À nos Vénérables Frères, les patriarches, primats, archevêques, évêques et autres Ordinaires de lieux ayant paix et communion avec le Siège Apostolique.
PIE X, PAPE
Vénérables Frères, Salut et Bénédiction Apostolique.
Au milieu des tristes vicissitudes des affaires ordinaires, auxquelles se sont ajoutées dernièrement des afflictions domestiques qui accablent notre âme de douleur, c’est pour nous un sujet de consolation et de réconfort que ce concert récent de piété filiale de tout le peuple chrétien, qui ne cesse pas d’être encore « un spectacle pour le monde, pour les anges et pour les hommes (1) » ; l’état des maux présents l’a, sans doute, excitée, mais, en définitive, elle dérive toujours de la même cause, à savoir la charité de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ. Car, en effet, comme aucune vertu digne de ce nom ne peut exister sur la terre que par Jésus-Christ, c’est à lui seul qu’il faut rapporter les fruits qui en découlent parmi les hommes, même parmi ceux dont la foi est relâchée ou même qui sont hostiles à la religion, car, s’il reste encore en eux quelque vestige de la vraie charité, c’est un effet de cette civilisation apportée par le Christ qu’ils n’ont pu abolir entièrement ni extirper de la société chrétienne.
Les paroles nous manquent, au milieu de notre émotion, pour exprimer nos sentiments de reconnaissance envers ceux qui cherchent avec tant de zèle à procurer des consolations au Père et de l’aide à leurs frères dans les tribulations générales et privées. Que si déjà nous la leur avons témoignée en particulier, nous n’avons pas voulu tarder à nous acquitter publiquement de ce devoir de gratitude, d’abord auprès de vous, vénérables Frères, et par vous, auprès de tous les fidèles, quels qu’ils soient, confiés à votre sollicitude.
Mais il nous plaît aussi de témoigner en public notre reconnaissance à ces fils bien-aimés qui, de toutes les parties de la terre, ont accompagné de tant et de si hauts témoignages d’amour et d’attachement la célébration du cinquantième anniversaire de notre sacerdoce. Ces tributs d’affection nous ont moins réjoui pour nous-même que pour la religion et pour l’Eglise, car ils étaient la preuve d’une foi intrépide et comme une manifestation publique de l’honneur dû au Christ et à l’Eglise, en raison des hommages rendus à celui que le Seigneur a voulu placer à la tête de sa famille.
Mais d’autres fruits encore nous ont procuré, sous ce rapport, une grande joie. Car les fêtes célébrées à l’occasion du centième anniversaire de l’établissement des diocèses de l’Amérique du Nord ont donné l’occasion de rendre d’immortelles actions de grâces à Dieu, en raison du grand nombre de fils apportés à l’Eglise catholique. De son côté, la très noble Angleterre a donné le spectacle d’honneurs extraordinaires rendus chez elle à la très Sainte Eucharistie, au milieu d’une couronne d’évêques, nos vénérables frères, en présence de notre légat et avec le concours d’un peuple immense. Et en France aussi, l’Eglise affligée a séché ses larmes en contemplant les splendides triomphes de l’Auguste Sacrement, à Lourdes, en particulier, où nous avons eu la joie de voir fêter solennellement le cinquantième anniversaire de sa célébrité. De ces faits et des autres que les ennemis du nom catholique apprennent que toutes ces solennités extraordinaires, ce culte rendu à l’auguste Mère de Dieu, les honneurs eux-mêmes que l’on a coutume de rendre au Souverain Pontife tendent en dernier lieu à ce que le Christ soit tout et en tous (2), et enfin à ce que, par l’établissement du règne de Dieu sur la terre, le salut éternel des hommes soit assuré.
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Le triomphe divin qu’il faut attendre et sur les individus et sur la société humaine tout entière n’est pas autre chose que le retour des égarés à Dieu par le Christ, et au Christ par son Eglise, et tel est le but que nous nous proposons, comme nous l’avons publiquement indiqué dans nos premières lettres apostoliques E. Supremi Apostolatus cathedra (3) et bien d’autres fois. Ce retour, nous l’espérons avec confiance ; toutes nos pensées et tous nos désirs y tendent comme au port, où les tempêtes de la vie présente elle-même doivent s’apaiser. Et c’est dans ce sentiment aussi qu’en voyant dans les honneurs publics rendus à l’Eglise comme un signe de ce retour, favorisé de Dieu, des nations au Christ et d’un attachement plus étroit à Pierre et à l’Eglise, nous acceptions avec reconnaissance et joie les hommages rendus à notre humble personne.
Cet attachement affectueux au siège apostolique, qui ne s’est pas montré toujours et partout de la même manière, semble, par un dessein de la divine Providence, être devenu d’autant plus étroit que les temps, comme ceux où nous sommes, sont plus mauvais et plus contraires soit à la saine doctrine, soit à la sainte discipline, soit à la liberté de l’Eglise. Les saints ont donné particulièrement des exemples de cette union lorsque le troupeau du Christ était troublé, ou lorsque l’époque était plus dissolue : à ces maux Dieu a providentiellement opposé leur vertu et leur sagesse. Parmi eux, il nous plaît d’en rappeler un seulement dans ces lettres, en raison des solennités dont il est l’objet à l’occasion du huitième centenaire de sa mort. Nous voulons parler du saint docteur Augustin Anselme, ce maître si autorisé de la vérité catholique, ce défenseur si zélé des droits sacrés, aussi bien quand il était moine et abbé en France, que sacrés, il était archevêque de Cantorbéry et primat d’Angleterre. Et il ne nous paraît pas hors de propos, après les magnifiques solennités célébrées en l’honneur de Grégoire le Grand et de Jean Chrysostome, ces deux lumières, l’un de l’Eglise Occidentale, l’autre de l’Eglise Orientale, de contempler un autre astre qui, bien que « différent des autres en clarté (4) », en marchant sur leurs traces, n’a pas projeté un éclat moindre d’exemples et de doctrine, et l’on pourrait même dire, en quelque sorte, plus puissant, parce que Anselme est plus près de nous par l’âge, le lieu, la manière d’être, les études, et que tout en lui se rapproche plus des temps où nous vivons, soit le genre de luttes qu’il eut à soutenir, soit la forme d’action pastorale qu’il a mise en usage, soit la manière d’enseigner établie par lui ou par ses disciples et accréditée surtout pas ses écrits d’où a été tirée « la méthode de défense de la religion chrétienne et d’instruction des âmes, qui a été celle de tous les théologiens qui ont enseigné les Saintes Lettres d’après la méthode scolastique (5) ». Et ainsi, de même dans l’obscurité de la nuit, quand des astres se couchent, d’autres se lèvent pour éclairer le monde, de même pour illuminer l’Eglise, aux pères succèdent les fils, parmi lesquels a brillé comme un astre éclatant le bienheureux Anselme.
Et, en vérité, au milieu des ténèbres de son temps, enlacé dans un réseau de vices et d’erreurs, il a paru, aux yeux des meilleurs juges, surpasser en éclat ses pairs par la splendeur de sa doctrine et de sa sainteté. Il fut, en effet, pour eux, « le prince de la foi et l’ornement de l’Eglise., la gloire de l’épiscopat, celui qui l’emporta sur les hommes les plus éminents de son temps (6) ». Il fut aussi « le sage et le bon, l’orateur éclatant, le brillant génie (7) », dont la renommée s’étendit au point qu’on put croire avec raison de lui qu’il ne se serait trouvé personne sur la terre pour vouloir dire : « Anselme m’est inférieur ou seulement mon égal (8). » Et pour cela, il fut considéré des rois, des princes, des Souverains Pontifes. Et non seulement il était cher à ses confrères et au peuple fidèle, « mais à ses ennemis eux-mêmes (9) ». Simple abbé encore, il reçut des lettres pleines d’estime et de bienveillance de ce grand et vaillant Pontife Grégoire VII, « qui se recommandait ainsi que l’Eglise catholique à ses prières 110) ». À lui aussi Urbain II « décernera la palme de la religion et de la science (11) ». Dans plusieurs lettres des plus affectueuses, Pascal II exalta « sa piété, sa foi puissante, son zèle instant (12) », toujours disposé, en raison de l’autorité particulière de sa religion et de sa sagesse, à accéder aux demandes de sa fraternité, et n’hésitant pas à le proclamer le plus sage et le plus religieux des évêques d’Angleterre.
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Pour lui, cependant, il ne se considérait que comme un être misérable, un pauvre petit personnage ignoré, un homme de minime science, un pêcheur dans sa vie. Mais, tout en ayant de si bas sentiments de lui-même, il ne s’en élevait pas moins haut contre les pensées et les jugements des hommes dépravés par les mauvaises mœurs et les fausses doctrines, dont la sainte écriture a dit : « L’homme animal ne comprend pas les choses de l’esprit de Dieu (13). » Mais ce qu’il y a de plus admirable, c’est que sa grandeur d’âme et son invincible fermeté, mise à l’épreuve de tant de tracasseries, de persécutions et d’expulsions, s’alliait chez lui à une telle douceur et aménité qu’il brisait la colère de ceux qui s’emportaient le plus contre lui et se conciliait leur bienveillance. Et ainsi ceux qui avaient à souffrir à cause de lui le louaient de ce qu’il était bon (14).
Il y avait en lui une admirable harmonie et convenance des qualités que la plupart des hommes croient, à tort, ne pas pouvoir s’accorder entre elles et même se combattre mutuellement : ainsi la grandeur unie à la candeur, la modestie jointe au talent, la douceur avec la force, la piété et la science, qui s’alliaient si bien en lui que, dans toute sa vie, comme à l’époque de son noviciat dans son institut religieux, « il parut à tous un admirable modèle de sainteté et de doctrine (15) ».
