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Léon XIII, lettre « Est sane molestum », 17 décembre 1888

Lettre de S. S. Léon XIII à Mgr Meignan, archevêque de Tours, à l’occasion des écarts récents du journalisme catholique.


LÉON XIII PAPE

VÉNÉRABLE FRÈRE, SALUT ET BÉNÉDICTION APOSTOLIQUE

            Il est assurément pénible et douloureux de traiter avec sévérité ceux qu’on chérit comme des enfants ; mais en agir ainsi, quoique cela coûte, est quelquefois un devoir pour ceux qui ont à travailler au salut des autres et à les maintenir dans la voie de la sainteté. Une plus grande sévérité devient nécessaire lorsqu’il y a des raison de craindre que le mal ne s’accroisse avec le temps, et ne tourne au détriment des âmes. Voilà, vénérable frère, les motifs qui vous ont poussé à user de vos pouvoirs pour censurer un écrit certainement répréhensible, et parce qu’il est injurieux pour l’autorité sacrée des évêques, et parce qu’il attaque non point un seul, mais un grand nombre d’entre eux, en dépeignant leurs actes et leur gouvernement en termes acrimonieux, les citant, pour ainsi dire, à son tribunal comme s’ils avaient manqué à leurs devoirs les plus grands et sacrés.

            Non, il ne faut en aucune façon supporter que des laïques, qui professent le catholicisme, en viennent jusqu’à s’arroger ouvertement, dans les colonnes d’un journal, le droit de dénoncer et de critiquer, avec la plus grande licence, et suivant leur bon plaisir, toutes sortes de personnes, sans en excepter les évêques, et croient qu’il leur est permis d’avoir en tout, sauf en ce qui regarde la foi, les sentiments qu’il leur plaît, et de juger tout le monde à leur fantaisie.

            Dans la cause présente, il n’y a rien, vénérable frère, qui puisse vous faire douter de Notre assentiment et de Notre approbation. C’est Notre premier devoir de veiller, unissant Nos efforts aux vôtres, à ce que la divine autorité des évêques demeure inviolable et sacrée. Il Nous appartient aussi de commander et de faire que partout elle reste forte et honorée, qu’en tout elle obtienne des catholiques la juste soumission et le juste respect qui lui sont dus. En effet, le divin édifice qui est l’Église s’appuie véritablement, comme sur un fondement manifeste à tous, d’abord sur Pierre et ses successeurs, et ensuite sur les apôtres et leurs successeurs les évêques. Les écouter ou les mépriser, c’est écouter ou mépriser Notre Seigneur Jésus-Christ lui-même. Les évêques forment la partie la plus auguste de l’Église, celle qui instruit et gouverne, de droit divin les hommes ; aussi quiconque leur résiste et refuse opiniâtrement d’obéir à leur parole s’écarte de l’Église (Math. XVIII, 17). Mais l’obéissance ne doit pas se renfermer dans les limites des matières qui touchent la foi : son domaine est beaucoup plus vaste ; il s’étend à toutes les choses qu’embrasse le pouvoir épiscopal. Pour le peuple chrétien, les évêques ne sont pas seulement des maîtres dans la foi, ils [s]ont aussi placés à sa tête pour régir et gouverner, responsable du salut des hommes que Dieu leur a confiés et dont un jour ils devront lui rendre compte. C’est pour cela que l’apôtre saint Paul adresse aux chrétiens, cette exhortation : « Obéissez à ceux qui sont à votre tête et soyez leur soumis ; car ils veillent sur vous et doivent rendre compte de vos âmes » (Hebr. XIII,17.)

