable dans leur esprit.
En fin de compte, cet acte de vandalisme n’était rien d’autre que la manifestation physique de ce qui s’est passé sur les médias sociaux ces dernières semaines, l’incarnation de l’herméneutique du soupçon, que le père Jorge Bergoglio, futur pape François, décrirait avec précision dans son essai Silencio y Palabra :
« La suspicion est une vieille bête. Elle crée dans le cœur un certain malaise face à tout comportement de mon frère que je ne comprends pas entièrement. Ce malaise s’intensifie et finit par voir comme une menace tout ce qu’il ne comprend pas et ne contrôle pas (…) L’homme suspicieux pèche contre la lumière, il est devenu amoureux de cette attitude de vouloir tout clarifier, car sa vie consiste à confondre la conspiration avec la réalité. Il y a toujours, dans l’homme suspicieux, une zone qui résiste à la lumière de Dieu. Si cette lumière venait, il ne pourrait plus avoir de soupçons. (…) Le soupçon est l’accrochage à une zone de pénombre, qui nourrit l’homme qui a opté pour la partialité du [conflit institutionnel interne] sur la totalité de l’institution en tant que corps ».
Comme l’ont écrit récemment Paul Fahey et David Lafferty, nous, à Where Peter Is, avons préféré « faire confiance en l’orthodoxie et en la bonne volonté du Pape, du Synode et des participants catholiques indigènes ». Nous nous opposons à l’herméneutique de la suspicion, en avançant plutôt une herméneutique de la foi et de la charité. Certaines personnes nous ont reproché d’avoir cru la femme indigène qui a présenté la statue au Pape à sa juste valeur. Cependant, nous n’avons aucune raison de douter d’elle, ni de sa sincérité. Si sa représentation de la Vierge est imparfaite, construisons à partir de là, au lieu de la lui enlever et de la détruire.
Nous avons essayé de prendre le Synode sur l’Amazonie dans notre cœur et d’en tirer les leçons. Et l’une des choses que le Synode nous a demandé de faire depuis sa création est de parler moins et d’écouter plus. Ceux qui ont sombré dans la suspicion et le vandalisme sont ceux qui ont refusé d’écouter qui que ce soit ou quoi que ce soit, parce qu’ils pensaient avoir tout compris : le rituel était « clairement païen », « même un enfant de 5 ans pourrait comprendre cela » et que ceux qui disaient le contraire « patinent ».
Nous avons plutôt prêté l’oreille aux populations indigènes, car nous avons compris que nous ne savions pas grand-chose et qu’il nous fallait recueillir davantage d’informations. Même en nous appuyant uniquement sur des sources primaires, nous avons dû reconnaître que la réalité des faits était plus ample, plus nuancée et plus complexe que ce que nous pensions au départ. Nous n’avions pas tort, mais nous n’avions pas non plus une vue d’ensemble (ce que nous n’avons toujours pas). Au fur et à mesure que les pièces du puzzle se mettent en place, nous devons intégrer les nouvelles découvertes à celles que nous avons déjà faites, même si, en surface, elles semblent inconciliables. Nous continuons à apprendre.