Et ce double mérite d’Anselme ne resta pas confiné dans les murs d’une maison ou dans les limites d’un magister, mais, comme s’élançant d’une tente de soldat, il se produisit au soleil et à la poussière. Etant venu dans les temps dont nous avons parlé, il eut à combattre terriblement pour la justice et la vérité.
Et lui qui était porté, par sa nature, aux études contemplatives, il se trouva engagé dans les plus nombreuses et les plus difficiles affaires, et, ayant embrassé la sainte milice, il tomba en pleine bataille et dans la mêlée la plus âpre. Doux et paisible comme il était naturellement, il fut obligé, pour la défense de la doctrine et du droit de l’Eglise, d’abandonner le charme d’une vie tranquille, de renoncer à l’amitié et à la faveur des grands, de rompre les doux liens qui l’unissaient à ses confrères dans sa famille religieuse et aux évêques compagnons de ses travaux, pour s’engager dans les luttes quotidiennes et s’exposer à tous les genres d’épreuves. Il trouva, en effet, l’Angleterre en proie aux passions et aux crises, et il lui fallut combattre à la fois les rois et les princes, de qui dépendaient les Eglises et auxquels on avait laissé le sort des peuples, les ministres du culte lâches ou indignes de leur saint ministère, les grands et le peuple ignorants de tout et adonnés à tous les vices, et cela, avec une ardeur qui ne défaillit jamais dans la défense de la foi, des mœurs, de la discipline et de l’immunité ecclésiastiques, au point d’être vraiment le rempart de la doctrine et de la sainteté, digne à tous égards de cet autre éloge que fit de lui le pape Pascal nommé plus haut : « Nous rendons grâces à Dieu de ce qu’en toi l’autorité épiscopale vit toujours et que, placé au milieu de barbares, rien, ni la violence des tyrans, ni la faveur des puissants, ni la menace du feu, ni la contrainte militaire, ne t’empêche de proclamer la vérité » ; et, ailleurs : « Nous exultons de joie, parce que, la grâce de Dieu aidant, ni les menaces ne t’ébranlent, ni les promesses ne te séduisent (16) ».
De tout cela, vénérables Frères, à nous, comme à notre prédécesseur Pascal, il nous est permis, au bout de huit siècles, de nous réjouir encore et de faire écho à sa voix, en rendant grâces à Dieu. Mais il nos plaît également de vous inviter aussi à contempler cette lumière de sainteté et de doctrine qui s’est levée en Italie, a brillé pendant plus de trente ans en France, plus de quinze en Angleterre, et a été pour l’Eglise universelle enfin un secours et un ornement.
Que si Anselme a excellé en œuvres et en paroles, c’est-à-dire, si par l’emploi de sa vie et de sa doctrine, si par sa puissance de méditation et d’action, si en combattant avec force et en tendant avec douceur à la paix il a remporté pour l’Eglise de splendides triomphes et a procuré à la société civile d’insignes bienfaits, tout cela est à imiter en lui, puisque, dans tout le cours de sa vie et l’exercice de son ministère, il s’est toujours tenu fermement uni au Christ et à l’Eglise.
En ayant soin de nous inculquer dans l’esprit ses exemples, à l’occasion de la commémoration solennelle de ce grand Docteur, nous aurons dé quai, vénérables Frères, amplement admirer et imiter. De cette contemplation, résultera surtout un accroissement de force et d’encouragement pour remplir courageusement les fonctions, souvent si ardues et si pleines de soucis du saint ministère, pour travailler ardemment à tout restaurer dans le Christ « pour que le Christ soit formé en tous (17) » et principalement en ceux qui s’élèvent pour l’espoir du sacerdoce, pour défendre fermement le magistère de l’Eglise, et lutter énergiquement pour la liberté de l’épouse du Christ, pour la sauvegarde des droits d’institution divine et enfin pour tout ce qui importe à la défense du Souverain Pontificat.
Car vous n’ignorez pas, vénérables Frères, après toutes les occasions que vous avez eues d’en gémir avec nous, à quels temps malheureux nous sommes arrivés et combien est triste l’état de choses présent, et à l’indicible douleur causée en nous par les maux publics s’est ajoutée la cruelle blessure que nous avons ressentie des divers attentats commis contre le clergé, et aussi les empêchements apportés à l’administration des secours de l’Eglise à ses enfants malheureux, au mépris de ses droits maternels de soins et de sollicitudes envers eux. Nous en passons beaucoup d’autres sous silence, de ceux qui ont été perfidement ou astucieusement ourdis pour la perle de l’Eglise, ou audacieusement accomplis, en violation du droit public et au mépris de toute loi naturelle d’équité et de justice.
Et ce qui est plus grave, c’est que de tels attentats ont été commis dans les pays sur lesquels les bienfaits de la civilisation ont été répandus le plus abondamment par l’Eglise. Qu’y a-t-il, en effet, de plus cruel que de voir des fils que l’Eglise a nourris comme ses aînés et qu’elle a élevés dans sa fleur et dans sa force ne pas hésiter à tourner leurs coups contre le sein de la mère la plus aimante ?
Et la condition des autres pays n’est guère faite non plus pour nous consoler, car, si la forme d’hostilité est différente, c’est la même haine qui s’exerce déjà ou qui s’apprête à sortir bientôt de l’ombre des complots ténébreux. Car tel est le but suprême chez les nations ou les bienfaits de la religion chrétienne se sont fait le plus sentir : dépouiller l’Eglise de tous ses droits et en agir avec elle comme si elle n’était pas, en droit et par elle- même, une société parfaite, ainsi que l’a instituée le divin réparateur de notre humanité ; abolir son règne qui, tout en s’appliquant surtout et directement aux âmes, ne tend pas moins à la conservation du bien social qu’au salut éternel des hommes, tout disposer, enfin, pour que, sous le nom menteur de liberté, règne une licence effrénée à la place de l’autorité de Dieu. Et pendant qu’ils travaillent à établir, par le règne des vices et des passions, une servitude universelle et à précipiter la société à une catastrophe « car le péché fait le malheur des peuples (18) », ils ne cessent de crier : « Nous ne voulons pas que celui-là règne sur nous (19) ». De là, la proscription des ordres religieux, qui ont toujours été d’un si grand secours et d’un si grand ornement pour l’Eglise et qui ont été les principaux promoteurs de la civilisation et de la science parmi les nations barbares et ses propagateurs les plus zélés chez les peuples cultivés ; de là, la destruction ou la spoliation des instituts de charité chrétienne ; de là, le mépris affiché du clergé, à qui l’on fait une telle opposition que son action en est contrariée ou à qui l’on interdit ou l’on limite tout ministère public, ou à qui on ne laisse aucune part dans l’éducation de la jeunesse ; de là, toute action chrétienne d’utilité publique empêchée ; les hommes les plus distingués qui font profession de la foi catholique écartés des fonctions ou comptés pour rien, injuriés incessamment, traqués comme une espèce inférieure et abjecte et plus ou moins près de voir le jour où, par l’aggravation des lois hostiles, il ne leur sera même plus permis de s’occuper de rien de ce qui constitue l’action publique.
Et cependant, les auteurs de cette guerre si acharnée et si perfide s’en vont disant qu’ils ne sont inspirés d’aucun autre motif que du culte de la liberté et du zèle du progrès et même de l’amour de la patrie, et en cela ils mentent comme leur père, qui fut « homicide dès le commencement » et qui, « lorsqu’il ment, parle de son propre fond, parce qu’il est menteur (20) », et animé d’une haine inextinguible contre Dieu et l’espèce humaine. Hommes impudents qui s’efforcent de donner des prétextes et de dresser des pièges aux oreilles étourdies. Car ce n’est ni le doux amour de la patrie, ni le souci du peuple ni aucun motif de bien et d’honnête qui les pousse à cette guerre impie, mais uniquement leur fureur insensée contre Dieu et contre l’Eglise, son œuvre admirable. De cette haine délibérée, comme d’une source empoisonnée, découlent ces projets scélérats qui tendent à opprimer l’Eglise et à l’exclure de la société humaine ; de là, ces voix grossières qui proclament à l’envi qu’elle est morte, quand on ne cesse cependant de la combattre, et même quand on en arrive à ce point d’audace et de folie de l’accuser, après qu’on l’a dépouillée de toute liberté, de ne servir de rien pour l’humanité et de n’être d’aucune utilité pour l’Etat. C’est le même esprit d’hostilité qui fait que les mêmes hommes dissimulent perfidement ou passent sous silence les bienfaits les plus certains de l’Eglise et du siège apostolique et même qu’ils saisissent toute occasion de jeter habilement sur elle le soupçon et la défiance dans l’esprit et les oreilles de la multitude, en faussant tous les actes et toutes les paroles de l’Eglise et en les interprétant comme autant de dangers pour la société, alors qu’on ne saurait douter, au contraire, que les progrès de la liberté et de la civilisation émanent principalement de Jésus-Christ par son Eglise.
Très souvent, Vénérables Frères, mais surtout dans notre allocution prononcée au Consistoire du 16 décembre 1907, nous vous avons exhortés à la plus soigneuse vigilance contre les menaces de cette guerre conduite par l’ennemi du dehors, que nous voyons, ici, en lutte ouverte, et comme en bataille rangée, ailleurs par des ruses insidieuses et à force de retranchements, mais partout, de quelque manière, livrer des assauts à l’Eglise.
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Mais il est une guerre d’un autre genre, une guerre intestine, domestique, et d’autant plus funeste qu’elle apparaît moins au dehors, qu’il nous faut dénoncer et réprimer avec non moins de décision qu’elle nous occasionne de douleur. Celle-là a été machinée par quelques fils de perdition qui se tiennent cachés dans le sein même de l’Eglise pour la mieux pouvoir déchirer, et dont les coups, portés avec une détermination délibérée et raisonnée, frappent l’Eglise dans son âme, ainsi qu’un tronc dans sa racine.