            Il est, en effet, constant et manifeste qu’il y a dans l’Église deux ordres bien distincts par leur nature, les pasteurs et le troupeau, c’est-à-dire les chefs et le peuple. Le premier ordre a pour fonction d’enseigner, de gouverner, de diriger les hommes dans la vie, d’imposer des règles ; l’autre a pour devoir d’être soumis au premier, de lui obéir, d’exécuter ses ordres et de lui rendre honneur. Que si les subordonnés usurpent le rôle de supérieur, c’est de leur part, non seulement faire un acte d’injurieuse témérité, mais encore c’est bouleverser, autant qu’il est en eux, l’ordre si sagement établi par la Providence du divin fondateur de l’Église. S’il trouvait, par hasard, dans les rangs de l’épiscopat, un évêque ne se souvenant pas assez de sa dignité et paraissant infidèle à quelqu’une de ses saintes obligations, il ne perdrait, malgré cela, rien de ses pouvoirs, et, tant qu’il demeurerait en communion avec le Pontife romain, il ne serait certainement permis à personne d’affaiblir en quoi que ce soit le respect et l’obéissance qu’on doit à son autorité. Par contre, scruter les actes épiscopaux, les critiquer, n’appartient nullement aux particuliers, mais cela regarde seulement ceux qui, dans la hiérarchie sacrée, ont un pouvoir supérieur, et surtout le Pontife suprême ; car c’est à lui que Jésus-Christ a confié le soin de paître partout non seulement les agneaux, mais encore les brebis. Tout au plus, quand les fidèles ont de grands sujets de plaintes, leur est-il permis de déférer la cause entière au Pontife romain, pourvu toutefois que, gardant la prudence et la modération conseillées par l’amour du bien commun, ils ne se répandent point en cris et en objurgations, ce qui contribue plutôt à faire naître les divisions et les haines, ou certainement à les augmenter.

            Ces principes fondamentaux, qui ne peuvent être renversés sans entraîner avec eux la confusion et la ruine du gouvernement de l’Église, Nous avons maintes fois pris soin de les rappeler et de les inculquer. Nos lettres à Notre nonce en France, que vous avez citées à propos, parlent clairement, ainsi que celles adressées plus tard à l’archevêque de Paris, aux évêques belges, à quelques évêques italiens, et les deux encycliques aux évêques de France et d’Espagne. De nouveau, aujourd’hui, Nous rappelons ces documents, de nouveau Nous les inculquons, espérant grandement que Nos avertissements et Notre autorité apaiseront chez vous l’agitation présente des esprits de votre diocèse, que tous s’affermiront et se reposeront dans la foi, dans l’obéissance, dans le juste est légitime respect envers ceux qui sont revêtus d’un pouvoir sacré dans l’Église.   

Il faut regarder comme manquant à ces devoirs non seulement ceux qui repoussent ouvertement et en face l’autorité de leurs chefs, mais tout autant ceux qui s’y montrent contraires et hostiles par d’astucieuses tergiversations et par des voies obliques et dissimulées. La vérité vraie et sincère de l’obéissance ne se contente pas des paroles ; elle consiste surtout dans la soumission de l’esprit et de la volonté.   

Mais puisqu’il s’agit ici d’une faute commise par un journal, il faut absolument qu’aux rédacteurs des journaux catholiques, Nous en joignons encore une fois de respecter comme des lois sacrées les enseignements et ordonnances mentionnés plus haut, et de ne jamais s’en écarter. De plus, qu’ils soient bien persuadés et qu’ils gravent bien dans l’esprit que s’ils osent enfreindre ces prescriptions et se livrer à leur appréciation personnelle, soit en préjugeant les questions que le Saint-Siège n’a pas encore décidées, soit en blessant l’autorité des évêques et en s’arrangeant une autorité qu’ils ne sauraient avoir ; qu’ils soient convaincus que c’est en vain qu’il prétextent défendre l’honneur du nom de catholiques et servir les intérêts de la très sainte et très noble cause qu’ils ont entrepris de défendre et de glorifier.

En finissant, Nous souhaitons, vivement que ceux qui se sont égarés reviennent à des idées plus saintes, et que le respect de l’autorité des évêques reste ferme au fond des esprits.

Nous vous accordons dans le Seigneur, comme gage de Notre bienveillance paternelle et de notre affection, à vous vénérable frère, à tout votre clergé et à votre peuple, la bénédiction apostolique.   

Donné à Rome, à Saint-Pierre, le dix-septième jour de décembre de l’année mil huit cent quatre-vingt-huit, onzième de Notre pontificat.

LÉON XIII, PAPE


Source: Le Courrier du Canada : journal des intérêts canadiens. 1857-1901 (Québec), samedi 12 janvier 1889.

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