Ce que se proposent ceux-ci, c’est de troubler les sources mêmes de la vie et de la doctrine chrétiennes ; de réduire en lambeaux le dépôt sacré de la foi ; de saper dans ses fondements l’institution divine en livrant au mépris le magistère pontifical et l’autorité des évêques ; d’assigner à l’Eglise une forme nouvelle, des lois nouvelles, un droit nouveau, au gré et à l’image monstrueuse des opinions mauvaises qu’ils professent ; enfin de déformer toute la face de l’Epouse de Dieu, au nom – tant ils sont fascinés par la vaine splendeur d’une culture ultra-moderne – au nom d’une fausse science dont l’apôtre, à plusieurs reprises, nous ordonne de nous garder en nous disant : Veillez que personne ne vous trompe par la philosophie et par d’inconsistantes faussetés selon l’opinion des hommes, selon les éléments du monde et non selon le Christ (21).
Séduits par cette apparence de philosophie et par cette contrefaçon vaine d’érudition, portée à l’ostentation et jointe à une audace de jugement excessive, plusieurs se sont évanouis dans leurs pensées (22), et, repoussant la bonne conscience, ont fait naufrage quant à la foi (23) ; d’autres, tiraillés en tous sens par d’inconciliables idées, sont comme écrasés sous les flots des opinions contradictoires et ne savent plus vers quel rivage chercher refuge ; d’autres encore, abusant des loisirs qu’ils se font et des études, s’acharnent, par un vain labeur, à édifier des théories aussi vides que difficiles, ce qui a pour effet de les détourner de l’étude des choses divines et des sources pures de la doctrine. Et, en aucune façon, cette peste pernicieuse, qui doit son nom de modernisme à la fureur de nouveauté malsaine d’où elle est sortie, encore qu’elle ait été dénoncée plusieurs fois et que l’intempérance de ses propres fauteurs l’ait dépouillée de tous ses voiles, ne cesse pas de faire de graves torts à la chrétienté. Ce poison se cache partout, dans les veines et dans les organes de la société actuelle, qui a cessé de connaitre le Christ et l’Eglise ; mais il se propage surtout, comme un ulcère, dans la jeunesse en formation, qui n’a nulle expérience des choses et dont l’esprit est plein de témérité.
La raison pour laquelle les choses en sont venues là, ce n’est pas que ces hommes jouissent d’une doctrine solide ni distinguée ; car il ne saurait y avoir aucune véritable dissension entre la raison et la foi (24). La vraie cause, c’est que ces hommes ont d’eux-mêmes un sentiment exagéré, et qu’ils s’admirent ; c’est qu’ils vivent sous un ciel devenu comme impur, dans un air lourd où ne circule que le vent pestifère du temps ; c’est que la connaissance qu’ils ont des choses sacrées, connaissance ou bien nulle ou bien confuse et mélangée, se joint en eux à un orgueil qui ressemble à de la folie. La contagion de cette misère est grandement favorisée par la disparition de la foi en Dieu et par l’éloignement où l’on se tient de lui. Et, en effet, ceux que cette passion aveugle de nouveautés pousse à l’aventure devant eux, s’imaginent facilement avoir assez de force pour, soit ouvertement, soit avec des dissimulations, secouer le joug de l’autorité divine, et se faire à eux-mêmes une religion comme circonscrite dans les limites de la nature et accommodée à l’esprit de chacun d’eux ; religion qui emprunte le nom et l’apparence de la religion chrétienne, mais qui, en réalité, est aussi éloignée que possible de la vie et de la vérité qui se trouvent dans celle-ci.
Ainsi, les guerres nouvelles contre toutes les choses divines sont une continuation de la guerre éternelle ; la façon de combattre seule a été changée ; et cela, d’autant plus dangereusement que sont plus adroites les armes de la piété simulée, de la candeur jouée, et de l’âpre volonté qu’emploient les factieux à unir les choses les plus contraires qui puissent être, à savoir, les délires de la faible science humaine et la foi divine, l’esprit incertain de ce siècle et la constance et la dignité de l’Eglise.
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Ces choses, Vénérables Frères, vous vous en plaignez avec nous ; mais vous ne perdez pas pour cela tout courage, ni n’abandonnez tout espoir. Vous savez, en effet, quelles terribles luttes les âges anciens ont livrées à la chrétienté, encore qu’elles ne fussent pas semblables à celle qu’on lui livre aujourd’hui. Et sur ce point, il vous plaira de vous reporter d’esprit et de cœur aux temps où vécut saint Anselme, temps qui furent des plus difficiles, ainsi que l’histoire nous l’apprend. Il fallut, à cette époque, combattre pour l’autel et pour le foyer, c’est-à-dire pour la sainteté du droit public, pour la liberté, pour l’humanité et pour la doctrine, toutes choses dont la protection était commise à l’Eglise seule ; il fallut résister à la violence des princes, qui confondaient communément le droit sacré et le profane ; il fallut extirper les vices, cultiver les intelligences, ramener à la politesse et à la civilisation les hommes qui n’avaient pas encore oublié la vieille barbarie ; il fallut diriger le clergé, dont une partie n’agissait pas assez ou agissait sans discrétion, et dont plusieurs de ses membres, livrés à de basses intrigues, se soumettaient trop souvent, corps et âme, à la domination des princes dont le caprice les appelait aux dignités.
Tel était l’état des choses, surtout dans ces contrées dans lesquelles Anselme appliqua son zèle secourable et sa sollicitude, soit qu’il enseignât comme docteur, soit qu’il donnât l’exemple de la vie religieuse, soit que, comme archevêque et comme primat, il se multipliât en industries et fît porter sur tout sa vigilance infatigable. Les provinces des Gaules et les îles Britanniques, les premières soumises, peu de siècles plus tôt à la domination normande, les autres reçues depuis peu dans le sein de la sainte Eglise éprouvèrent surtout les effets de sa bienfaisance. L’un et l’autre de ces deux peuples, agités à l’intérieur par des séditions incessantes, et harcelés, en plus, par des guerres étrangères, s’étaient, par suite de ces causes, relâchés de la discipline des princes aux sujets et du clergé au peuple.
Les plus grands hommes de cette époque, au nombre desquels Lanfranc, le vieux maître d’Anselme lui-même et son prédécesseur au siège de Cantorbéry, n’ont pas cessé de se répandre en plaintes amères sur ces désordres. Mais surtout, il en fut ainsi des pontifes romains, dont il nous suffira de citer par son nom un seul, homme d’une force d’âme invincible, défenseur intrépide de la justice, protecteur constant des droits et de la liberté de l’Eglise, gardien très attentif et au besoin vengeur de la discipline du clergé. C’est à savoir Grégoire VII.
Imitateur zélé des exemples de ces grands hommes, Anselme, laissant un libre cours à sa douleur, écrivait à un prince, souverain de sa propre nation, qui avait coutume de se glorifier de lui être uni à la fois par les liens de la parenté et par ceux de l’amitié, ces paroles qui semblent des cris : « Vous voyez, mon très cher Seigneur, de quelle façon notre mère l’Eglise de Dieu, que Dieu nomme sa tendre amie et son épouse bien-aimée, est foulée aux pieds par les mauvais princes ; comment, pour leur éternelle damnation, elle est jetée dans la tribulation par ceux-là mêmes à qui elle a été confiée par Dieu comme à des avocats chargés de sa défense ; avec quelle présomption ils ont usurpé ses biens pour les réduire à leur usage personnel ; avec quelle cruauté ils changent en servitude sa liberté; avec quelle impiété ils méprisent et dissipent sa loi et ses enseignements. Dédaignant d’obéir aux décrets du Pontife apostolique, promulgués pour garder sa force à la religion chrétienne, ils se rebellent contre l’apôtre Pierre, dont ce Pontife tient la place, et contre le Christ lui-même, qui a confié l’Eglise à Pierre… Tous ceux qui ne veulent pas se soumettre à la loi de Dieu doivent être réputés. sans aucun doute possible, comme les ennemis de Dieu » (25).
C’est ainsi que parlait Anselme, et il serait à souhaiter que ses paroles eussent été reçues pieusement non seulement par le prince et par ceux qui lui succédèrent, mais encore par d’autres rois et d’autres peuples qu’il embrassa d’un tel amour, qu’il entoura de tant de sollicitude et qu’il combla de tant de bienfaits.
Les tempêtes de persécution, les spoliations, les exils, les vexations de toutes sortes qui furent dirigées contre lui, particulièrement dans l’exercice de sa charge épiscopale, n’énervèrent pas sa vertu, ne le détachèrent pas de l’étroite union qui le liait à son Eglise et au Saint-Siège apostolique. Au contraire, il s’y attachait plus étroitement que jamais. C’est ainsi qu’abreuvé d’angoisses, tiraillé par toutes sortes de soucis, il écrivait à notre prédécesseur le pape Pascal, que nous avons déjà nommé : Je ne crains ni l’exil, ni la pauvreté, ni les tortures, ni la mort, parce que, par la grâce réconfortante de Dieu, mon cœur est préparé à tout pour l’obéissance au Saint-Siège apostolique et pour la liberté de ma mère l’Eglise du Christ » (26).
S’il cherche une protection, une aide et un refuge auprès de la Chaire de Pierre, c’est, écrit-il, pour que jamais la fermeté de la discipline ecclésiastique et de l’autorité apostolique ne soit, en aucune manière, affaiblie ni par lui, ni à propos de lui.
Il s’en explique ainsi dans les lettres qu’il envoie à deux illustres chefs de l’Eglise Romaine. Et il en donne cette raison, dans laquelle nous apparaît dans toute sa dignité son courage de pasteur fidèle : « Je préfère en effet mourir, et, tant que je vivrai, être en butte à toutes les misères parmi l’exil, que de voir, soit à cause de moi, soit par le fait de mon exemple, l’honneur de l’Eglise de Dieu violé de quelque façon » (27).
Ces trois choses, l’honneur de l’Eglise, sa liberté et son intégrité, sont jour et nuit l’objet que ne perd point de vue l’esprit du Saint ; pour le maintien de ces trois choses, il importune Dieu de ses larmes, de ses prières et de ses sacrifices ; pour leur accroissement, toutes ses forces sont tendues, et il applique à résister à ce qui les met en péril toute l’énergie de sa patience et de sa force ; il emploie à les protéger toute son activité, ses actes, ses écrits, sa voix. C’est à leur défense qu’il convie les religieux ses frères, les évêques, le clergé et le peuple fidèle, par des exhortations sans fin, douces et fortes, qu’il fait plus sévères pour les princes qui, pour leur grand malheur et pour celui de leurs sujets, méconnaissent les droits de la liberté de l’Eglise.
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Ces nobles cris pour la liberté de l’Eglise s’adaptent bien au présent ; et ils sont bien dignes de ceux que le Saint-Esprit a placés, en qualité d’évêques, pour gouverner l’Eglise de Dieu (28).
Ils ne manquent point d’efficace, même quand, par suite de la ruine de la foi, des mœurs, de la dissolution d’opinions erronées, et l’opposition de préjugés malfaisants, ils sont reçus par des oreilles qui ne veulent pas les entendre. C’est à nous, Vénérables Frères, à nous surtout, vous le savez, que s’adresse cet avis divin : Crie, ne cesse pas, élève la voix comme le son de la trompette (29) ; et cela nous est dit surtout quand le Très-Haut
a fait entendre sa propre voix (30), dans le frémissement de la nature entière et dans de terrifiques calamités ; sa voix qui ébranle la terre ; sa voix dont les éclats, importuns à nos oreilles d’hommes, nous disent et nous redisent très haut que ce qui n’est pas éternel n’est que néant ; que nous n’avons pas ici-bas une demeure permanente, mais que nous en cherchons une future (31) ; sa voix, voix de justice autant que de miséricorde, qui rappelle au sentier du bien et du droit les peuples perdus.
Dans ces infortunes publiques, Notre devoir est de parler plus haut encore et d’enseigner les graves vérités de Dieu non pas seulement aux petits, mais aux plus grands, à ceux qui vivent heureux, aux arbitres des Nations, et à ceux qui sont appelés au gouvernement des Etats ; de leur notifier ces sentences d’une fermeté inébranlable, dont l’Histoire si souvent a confirmé la vérité dans des pages écrites par du sang, et dont voici quelques exemples : le péché rend les peuples malheureux (32) ; les puissants seront tourmentés puissamment (33) ; –et celui-ci encore, qui est tiré du psaume II : Et maintenant, rois, comprenez ; instruisez-vous, vous qui jugez la terre. Appréhendez la discipline, de peur que le Seigneur ne s’irrite contre vous et que vous ne veniez périr hors de la voie juste. De ces menaces, l’accomplissement le plus rigoureux est à craindre, lorsque l’iniquité publique s’aggrave, lorsque ceux qui dirigent et le reste des citoyens commettent ce crime d’entre les crimes, de chasser Dieu d’entre eux et de méconnaître l’Eglise : car de cette double apostasie résulte la perturbation de toutes choses et une moisson infinie de misères tant pour les individus que pour la société entière.
Que si, comme il n’est pas rare qu’il arrive, même chez les bons, il peut nous arriver de nous rendre complice de tels crimes en nous taisant ou en les acceptant, il faut que les pasteurs sacrés regardent, chacun à part soi, comme ayant été dit pour eux, et qu’ils rappellent à l’occasion aux autres, ce qu’Anselmeécrivait au très puissant prince de Flandre : « Je vous prie, je vous supplie, je vous avertis, je vous conseille, mon seigneur, comme un ami fidèle de votre âme qui vous aime vraiment en Dieu, de ne jamais penser que vous amoindrissez la dignité de vôtre puissance lorsque vous défendez par amour la liberté de l’épouse de Dieu et de votre mère l’Eglise ; ne croyez pas que vous vous diminuez en l’exaltant, ne croyez pas vous affaiblir alors que vous la fortifiez. Voyez, considérez autour de vous; les exemples s’offrent à vous; considérez les princes qui l’attaquent et la foulent aux pieds. A quoi cela leur sert-il; où en arrivent-ils ? La réponse est assez patente, et n’a pas besoin d’être faite (34). »
La même chose est exprimée d’une façon plus éloquente, avec une force et une douceur de mots toujours égale, dans ce qu’Anselme écrivit à Baudoin, roi de Jérusalem : « C’est comme un très fidèle ami que je vous en prie, que je vous en avertis, que je vous en supplie, et que je le demande à Dieu pour vous : vivez comme sous la loi de Dieu, soumettant votre volonté en toutes choses à celle de Dieu. Ne croyez pas, comme plusieurs mauvais rois, que l’Eglise de Dieu vous a été livrée ainsi qu’un esclave à son maître, sachez qu’elle vous est confiée comme à un avocat et à un défenseur. Dieu n’a rien de plus cher en ce monde que la liberté de son Eglise. Ceux qui veulent la dominer plutôt que la servir prouvent ainsi manifestement qu’ils sont les adversaires de Dieu. Dieu veut que son épouse soit libre, et non au service de personne. Ceux qui la traitent et l’honorent comme leur mère se montrent véritablement ses fils et les fils de Dieu. Quant à ceux qui prétendent la dominer comme si elle leur était soumise, ils se font par cela, non ses fils, mais des étrangers, et c’est pourquoi ils sont justement déshérités des promesses qu’elle a reçues de Dieu en manière de dot (35). »
C’est ainsi que l’amour fervent de ce saint personnage pour l’Eglise jaillissait de son cœur : c’est ainsi qu’éclatait son souci de la liberté dont il désirait la défense, qui est la chose la plus nécessaire dans un gouvernement chrétien, en même temps qu’elle est la plus chère à Dieu même, ainsi que l’éminent docteur l’enseigne dans cette brève et vibrante affirmation : « Dieu n’a rien de plus cher au monde que la liberté de son Eglise. » Et, Vénérables Frères, il n’y a rien non plus par quoi notre pensée et notre sentiment soient exprimés plus clairement que par la répétition de ces paroles que nous venons de rapporter.
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Nous nous plaisons aussi à emprunter à saint Anselme les avertissements qu’il adressait aux princes et aux seigneurs. A la reine d’Angleterre, Mathilde, il écrivait : « Si voulez rendre grâce d’une manière qui soit droite, qui soit bonne, qui soit efficace par le fait même, considérez cette reine qu’il a plu à Dieu de se choisir dans ce monde-ci. Oui, considérez-la, vous dis-je, exaltez-la, honorez-la, défendez-la, afin qu’avec elle et en elle, vous plaisiez à Dieu, vous aussi, et que vous régniez avec elle dans l’éternelle béatitude (36). Surtout s’il vous arrive de voir que votre fils s’enfle de sa puissance terrestre, oublieux de cette mère si aimante, ou se rebelle contre son doux empire, gardez ceci dans votre mémoire : c’est à vous qu’il appartient de rappeler souvent, que ce semble opportun ou non, au prince qui vous doit la vie, qu’il a à se conduire non pas comme le seigneur, mais comme l’avocat de l’Eglise, non pas comme son bâtard mais comme son fils légitime (37). »
Il est de notre charge, et il nous sied particulièrement de persuader aux hommes, et de tâcher de graver dans leurs âmes ces autres paroles, si empreintes de sens paternel et de noblesse, écrites encore par saint Anselme : « Si j’entends à propos de vous quelque chose qui déplaît à Dieu et qui ne vous convient pas, et si, en l’apprenant, je néglige de vous avertir, c’est que je ne crains pas Dieu, et que je ne vous aime pas comme je dois (38). » Ainsi, nous-même, s’il vient à notre connaissance que vous traitez les Eglises qui sont dans vos mains autrement qu’il ne faut pour leur bien et celui de vos âmes, alors, imitant saint Anselme, nous devons nous remettre « à vous prier, à vous conseiller, et à vous avertir de ne pas traiter négligemment ces choses, et de vous hâter de corriger ce qui, par votre conscience, vous est montré comme devant être corrigé » (39). Car nous ne devons rien négliger de ce qui peut être corrigé, parce que Dieu demande compte à tous les hommes, non seulement du mal qu’ils font, mais encore des maux qu’ils ne corrigent pas alors qu’ils le pourraient faire. Et plus il leur est donné de puissance pour la réformation, plus strictement aussi Dieu exige d’eux qu’ils veuillent le bien et qu’ils le fassent selon la puissance qu’il leur en a miséricordieusement octroyée. « Si vous ne pouvez pas faire tout à la fois, vous ne devez pas pour cela omettre de vous efforcer d’aller toujours de mieux en mieux; car Dieu a pour coutume de parfaire, dans sa bonté, les bons propos et les bons efforts, et de les rétribuer par une heureuse plénitude (40). »
Ces enseignements, et d’autres du même genre, que saint Anselme a inculqués avec force et avec sagesse aux rois et aux hommes puissants, conviennent aux pasteurs sacrés et aux princes de l’Eglise plus qu’à personne, parce que à eux plus qu’à personne est commise la défense de la vérité, de la justice et de la religion. Les temps nous ont engagés en de nombreuses difficultés, et tant d’embûches nous sont tendues, que c’est à peine si aujourd’hui il nous reste un lieu sûr où nous puissions faire notre devoir. Tandis que les freins sont lâchés à la licence universelle et que règne l’impunité, on s’acharne avec âpreté à tenir l’Eglise enchaînée, et, tandis qu’on conserve encore, ainsi qu’une ironie, le nom de la liberté, toute votre action et celle de votre clergé est entravée de jour en jour par des artifices nouveaux, en sorte qu’il n’est rien d’étonnant à ce que vous ne puissiez pas faire tout à la fois pour ramener les hommes de l’erreur et du vice, pour les retirer de leurs mauvaises habitudes, pour regreffer dans leurs esprits les notions du vrai et du droit, enfin, pour soulager l’Eglise de tant d’angoisses qui l’accablent.
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Au surplus, nous avons de quoi soutenir notre courage. Il vit, en effet, le Seigneur, et il fera en sorte qu’à ceux qui aiment Dieu toutes choses convergent en bien (41). Lui-même fera sortir le bien du mal, pour donner à l’Eglise des triomphes d’autant plus splendides que l’humaine perversité se sera obstinée avec plus d’opiniâtreté à ruiner son œuvre ici-bas. Telle est l’admirable grandeur des desseins de la divine Providence ; telles sont, dans l’ordre actuel des choses, ses voies impénétrables (42), mes pensées ne sont pas les vôtres et mes voies ne sont pas vos voies, dit le Seigneur (43), telles sont ses voies et ses pensées, qu’il veut que l’Eglise, de jour en jour, se rapproche davantage de la ressemblance du Christ et se réfère à son image, à lui qui a souffert tant et de si grandes tortures, en sorte que, de quelque manière, elle accomplisse ce qui manque aux souffrances du Christ (44). Et c’est pourquoi cette loi divine a été donnée à l’Église qui milite ici, sur la terre, qu’elle soit perpétuellement éprouvée par des luttes, par des épreuves et des angoisses et qu’elle puisse, par ce mode de vie, à travers de nombreuses tribulations, entrer dans le royaume de Dieu (45), et se réunir enfin, un jour, à l’Église triomphante du Ciel.
Dans cet esprit, Anselme ayant à expliquer ce passage de saint Mathieu: Jésus obligea ses disciples à monter dans la petite barque, s’exprime ainsi, d’après le sens mystique : « l’Evangile décrit ici sommairement la condition de l’Eglise depuis l’avénement du Sauveur jusqu’à la fin du siècle. La barque donc était ballottée par les flots au milieu de la mer, tandis que Jésus s’attardait sur le sommet de la montagne, parce que, du moment où le Sauveur est monté au Ciel, la sainte Eglise a commencé d’être agitée dans ce monde par de grandes tribulations, d’être secouée en tous sens par toutes sortes de tempêtes qui sont celles des persécutions, d’être éprouvée par toutes sortes de vexations que lui inflige la méchanceté des hommes pervers, et d’être, en mille manières, assaillie par les vices humains. Car le vent lui était contraire, en ce sens que le souffle des esprits malins doit s’exercer toujours contre elle pour l’empêcher de parvenir au port du salut, et que le même souffle s’efforce de l’engloutir sous le flot des adversités, en soulevant contre elle tous les obstacles possibles (46). »
C’est donc bien profondément qu’ils se trompent ceux qui s’imaginent que la condition de l’Eglise peut être exempte de toutes ces perturbations et qui espèrent pour elle un état dans lequel, les choses allant à volonté, et rien ne s’opposant ni à l’autorité, ni au gouvernement de la puissance sacrée, il serait possible de jouir d’une tranquillité douce au cœur. Ils se trompent aussi d’ailleurs plus grossièrement que ceux-là, ceux qui, poussés par une fausse et vaine espérance de procurer une pareille paix, dissimulent les devoirs et les droits de l’Eglise, les font passer après les considérations privées, les atténuent, les diminuent injustement aux yeux du monde tout entier soumis au Malin (47), et s’arrangent avec celui-ci, sous le spécieux prétexte de s’attirer les sympathies des fauteurs de nouveautés qu’ils comptent réconcilier avec l’Église, comme si, entre la lumière et les ténèbres et entre le Christ et Bélial, il pouvait y avoir accord. Ce sont là des rêveries de malades, telles qu’on en a toujours aussi vainement caressées et qu’on en caressera encore, tant qu’il y aura de lâches soldats prêts à fuir en jetant leurs armes aussitôt qu’ils voient l’ennemi, ou des traîtres toujours hâtés de traiter avec l’adversaire, c’est-à-dire, dans notre cas, avec l’ennemi acharné et de Dieu et du genre humain.
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Il est donc de votre devoir, Vénérables Frères, vous que la divine Providence a constitués les pasteurs et les chefs du peuple chrétien, de tâcher, selon vos forces, que notre âge, si enclin à ce genre de bassesse, cesse dorénavant alors qu’une guerre si cruelle sévit contre la religion de s’endormir dans une honteuse apathie, d’être neutre entre les deux camps, de pervertir les droits divin et humain par de compromettants accommodements, mais retienne, au contraire, profondément gravée au cœur de tous, cette sentence si formelle et si précise du Christ : « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi (48). » Ce n’est pas qu’il ne faille que les ministres du Christ soient toujours pleins d’une charité paternelle, eux à qui, entre tous, s’adressent les paroles de Paul : « Je me suis fait tout à tous pour les sauver tous (49) » ; ce n’est pas non plus qu’il ne convienne jamais de céder quelque chose, même de son droit, en tant que cela est permis et utile au salut des âmes ; mais, certes, nul soupçon d’une faute de ce genre ne tombe sur vous, que presse la charité du Christ. Aussi bien, cette condescendance, qui a quelque chose d’équitable, ne mérite en aucune façon le reproche d’être une restriction du Devoir, et elle ne touche en rien du tout au fondement éternel de la Vérité et de la Justice. Il en a été ainsi, d’après ce que nous dit l’histoire, dans la cause d’Anselme ou plutôt dans la cause de Dieu et de l’Eglise pour laquelle, pendant si longtemps, Anselme eut à lutter si âprement. Aussi, lorsque fut apaisé enfin le long conflit; notre prédécesseur Pascal, déjà souvent nommé, rendit hommage au saint évêque par ces paroles : « Que la miséricorde divine ait pris enfin pitié de ce peuple sur qui veille sa sollicitude, nous croyons que cette grâce a été obtenue par la charité pastorale et par l’instance de tes prières. » Ce même Souverain Pontife, parlant de l’indulgence de père avec laquelle il accueillait ceux qui s’étaient rendus coupables, usait des termes suivants : « Si nous avons été aussi condescendant, ça l’a été, sache-le, afin de pouvoir relever par l’effet de cette compassion affectueuse ceux qui étaient tombés. Car, celui qui, étant debout, tend la main, pour le relever, à quelqu’un qui gît devant lui, ne pourra pas le relever, s’il ne se courbe pas lui-même. D’ailleurs, quoique l’inclination du corps puisse sembler proche de la chute, il ne fait pas perdre pourtant l’équilibre à qui est debout (50). » En nous appliquant à nous-mêmes ces paroles dites par notre pieux prédécesseur à saint Anselme pour lui être une consolation, nous ne voulons pas, néanmoins, dissimuler les douloureuses angoisses d’âme par lesquelles les meilleurs même d’entre les pasteurs ont parfois à passer lorsqu’ils se demandent, hésitants, s’il faut, de deux choses l’une, agir avec plus de douceur ou résister avec une fermeté plus constante. De la douleur de ces angoisses, on peut citer en témoignage les craintes, les tremblements, les larmes de très saints hommes, des plus saints hommes, qui avaient le mieux éprouvé combien est lourde la charge du gouvernement des âmes et combien en est grand le danger pour ceux qui l’assument. La vie de saint Anselme en fournit un clair témoignage. Appelé aux plus hautes fonctions, à une époque très difficile, du fond d’une agréable retraite où il vaquait en paix à l’étude et à la prière, il eut à traverser les plus pénibles des épreuves; et, tandis qu’il était harcelé par tant de soucis, il ne craignait rien tant que de n’avoir pas assez fait pour pourvoir au salut de son peuple et au sien, à l’honneur de Dieu et à la dignité de l’Eglise. Rien ne relevait tant son âme aux prises avec ces préoccupations, son âme brisée, endolorie, comme écrasée par le fait de la défection d’un grand nombre de ses amis parmi lesquels plusieurs évêques, rien ne consolait tant son âme que d’avoir placé sa confiance dans le secours de Dieu et d’avoir cherché un refuge dans le sein de la sainte Eglise. C’est pourquoi, sur le point de faire naufrage, et devant l’assaut des tempêtes, il fuyait, écrit-il, « vers le port de la mère Eglise, demandant au Pontife romain un pieux et prompt secours et une consolation » (51).
C’est peut-être par une permission divine qu’un homme d’une sagesse et d’une sainteté aussi singulière fut exposé à tant d’adversité. C’est par toutes les épreuves qu’il a eu à subir qu’il a pu nous être un exemple et un soutien à nous tous qui peinons dans le saint ministère et que nous nous trouvons aux prises avec les pires difficultés, en sorte que chacun de nous peut sentir et vouloir ainsi que sent et veut saint Paul : « Volontiers, je me glorifierai dans mes infirmités afin qu’habite en moi la puissance du Christ. C’est pourquoi je me plais dans mes infirmités, car c’est quand je me sens infirme que je suis fort (52).» Ce qu’écrit saint Anselme à Urbain II n’est pas sans ressembler à ces paroles de l’apôtre : « Saint-Père, lui dit-il, je souffre d’être ce que je suis, je souffre de n’être plus ce que j’ai été. J’ai douleur d’être évêque, parce que, mes péchés l’empêchant je ne m’acquitte pas de mon devoir d’évêque. En lieu humble, je paraissais faire quelque chose ; placé en haut, écrasé sous une charge trop lourde, je ne fais aucun fruit pour moi, ni ne suis utile à personne. Je succombe au fardeau, parce que, plus qu’il ne semblerait croyable, je souffre d’être dépourvu des forces, des vertus, du génie et de la science qu’exigent de si hautes fonctions. J’ai le désir de fuir un office que je ne puis remplir, de me décharger d’un poids que je ne puis porter ; d’autre part, j’ai la crainte, en le faisant, d’offenser Dieu : c’est la crainte de Dieu qui m’a forcé à accepter cette fonction ; c’est la même crainte aujourd’hui qui me contraint à la garder. Maintenant que la volonté de Dieu m’est cachée et que je ne sais pas quoi faire, je vais errant et soupirant et j’ignore la fin qu’il faut donner à ce tourment (53). »
Il plaît à la Bonté divine de ne pas laisser ignorer aux hommes, même d’une sainteté éminente, quelle est leur faiblesse naturelle. Ainsi, s’ils accomplissent quelque chose de grand, tous tiendront pour certain que c’est à la force d’en haut qu’il convient de l’attribuer. Ainsi encore, les hommes sont amenés à suivre avec humilité, et d’un effort plus généreux, l’autorité de l’Eglise. C’est ce qui arriva pour Anselme et d’autres évêques qui, sous la conduite du Saint-Siège, combattirent pour la liberté et pour la doctrine de l’Eglise. Et leur obéissance leur a valu ce fruit, qu’ils sont sortis vainqueurs de la lutte, ayant, par leur exemple, confirmé la divine parole : « L’homme qui obéit parlera de victoire » (54). Une très grande espérance d’obtenir pareille récompense brille aux yeux de tous ceux qui, d’une âme sincère, obéissent à celui qui représente le Christ, en toutes les choses qui se rapportent à la direction des âmes ou à l’administration de la chrétienté, ou qui, d’une façon quelconque, ont rapport à ces grandes fins ; car de l’autorité du Siège apostolique dépendent les directions et les conseils des fils de l’Eglise (55).
Combien saint Anselme excella dans ce genre de gloire ! Avec quelle ardeur, avec quelle fidélité, il se retint toujours uni avec le siège de Pierre, on peut le conclure de ce qu’il écrivait au même pontife Pascal : « De nombreuses et de très graves tribulations de mon cœur, connues de Dieu seul et de moi, attestent le soin avec lequel mon âme observe, selon ses forces, le respect et l’obéissance au siège apostolique. J’espère, en Dieu, que rien ne pourra m’arracher à cette disposition. C’est pourquoi, pour autant qu’il m’est possible, je veux remettre tous mes actes à la disposition de cette autorité afin qu’elle les dirige et, si besoin est, les corrige (56). »
Toutes les actions et tous les écrits d’Anselme, et surtout ses lettres privées, d’une suavité si grande, que notre prédécesseur Pascal disait avoir été écrites par la plume de la Charité (57), témoignent identiquement de cette volonté très ferme du saint homme. Dans ces lettres, il ne fait que demander et qu’implorer de l’aide et de la consolation (58) : il promet d’adresser à Dieu, pour le Pape, d’incessantes prières, comme lorsque, étant encore abbé du Bec, il écrivait à Urbain II en ces termes si expressifs d’amour filial : « Nous ne cessons de prier Dieu assidûment pour notre tribulations et celle de l’Eglise romaine qui est la nôtre et celle de tous les vrais fidèles. Nous le prions d’adoucir pour vous l’épreuve de ces jours mauvais, jusqu’à ce qu’enfin soit creusée la fosse de ceux qui vous offensent. Et nous sommes sûrs, encore que le Seigneur nous paraisse tarder beaucoup, qu’il ne laissera pas le fléau des pécheurs peser sur le sort de ses justes, car il n’abandonnera pas son héritage et les puissances de l’Enfer ne prévaudront pas contre lui (59).
Ce qui fait, Vénérables Frères, que nous nous délectons merveilleusement dans la lecture de ces lettres et d’autres de ce genre écrites par Anselme, ce n’est pas seulement qu’elles sont un témoignage à la mémoire d’un homme tel qu’on n’en vit jamais de plus attaché au Saint-Siège ; c’est aussi qu’elles nous rappellent les innombrables écrits et les actes de toute espèce par lesquels, au milieu d’un conflit analogue, vous avez affirmé une union de volonté si profonde et si explicite avec nous.
Il est admirable, vraiment, qu’au milieu des fureurs qui, au long cours des siècles, sévissent orageusement contre le nom chrétien, l’union des Pontifes sacrés et du troupeau fidèle n’ait cessé de se resserrer avec cette force et cette vigueur autour du Pontife Romain. Cette union, de nos jours, s’est tellement accrue encore et se montre avec une telle intensité qu’il semble que ce soit un miracle de Dieu que des volontés d’hommes puissent s’unir avec une telle force et, dans cette union, grandir dans une telle unité.
Cette conspiration d’amour et de fidélité, tandis qu’elle nous encourage et, à la lettre, nous confirme, est, pour l’Eglise, une gloire et un soutien des plus puissants. Mais, plus éclatant est le bien que nous vaut cette union, plus aussi s’enfle contre nous l’envie de l’antique Serpent, et plus violentes sont les rages qui coalisent contre nous les hommes impies, que la nouveauté d’un tel fait frappe d’une sorte d’épouvante. Rien de semblable, il faut le dire, ne s’offre à leur admiration dans les autres groupements d’hommes ; et ils ne peuvent expliquer un tel fait par aucune des causes, soit publiques soit autres, qui régissent les choses humaines ; mais ils ne s’avouent pas à eux-mêmes que la sublime prière du Christ, dans le dernier repas qu’il prit avec ses disciples, s’accomplit par cet événement.
Il faut donc, Vénérables Frères, faire porter les plus grands efforts vers ceci, que, de jour en jour, les membres cohérents entre eux s’attachent à leur chef à tous d’un lien de plus en plus solide, non à la manière des choses terrestres, mais selon celle des divines, en sorte que tous nous soyons un dans le Christ. Si, par tous les moyens, nous tendons à cette fin, nous nous acquitterons parfaitement du devoir qui nous est fait, de promouvoir l’œuvre du Christ et de dilater son règne sur la terre. C’est à cela que correspond cette si suave prière par laquelle l’Eglise supplie sans cesse son céleste époux et dans laquelle est contenue la somme de tous nos vœux : « Père saint, conserve-les dans ton nom ceux que tu m’as donnés afin qu’ils soient un comme nous (60). »
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Ces efforts doivent avoir pour but d’opposer une ferme défense, non seulement aux attaques extérieures de ceux qui nous livrent assaut pour détruire les droits et la liberté de l’Eglise, mais aussi contre les périls de la guerre domestique, intestine, dont il est fait mention plus haut, à l’endroit où nous déplorions douloureusement qu’il existât une espèce d’hommes qui, par de perfides commentaires dictés par leurs opinions propres, tentent de changer complètement la forme et jusqu’à la nature même de l’Eglise, de violer l’intégrité de la Doctrine, et de mettre à néant, la discipline. Il se propage, de nos jours, ce poison dénoncé plus haut ; et déjà il a infecté des hommes en grand nombre, même dans les ordres sacrés, particulièrement les jeunes qui, comme enveloppés d’un air vicié, et sans plus pouvoir respirer, se ruent aveuglément devant eux, entraînés par la passion folle du nouveau.
Il en est même parmi eux qui, donnant en spectacle au monde la lourdeur de leurs esprits et l’intempérance de leurs âmes, se saisissent, au hasard, de toute découverte nouvelle des sciences d’observation appliquées aux choses naturelles, ou des arts qui président soit aux nécessités, soit aux commodités de la vie actuelle, et en forgent de nouvelles armes qu’avec une arrogance et une malignité extrêmes, ils tendent de tourner contre les vérités qui nous sont révélées d’en haut. Qu’ils se rappellent, ceux-là, combien diverses et contradictoires ont été, quant à la connaissance du cœur et quant aux choses les plus nécessaires à la direction de la vie, les avis des fauteurs de ces imprudentes nouveautés ; et qu’ils apprennent que tel est le châtiment réservé à l’orgueil humain que les malheureux qui s’y livrent ne peuvent jamais être conséquents avec eux-mêmes et dévient dans leur voie avant même d’avoir pu apercevoir le pont de la Vérité.
Mais même ces derniers n’ont pas appris, par leur propre exemple, à considérer avec humilité, à repousser loin d’eux tout raisonnement qui s’élève avec hauteur contre la science de Dieu, et à réduire en servitude toute pensée pour la soumettre à l’obédience du Christ (61).
Il s’en faut bien. D’une arrogance outrée, ils sont tombés dans l’extrême contraire, ayant suivi cette méthode philosophique qui, à force de mettre en doute toutes choses, finit par tout envelopper dans un ensemble d’erreurs et de contradictions qui se combattent les unes les autres. Et dans ce conflit d’opinions, ils se sont évanouis dans leurs pensées : « ils disaient qu’ils étaient des sages et ils sont devenus des fous (62). »
Leurs paroles grandiloquentes et vagues, qui annonçaient une science nouvelle qu’on pouvait croire tombée du ciel et promettaient d’ouvrir de nouveaux chemins aux études, entraînèrent peu à peu une partie de la jeunesse vers sa perte, ainsi qu’il arriva jadis à Augustin qu’avaient circonvenu les mensonges des manichéens. Mais, sur ces funestes docteurs d’une science en délire, sur leurs audaces, sur leurs mensonges, sur leurs erreurs, nous en avons dit assez dans notre Encyclique datée du 8 septembre 1907, commençant par ces mots : Pascendi dominici gregis.
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Ce qu’il est opportun de faire remarquer ici, c’est que, si les dangers dont nous avons parlé sont plus graves aujourd’hui et d’une imminence plus prochaine, ils ne sont pas pourtant tout à fait dissemblables de ceux qui, à l’époque d’Anselme, menaçaient la doctrine de l’Eglise. Il y a, d’autre part, à considérer que nous pouvons, pour la défense de la doctrine, trouver aide et soutien dans la doctrine du saint docteur, comme dans son énergie apostolique pour la défense des droits et de la liberté de l’Eglise.
Et, sur ce point, nous abstenant de rechercher quel fut l’état de civilisation en cet âge déjà lointain et le degré de culture qu’y recevaient tant le peuple que le clergé, nous traiterons brièvement d’un péril double, né en ce temps, de ce que les intelligences s’étaient jetées, en sens contraire, dans des doctrines exagérées.
Il y eut, en effet, des hommes légers et vains qui, avec leur érudition superficielle et très mêlée, s’enorgueillissaient de la masse indigeste de leurs connaissances, abusés qu’ils étaient par une vaine apparence de philosophie ou de dialectique.
Ces hommes, sous le spécieux prétexte de science, méprisaient les saintes autorités ; « avec une coupable témérité, disait d’eux Anselme, ils osent s’élever contre l’une ou l’autre des vérités que la foi chrétienne enseigne. Et ils aiment mieux, dans leur fol orgueil, déclarer qu’il ne peut rien y avoir qu’ils ne puissent comprendre, que de reconnaître, avec une humble sagesse, qu’il y a beaucoup de choses qu’eux-mêmes sont incapables de saisir. D’ordinaire, ils montrent dès le début comme les cornes d’une science sûre d’elle-même, ignorant que, si quelqu’un croit savoir quelque chose, il n’a même pas appris comment il faut savoir, et, avant de s’être fait des ailes spirituelles à l’aide d’une foi solide, ils ont la présomption de s’élever aux plus hautes questions concernant la foi. De là il arrive qu’en s’efforçant, par une téméraire intervention, de s’élever d’abord par l’intelligence, ils tombent fatalement, par une défaillance de l’intelligence, dans une multitude d’erreurs (63). » Et nous avons aujourd’hui sous les yeux les exemples de beaucoup d’hommes qui ressemblent à ceux-là.
D’autres, au contraire, d’un esprit timide, impressionnés surtout par le cas d’un si grand nombre qui ont fait naufrage dans la foi, et craignant le danger de la science qui « enfle », en sont venus à délaisser tout usage de la philosophie, et même toute discussion, si solide fût- elle, sur les choses de la religion.
La tradition catholique tient le juste milieu entre ces deux extrêmes, également éloignée de l’arrogance des premiers, si sévèrement blâmée, à une époque ultérieure, par Grégoire IX, en parlant de ceux qui, « enflés comme des outres par l’esprit de vanité…, s’efforcent d’établir, indûment, la foi sur la raison naturelle…, altérant la parole de Dieu par les élucubrations de la philosophie (64) », – et éloignée aussi de l’indifférence de ceux qui ne sont préoccupés en rien de la recherche du vrai et n’ont aucun souci « d’arriver à l’intelligence par la foi (65) », et, d’une manière d’autant plus coupable qu’ils sont plus obligés par leur ministère à défendre la foi catholique contre tant d’erreurs qui lui sont opposées.
Anselme paraît avoir été providentiellement suscité pour cette défense de la foi, en sorte qu’il marquât, par son exemple, sa parole et ses écrits, la voie sûre à suivre, qu’il fît couler les eaux pures de la sagesse chrétienne pour le bien commun, et qu’il fût comme le guide et la règle pour les docteurs qui ont enseigné après lui les saintes Lettres, d’après la méthode scolastique (66), et dont il a mérité d’être appelé et considéré comme le précurseur.
Ce n’est pas à dire pour cela que le docteur augustinien eût atteint du premier coup les sommets de la philosophie et de la théologie, ni qu’il ait acquis la réputation de ces grands génies Thomas et Bonaventure. Le temps, en effet, et le travail accumulé des maîtres ont mûri les fruits plus tardifs de la science de ceux-là. Pour lui, Anselme, avec la modestie propre aux vrais savants, et aussi avec la promptitude et l’acuité d’intelligence qui lui étaient particulières, ne publia aucun écrit sans que l’occasion ne lui en eût été fournie, ou que l’autorité d’un autre ne l’y eût décidé, et il répète constamment : « Si nous avons dit quelque chose qui soit à corriger, je ne récuse pas la correction (67) » ; bien plus, si le sujet est en dehors de la foi et peut être mis en question, il ne veut pas que son disciple « s’attache, ce sont ses propres paroles, à ce que lui-même a dit, jusqu’à s’y obstiner, si quel qu’autre a pu détruire ses théories par des arguments plus solides et leur en opposer d’autres plus pertinents ; et s’il en est ainsi, on ne niera pas au moins que les premières n’aient servi de bon exercice de discussion (68) ».
Néanmoins, il y a chez lui beaucoup plus de points acquis qu’il ne l’eût espéré et plus que tout autre ne pourrait s’en pro- mettre de tirer de son fond, car il a été si avant que la gloire de ceux qui l’ont suivi n’a nui en rien à son mérite, pas même celle de Thomas, quoique lui n’ait pas admis toutes les conclusions de son devancier, et que certaines autres il les ait exposées à nouveau avec plus de précision et plus d’exactitude. Ce qu’il faut surtout reconnaître à Anselme, c’est qu’il a ouvert la voie aux recherches, qu’il a dissipé les scrupules des timides, qu’il a préservé les imprudents des dangers, qu’il a écarté le fléau des ergoteurs entêtés, si bien définis par lui en ces termes : « Ces dialecticiens de notre temps, qui sont bien plutôt des dialectiquement hérétiques (69) », et dont l’intelligence était devenue l’esclave de leurs extravagances et de leur vanité.
De ces derniers il a dit : « Quand tous doivent être avertis de n’aborder qu’avec la plus grande prudence les questions relatives à l’Ecriture sainte, pour les dialecticiens de notre temps il faut absolument leur dire de s’abstenir des controverses sur les sujets spirituels. » Et la raison qu’il en donne s’applique parfaitement aussi à leurs disciples d’aujourd’hui, qui répètent les mêmes absurdités, à savoir que « la raison qui est dans leurs âmes, laquelle doit être la maîtresse et le juge de tout ce qui est en l’homme, est tellement enveloppée dans les images corporelles qu’elle ne peut se dégager d’elles, ni abstraire de ces images les choses qu’elle doit contempler seule et libre (70) ». Et les termes qu’il emploie pour se moquer de cette espèce de philosophes ne conviennent pas moins à notre temps, quand il dit d’eux que, « parce qu’ils ne peuvent comprendre ce qu’ils croient, ils discutent contre la vérité de cette même foi confirmée par les Saints Pères, comme si les chauves-souris et les hiboux qui ne voient le ciel que la nuit, discutaient des rayons du soleil de midi contre les aigles qui regardent le soleil lui-même sans cligner des yeux (71) ». C’est pourquoi, en cet endroit et ailleurs (72), il blâme l’opinion dépravée de ceux qui, accordant à la philosophie plus qu’il ne lui est dû, réclamaient pour elle le droit d’envahir le domaine de la théologie. A rencontre de cette folle prétention, l’excellent docteur a marqué les limites de l’une et de l’autre science et il enseigne exactement quelle est la fonction et la charge de la raison naturelle dans les choses qui touchent à la doctrine divinement révélée : « Notre foi, dit-il, doit être défendue par la raison contre les impies » ; mais comment et dans quelle mesure ? Les paroles suivantes l’indiquent clairement : « à eux il faut montrer rationnellement combien irrationnellement ils nous méprisent (73) ». Le rôle principal de la philosophie consiste donc à faire ressortir le rationabile obsequium de notre foi, et, par conséquent, de déterminer aussi la foi à accorder à l’autorité divine, quand elle nous propose des mystères, qui, attestés par de nombreuses marques de vérité, sont rendus parfaitement croyables. Bien différente est la fonction de la théologie, qui s’appuie sur la révélation divine et affermit dans la foi ceux qui font profession de se réjouir du nom de chrétiens : « car aucun chrétien ne doit discuter si ce que l’Eglise catholique croit de cœur et enseigne de bouche est ou n’est pas ; mais, en s’attachant inébranlablement à sa foi, en l’aimant et en vivant selon elle ; il peut chercher en toute humilité la raison de ce qui est. Et s’il peut comprendre, qu’il rende grâces à Dieu ; s’il ne le peut pas, qu’il ne fonce pas avec ses cornes contre l’obstacle, mais plutôt qu’il courbe la tête avec révérence (74) ! »
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Lors donc que les théologiens cherchent ou que les fidèles demandent les raisons de notre foi, ce n’est pas sur les fondements de la philosophie mais sur l’autorité de la révélation divine qu’ils s’appuient, c’est-à-dire, comme l’explique Anselme : « De même que l’ordre régulier exige que nous croyions les vérités cachées de la foi chrétienne, appelées mystères, avant d’entreprendre de les discuter avec la raison, ainsi, il y a de la négligence, à mon avis, si, après que nous avons été confirmés dans la foi, nous ne nous appliquons pas à comprendre ce que nous croyons (75) ». Et il parle ici de cette intelligence dont a parlé aussi le concile du Vatican (76) ; car, dans un autre endroit, il s’exprime ainsi : « Quoique depuis le temps des apôtres, les Saints Pères et tous nos Docteurs aient dit tant et de si grandes choses sur la raison de notre foi, ils n’ont pu dire néanmoins tout ce qu’ils auraient dit, s’ils eussent vécu plus longtemps, et la raison de la vérité est si étendue et si profonde qu’elle ne peut être épuisée par les hommes ; et, d’autre part, le Seigneur n’a cessé de prodiguer à son Eglise, avec laquelle il a promis d’être jusqu’à la consommation des siècles, les dons de sa grâce. Et pour ne pas parler du reste, dans les paroles avec lesquelles la sainte Ecriture nous invite à l’exercice de la raison, quand elle dit : « Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas », elle nous exhorte expressément à appliquer notre esprit à l’intelligence de la vérité, puisqu’elle nous apprend comment il faut procéder pour y arriver. » Et il ne faut pas omettre la raison qu’il ajoute en dernier lieu : « Entre la foi et la claire vue, l’intelligence que nous possédons en cette vie tient le milieu », et c’est pourquoi, « plus on s’avance vers la connaissance, plus on s’approche de la vision à laquelle nous aspirons tous (77) ».
Tels sont, sans parler des autres, les fondements solides donnés à la philosophie et à la théologie par Anselme ; telle est la méthode d’études établie par lui à l’usage de la postérité, et que, en marchant sur ses traces, les plus doctes maîtres, les princes des Scolastiques, et entre tous le grand docteur d’Aquin, ont grandement enrichie, accrue, illustrée, perfectionnée pour la plus grande gloire et la plus grande utilité de l’Eglise. Il nous a plu, Vénérables Frères, de vous rappeler ainsi Anselme, pour avoir l’occasion, attendue de nous, de vous exhorter de nouveau à avoir soin de faire couler sur la jeunesse cléricale les sources les plus salutaires de la sagesse chrétienne, ouvertes d’abord par le docteur augustinien et abondamment enrichies ensuite par Thomas d’Aquin. Et à ce sujet, ne perdez pas le souvenir de ce que notre prédécesseur d’heureuse mémoire, Léon XIII (78), et nous-même, en diverses circonstances et en particulier dans notre lettre encyclique du 8 septembre 1907, commençant par ces mots : Pascendi dominici gregis, nous avons dit sur ce point. Hélas ! nous ne voyons que trop les ruines causées par la négligence ou la mauvaise direction des études, dont il y était question, alors que tant d’hommes, même parmi le clergé, sans en être capables ni préparés, n’ont pas craint de « s’élever témérairement contre les plus hautes matières de la foi (79) ». En déplorant ces maux avec Anselme, nous empruntons aussi ses paroles pour renouveler les graves avertissements qu’il donnait en ces termes : « Que personne ne se plonge témérairement dans les obscurités des questions divines, à moins de s’être établi d’abord fermement dans la foi, et d’avoir la maturité voulue de mœurs et de sagesse, afin de ne pas s’exposer, en s’égarant avec imprévoyance dans les multiples sentiers du sophisme, à être pris au lacet de quelque subtile erreur (80). » Et à cette imprudence si le feu des passions s’ajoute, comme il arrive ordinairement, c’en est fait des études sérieuses et de l’intégrité de la doctrine. Enflés du fol orgueil, dont Anselme se plaint chez ces dialecticiens qui l’étaient hérétiquement, ils ont le mépris des saintes autorités, c’est-à-dire les divines Ecritures, les Pères, les Docteurs, dont aucun homme de jugement sain ne pourra que redire avec Anselme : « N’espérons pas qu’il y ait jamais personne, de nos jours ni plus tard, de comparable à eux pour la contemplation de la vérité (81) ». Et ils ne font pas plus de cas des avertissements de l’Eglise et même du Souverain Pontife, quand elle et lui s’efforcent de les ramener dans la bonne voie, prompts seulement à donner des paroles pour des actes et à feindre la soumission afin de se concilier par ces dehors trompeurs l’autorité et la faveur du plus grand nombre. Il y a peu d’espoir que ces hommes-là reviennent à de meilleurs sentiments, quand ils refusent d’écouter la parole « du chef et père de l’Eglise universelle, voyageur sur cette terre, à qui la divine Providence a confié la garde de la vie et de la foi chrétiennes et la conduite de son Eglise », et « à qui, par conséquent, avant tout autre, on doit en référer, s’il se produit dans l’Eglise quelque attaque contre la foi catholique, afin que son autorité y remédie ; à qui il faut avant tout en appeler, s’il y a à réfuter quelque erreur, pour en faire juge sa sagesse (82) ». Et plût à Dieu que ces ennemis qui affectent de paraître sincères, ouverts, attachés à tous leurs devoirs, qui se réclament de l’expérience et de la religion, et se prévalent d’une foi active, écoutent les enseignements d’Anselme, qu’ils se conduisent d’après ses exemples et ses préceptes et gravent surtout dans leur esprit ces paroles : « Il faut d’abord purifier son cœur par la foi…, et éclairer ses yeux par l’observation des préceptes du Seigneur… et se faire petit enfant par une humble docilité à l’égard des oracles de Dieu, afin d’apprendre la sagesse… Et non seulement l’esprit est incapable de s’élever, sans la foi et l’obéissance aux commandements de Dieu, à la connaissance des vérités supérieures, mais souvent même l’intelligence qu’on a reçue vous est ôtée et la foi elle-même est ruinée, si l’on néglige la bonne conscience (83) ».
Que si des hommes turbulents et audacieux continuent à semer des causes d’erreur et de divisions, à dévaster le patrimoine de la sainte doctrine, à violer la discipline, à tourner en dérision les plus respectables traditions, « ce qui est un genre d’hérésie que de vouloir les renverser (84) », enfin, à détruire de fond en comble la divine constitution de l’Eglise, vous voyez, vénérables frères, combien il est de notre devoir de veiller à ce qu’une aussi redoutable peste n’atteigne pas le troupeau chrétien et en particulier les jeunes agneaux. Nous le demandons à Dieu dans d’incessantes prières par l’intercession toute-puissante de l’auguste Mère de Dieu, des bienheureux citoyens de l’Eglise triomphante et, en particulier, de notre Anselme, cette lumière éclatante de la sagesse chrétienne, cet incorruptible gardien et cet intrépide défenseur de tous les droits sacrés, que nous aimons à invoquer avec les paroles mêmes de notre prédécesseur Grégoire VII : « Puisque la bonne odeur de vos œuvres est parvenue jusqu’à nous, nous en rendons à Dieu les plus dignes actions de grâces et nous vous embrassons de tout notre cœur, dans l’amour du Christ, assurés que nous sommes que l’Eglise de Dieu profitera par l’imitation de tels exemples et que, par ses prières et celles de vos émules, elle pourra, à l’aide de la miséricorde de Dieu, échapper même aux dangers qui la menacent.
« Aussi, voulons-nous que votre fraternité supplie Dieu instamment qu’il délivre son Eglise et nous qui, malgré notre indignité, nous lui sommes préposés, de l’oppression menaçante des hérétiques et qu’il les ramène, eux, en les faisant revenir de leur erreur, dans la voie de la vérité (85). »
Fort de tels appuis et confiant dans votre zèle, nous vous donnons, affectueusement en Dieu, comme gage de la grâce céleste et en témoignage de notre bienveillance toute spéciale, la bénédiction apostolique, à vous, vénérables frères, et à tout le peuple confié à chacun de vous.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, en la fête de saint Anselme, le 21 avril 1909, l’an six de notre Pontificat.
PIE X, PAPE.
(1) Cor., IV, 9.
(2) Coloss., III, 11.
(3) Encyclica dici 4 octobris MDCCCCIII
(4) 1 Cor., XV, 41.
(5) Breviar. Rom., die 21 aprilis.
(6) Epicedion in obitum Anselmi.
(7) In Epitaphio.
(8) Epicedion in obitum Anselmi.
(9) Ibid.
(10) Breviar. Rom., die 21 aprilis.
(11) In libro II Epist. S. Anselmi, ep. 32.
(12) In lib. III Epist. S. Anselmi, ep. 74 et 42.
(13) 1 Cor., II, 14.
(14) Epiceclion in obitum Anselmi.
(15) Breviar. Rom., die 21 aprilis.
(16) In lib. III Epist. S. Anselmi, cp. 44 et 75.
(17) Galat., IV, 19.
(18) Prov., XIV, 34.
(19) Luc, XIX, 14.
(20) JOAN., VIII, 44.
(21) Colos., II, 8.
(22) Rom., I, 21.
(23) 1 Tim., I, 19.
(24) Concil. Vat. Constit. Dei filius, cap. 4.
(25) Epist., lib. III, ep. 65,
(26) Ibid., lib. III, ep. 73.
(27) Ibid., lib. IV. en. 47.
(28) Act. XX, 28.
(20) Isai, LVIII, 1.
(30) Ps., XVII. 14.
(31) Hebr., XIII, 14.
(32) Prov., XIV, 34.
(33) Sap., VI, 7.
(34) Epist., lib. IV, ep. 12.
(35) Ibid., ep. 8.
(36) Epist., lib. III, ep. 57.
(37) Ibid., ep. 59.
(38) Ibid , lib. IV. ep. 52.
(39) Epist., lib. IV, ep. 32.
(40) Ibid., lib. III, ep. 142.
(41) Rom., VIII, 28.
(42) Ibid., XI, 33.
(43) ISAI, -LV,- 8.
(44) Coloss., i, 24.
(45) Act., XIV, 21.
(46) Hom,, III.
(47) I. JOAN., V, 19.
(48) MATTH., XII, 30.
(49) Cor., IX, 22.
(50) In libro III Epist. S. Anselmi, ep. 140.
(51) Epist., lib. III, cp. 37.
(52) II Cor., XII, 9, 10.
(53) Epist., lib. III, cp. 37.